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De l'effectivité du droit d'auteur par la mise en œuvre du statut juridique de l'artiste et la gestion collective : une appréciation du cas haïtien

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De l’effectivité du droit d’auteur par la mise en œuvre du

statut juridique de l’artiste et la gestion collective:

une appréciation du cas haïtien

Mémoire

Marc Emmanuel Dorcin

Maîtrise en droit

Maître en droit (LL.M.)

Québec, Canada

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iii Résumé

Haïti est très connu et apprécié pour sa richesse culturelle. L’expression artistique y est en tout cas très forte. Cependant, les artistes ne bénéficient pas de l’encadrement juridique nécessaire qui leur permettrait de s’épanouir, voire de vivre de leur art. Ce qui, entre autres, les met dans une grande précarité. L’absence d’une loi consacrant le métier d’artiste fait défaut. L’artiste est donc désavantagé non seulement par le fait que ses droits soient fréquemment violés mais surtout par le fait qu’au préalable aucune loi n’ait défini son statut. A partir de ce constat, on peut noter que l’adhésion d’Haïti à différentes conventions internationales relatives au droit d’auteur et l’existence des décrets consacrant la protection de l’auteur haïtien ne sauraient être effectives sans une définition préalable du métier d’artiste en Haïti. Ainsi, proposons-nous d’expliquer comment une définition du statut juridique de l’artiste haïtien peut aider à la protection et au respect de son droit d’auteur et à son épanouissement personnel. À la lumière des deux lois québécoises sur le statut de l’artiste - principalement celle relative au statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs - et des documents émanant d’organismes internationaux et locaux, nous essayerons de proposer la mise en œuvre du statut juridique de l’artiste haïtien ainsi que le renforcement de la gestion collective comme des préalables à tout respect du droit d’auteur dans ce pays.

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v Table des matières

Résumé ... iii

Table des matières ... v

Dédicace ... vii

Épigraphe ... ix

Remerciements ... xi

INTRODUCTION ... 1

1. Haïti : pays riche… culturellement ... 1

2. Les conditions de vie des créateurs haïtiens ... 5

3. Questions et hypothèse de recherche ... 10

3. 1 Question de recherche ... 10

3.2 Hypothèse ... 11

PREMIÈRE PARTIE.- Vers le ‘’modèle québécois’’ du statut de l’artiste à travers l’effectivité, le positivisme et l’observance ... 21

Chapitre 1 : Contribution de l’effectivité observée et du positivisme juridique dans une dialectique droit d’auteur et statut de l’artiste ... 23

La dialectique droit d’auteur et statut de l’artiste sur le plan conceptuel ... 23

Chapitre 2 : L’observance des règles internationales de protection des auteurs et des artistes, un préalable essentiel à l’effectivité du droit national ... 37

2.1 De l’Antiquité à nos jours : quel changement dans la perception et le statut de l’artiste? ... 40

2.2 La protection internationale de l’artiste : prétexte pour le renforcement du droit international de l’auteur? ... 49

Naissance du droit d’auteur en contexte international ... 49

2.3 Haïti et les trois principes du droit international en matière de droit d’auteur ... 59

Chapitre 3: Statut de l’artiste : ‘’Le modèle québécois’’ ... 67

3.1 Pourquoi s’inspirer du ‘’modèle québécois’’ ? ... 68

3.2 Contexte de mise en œuvre et particularités des lois québécoises sur le statut de l’artiste ... 75

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vi

DEUXIÈME PARTIE : Cadre socio-juridique du droit d’auteur en Haïti et l’apport de la gouvernance culturelle dans le renforcement de la gestion

collective pour l’effectivité du droit d’auteur ... 87

Chapitre 4 : Situation du droit d’auteur en Haïti ... 89

4.1 Le poids de la perception de l’artiste haïtien ... 95

4.2 Quelques considérations critiques du cadre national du droit d’auteur ... 97

4.2.1 Le décret du 12 octobre 2005 sur les droits d’auteur ... 101

4.2.2 Code pénal haïtien : des lois désuètes quant à la réparation du préjudice causé ... 101

4.2.3 Le décret du 12 octobre 2005 portant création Bureau Haïtien du Droit d’Auteur ... 103

Chapitre 5 : Le contrat, pièce maîtresse pour la protection de l’artiste haïtien ... 105

Chapitre 6 : Gouvernance culturelle pour une gestion collective et l’effectivité du droit d’auteur en Haïti ... 111

CONCLUSION ... 127

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vii Dédicace

À la mémoire de ma sœur Youdeline Dorcin, Elle qui aimait tant les études…

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ix Épigraphe

« Une société se qualifie par la manière avec laquelle elle traite ses artistes et ses savants »1. Albert 1er, Roi des Belges.

1 Suzanne Capiau, « Le statut social et fiscal de l’artiste plasticien », L’Art et le Droit, Éditions

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xi Remerciements

J’exprime ma gratitude à l’endroit de l’Université Laval pour la bourse de leadership et de développement durable qui m’a été octroyée. L’obtention de cette bourse a été le point de départ de cette belle aventure académique au Québec. Ma reconnaissance va également à la Congrégation des Sœurs de charité de Québec pour sa généreuse contribution. La Fondation Connaissance et Liberté est également remerciée pour sa précieuse aide.

La Faculté de droit de l’Université Laval ainsi que tout le personnel à la gestion des Études de 2ème et 3ème cycle méritent mes remerciements pour leur professionnalisme et le dévouement avec lequel ils ont accompagné mon parcours. La bourse de rédaction que j’ai obtenue de la part de la Faculté m’aura permis de terminer sereinement ma recherche. Merci une fois de plus.

