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Chapitre 2 : L’observance des règles internationales de protection des auteurs et des

2.3 Haïti et les trois principes du droit international en matière de droit d’auteur

En matière de protection du droit d’auteur, les conventions internationales posent comme condition aux États parties d’adapter leur législation interne aux dispositions internationales. Les États membres doivent également donner le même traitement à l’œuvre étrangère qu’à celle du terroir, d’où le principe du

traitement national 157 . Et enfin, les membres adhérents à la convention

internationale de protection du droit d’auteur se doivent de respecter le principe de la garantie de normes minimales. C’est-à-dire que les États signataires doivent « prévoir les niveaux minimums de protection fixés par la Convention »158.

L’adaptation des dispositions internationales à la législation haïtienne rejoint notre argumentaire précédemment soutenu à savoir que l’application des conventions internationales en Haïti peut permettre automatiquement au respect du droit local en matière de droit d’auteur. Et en ce qui a trait au fait d’intégrer les instruments internationaux dans le corpus juridique national, législateur haïtien est plutôt bon élève. C’est par contre dans l’adaptation et l’application que les problèmes vont commencer. En effet, adapter n’est pas calquer. Bref, il faut reconnaître l’effort d’Haïti de toujours se mettre au diapason. Les décrets de 2005 sur les droits d’auteur et des droits voisins en Haïti reflètent tant bien que mal les exigences internationales. Sous réserve, bien entendu, d’une loi sur le statut de l’artiste haïtien. Mais à part cela le problème d’intégrer le dispositif international dans le

157 Voir aussi Convention de Berne, art. 5, al : 1.

158 Bureau International de l’OMPI, La protection internationale du droit d’auteur et des droits

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droit haïtien ne se pose pas. D’autant que le système juridique haïtien donne préséance au droit international par rapport aux lois nationales.

En ce qui concerne le principe du traitement national il ne faudrait pas trop y compter dans l’état actuel des choses. La raison est simple : si les mêmes auteurs du terroir ne sont pas protégés comment peut-on prétendre qu’il en soit autrement pour les auteurs étrangers? Ces derniers sont autant victimes que les auteurs locaux. Le photocopillage sans contrepartie d’ouvrages de références et la diffusion des œuvres musicales sans redevances sont les principales violations des droits d’auteurs étrangers en Haïti. Arriver au respect et à l’application du droit d’auteur en Haïti permettra par la même occasion des respecter le principe du traitement national des œuvres étrangères. Il appert un rapport d’interdépendance entre le traitement des œuvres locales et les créations étrangères. La même considération est aussi valable pour la garantie des normes minimales.

Le manque ou l’absence d’harmonisation des règles internationales avec les dispositions locales quelconques peut entrainer des conflits en matière de droit d’auteur sur le plan international. Le chevauchement entre droit national et dispositions internationales ne se fait pas toujours sans heurts. L’adaptation est d’autant plus malaisée quand les familles de droit sont différentes. L’arrêt de la Cour de cassation de France dans l’affaire Huston offre une belle illustration de cette réalité159.

Il s’agissait de la question de la titularité et de l’exercice du droit moral – droit de l’intégrité en l’espèce- par les héritiers du réalisateur John Huston qui s’opposaient à la diffusion d’une version ‘’ colorisée ‘’ en France du film ‘’The Asphalt Jungle ‘’, tourné en ‘’noir et blanc’’. Les défendeurs, ‘’La Cinq’’ et la société américaine Turner Entertainment, invoquaient l’application de la loi américaine, selon laquelle les héritiers Huston n’auraient aucun droit ni patrimonial ni moral, étant donné que la loi des États-Unis sur le droit d’auteur désigne le producteur cinématographique

159 Jane Ginsburg et Pierre Sirinelli, « Auteur, Création et Adaptation en Droit International Privé et

en Droit Interne Français. Réflexions à partir de l’Affaire Huston », dans la Revue Internationale du

61 comme ‘’l’auteur’’ du film. Dès lors, selon les co-défendeurs, John Huston n’étant pas ‘’auteur’’ selon la loi du pays d’origine de l’œuvre, ses héritiers ne pouvaient prétendre au droit moral en France. En outre, les défendeurs soutenaient que dans le contrat de production cinématographique signé par John Huston celui-ci cédait tous les droits qu’il pouvait avoir160.

