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D’habitabilité à habitation créative intégrative, via le corps créatif

CHAPITRE 2 L’HABITATION CREATIVE DE L’ITINERANCE Introduction Introduction

2.2. D’habitabilité à habitation créative intégrative, via le corps créatif

Les figures du corps, entre agir expressif/communicationnel et agir relationnel/performatif

Nous avons conclu le premier chapitre sur la conviction qu’il nous fallait trouver la bonne conceptualisation du rôle du corps dans une démarche créative intégrative qui intègre systématiquement l’altérité. Il s’agirait d’un corps dont l’altérité est intégrée au fur et à mesure. Mais concrètement, comment cela pourrait-il se passer pendant la pratique de l’itinérance ? Avant de passer à une analyse des données de terrain, il nous faut examiner les différentes figures du corps issues de l’anthropologie. De là, nous pourrons identifier la figure du corps la plus apte à faciliter la démarche créative intégrative, axée sur la créativité corporelle et éthique. Le terrain permettra de compléter cette œuvre de reliance corps-éthique.

Dans ce deuxième chapitre, nous avons abordé la question du rôle du corps dans l’habitabilité. Falaix (2017), se référant à Di Méo, parle de « corpospatialité récréative » qui participe de l’habitabilité, et notamment de ses dimensions sociales et culturelles. Blanc et Lolive, se référant à l’esthétique environnementale, réintroduisent la dimension écologique dans l’habitabilité et relient le corps à la fois à son environnement physique et à la dimension culturelle et symbolique, qui est selon eux une expérience active et créative, de résistance aux conformismes. Le corps est vu comme un moyen de ressenti, qui initie la capacité réflexive, performative et innovatrice de l’individu. On rejoint là la définition de l’intelligence corporelle donnée au chapitre précédent, en tant que « pensée physique » ou « activité génératrice d’idées ». Morel-Brochet parle quant à elle du rôle que les sensations et émotions

familières jouent dans le choix de l’environnement de vie et donc dans l’habitabilité. Deux figures du corps émergent alors. L’une mobilise sensations et les émotions pour une reconquête existentielle dans le cadre d’une société anomique et anonyme ; l’autre mobilise le chaînage entre les dimensions organique, sensorielle, émotionnelle, et symbolique, pour réaliser un projet de vie, pour passer à l’action pour le réaliser. Le corps de l’habitabilité servirait alors à la fois la dimension existentielle ontologique et transcendante.

Ces travaux et ces figures du corps peuvent être mis en regard du cadre plus vaste d’une interrogation sur les figures du corps à l’ère de la transition. Corneloup (2017) propose trois figures du corps : le corps bionique du scénario du transhumanisme ; le corps écologique du scénario de l’éco-culture ; et le corps de la troisième voie, de la transition médiane : « Le corps bionique va s’associer au corps écologique pour élaborer l’être humain du XXIe siècle » (ibidem, p. 20), un corps-métissage entre technologie et humanité. Le corps de l’itinérance serait selon lui le corps écologique, qui s’inscrit dans le scénario de l’éco-culture, qui comprend des pratiques telles que l’« itinérance longue et légère » (ibid., p. 19).

La figure du corps écologique va être approfondie ici. Pour organiser notre contenu, nous suivrons la classification des branches de l’écologie corporelle d’Andrieu (Andrieu & Sirost, 2014), qui se fonde sur le rapport entre « entre le corps et les milieux naturels et sociaux » (ibidem, p. 5). L’auteur identifie trois pistes de recherche en écologie corporelle, situées dans un axe qui va de l’inconscience à la conscience du corps vivant, de l’immersion à l’émersion, et qui produisent chacune une figure du corps. Il s’agit de l’écologie cosmique (corps cosmique), de l’écologie sensorielle (corps sensoriel), et de l’écologie corporelle proprement dite (corps écologique proprement dit). À cette classification nous ajoutons la figure du corps créatif, élaboré à partir du corps écologique proprement dit d’Andrieu, qui s’inscrit dans une dimension existentielle projectuelle transcendante, un registre d’action relationnel et performatif, qui mobilise l’intelligence corporelle et émotionnelle et est le socle de l’éthique relationnelle via l’empathie. C’est cette figure du corps créatif qui serait la plus pertinente dans le cadre d’une habitabilité mobile créative intégrative. Ici elle n’est proposée qu’en tant qu’hypothèse ; à la partie suivante, elle sera mise à l’épreuve des données empiriques recueillies dans le terrain.