Les mots me manquent pour dire ma satisfaction d’avoir été accompagné par le professeur Georges Azzaria dans cette recherche. Cela a été un honneur et un privilège de travailler avec lui. Sa grande patience, sa disponibilité, sa générosité, son sens de l’écoute de l’autre, sa compétence, bref, toutes ces qualités qui rivalisent pourtant avec une grande simplicité chez lui, m’ont été largement profitables. C’est donc en toute légitimité que la communauté universitaire lui témoigne autant d’admiration, de respect et d’affection. Merci beaucoup cher directeur !

Je réserve un mot de remerciement spécial à ma famille pour ses encouragements et son affection indéfectible. À Sherly Prévar Dorcin, Raymonde Césaire, Marline, Carmélita, Julio, Julio jr. Dorcin, je dis merci.

Je m’en voudrais finalement de ne pas remercier quelques amis pour leurs encouragements et leurs conseils : Joepitz Dorsainvil, Varlyne Cox, Kenrick

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Démesvar, Roberson Édouard, Frantz et Vastie Délice, Djénane François, Marylin Mercier, Réal Chérizard, Junio Dort, Jessica Gosselin et Sylvie Ferland.

Que tous ceux et toutes celles qui, d’une manière ou d’une autre, ont contribué au succès de cette étude, trouvent ici l’expression de ma plus profonde reconnaissance.

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1 INTRODUCTION

1. Haïti : pays riche… culturellement

L’évocation du nom « Haïti » renvoie souvent à la misère, à la pauvreté, à l’instabilité politique, aux catastrophes naturelles à répétition... Quelquefois, il est présenté comme le « pays le plus pauvre des Amériques »2, voire selon un article de 24/7 Wall Street paru en septembre 2012, comme le « pays le plus pauvre du monde »3. S’il faut, en tout cas, avoir des réserves quant aux superlatifs utilisés, force est de reconnaitre tout de même que la situation socioéconomique de la plupart des Haïtiens demeure difficile4. Mais « les pays, que le malheur éduque et que la pénurie étrangle, prennent parfois une revanche existentielle sur la tragédie dans l’ordre de l’esprit et de l’imaginaire… » écrit en 2004 le philosophe français Régis Debray pour souligner la richesse culturelle d’Haïti5. « L’originalité haïtienne, poursuit-il, n’est plus à démontrer : artistes, écrivains, cinéastes font même l’envie des pays voisins […] (« le seul peuple de peintre » disait Malraux ») »6.

Pour l’écrivain franco-haïtien René Dépestre, le peuple haïtien est un : « [p]euple fier, jamais vaincu, lié au nombril de son art rédempteur, [qui] remonte malgré tout du fond de l’abime, pour créer sa langue, forger son identité, inventer les formes de son rêve, en attendant le jour où il parviendra à modeler le métal de la

2 Selon l’Agence Canadienne de Développement International (ACDI) citant le rapport 2011 du

PNUD sur l’Indice de développement humain : « Haïti est le pays le plus pauvre des Amériques. Avec une population de 10,1 millions d'habitants, il occupe le 158erang (sur 187 pays) de l'Indice du développement humain2011 établi par le Programme des Nations Unies pour le développement». Consulté le 12 décembre 2012, http://www.acdi-cida.gc.ca/acdi-cida/ACDI-CIDA.nsf/Fr/JUD-12912349-NLX.

3 Michael B. Sauter, Alexander E. M. Hess, Samuel Weigley, The 10 Poorest Countries in the World,

septembre 2012, consulté le 12 décembre 2012, http://www.nbcnews.com/business/poorest-countries-world-1B5952554.

4 Selon la Banque mondiale (2012), 77% de la population vivrait avec moins de $ 1 USD par jour et

plus de 80% d’entre eux vivraient avec moins de $ 2 USD par jour.

5 Régis Debray, Rapport au Ministre des Affaires Étrangères Dominique de Villepin sur les relations

franco-haïtiennes, 2004, p. 49.

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liberté »7. [Nos emphases]. L’« art rédempteur », pour « modeler le métal de la liberté », des termes bien à propos pour souligner l’apport de l’art à une possible rédemption haïtienne. Cet art qui permet aux Haïtiens de dompter le métal pour forger leur liberté. L’art comme source de fierté, de dignité. Mais aussi l’art comme source d’espoir tel que le reconnaît Irina Bokova, directrice générale de l’Organisation des nations unies pour l’éducation, la science et la culture (UNESCO) : « la culture joue un rôle central dans la vie haïtienne, à la fois économiquement et socialement. Elle a été reconnue comme une source de force et d’espoir pour son peuple »8. L’envoyée spéciale de l’UNESCO pour Haïti, l’ancienne Gouverneure générale du Canada, Michaëlle Jean, abonde dans le même sens: «Je ne connais pas de lieu où la culture trouve autant son sens qu’en Haïti. L’art n’a jamais cessé d’y être une valeur suprême, un espace de reconquête de la vie, de l’espoir, de la lumière et de la dignité»9 [Nos emphases].

