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Partie I : Fondements théoriques

Chapitre 1. Le code : gardien, porte et clef de l’œuvre

III) Habiter l'œuvre

Avec soulagement, avec humiliation, avec terreur, il comprit qu'il était lui aussi une apparence, qu'un autre était en train de le rêver. (« Les ruines circulaires », Jorge Luis Borges, 1940)

La question du rapport aux personnages engage d'abord celle de l'instance narratoriale, dans la mesure où cette dernière détermine l'entrée du récepteur dans le monde fictionnel. Dans A Clash between

Game and Narrative, Jesper Juul écrit que le jeu vidéo n'a pas de narrateur puisqu'il est condamné à

une perpétuelle adéquation entre le temps du récit et le temps de la narration, les événements se déroulant suivant les actions du joueur (Juul, 1999, p. 4). Il en déduit que le rapport du médium vidéoludique aux événements fictifs est "plutôt objectif" (Juul, 1999, p. 32). On peut néanmoins lui opposer que, dans la mesure où le joueur ne peut pas ne pas avoir part au monde fictif du jeu, il a

52 besoin d'une interface, c'est-à-dire la structure régissant son accès à la fiction ludique dans sa temporalité, sa spatialité et ses modalités d'action. Or cette médiation est tout aussi subjective et structurante que celle de la narration.

Relativement à la temporalité, la question du rapport de la narration au passé est tout d'abord faussée dans la mesure où les événements fictifs n'ont pas de référents réels. Y compris dans le cas particulier du récit historique, la transposition en œuvre littéraire exclut la stricte correspondance, comme l'explique Ingarden :

Ainsi le passé, depuis longtemps révolu et anéanti, se reconstitue sous nos yeux dans les états-de-chose (objets) seulement intentionnels qui les incarne ; mais ce n'est pas le passé lui-même qui, ici, est jugé, car il est impuissant à franchir le dernier pas qui sépare les assertions quasi proportionnelles des véritables propositions : l'identification [...] Ce n'est qu'en passant à la considération scientifique ou à un simple rapport sur des événements passés que ce dernier pas serait franchi ; c'est alors qu'on obtiendrait de vraies propositions.

Mais s'il n'y a, dans les œuvres littéraires, que des assertions quasi judicatoires de différents types, ces phrases ne sont pas – comme on l'a déjà remarqué – purement énonciatives. Aussi parviennent-elles – grâce aux propriétés dont on a déjà parlé – à créer plus ou moins l'illusion de la réalité, ce qui ne réussirait pas aux pures énonciations. En d'autres termes, elles portent en elles une puissance de suggestion qui, à la lecture, nous permet de nous plonger dans un monde fictif et de vivre dans un univers qui nous est propre, dans un monde étrangement irréel et qui pourtant semble réel. Cette mystérieuse puissance a sa source principale dans le caractère particulier –encore très insuffisamment exploré – quasi judicatoire des assertions (Ingarden, 1983, p. 152).

Ainsi, le récit ne constitue en aucun cas un rapport d'événements passés, mais, au contraire, suscite un univers présent d'une certaine réalité. Cette nature particulière du monde fictif littéraire découle de ce que Ingarden appelle le caractère "quasi judicatoire" de son énonciation, c'est-à-dire au fait qu'elle se donne pour vraie sans pour autant renvoyer à la réalité puisque ses objets sont "purement intentionnels", autrement dit sont créés par un acte de conscience. Elle est donc intimement liée à un faire-comme-si ludique.

De plus, il est tout simplement faux de prétendre que le jeu vidéo ne peut exister que dans l'écrasement des temps du récit, de la narration et de la lecture dans un présent ludique. D'abord parce

53 que les quatre vitesses narratives de Genette (Genette, 1972, p. 122-144) sont toutes présentes dans le jeu contrairement à ce que prétendait Jesper Juul dans sa thèse (Juul, 1999, p. 31). Prenons l'exemple de Civilization IV (Firaxis Games, 2005). Le joueur y dirige un peuple depuis la préhistoire jusqu'à nos jours selon un système de gestion au tour par tour. Le joueur n'a pas d'impératif de temps lors de ses décisions puisque le reste du monde est figé (pause) ; lorsqu'il demande à une unité de se déplacer, il voit celle-ci traverser plusieurs kilomètres en quelques secondes (sommaire) ; lorsqu'une bataille se déclenche, les quelques individus symbolisant l'armée se battent en duel sous ses yeux (scène) ; lorsqu’enfin il met fin à son tour, des années s'écoulent instantanément (ellipse) avant son nouveau tour (Figure 4).