Après ce premier mouvement d’introduction, cette deuxième partie du chapitre se développe en quatre autres mouvements. Les trois premiers explorent les figures du triptyque d’Andrieu (ibid.) : corps cosmique, sensoriel et écologique. Le cinquième bâtit l’hypothèse du corps créatif à l’aide de l’écologie corporelle proprement dite d’Andrieu (ibid.,), du

paradigme du Sensible de Bois (Bois & Austry, 2007), du maillage créatif écosystémique d’Ingold (2010), et de l’empathie. La figure du « maillage » nous fait pencher pour l’utilisation du concept d’habitation, d’un registre franchement actif, et non plus d’habitabilité, pour étayer l’hypothèse de la démarche-projet créative intégrative. Le corps créatif serait une capabilité de l’habitation créative intégrative et émerge comme élément central de la démarche créative intégrative. Il est mis en regard des différentes conceptions de l’éthique (délibérative, relationnelle) via les notions de l’intelligence corporelle, de l’intelligence émotionnelle, et de l’empathie. Resteront à expliquer les liens concrets, via les comportements, entre un corps créatif et l’éthos créatif, voire d’une justice sociale, dans le cadre de l’itinérance, ce à quoi la deuxième partie de la thèse, la restitution du terrain, s’attache en ultime instance.

Le corps cosmique : le rapport émotionnel et imaginaire à l’environnement

Le corps de la piste de recherche en écologie cosmique (qu’Andrieu attribue à Berque, Sirost et Corneloup) est celui de la cosmosensorialité, dans une approche d’appropriation du monde en opposition au cadre normatif moderne. C’est un premier dévoilement du corps hors de la logique technique, instrumentale, et du contrôle de la volonté. C’est une « remise en nature du milieu naturel et social à visée méliorative et une recherche de qualité de vie » (Andrieu et Sirost, 2014, p. 7), une « philosophie de l’immersion esthétique et esthésiologique dans les éléments » (ibidem). Le corps reçoit des impressions, il s’imprègne des éléments, c’est un ensauvagement. Ainsi, ce que l’on pourrait appeler le « corps cosmique » se définit dans un cadre culturel comme une expression de codes alternatifs aux normes de la modernité (instrumentalité, performance, compétition). Son registre d’action est avant tout expressif/communicationnel, ancré sur une matière inconsciente et imaginaire, nourrie par les sensations et les émotions. Grâce à l’expérience vécue, la personne vise à renforcer son sentiment d’exister voire d’appartenance, son identité culturelle (dimension ontologique de la perception). Selon Andrieu (ibid.), les pratiques qui facilitent ce rôle du corps sont les activités physiques dans les milieux naturels, de plein air, dont l’itinérance, car c’est une forme de résistance à la société technologisée contemporaine. « Contre la tendance à l’obésité, au récréatif numérique, à l’indoor touristique et au loisir sédentaire, le style itinérant s’inscrit dans une vision du monde qui invite corporellement et culturellement au mouvement physique de l’individu, non dans un univers virtuel déconnecté du corps en action, mais en compagnie de celui-ci, dans cette rencontre avec l’incertain naturel et le monde vivant de la ruralité traversée » (Corneloup, 2008, p. 16).

Corneloup (2004b) avait déjà souligné une évolution des pratiques de nature dans le glissement d’un rapport de conquête à la montagne à la valorisation de l’expérience vécue, la rencontre esthétique avec la nature, une dimension narrative de celle-ci, voire le branchement sur des figures imaginaires baroques. Plus récemment (Corneloup, 2011), il a associé cette évolution et la cosmosensorialité comme une des dimensions clés de l’art de vivre transmoderne, la naturalité récréative. Très récemment, Corneloup (2016) parle d’un espace de montagne comme « espace odoriférant qui attire notre archéo-cortex, éveille les sens et les sensations olfactives et réveille chez les pratiquants des instincts de conquérants ou de nomades » (ibidem, p. 280). Plus loin, d’« expériences émotionnelles odoriférantes extraordinaires » (ibid., p. 293) qu’elles soient « bonnes » ou miasmes, ou du corps, ou bien odeurs aériennes pures des hauteurs, qui permettent le « façonnage des codes culturels par lesquels se construit la sensation de bien-être et l’identité du pratiquant » (ibid.), et « qui laissent de la présence à différentes formes d’expériences culturelles en fonction des relations olfactives co-construites et activées » (ibid., p. 293). Si la postmodernité valorisait l’aseptisation, alors la transmodernité valorise la naturalité redécouverte, les odeurs humaines, les espaces naturels, c’est une « transmodernité odoriférante » (ibid.), au gré des immersions au cœur des éléments.