Cependant, sans entrer dans un débat autour du fait qu’Haïti soit considéré comme le pays « le plus pauvre du monde » ou de « l’Amérique », s’est-on jamais intéressé à calculer la valeur économique de tout son foisonnement culturel? Ne faudrait-il pas évaluer le coût de ces objets d’art, représentations et symboles, de toute cette orgie de couleurs et de lumières qu’offrent les « expositions ambulantes sur les tap-tap, [de ce] bourgeonnement de murales dans les quartiers, galeries du soleil à travers les villes, [de ces] installations centenaires dans les humfor (sic) ; bref [de ces] arts plastiques […] [de ces] rues [qui] font de chaque passant un regardeur»10? Tout en laissant aux chercheurs versés dans le champ de l’économie de la culture le soin de faire cette évaluation quantitative, nous nous contenterons, de soutenir que la richesse culturelle haïtienne « au sens large et

7 René Dépestre « Libre création des Naïfs (en guise de Préface) » dans Alain Foubert, Les

Forgerons du Vaudou- Voodou Blacksmiths, CIDIHCA-DESCHAMPS-ULYSSES Editions, Montréal,

1990, p 9.

8 UNESCO, Haïti : Faire de la Culture un moteur de reconstruction, préface, Paris, 19 avril 2011. 9 Ibid, postface.

10Willems Edouard, Haïti : droit d’auteur et propriété intellectuelle, Médialternatif, 2002, consulté le

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3 anthropologique du terme n’est pas un mythe »11. Jean Métellus dans son livre

Haïti : une nation pathétique12, diagnostique une «…fièvre créatrice qui a toujours

possédé les haïtiens… » et conclut à l’évidence que ce peuple est par essence un peuple d’artistes13. Cette originalité, cette abondance, cette richesse culturelle qui suscitent de l’admiration pour l’art haïtien, faut-il le dire, ne datent pas d’hier. Il semblerait que les premiers dirigeants haïtiens au lendemain de l’Indépendance, en 1804, avaient déjà compris ce que représente la culture pour l’épanouissement de la jeune nation. C’est en tout cas ce qu’affirme Metellus dans son essai :

Nous trouvons par exemple dès le début du XIXème siècle, […] un groupe de huit peintres autour du roi Henri Christophe qui avait fait venir d’Angleterre un disciple de Sir Thomas Lawrence, Richard Evans, pour s’assurer des cours de dessins et de peinture à l’Académie royale de Sans-Souci. Après Christophe, les présidents Pétion, Boyer, ont donné leur appui aux artistes et créé une atmosphère d’émulation en peinture. Le président Geffrard, successeur de Soulouque, fonde à son tour une académie d’art et une école des beaux-arts. En 1880, Archibald Lochard ouvre une académie de peinture et de sculpture. Cette floraison de peintres, d’académies et d’écoles d’arts dans des contextes politiques de guerre civile, dans un pays analphabète à 90% durant tout le XIXe siècle est remarquable14.

S’agissant de la littérature en particulier, Métellus rapporte :

[..] en suivant chronologiquement les productions littéraires haïtiennes, Pradel Pompilus décèle plusieurs périodes : la première irait de l’indépendance aux années 1860 ; ce serait "une période de tâtonnement pour la poésie, le théâtre, marquée cependant par la richesse des travaux d’histoire nationale". […] de 1860 à 1915 on assiste au plein essor de la littérature haïtienne […] mais […] c’est la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle qui marquent vraiment un tournant dans la littérature haïtienne. « "Jamais, peut-être, écrit Pradel Pompilus, la vie intellectuelle n’a connu un tel épanouissement, une telle puissance. Jamais notre pays n’a compté tant de poètes, de conteurs, de critiques, de chroniqueurs " »15.

11 Barbara Prézeau-Stéphenson, La richesse culturelle d’Haïti, Mythe ou réalité?, Fondasyon

Konesans ak Libète, Port-au-Prince, 2010, p. 83.

12Jean Metellus, Haïti : une nation pathétique, Paris, Maisonneuve et Larose, 2003, p. 153. 13 Ibid.

14 Ibid. 15 Ibid.

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Aujourd’hui, cette créativité n’a pas faibli. Car « le nombre de livres publiés en Haïti est égal à la quantité d'ouvrages édités dans l'ensemble de l'Afrique francophone » révèle Willems Édouard16. De plus, Léon-François Hoffman constate :

un nombre de plus en plus important d’auteurs haïtiens modernes et contemporains ont été publiés ou republiés en France et au Québec, où ils ont fait l’objet de comptes rendus, d’analyses critiques, d’interviews. Désormais, après ceux de Jacques Roumain et Jacques Stéphen Alexis, les romans de Marie Chauvet, de Frankétienne, d’Emile Ollivier, de Gary Victor, de Lyonel Trouillot et de plusieurs autres ont ainsi pu intégrer les circuits internationaux de distribution17.

Les observations de Deborah Stolk sont assez semblables pour les artisans. À Noailles, haut lieu de la sculpture sur fer découpé à Port-au-Prince, elle compte « plus de soixante ateliers où travaillent environ 500 artistes, artisans et apprentis […] »18. Cela fait de cette municipalité de Croix-des-Bouquets « le plus dense foyer d’artistes et de sculpteurs de toute la Caraïbe […] »19.

Si nous nous attardons à souligner les contributions d’Haïti au patrimoine matériel et immatériel de l’humanité, en particulier, les nombreuses productions littéraires, artistiques et scientifiques des auteurs haïtiens20, c’est pour plaider avec Bernard Edelman, la défense de leurs droits :

il ne suffit évidemment pas de combler d’honneur un architecte ou un poète, de chanter sa gloire, de lui verser une pension, de le rendre « officiel » ou de lui ouvrir les portes d’une académie, encore faut-il qu’une société se sente tenue, à son égard, à une obligation juridique ; qu’elle se croit obligée de la respecter et qu’elle lui fournisse les armes pour se défendre… 21.