Fig. 4 : Civilization IV (Firaxis Games, 2005).

Même en se concentrant sur le genre action qu'évoque Jesper Juul, il n'est pas nécessaire d'attendre

Max Payne (Remedy Entertainment, 2001) – qui introduit le ralenti "bullet-time" dans les fusillades –

ou Prince of Persia: The Sands of Time (Ubisoft, 2003) – qui permet au joueur de remonter le temps – pour déceler des effets de temporalité. Il est évident que le Doom II (Id Software, 1994) cité dans ce passage joue sur le résumé littéraire ou l'accéléré cinématographique afin de dynamiser l'action et que

54 la rapidité avec laquelle le marine incarné par le joueur court, utilise une trousse de soins ou enfile une armure relève d'une simplification d'événements qui ralentiraient le rythme de l'aventure.

Reste néanmoins la question de l'influence du joueur sur les événements. Selon Jesper Juul (1999, p. 30-31), il est impossible de jouer des événements passés puisque ces derniers s'accomplissent lors du jeu. Dans la mesure où le joueur décide librement de ses actions et où celles-ci influencent le monde fictif, elles ne peuvent s'être déjà produites. Cependant, la liberté et l'influence du joueur ont déjà été nuancées dans les pages précédentes. L'argument ne tient pas face à la structure en creux et pleins de la littérature : lorsque Hugo décrit dans Notre-Dame de Paris (1831) la promenade de Gringoire sur les bords de Seine puis en direction de la place de Grève, il ne dit pas si le poète marche au milieu de la rue ou sur le côté, s'il évite des flaques de boue, slalome entre des passants ou jette quelque caillou à l'eau ; seul importe qu'il s'exclame « que volontiers je me noierais, si l'eau n'était pas si froide ! » avant de se rendre au cœur de la Fête des Fous. De même, il importe peu que le marine de Doom II trouve les passages secrets du niveau, tue tous les monstres ou tire dans les murs du moment qu'il atteint les portes « Exit » et détruit l'immense tête démoniaque au cœur de l'enfer. L'interface vidéoludique intègre donc bien une fonction de régie comparable à celle de l'instance narrative, déterminant les différentes temporalités et la succession nécessaire des événements. Seuls les cas particuliers des jeux abstraits – qui ne présentent pas d'événements fictifs proprement-dits – ou des jeux libres dits "bacs à sable" – qui permettent au joueur d'élaborer sa propre histoire suivant les possibles offerts par le système ludique – échappent à cette structure événementielle imposée. Dès qu'il y a objectif, le joueur doit accomplir un programme ludique qui est aussi un programme narratif. On retrouve, en réalité, précisément l'actualisation des événements passés décrit par Ingarden :

Lorsque la narration se fait sur le mode de la simple "relation", les périodes chronologiques figurées sont toujours conçues comme révolues à partir d'un moment chronologique "ultérieur", généralement indéterminé. Une distance temporelle caractéristique apparaît nettement. Par contre, le temps figuré dans son individualité brute, représenté phase par phase dans son déroulement, peut certes aussi être conçu comme révolu, mais il apparaît alors dans une étonnante proximité : le point-zéro de l'orientation temporelle est transposé dans ce moment chronologique révolu où commence la scène qu'il s'agit de représenter, et il se déplace ensuite continuellement, suivant le déroulement des événements, dans l'espace temporel correspondant au continuum chronologique, jusqu'au "dernier" moment de cette scène. Ainsi, les phases chronologiques révolues sont présentifiées – l'une après l'autre – d'une manière originale, comme si nous, les lecteurs, étions témoins de ces événements et vivions "en ce temps-là" – plus exactement dans les "maintenant" d'"alors". Si le tout est

55 projeté sur le mode du présent, nous avons alors un mode de figuration particulier, caractéristique des œuvres "dramatiques" (Ingarden, 1983, p. 206).