Dans son ouvrage sur le corps en marche, Le Breton (2000) se focalise sur le rapport du pratiquant à la nature, de type immersif, en ligne avec sa notion de corps comme « reste » (Le Breton, 1999), éjecté de la société par le progrès technologique et l’excès de sécurité et intégration (Le Breton, 2002). Le corps est une sorte de calibre qui permet de saisir sa place dans le monde : « L’expérience de la marche décentre de soi et restaure le monde, inscrivant l’homme au sein de limites qui le rappellent à sa fragilité et sa force. Elle est une activité anthropologique par excellence car elle mobilise en permanence le souci pour l’homme de comprendre, de saisir sa place dans le tissu du monde, de s’interroger sur ce qui fonde le lien aux autres » (Le Breton, 2000, p. 63). Dans cette quête de réordonnancement d’un monde étranger, « La marche lentement fabrique le sens qui permet de retrouver l’évidence du monde » (ibidem, p. 165). Mais il ne s’agit pas que du constat d’une marginalisation culturelle ; le marcheur part aussi suite à une marginalisation personnelle, existentielle. « On marche souvent pour retrouver un centre de gravité après avoir été jeté à l’écart de soi. Le chemin parcouru est un labyrinthe qui suscite découragement et lassitude mais dont l’issue, tout intérieure, est parfois retrouvailles avec le sens et la jubilation d’avoir renversé l’épreuve en sa faveur » (ibid., p. 165). La marche est alors un moyen de se recentrer, de se

rééquilibrer, de sentir le monde, dénué de tout contact avec les contraintes du quotidien, pour simplement se sentir exister, éprouver la sensation de soi. Point d’objectif existentiel transcendant dans ce cadre, mais ontologique ; à ce sujet, il faut tout d’abord réapprendre à vivre, à se sentir exister en tant qu’« un ».

Pour Le Breton, la matière à diverger dans l’environnement est plus vaste que chez Corneloup. Elle inclut le patrimoine et les habitants en plus de la nature, mais le rapport à celle-ci demeure imaginaire. Comment entre-t-on en rapport avec elle ? Pour Le Breton, c’est via l’effort. « En se saoulant de fatigue, en se donnant des objectifs minuscules mais efficaces comme d’aller là-bas plutôt qu’ailleurs, il contrôle encore son rapport au monde » (ibid., pp. 165-166). Dans ce cadre, le corps même est objet de projections, notamment de l’altérité, conçue donc comme une distance, comme un Ailleurs dont on peut se rapprocher en le rejoignant, pour reconstruire la « totalité » de l’être (mais pas en l’intégrant). « Parce que le corps est le lieu de la coupure, on lui prête le privilège de la réconciliation. C’est là qu’il faut appliquer le baume. L’action sur le corps traduit la volonté de combler la distance entre la chair et la conscience, d’effacer l’altérité inhérente à la condition humaine : celle, banale, des insatisfactions du quotidien, comme celles, fondatrices, de l’inconscient. L’imaginaire social fait alors du corps le lieu possible de la transparence, de la positivité. À travers son corps, l’acteur cherche à dissiper une angoisse flottante Fétiche qui abolit la division du sujet, le corps serait le texte rendu visible des tensions intérieures » (ibid., p. 194).

Le corps dans notre société n’est qu’un « reste ». Il s’agit déjà de le réveiller via les pratiques physiques, pour recoller les morceaux d’un sujet fragmenté. « Le corps contemporain ressemble à un vestige. Membre surnuméraire de l’homme, que les prothèses techniques (automobiles, télévision, escalators, trottoirs roulants, ascenseurs, appareils de toutes sortes…) n’ont pu supprimer intégralement. Reste irréductible, le corps se fait d’autant plus pénible à assumer que se restreint la part des activités propres sur l’environnement. Mais la réduction des activités physiques et sensorielles n’est pas sans incidence sur l’existence du sujet. Elle entame sa vision du monde, limite son champ d’action sur le réel, diminue le sentiment de consistance du moi, affaiblit sa connaissance directe des choses. À moins de freiner cette érosion par des activités de compensation, spécialement destinées à favoriser une reconquête cinétique, sensorielle, ou physique de l’homme, mais en marge de la vie quotidienne » (Le Breton, 2011, p. 186).