16 Prézeau-Stéphenson, supra note 11, p. 83.

17 Michel Beniamino et Arielle Thauvin-Chapot (dir.), Mémoires et cultures : Haïti, 1804-2004, Actes

du colloque international de Limoges, 30 septembre-1er octobre 2004, Limoges, Pulim, Collection Francophonies, 2004, p. 187.

18 Deborah Stolk, « Contribuer au relèvement d’Haïti par l’Intervention culturelle d’urgence »,

Muséum International, Haïti, Patrimoine culturel et Refondation, Éditions UNESCO et Blackwell Publishing Ltd, Vol. 248, Paris, 2010, p.94.

19 Ibid.

20 Léon-François Hoffman, Haïti : Lettres et L’Être, Editions du GREF, Collection Lieux dits No 1,

Toronto, 1992, p.9.

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5 Isabelle Diu et Elisabeth Parinet soutiennent dans le même ordre d’idée que « [l]existence de l’auteur se mesure de manière tangible à la place qu’il occupe dans la hiérarchie sociale, à la reconnaissance que lui offre la société dans laquelle il vit et aux revenus dont il dispose pour exercer son art »22. Voilà qui nous amène à questionner la reconnaissance des droits des créateurs d’Haïti. Dans les conditions actuelles, les artistes haïtiens sont-ils en mesure de vivre de leurs œuvres ?

2. Les conditions de vie des créateurs haïtiens

Dans un mémoire déposé à la Faculté de Droit et des sciences économiques de l’Université d’État d’Haïti, Geneviève Blaise avait constaté que même les artistes les plus célèbres d’Haïti vivaient dans l’indigence:

La plupart de nos artistes, et bizarrement les plus connus et appréciés du public comme Nemours Jean-Baptiste, Dubréus, Ti Manno, Gérard Dupervil et pourquoi pas, Languichatte, etc…à notre connaissance ont vécu dans la gêne et sont tous morts pauvres, sans le sous, sans aucune aide sociale et pourquoi ne pas le dire, en parias, méprisés ou ignorés du reste de la société. Nos artistes, s’interroge-t-elle, s’ils ne bénéficient pas d’autres revenus ou s’ils n’ont pas de sponsors, sont-ils condamnés à mourir pauvres et délaissés23?

De même, une enquête de l’Institut haïtien de statistiques et d’informatique (IHSI) sur les conditions de vie des ménages en 2001,24confirme la précarité des artisans haïtiens. Selon cette étude, 22% des ménages haïtiens vivent de commerce ou d’artisanat, 67% d’entre eux sont très pauvres et 87% pauvres. Leur revenu

22 Isabelle Diu et Elisabeth Parinet, Histoire des auteurs, Paris, Perrin, 2013, p.203.

23 Géneviève Blaise, Le droit d’auteur en Haïti. La situation des œuvres musicales, Mémoire de

licence présenté à la Faculté de Droit et des Sciences Économiques, Université d’État d’Haïti, 2002, p. 2.

24 Institut Haïtien de Statistique et d’Informatique (IHSI), Enquête sur les conditions de vie en Haïti,

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annuel s’élève à 15 838 gourdes25, soit un revenu per capita de moins de trois gourdes. Les membres de ces ménages (71%) ont plutôt tendance à gagner leur vie comme travailleurs autonomes. Très peu d’entre eux sont des salariés (6%). Même s’ils connaissent des conditions difficiles, la situation des artisans semble meilleure que celle des commerçants :

En tant que principale source de revenu, l’artisanat ou les services semblent être plus rémunérateurs et assurer un niveau de vie plus élevé que le commerce. En effet, respectivement 35.8% et 40.7% des ménages dépendant des deux premières branches se trouvent dans le dernier quintile du niveau de vie contre 26.9% seulement chez les ménages vivant du commerce26.

Les ménages vivant uniquement de l’artisanat comptent en moyenne 4,6 personnes. Ils représentent environ 5% des ménages urbains. 60% d’entre eux comptent au moins un membre ayant un niveau d’études secondaires. Leur revenu annuel moyen est un peu plus élevé, il s’élève à 49 772 gourdes. La moitié de ces ménages déclarent recevoir des transferts de parents résidant à l’étranger. Contrairement à toute attente, plus de la moitié de ces ménages ont une femme comme chef.

Ce secteur fait montre d’une grande vitalité dans la mesure où les chefs (85%) et les membres secondaires des ménages (53%) ayant l’artisanat comme principale source de revenus sont proportionnellement plus portés à être actifs que les autres. La propension à être actif est plus élevée parmi eux (62,4%) que dans la population en général (53,3%) ; le chômage ne frappe qu’un tiers d’entre eux (34,8%). Malgré leur dynamisme, les artisans sont pour la plupart pauvres, faiblement scolarisés (plus de la moitié d’entre eux ont juste fréquenté une école primaire, 33% de ceux qui sont adultes sont analphabètes et 14% de ces adultes souffrent de malnutrition. C’est pourquoi, près de 2/3 des ménages ayant l’artisanat comme principale source de revenus diversifient leurs activités en

25 $1 CAD = 40,38 GOURDES, taux du 20 octobre 2013, SOGEBANK, www.sogebank.com. 26 Ibid, p. 362.

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7 combinant l’artisanat avec l’agriculture (12%), le commerce et les services (18%), etc27.