Voilà le conflit sémantique entre deux conceptions juridiques concernant le mot ‘’auteur ‘’. La conception américaine qui considère aussi le producteur comme un auteur potentiel de l’œuvre pourvu que celui-ci l’acquière161, et la conception

française très attachée au droit moral de l’auteur162. À preuve, la « Cour régulatrice a cassé » la décision de la Cour de Paris qui, « dans sa décision du 6 juillet 1989, avait accueilli les arguments des défendeurs quant à la loi applicable, précisant également que les textes et l’approche française du droit moral n’étaient pas suffisamment d’ordre public international pour écarter l’application de la loi américaine compétente… » 163. La Cour de cassation Française fait donc valoir que :

d’une part, l’alinéa 2 de l’article premier de la loi du 8 juillet 1964 ( sur l’application du principe de réciprocité en matière de droit d’auteur), qui assure la protection en France du droit moral des créateurs même originaires de pays qui ne protègent pas les œuvres françaises, et, d’autre part, l’article 6 de la loi du 11 mars 1957 reconnaissant le droit au respect de la paternité des créateurs et de l’intégrité des œuvres, les magistrats ont estimé que la loi du pays d’origine n’avait pas d’incidence sur la disponibilité en France d’une action en violation du droit moral, que l’auteur bénéficie du droit moral ‘’du seul fait de sa création’’, et que ‘’ces règles sont des lois d’application impérative164.

160 Ibid, p. 5.

161 Alain Strowel, Droit d’auteur et Copyright : divergences et convergences, Bruxelles et Paris,

Éditions Bruylant et L.G.D.J, 1993, p.60 : « Le problème est précisément que, dans le système américain, ce ne sont pas, sauf rares exceptions, les réalisateurs ou les participants créatifs à la confection du film qui sont titulaires du copyright ».

162 Jane Ginsburg et Pierre Sirinelli, « Auteur, Création et Adaptation en Droit International Privé et

en Droit Interne Français. Réflexions à partir de l’Affaire Huston », dans la Revue Internationale du

Droit d’Auteur, oct. 1991, p.63 : « En droit français, les créateurs sont mieux armés pour faire

respecter leur intérêt à l’intégrité de l’œuvre. D’abord parce qu’ils sont plus facilement titulaires des droits…; ensuite parce qu’ils disposent d’un droit d’adaptation et d’un droit moral à l’intégrité de l’œuvre».

163 Ibid. 164 Ibid.

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Ce cas jurisprudentiel nous montre tout l’enjeu qu’il y a dans la dimension internationale du droit d’auteur. Il nous donne à réfléchir sur la nécessité d’un débat franc entre les familles juridiques pour une cohabitation harmonieuse avec le droit international en matière de protection du droit d’auteur. Car « le problème, qui a été très bien illustré par l’affaire John Huston […] [montre] que d’après les règles du droit international privé, ce n’est pas nécessairement le droit français qui est applicable en France»165.

Finalement l’harmonisation des règles internationales est essentielle pour assurer un meilleur rapport entre les États. Mais laissons de côté les conflits potentiels entre familles juridiques en mal de compromis. Contentons-nous tout simplement d’insister à nouveau sur l’enjeu d’adapter les lois internationales aux lois nationales. C’est sans doute le moyen le plus sûr de combler les lacunes du droit interne. Dans un rare exemple, le tribunal correctionnel de Port-au-Prince est saisi d’un cas impliquant la violation d’une œuvre étrangère adaptée en Haïti. Voici les faits tels que rapportés par le quotidien haïtien Le Nouvelliste :