Rien ne s'oppose ainsi à jouer des scènes relevant de narrations ultérieure ou antérieure, voire intercalée, comme c'est le cas dans Prince of Persia: The Sands of Time où le prince est un narrateur intradiégétique-homodiégétique dont le joueur joue le récit en entendant les commentaires du conteur dont le fameux « No no no, that's not the way it happened. Shall I start again? » qui accompagne le game over. Cette pirouette illustre le fait que l'échec du joueur ne constitue pas tant une fin qu'une invitation à recommencer pour mener à bien le programme prévu. Comme le souligne par ailleurs Juul dans The Art of Failure, l'échec vidéoludique repose avant tout sur un sentiment d'inadéquation et sur la possibilité de résoudre cet état (Juul, 2013, p. 7) ; l'espoir de mettre fin à ce malaise créé par le jeu lui-même est au cœur des multiples réitérations visant à réaliser un projet ludique dont on ne retire pourtant aucun avantage tangible15. S'il peut y avoir des jeux sans objectif imposé, il ne peut y en avoir sans perspective, et c'est l'interface qui détermine l'angle de vue que le joueur a du monde fictif. Dominic Arsenault, Pierre-Marc Côté et Audery Larochelle ont proposé un cadre d’analyse de la représentation visuelle dans les jeux vidéo, le FAVR – Framework for the Analysis of Visual Representation (Arsenault, Côté et Larochelle, 2015). Ce système se base notamment sur la dichotomie proposée par Espen Aarseth entre perspective personnelle et impersonnelle (Aarseth, 1997, p. 63) et celle de Mary Laure Ryan entre interne/externe – ce qui permet de couvrir le cas d'une personne définie gérant un microcosme, comme un général ou un coach sportif (Ryan, 2001). Ces catégories recoupent les niveaux narratifs de Genette, mais aussi ses travaux sur la focalisation (Genette, 1972, p. 225-268) à travers l’application cinématographique qu’en a fait David Bordwell, ainsi

15 On retrouve à nouveau ici une dimension politique dans un écho aux recherches de Frédéric Lordon. En effet, une des modalités de « l'alignement du désir des enrôlés sur le désir maître » (voir figure 1 dans Lordon, 2010, p. 55) est de susciter un manque artificiel (consommation autre que la perpétuation matérielle-biologique) que seul l'enrôlement salarial permet de combler (argent) : « Tout le système du désir marchand (marketing, médias, publicité, appareils de diffusion des normes de consommation) œuvre donc à la consolidation de la soumission des individus aux rapports centraux du capitalisme puisque le salariat apparaît comme la solution au problème de la reproduction matérielle non seulement unique, mais d'autant plus attirante que le spectre des objets offerts aux appétits d'acquisition s'élargit indéfiniment » (Lordon, 2010, p. 51).

56 que le concept d’ocularisation de François Jost (1983)16. Cette approche est complétée par le HACS – Historical-Analytical Comparative System de Carl Therrien (2017) – qui développe et systèmatise l'apport des recherches de Torben Grodal et Andreas Gregersen sur le mode d'intervention ludique (Grodal et Gregersen, 2009, p. 65). Ces derniers se fondent en effet sur l'écart entre l'action primitive du joueur (la pression d'un bouton par exemple) et celle de son avatar numérique pour distinguer un mode d'intervention symbolique (dans lequel l'action primitive n'a pour but que de déclencher l'action numérique) et un mode d'intervention mimétique (dans lequel l'action primitive tend vers l'action produite, comme ce peut être le cas du capteur de mouvement de la console de jeu Wii) ainsi qu'un mode d'intervention direct (où une action primitive produit une action numérique) et un mode indirect (où l'action primitive correspond à un ordre donné au personnage qui accomplira ensuite l'action)17.