Les problèmes socioéconomiques de l’artiste et de l’artisan ne sont pas une génération spontanée. Ils ont toujours existé, mais étaient auparavant liés à une situation socio-politique particulièrement instable qui empêchait aux différents secteurs, dont l’artisanat, de développer leur plein potentiel. Une étude commanditée par l’Union européenne et menée par Danielle St-Lot autour du secteur « artisanat de l’art » illustre bien cette situation difficile des créateurs haïtiens.

A court terme, les perspectives de relance du secteur artisanal sont peu encourageantes en raison de la persistance des difficultés politiques, de la faiblesse et de la corruption des institutions publiques, du faible niveau d’éducation de la population, de l’exode accélérée de la main-d’œuvre qualifiée et des cadres intermédiaires et supérieurs. D’après un rapport du Département d’État américain en 2001, un haïtien sur six vit à l’étranger. Au cours de la période de l’embargo, un grand nombre d’artisans qualifiés, des artisans maîtres ont émigré en République Dominicaine. L’artisanat est particulièrement frappé par la faiblesse de l’accès aux soins de santé. La majorité des artisans vivent dans des zones rurales ou quartiers marginaux de la zone métropolitaine dénués de services de santé. Plusieurs artistes et artisans de talent ont été victimes du VIH /SIDA28.

En plus de mettre l’accent sur des paramètres conjoncturels, cette étude souligne également le poids de facteurs plus structurants sur la faible performance du secteur artistique et la vulnérabilité des créateurs :

Les perspectives de développement de l’artisanat sont conditionnées par l’instauration d’un environnement propice à l’investissement et au travail. Plusieurs entreprises ont dû fermer leur porte ou délocaliser leurs activités dans d’autres zones et locaux moins propices à leur production en raison de l’insécurité. Les acheteurs et exportateurs locaux et importateurs étrangers peuvent difficilement visiter les petits ateliers plus particulièrement dans les quartiers défavorisés de la zone métropolitaine. De plus, les performances économiques du secteur artisanal sont conditionnées par la dynamisation d’autres secteurs plus particulièrement

27 Ibid, p. 303.

28 Danielle St-Lot, Programme de Renforcement Intégré du Milieu des Affaires en Haïti (PRIMA),

Diagnostic Stratégique des Filières Entrepreneuriales à Fort Potentiel de Croissance- Étude du SSSF « artisanat d’Art », Port-au-Prince, 2007, p. 39.

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de l’agriculture pour faciliter l’approvisionnement en certaines matières premières et du tourisme pour accroître les marchés. Ce secteur ne peut devenir compétitif qu’avec une réduction significative des coûts de production qui doit être favorisée par la disponibilité de services de base et infrastructures publics comme l’énergie, les télécommunications, l’eau, les routes29.

Le séisme du 12 janvier 2010 a aggravé la situation des créateurs haïtiens. Les artistes et artisans en ont subi de plein fouet les conséquences. Leur existence déjà précaire est devenue encore plus difficile après cet évènement malheureux. La plupart des institutions culturelles du pays ont été détruites au cours de cette terrible catastrophe. Le portrait dépeint par le ministère de la Culture en Haïti à la suite d’une évaluation post-séisme réalisée avec l’assistance de l’UNESCO est assez désolant :

Autour de la capitale, 47 centres culturels privés dont 8 ateliers d’artistes, 6 galeries, 4 centres de promotion de l’artisanat et 2 musées se sont effondrés…Le déplacement des populations a également eu une incidence sur le fonctionnement des associations culturelles locales. 3 péristyles liés à la culture vaudou et 2 associations liées à la tradition musicale du Rara ont particulièrement souffert…Dans les environs de Tabarre, Croix-des-Bouquets et Cabaret, 6 ateliers et centres de distributions de produits artisanaux et un péristyle vaudou ont été endommagés. Aussi, le seul centre culturel public et la bibliothèque (le CLAC) à Cabaret s’est complètement effondré (sic)30.

Une autre enquête commanditée par l’UNESCO et réalisée par l’Institut de Sauvegarde du Patrimoine National (ISPAN) au cours de la même période fait état d’un chaos semblable :

103 bâtiments de valeur patrimoniale […] gravement endommagés. […] Le secteur de l’artisanat à Jacmel, qui est étroitement lié à son célèbre carnaval, a également subi des dommages importants. Parmi les 400 artisans qui travaillent pour le carnaval, près de la moitié a perdu leurs moyens de subsistance, leurs ateliers, les stocks et leurs maisons. Le séisme survenu peu avant le carnaval a également entraîné une perte de la production principale. Sur un échantillon de 72 enquêtes dans les ateliers, la perte financière des objets en papier mâché et en bois s’élevait à environ 1000 dollars US par atelier et quatre ateliers ont perdu près de 7

29 Ibid.

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9 000 dollars US en équipement et en outillage. […] 17 péristyles vaudou ont été touchés, dont 3 complètement détruits et 10 gravement endommagés31.

Toujours dans le but d’évaluer la situation après le séisme, l’auteure Barbara Prézeau-Stéphenson, très engagée auprès de certains créateurs, dans une note de presse datée du 14 mars 2010, avait tiré la sonnette d’alarme. Elle avait fait état de la « misère qui s’évertue à faire obstacle à la création, à la liberté […] »32. Elle écrivait dans cette note : « Les 9/10 lieux de productions artistiques et artisanales du Bel-Air sont condamnés. Les artistes et artisans survivent dans les camps de sinistrés. Ils ont perdu leurs outils de travail. Leur dignité. Les voilà condamnés à la mendicité »33.