Le tribunal correctionnel de Port-au-Prince, présidé par le juge Jean Wilner Morin, a ordonné la comparution personnelle des prévenus Charles Tardieu, Dominique Clérié et Mireille Nicolas, à l’audience du mercredi 19 juin 2013, pour s’expliquer sur des faits de contrefaçon à eux reprochés. De quoi s’agit-il en fait? Mme Gisèle Presta, de nationalité française, auteur principal des livres de mathématiques de la collection « Mon nouveau livre de mathématiques », en six volumes pour le primaire, avait autorisé l’Entreprise Kopit l’Action Sociale, représentée par Gérard Tardieu, à adapter, traduire en créole, imprimer et distribuer ces six manuels. Ce qui fut fait. En l’année 2008, sous la direction de Mireille Nicolas, et sous le titre Mathématiques illustrés, les Éditions Zémès, société en nom collectif, dirigée par Mme Dominique Clérié, se sont livrés à des adaptations, arrangements et à la modification de deux des six ouvrages de Gisèle Presta. Tels que réalisés, ces deux ouvrages constituent, de l’avis des avocats de Gérard Marie Tardieu166, de véritables contrefaçons de ceux de Mme Gisèle Presta. Ils ont demandé au tribunal correctionnel de reconnaitre que les prévenus Charles Tardieu, Dominique

165 Ibid.

166 Pour éviter toute confusion, nous devons préciser qu’il s’agit des frères Tardieu face à face dans

ce procès : Gérard Marie Tardieu plaignant et Charles Tardieu et consorts partie défenderesse. Chacun possède une maison d’édition en Haïti.

63 Clérié et Mireille Nicolas sont coupables du délit de contrefaçon, et d’ordonner, jusqu’à nouvel ordre, qu’ils mettent fin aux activités d’édition. Les décrets du 9 janvier 1968 et du 12 octobre 2005 sur les droits d’auteur ont servi de référence légale à l’action de l’Entreprise Kopivit l’Action Sociale. Rappelons qu’à l’audience du mercredi 5 juin en cours, après lecture de sa citation, la partie civile, représentée par Mes Enedland Jabouin, Jean Gary Rémy et Samuel Madistin, a demandé la comparution personnelle des parties, ce à quoi le ministère public a déclaré n’avoir aucune objection. Le tribunal y a fait droit en mettant l’affaire en continuation à l’audience du 19 juin 2013 […]167.

Il s’agit ici d’un cas exceptionnel de jugement sur la violation de droit moral en Haïti. Fait inhabituel au point que le journal va jusqu’à proposer comme titre « Une grande première au tribunal correctionnel de Port-au-Prince ». En effet, - hormis quelques réserves sur le fait que le journaliste ait parlé de « grande première » puisqu’au moins un procès168 du genre a déjà eu lieu en Haïti -,nous pensons qu’il s’agit d’un cas intéressant dont l’issu pourrait compléter le corpus juridique haïtien sur le droit d’auteur. Cette affaire présente deux niveaux d’appréciation. D’abord sur le plan international, il s’agit d’une œuvre française qui aurait été contrefaite en Haïti. Vraisemblablement l’autorisation n’a pas été accordée aux ‘’prévenus’’ pour l’adaptation de l’œuvre. Au nom du principe du traitement national le manuel scolaire ‘’Mon nouveau livre de mathématiques’’ de Gisèle Presta doit bénéficier de la même protection des manuels scolaires d’auteurs haïtiens. C’est-à-dire, en vertu des décrets du 12 octobre 2005 sur les droits d’auteur en Haïti ce manuel est protégé. Par ailleurs, toujours au niveau international, les avocats de la partie lésée peuvent évoquer les différentes conventions internationales ratifiées par Haïti traitant du droit d’auteur. En outre, il est intéressant de remarquer la possibilité d’une double violation, car la contrefaçon pourrait être faite non seulement à partir de l’œuvre originelle (celle de Gisèle Presta) mais aussi de l’œuvre adaptée (par Kopivit). Peut-être même des deux! Entretemps, cette affaire a été une nouvelle fois évoquée au tribunal. Elle est mise en continuation.