Cette seconde distinction semble plus importante pour le cadre de cette étude dans la mesure où le mode d'intervention mimétique est limité aux actions qu'il est possible de réaliser dans la réalité et dans un espace relativement restreint. Il sera toujours impossible de produire mimétiquement l'action de Kratos escaladant l'échine d'un titan (God of War, SCE Santa Monica Studio, 2005) ou les sauts périlleux de Lara Croft (Tomb Raider, Core Design, 1996). En revanche, les modes direct/indirect établissent des rapports différents au personnage joué et à son intériorité, permettant ainsi de susciter des émotions à la première ou troisième personne (Grodal, 2003, p. 135-136). Le joueur ressent une émotion différente lorsqu'il dirige directement Claire Redfield (manipulation générique-synchronique) tentant d'échapper au monstrueux Mr. X de Resident Evil 2 (Capcom, 1998) et lorsqu'il indique à Adrienne Delaney (manipulation ponctuelle à affichage augmenté) dans quelle direction elle doit courir pour fuir le démon de Phantasmagoria (Sierra On-line, 1995). La perspective vidéoludique dépend donc à la fois de la représentation du monde auquel le joueur a accès et des modalités de son intervention dans ce monde. Les jeux en vue à la première personne (ocularisation interne primaire) relèvent bien entendu de la focalisation interne. Call of Cthulhu: Dark Corners of the Earth (Headfirst Productions, 2005) intègre par exemple un système de santé mentale qui se traduit, lorsque le

16 S’il n’est pas nécessaire ici d’atteindre le niveau de précision maximal permis par le FAVR, précisons que le modèle ajoute à la différenciation entre ocularisation interne et externe les enjeux de l’ancrage du point de vue (attaché ou non au personnage) et sa mobilité (libre, contrainte, etc.).

17 Therrien développe une gradation de l’isomorphisme au symbolique avec l’interface de manipulation (corporeal / techno-mimetic / generic / screen-augmented) qui se combine à la modalité d’action (symbiotic / metonymic / synchronic / cumulative / punctual).

57 personnage incarné par le joueur panique trop, par des distorsions visuelles, des hallucinations auditives et une détérioration du contrôle. Les jeux à la troisième personne, où le joueur dirige un personnage qui apparait à l'écran, oscillent, quant à eux, entre la focalisation interne et la focalisation externe. Spec Ops: The Line (Yager Development, 2012) est en ocularisation interne secondaire (le point de vue est à la troisième personne, mais ancré sur le personnage) où le monde que le joueur voit à l'écran est modifié par le prisme de son personnage, le soldat Martin Walker, qui sombre peu à peu dans la folie (constituant ainsi un exemple d'application vidéoludique du narrateur non-digne de confiance). Le personnage-joueur entend des communications provenant d'une radio qui se révèle en réalité cassée et voit des prisonniers vivants alors qu'il s'agit de cadavres. Super Mario Bros (Nintendo, 1985) est un jeu en ocularisation zéro ergodique ; si le joueur dirige Mario de manière générique- synchronique, il n'a à aucun moment accès à son intériorité. Cette grille de lecture ouvre un large spectre de rapports aux personnages allant de la sympathie à l'empathie, d’une préoccupation pour un personnage que l’on accompagne – je dois aider Adrienne à échapper à son mari possédé – à une intériorisation des enjeux du destin du personnage – en tant que « Doomguy », je dois terrasser les démons et sortir du labyrinthe (Doom, Id Software, 1993). La caractérisation des personnages dépend cependant en grande partie de leurs actions, point sur lequel l'interface applique encore sa direction.

La présence du joueur dans l'univers fictif a pu conduire à considérer le personnage comme un pur véhicule dépourvu de la caractérisation des œuvres de fiction traditionnelles. C'est la position de James Newman qui, en partant de la distinction entre les phases où le joueur participe et celles où il n'a aucun contrôle – ce qu'il appelle les états « on-line » et « off-line » –, développe l'idée selon laquelle le personnage joué est perçu comme un ensemble de capacités plutôt que par sa représentation visuelle :

Thus, On-Line "character" in the sense we understand it in non-ergodic media, dissolves. Characters On-Line are embodied as sets of available capabilities and capacities. They are equipment to be utilised in the gameworld by the player. They are vehicles. This is easier to come to terms with when we think of a racing game like Gran Turismo where we drive a literal vehicle, but I am suggesting that, despite their representational traits, we can think of all videogame characters in this manner. On-Line, Lara Croft is defined less by appearance than by the fact that "she" allows the player to jump distance x, while the ravine in front of us is larger than that, so we better start thinking of a new way round (Newman, 2002).xii