Le plus ancien quotidien d’Haïti, Le Nouvelliste34 dans un article paru le 5 juillet 2010, décrit la même réalité :

[…] musées, galeries, bibliothèques (pour la plupart, des lieux de conservation de valeur culturelle et historique), églises (parmi lesquelles l'église épiscopale Sainte Trinité, célèbre par ses nombreuses fresques murales peintes par les peintres dits primitifs), n'ont pas été épargnés, par le séisme dévastateur du 12 janvier dernier35.

Toutes ces histoires de destruction concordent pour attester l’aggravation des conditions déjà critiques des créateurs en Haïti. Mais ce statu quo est-il une fatalité? La situation économique difficile du pays peut-elle à elle seule le justifier? Étant un élément à part entière du corps social, l’auteur des œuvres littéraires et artistiques peut-il être à l’abri de l’état général de l’environnement socioéconomique du pays, à savoir le faible pouvoir d’achat, les catastrophes

31 Ibid, p.14.

32 « L'après 12 janvier 2010 - Note de la Fondation AfricAméricA »,

http://www.croixdesbouquets.net/L-apres-12-janvier-2010-Note-de-la-Fondation-AfricAmericA_a40.html, consulté le 14 mars 2013.

33 Ibid.

34 Le Nouvelliste a été fondé en 1898. Il est le plus ancien quotidien haïtien.

35 Le Nouvelliste, « Au secours du patrimoine culturel haïtien en grand danger!», édition du 5 juillet

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naturelles récurrentes, le chômage endémique, l’absence de services publics, etc. ?

Le moins qu’on puisse dire, c’est que la violation quotidienne du droit d’auteur en Haïti ne peut que renforcer la précarité dans laquelle patauge le créateur haïtien en général, les auteurs des œuvres littéraires et artistiques en particulier. Cette observation nous porte à nous demander quel est effectivement le statut juridique de ceux qui créent en Haïti ? Quelle perception se fait-on d’eux ? Qui sont-ils aux yeux des lois internationales et haïtiennes ? Leurs droits sur leur création sont-ils reconnus et protégés ? En quoi la protection de ces droits pourrait-elle contribuer à l’amélioration de leurs conditions de vie ? Que gagneraient la société haïtienne et les artistes haïtiens à rendre effectifs les droits d’auteur ?

3. Questions et hypothèse de recherche

Notre recherche entend établir un lien entre le statut de l’artiste et la protection du droit d’auteur. Nous croyons en effet qu’il existe une dialectique entre les deux notions.

3. 1 Question de recherche

Comment le droit peut-il contribuer à la compréhension et à la solution du problème haïtien en matière de droit d’auteur? La situation précaire que connaissent les créateurs haïtiens en général, artistes et artisans en particulier, découlerait-elle, ne serait-ce qu’en partie, d’un problème juridique? Pourquoi le décret du 12 octobre 2005 n’a pas apporté les changements escomptés? D’où notre question de recherche : La définition du statut juridique de l’artiste haïtien pourrait-elle rendre plus effectif le droit d’auteur en Haïti?

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11 3.2 Hypothèse

Notre hypothèse est la suivante : la mise en œuvre du statut juridique de l’artiste haïtien supportée par une gestion collective forte contribuerait à une meilleure effectivité du droit d’auteur en Haïti.

La présente étude se réclame de la recherche classique en droit et s’inscrit dans une démarche de recherche documentaire. Elle se limite à l’étude d’un corpus constitué de documents issus de trois sources principales : la doctrine, la loi et la jurisprudence. Des sources secondaires ont été aussi utilisées. Nous faisons ici référence aux articles de journaux dont le plus ancien quotidien d’Haïti, Le Nouvelliste. L’étude conduite par Danielle St-Lot sur la filière de l’artisanat nous intéresse dans la mesure nous aurons considéré l’artisan comme un artiste. Et l’étude de St-Lot est l’une des rares documents sur le secteur culturel. Elle fournit des chiffres que nous n’aurions pas pu avoir pour les autres genres artistiques. Mais l’artisan, dans le milieu haïtien, est un artiste à part entière. L’étude de St-Lot donnera une idée du secteur des arts plastiques en général. De plus, dans la présentation du cadre conceptuel, nous aurons à démontrer le glissement sémantique qui existe entre les termes « artistes », « artisans », « créateurs », « auteurs ». Pour la doctrine, nous avons rassemblé des documents produits par des experts en Haïti, au Québec, au Canada et en France sur le sujet. Quant à la loi, dans le cas haïtien, la Constitution de 1987 ; les décrets de janvier 1968 et du 12 octobre 2005 sur les droits d’auteur et la création du Bureau Haïtien du Droit d’Auteur ; les Codes civil, pénal, du travail et des investissements, sont mis à profit. Pour le Québec, les deux lois québécoises sur le statut de l’artiste se retrouvent au cœur de ce travail. Celle concernant le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs bénéficiera d’une plus grande place dans notre étude puisqu’elle touche de manière plus directe la catégorie d’artistes que nous ciblons particulièrement. À l’échelle internationale, les traités et conventions internationaux sur le droit d’auteur et le statut de l’artiste et certains documents en rapport avec

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Haïti émanant d’organismes internationaux, dont l’UNESCO, participent au développement de notre argumentation. Ce corpus a été constitué à l’aide d’une recherche rigoureuse à travers les bases de données bibliographiques en droit (CAN LII, Francis, Ariane...), le moteur de recherche Internet Google Scholar, à partir des mots clés suivants : droit d’auteur, statut de l’artiste, culture, effectivité, positivisme, observance, cogestion, gouvernance, gestion collective. Ces ressources ont été complétées par des documents issus de la Bibliothèque nationale et des Presses nationales d’Haïti. La méthode d’analyse de contenu a été utilisée pour sélectionner et interpréter les informations collectées.