167 Jean-Robert Fleury dans Le Nouvelliste du vendredi 7 juin 2013.

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Finalement, il est intéressant de faire remarquer combien le droit d’auteur est un droit dynamique. En témoignent les nombreuses révisions dans les conventions internationales. Les échanges de plus en plus divers condamnent le droit d’auteur à s’adapter à chaque fois. Aujourd’hui, le droit d’auteur se pose en droit de la Personne. On parle même de consécration mondiale du droit d’auteur comme droits culturels de la Personne. L’auteur Alexandre Zollinger soutient que :

parmi les textes adoptés par les Nations Unies, il en est deux, essentiels, qui consacrent la qualité de droit de l’Homme du droit d’auteur : la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948, en son article 27 (Section 1), et le Pacte international des droits économiques, sociaux et culturels de 1966, en son article 15 (Section 2). Ces deux dispositions présentent le droit d’auteur comme des droits culturels de l’Homme169 Si tous les instruments internationaux consacrant les droits de l’Homme ne font pas d’emblée référence aux droits culturels, cela n’enlève en rien à ceux-ci cette qualité. Et là, l’auteur établit un pont entre le droit d’auteur et le droit de propriété :

Tous les textes garantissant les droits de l’Homme ne consacrent pas expressément la catégorie des droits culturels : il en est ainsi, par exemple, de la Convention européenne des droits de l’Homme de 1950, de la Convention américaine des droits de l’Homme de 1969 ou encore de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de 2000. D’autres chartes ne reconnaissent pas le droit d’auteur comme une composante de ces droits culturels, à l’image de l’article 17 de la Charte africaine du droit de l’Homme et des peuples de 1981, ou de l’article 36 de la Charte arabe des droits de l’Homme de 1994. Est-ce à dire que ces textes ne reconnaissent pas la qualité de droit de l’Homme du droit d’auteur ? Pas nécessairement. En effet, il est fréquent que celui-ci accède à cette qualification fondamentale par l’entremise du droit de propriété. Ce rattachement peut être exprès (article 17 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne) ou résulter- ce qui est plus fréquent- de la jurisprudence170.

D’autres exemples pourraient être mentionnés. Nous nous limiterons cependant à ces propos puisque notre intérêt pour le droit international dans le cadre de ce mémoire s’inscrit avant tout dans une démarche visant à démontrer la dialectique entre l’application des normes internationales pour l’effectivité du droit interne. Il était essentiel d’inscrire cette recherche dans une perspective internationale.

169 Alexandre Zollinger, Droits d’auteur et droits de l’Homme, LDGJ, France, 2008, p. 86. 170 Ibid, p. 107.

65 Pour clore cette partie sur la dimension internationale du droit d’auteur, nous ne manquerons pas d’encourager les dirigeants haïtiens à revisiter les différentes conventions internationales auxquelles le pays a adhéré afin d’étudier tous les moyens possibles pour les mettre véritablement en application. De Berne, mère des conventions internationales en matière de protection du droit d’auteur, jusqu’à l’Accord sur les APDIC171, l’État haïtien devra faire beaucoup plus d’effort pour respecter ces dispositions auxquelles il a très souvent été parmi les initiateurs. Il devra également développer des rapports privilégiés avec des institutions ou organismes internationaux tels que l’OMPI, l’UNESCO, l’OMC afin de pouvoir bénéficier de l’expertise et de toutes ressources disponibles susceptibles de l’aider à renforcer les organismes locaux pour l’effectivité des normes.

67 « Est-ce qu’on peut avoir une place sans avoir de statue?

Est-ce qu’on peut avoir une place sans avoir de statut? Agnès Thurnauer, interview, 2009 »172

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