A l'argument de la voiture de course, on peut opposer la possibilité généralisée d'une vue subjective qui place le joueur à la place du conducteur et, surtout, le rappel par Torben Grodal et Andreas Gregersen de la flexibilité de notre corporéité, capable de s'étendre à nos véhicules, vêtements et

58 accessoires (Grodal et Gregersen, 2009, p. 68). La perspective de James Newman recoupe néanmoins le développement proposé précédemment sur le primat de la participation sur l'image dans l'immersion vidéoludique. Nous divergeons sur l'interprétation de ce fait : il n'est pas innocent que Lara Croft (Tomb Raider, Core Design, 1996) coure, saute et s'accroche tandis que Solid Snake (Metal

Gear Solid, Konami, 1998) rampe et longe les murs. La première est une aventurière et une risque-

tout, la jouer implique effectivement d'évaluer la largeur du précipice pour savoir si le saut est faisable ou non ; le second est un soldat spécialisé dans l'infiltration qui, comme son nom de code l'indique, pousse le joueur à se tapir dans l'ombre et à se faufiler sans se faire voir. Partant des travaux de Friedman, Newman ajoute que l'incarnation du personnage par le joueur ne peut être dissociée de l'ensemble du système ludique qui l'intègre, que jouer Lara Croft est intimement lié aux énigmes, aux grottes et aux animaux sauvages qui les peuplent (Newman, 2002). Ces idées rejoignent celles de

mimesis comme mise en forme du réel, d'adéquation avec le monde fictif et de lien entre programme

ludique et programme narratif18. Elles ne s'opposent donc pas à la notion de personnage : le joueur accomplit ce que ce dernier est à être dans son contexte fictif ou ce que le monde et ses habitants sont à être. Pour reprendre la pensée de Queneau, il s'agit soit d'Odyssées centrées sur des destins personnels, soit d'Iliades suivant de grandes aventures collectives. Il n'y a ainsi pas de différence essentielle dans les stratégies directives du roman et du jeu vidéo concernant le personnage. Ce dernier reste défini par son nom, ses qualités et sa place dans la configuration thématique et actancielle de l'œuvre, et le médium vidéoludique bénéficie sur ce point de tous les outils fournis par les expérimentations littéraires passées ; c'est la propension à laisser davantage d'espaces vides à combler dans la réception, suivant l'impératif ludique, qui semble qualifier le jeu vidéo. La difficulté tient donc bien davantage à la façon dont ces destins se réalisent lorsque les impératifs ludiques vont à l'encontre du programme fictonnel.

18 Cette perspective résout l'opposition de Jesper Juul entre règles réelles et fiction dans le jeu vidéo (Juul, 2005) : les règles ne peuvent pas avoir plus de réalité qu'un objet fictionnel dans la mesure où elles n'existent qu'au sein du cercle magique qui, contrairement à l'affirmation de l'auteur, n'est jamais une sous partie du monde réel (Juul, 2005, p. 165). A partir du moment où l'espace du jeu intègre des règles de convention, autres que les lois physiques, il forme un univers de fiction, peu importe l'étendue spatiale qu'il peut occuper. Autrement dit, un individu entrant sur un terrain de football peut prendre le ballon entre ses mains, mais ne pourra pas léviter au-dessus du sol : la loi de l'attirance des corps est réelle, les règles du football sont fictionnelles.

59 Le faire-comme-si ludique, ce que Caillois nomme la mimicry (Caillois, 2012, p. 61) et que les joueurs appellent communément le roleplay, est un élément fondamental du jeu. En tant qu'activité mimétique, il garantit la cohérence de l'univers fictif et en consolide le cercle magique, toujours menacé d'être gagné par la réalité quotidienne ou, au contraire, de devenir sérieux et de perdre sa nature ludique. Cet équilibre entre la conscience du jeu comme système de règles artificiel et le besoin d'un engagement immersif – un funambulisme déjà relevé par Jacques Henriot (1969) et qui recoupe celui de la « bonne lecture » de Ricoeur – devient source d'interférences lorsque les éléments de ces

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