La connaissance est ensuite située au niveau de la pensée, de la capacité de symbolisation, et non pas du ressenti ou du mouvement lui-même. « La marche est une

bibliothèque sans fin qui décline chaque fois le roman des choses ordinaires placées sur le chemin et confronte à la mémoire des lieux, aux commémorations collectives dispensées par les plaques, les ruines, ou les monuments. La marche est une traversée des paysages et des mots » (ibid., pp. 63-64). Cette capacité de symbolisation s’applique notamment aux noms car « Comprendre le monde, c’est lui attribuer une signification, c’est-à-dire le nommer » (ibid.), et « Le nom est une mise au monde de l’espace » (ibid.). Mais elle s’applique aussi aux relations avec les habitants, via des récits que l’on échange. Et, ce, même si le marcheur est un « clandestin social ». « Le marcheur est un homme de l’obliquité, même s’il chemine le jour, il ressemble symboliquement à une créature de la nuit, invisible, silencieux, en lui toute clarté s’efface. Prendre les lieux communs en diagonale, fuir les sentiers battus pour inventer le chemin de ses pas implique une clandestinité sociale. Le marcheur est un homme de l’interstice, de l’entre-deux » (ibid., p. 90). Le marcheur devient réceptacle de petites anecdotes de la part des habitants, un passeur de mémoire collective.

Le corps cosmique tend ainsi à intensifier les sensations via l’immersion, l’ensauvagement et l’effort. Et, ce, pour provoquer la production d’émotions et imaginaires alternatifs visant à « recoller » les morceaux d’un sujet qui ne se reconnaît plus dans le système de valeurs imposé par la société, et qui a besoin de nouveaux répères. On voit que l’environnement (physique, matériel, humain) est ici dans un rôle de support de l’action qui vise avant tout une production culturelle. Il est présent dans une première phase d’immersion, ensuite place à la symbolisation, qui est une démarche adaptative (projection), qui négocie avec l’altérité représentée par le corps immergé.

Le corps sensoriel : la relation pratique et intrinsèque à l’environnement

Le corps de la piste de recherche en écologie sensorielle (qu’Andrieu attribue à Gelard, Bessy, Raveneau, Sayeux) est celui d’une fusion entre corps et environnement, ce dernier avant tout physique et matériel. C’est un corps qui opère des échanges sensibles. Il s’agit de « fournir au corps de nouvelles expériences sensorielles et une mémoire expérientielle en reculant les limites du corps » (Andrieu & Sirost, 2014, p. 9). Ce corps peut aussi être défini comme un « système somesthésique » (Shusterman, 2010), « intersensoriel » (Candau, 2010) ou « multisensoriel » (Howes, 2010), non limité aux cinq sens classiques et séparés entre eux, mais qui ressent et qui communique à travers les sens. Il pourrait impliquer le sens du mouvement (Berthoz, 1997), et un sens organique, relatif aux viscères (Vigarello, 2014). Ainsi, ce que l’on pourrait appeler le « corps sensoriel » se définit dans un cadre vitaliste comme une libération de l’emprise de la société, fut-il par déviance. C’est un

dépouillement (Andrieu parle de purification, d’ascétisme) et une synchronisation à l’unisson avec le milieu exclusivement naturel. Son registre d’action est performatif, nourri directement par les sensations, sans passer par la conscience (ou alors c’est une infra-conscience). Grâce à l’expérience vécue, l’individu acquière une connaissance (infra-connaissance) de sa pratique sportive, à des fins, toujours, de renforcer son sentiment d’exister voir d’appartenance. Le corps sensoriel peut être considéré comme un moment du corps cosmique, une lecture phénoménologique de celui-ci, une bulle d’activité perceptive et performative mise au service, en ultime instance, de l’appartenance culturelle. Selon Andrieu (2014), les pratiques qui peuvent faciliter le corps sensoriel sont les activités physiques de plein air et plus précisément celles liées au naturisme.