Ce mémoire comprend deux grandes parties. La première contient trois chapitres. Au premier chapitre, il sera présenté un cadre théorique et conceptuel du droit d’auteur et du statut de l’artiste dans une perspective dialectique entre les deux notions. Au deuxième chapitre nous essayerons d’analyser simultanément leur dimension internationale afin de faire ressortir un idéal commun : le bien-être du créateur. Ce sera aussi l’occasion d’insister sur le fait que l’effectivité du droit d’auteur en Haïti passe par le respect des engagements internationaux. Le troisième chapitre traitera du modèle québécois du statut de l’artiste. À partir de ce modèle il sera tiré certains éléments susceptibles de servir d’inspiration pour la mise œuvre d’un statut juridique de l’artiste haïtien.

La seconde partie du mémoire est également composée de trois chapitres. Le quatrième chapitre s’intéressera au cadre socio-juridique national en matière de droit d’auteur. Au cinquième chapitre, nous insisterons sur l’idée de mise en œuvre du statut de l’artiste par la nécessité d’exiger un contrat. Le sixième et dernier chapitre, fournira l’occasion de faire une plaidoirie en faveur du renforcement de la gestion collective en Haïti par le biais de la gouvernance culturelle.

Le premier chapitre introduira le cadre théorique et conceptuel. Le respect du droit d’auteur en Haïti constituant notre but principal, le statut de l’artiste et la gestion collective seront les leviers dont nous souhaitons nous servir pour y parvenir. De

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13 ce fait, nous devrons, d’entrée de jeu, préciser dans quelle vision du droit d’auteur nous nous inscrivons. C’est pour cette raison que le cadre théorique et conceptuel sera d’abord posé. L’assise théorique et conceptuelle est essentielle en ce sens qu’elle indique l’appareil idéologique et le matériel idéel mobilisés pour aboutir au résultat de recherche.

Postulant que le droit peut être à la base du changement social, nous partirons de l’idée que la situation des créateurs haïtiens peut s’améliorer si des dispositions juridiques tiennent compte de la réalité haïtienne. Nous placerons notre démarche dans le cadre de l’effectivité observée selon ce que Pierre Lascoumes et Évelyne Serverin ont appelé « les modes de réception du droit dans la sphère sociale »36. Par là, nous entendrons « [q]uestionner le système juridique [haïtien] sur son efficacité sociale…[en introduisant] de nouveaux acteurs œuvrant sur d’autres terrains et faisant usage de normes différentes de celles que le système juridique

met habituellement en œuvre…»37.

En effet, dans le Dictionnaire de la culture juridique38 le terme effectivité désigne le : « degré de réalisation, dans les pratiques sociales, des règles énoncées par le droit »39. Les auteurs expliquent que :

[…] plus largement, l’effectivité désigne tout effet de toute nature qu’une loi peut avoir. Le terme suggère ainsi la comparaison entre un modèle normatif de comportement et les conduites réelles de ses destinataires, c'est-à-dire, l’étude de la correspondance entre les règles de droit et les comportements […]40.

Ils soutiennent enfin que : « rien n’est plus au cœur des relations entre droit et société que la question de l’effectivité»41.

36 Pierre Lascourmes, Évelyne Serverin, « Théories et pratiques de l’effectivité du Droit », Droit et

société, 1986, p.142.

37 Ibid.

38 Denis Alland et Stéphane Rials, Dictionnaire de la culture juridique; Lamy PUF, Paris, 2003. 39 Voir aussi A.-J. Arnaud, Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, L.G.D.J,

1993, 217.

40 Ibid. 41 Ibid.

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Ainsi, nous pensons que le concept de l’effectivité prend une place dans notre recherche dans notre tentative d’expliquer comment les différentes dispositions en matière de protection du droit d’auteur en Haïti ne sont pas appliquées réellement et de quelles manières ces lois-là pourraient avoir de l’effet.

Par ailleurs, notre travail de recherche s’appuiera sur la pensée selon laquelle l’artiste est au centre du droit d’auteur. « …Point d’auteur sans droits de l’auteur, point de propriété sans droit de propriété, point de technologie sans droits des brevets, ni de marché sans droit de la concurrence ou d’État sans droit public… »42. L’auteur constitue la pierre angulaire de son droit. Étant l’émanation même de sa personnalité - d’où la notion de « droit moral »- l’œuvre lui appartient exclusivement. Elle s’attache à sa personnalité. C’est le droit naturel de l’auteur. Le droit d’auteur prend naissance du fait même de la création par l’auteur d’une œuvre. « L’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa

création, d’un droit de propriété incorporel exclusif et opposable à tous… »43. Ceci

dit, l’artiste doit être le premier et le seul bénéficiaire de cette œuvre. À moins qu’il n’en décide autrement dans ce cas, il peut toutefois céder en tout ou en partie ses droits. Mais cette décision ne revient qu’à lui seul.