Cette figure du corps sensoriel est retrouvée dans plusieurs études empiriques : l’étude sur les surfeurs de Falaix (2014), celle sur les aventuriers maritimes de Griffet (2010), celle sur les marcheurs, les joggeurs et les grimpeurs dans les calanques de Niel et Sirost (2008). La figure du corps intime, présentée par Falaix (2014), est marquée par la phénoménologie ontologique. Falaix étudie le rapport affectif, intime, émotionnel et culturel à l’espace, à la vague. Il souhaite saisir l’existentialité des surfeurs, leur usage du corps comme effecteur ontologique. Les surfeurs ont tout simplement la « volonté de préserver le caractère ontologique de leur spatialisation marine conférée par l’acte de glisse » (ibidem, p. 133). Cette figure du corps qui est abordée surtout par des géographes, renvoie alors aux spatialisations sportives et récréatives des surfeurs via la dimension affective. L’habiter des surfeurs est ce « caractère intime et émotionnel du rapport vécu du surfeur à la vague (...) à travers l’acte de la glisse, les surfeurs agissent sur la vague en se gratifiant (il cite Laborit), pratiquant le lieu (il cite De Certeau) et le métamorphosent ainsi en espace » (ibid., pp. 133-134). L’espace entre en résonance avec l’individu, tout d’abord avec son histoire personnelle, son historique émotionnel, et sa culture (normes culturelles et sociales). Il y a une dimension symbolique qui est réinvestie dans une trajection, un double processus de projection technique et introjection symbolique (l’auteur se réfère aux prises trajectives chez Berque). Il se relie ainsi au paradigme de la spatialité mais en élargit le cadre cognitif notamment à l’affectif, l’émotionnel, ce qui rend cette figure du corps potentiellement porteuse pour étayer la démarche créative intégrative et une habitation créative. Potentiellement seulement car, au sein de cette figure du corps sensoriel, il y a in fine une construction identitaire sociale et culturelle des individus-surfeurs « au sein d’une métastructure sociale et culturelle dont ils

auraient intériorisé les valeurs, les normes, les codes » (ibid., p. 139) et non pas réalisation d’un projet de vie singulier.

Avec Niel & Sirost (2008) et Griffet (2010), l’objet de la pratique n’est pas le sentiment d’exister, dans une perspective phénoménologique ontologique, mais l’infra-connaissance du milieu de pratique, dans une perspective phénoménologique de la perception. Les deux études permettent de faire le lien avec la culture sensible (sensorielle), la première comme une forme de vie quotidienne partageable ; la deuxième dans une finalité d’appartenance. Niel et Sirost (2008) étudient comment les sports de pleine nature permettent de « faire l’expérience de la nature » (ibidem, p. 181), comment le sportif intègre le paysage et ressent l’espace dans lequel il évolue pendant sa pratique. Celle-ci implique une immersion corporelle dans la nature via tous les sens, non plus une simple contemplation (sens de la vue uniquement), pour une véritable fusion avec la nature. Le paysage serait alors « la manière dont les sens éprouvent une portion d’espace » (ibid., p. 183). Les auteurs citent Griffet et notamment la modalité de la cénesthésie ; mais aussi Augustin et l’extension et l’appropriation de nouveaux espaces maritimes par le surf ; ainsi que Birouste et l’æsthésique. Ce dernier étudie la manière dont le sportif (le nageur) analyse son environnement, les ressentis qui ne conduisent pas à la production d’un objet esthétique (par exemple, la lumière blafarde, les échos...) et qui constituent la véritable motivation à la pratique, car ils traduisent son rapport au monde (sa « culture sensible »). Pour Niel et Sirost, « les paysages sont avant tout l’expression multiple de nos relations vivantes, de nos prises sur la vie » (ibid., p. 199). À noter que le concept de « prise » est emprunté à Berque, mais les auteurs parviennent ici à le concrétiser et à le charger d’un rôle performatif dans le cadre d’une action individuelle, la pratique sportive.

L’étude de Niel & Sirost décrit finement les ressorts du rapport de l’homme à la nature, médiatisée par le sport. Le « sens » se donne (un peu) à savoir. Les auteurs mettent en avant la différence entre le sport qui demande un aménagement (jogging) et pas d’aménagement (marche, grimpe) ; l’influence de la météo, qui amplifie les émotions déjà en germe mais qui dialogue aussi avec le pratiquant. Le sport est vu comme une réponse aux