Bernard Edelman nous rend encore plus confortable dans notre position quand il déduit :

[…] si l’œuvre de l’esprit est une émanation de la personnalité de l’auteur, cela implique que la création est de même nature juridique que la personne elle-même. A telle enseigne que la Convention universelle des droits de l’homme la protège à l’instar des autres droits de l’homme44. […] aussi longtemps qu’entre l’auteur et son œuvre un rapport de droit n’est pas instauré, aussi longtemps que l’auteur ne dispose pas de moyens juridiques pour faire respecter son nom, l’intégrité de son œuvre, sa qualité même de créateur…on se saurait parler d’auteur au sens fort…45.

42 Edelman, supra note 21, p.12.

43 Code la propriété intellectuelle, art. 111-1.

44 Bernard Edelman, La propriété littéraire et artistique, PUF, 2008, p.19. 45 Edelman, supra note 21 p.13.

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15 C’est donc en partant de la conception personnaliste du droit d’auteur que nous allons essayer de démontrer dans notre recherche que l’artiste haïtien devrait en principe jouir de ses droits, mais tel n’est pas le cas.

Le deuxième chapitre est consacré à la protection internationale du droit d’auteur et du statut de l’artiste. Le droit international est incontournable notamment pour la compréhension des enjeux liés à la question du droit d’auteur et du statut de l’artiste. Parler du droit international offre l’occasion de retracer le parcours historique du droit d’auteur et du statut de l’artiste en faisant ressortir le poids de la perception dans son évolution. Aussi, à travers les différents instruments internationaux nous trouvons le moyen de questionner le droit haïtien face à ses engagements, ses promesses vis-à-vis du droit international. Comme l’atteste le rapport de diagnostic de l’UNESCO sur le secteur du livre et la promotion du droit d’auteur en Haïti :

[…] des conventions internationales ont été signées par l’État haïtien mais le respect des dispositions de ces conventions internationales en matière de propriété intellectuelle pose d’énormes problèmes. Le piratage des œuvres de l’esprit se fait au vu et au su de tous sans que rien ne se fasse pour l’éradiquer ou tout au moins l’atténuer46.

Nous manquerions donc beaucoup dans notre démarche à prétendre au respect du droit d’auteur en Haïti en dehors des prescriptions internationales. Le droit international a déjà, il y a longtemps, fait des provisions respectivement pour le droit d’auteur et pour le statut de l’artiste. Les textes internationaux traitant de ces deux concepts seront abordés en même temps. Les différents textes internationaux ou institutions internationales tels que la Convention de Berne, l’OMPI, l’OMC et l’ADPIC, la Convention de Belgrade de 1980, les Recommandations de 1997 relatives au statut de l’artiste seront fondus dans une même analyse. Une stratégie qui nous permettra de démontrer que dans le fond, le contenu n’est pas tellement différent. Au contraire, il sera intéressant de

46 William Codjo, Mise en œuvre de la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de

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constater que ce sont presque les mêmes éléments qui vont ressortir. Le droit à la protection de son œuvre, au travail, à la santé, à la sécurité sociale, à un niveau de vie suffisant, tous participent de la protection internationale de l’artiste. La recherche du bien-être est l’essence commune au droit d’auteur et au statut de l’artiste. Nous avons pour ambition de lier ces deux concepts. Ou tout au moins, démontrer leur articulation, leur imbrication. Pari risqué mais réaliste. Nous n’oublierons pas de souligner au passage les trois principes fondamentaux du droit international en matière de droit d’auteur.

La présentation du modèle québécois du statut de l’artiste sera faite au chapitre trois. Ce sera l’occasion de justifier notre choix du droit québécois pour source d’inspiration aux dépens du droit français dont Haïti est pourtant héritière. Le partage d’une même sensibilité juridique avec la France doit-il enfermer Haïti dans une prise de partie romano-germanique ? Entre familles d’ascendances ou de souches différentes une dialectique n’est-elle pas toujours possible ? Le dialogue est possible entre familles notamment sur la base des qualités que chacune d’elle possède et dont elles pourraient s’enrichir mutuellement. Nous retracerons alors le parcours de ces deux lois québécoises afin de comprendre les conditions dans lesquelles elles ont été élaborées et tenterons de jauger leurs résultats à partir, notamment, des Actes de la Journée d’étude du 16 novembre 1991 sur le statut de l’artiste. Déjà l’idée au Québec d’un statut pour l’artiste est en soi inspirante. La démarche tout aussi remarquable : constitution de groupes de travail, réalisation d’enquêtes, discussions impliquant différents acteurs de la société québécoise et formulation de propositions. Autant d’initiatives qui ont jalonné le processus ayant abouti à l’existence de ces lois. Haïti pourrait enclencher un processus similaire pour mettre en œuvre un statut pour ses artistes. En ce sens, nous essaierons de tirer du modèle québécois certains éléments qui soient potentiellement compatibles au cas haïtien. Dans la perspective d’un statut pour l’artiste haïtien nous devrons, entre autres, mesurer sur quel champ il devra s’étendre, connaître quels seront les artistes concernés ainsi que les droits auxquels ils pourront prétendre.

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17 Le quatrième chapitre s’intéressera au cadre socio-juridique national en matière de droit d’auteur. D’abord, une photographie de la situation du droit d’auteur en Haïti sera dressée. On verra que la perception influence aussi le rôle attribué à l’auteur dans la société. Le cadre légal national sera également abordé afin d’émettre des commentaires sur certaines de ses faiblesses constituant des entraves au respect du droit d’auteur en Haïti. La primauté du droit international sur la législation haïtienne eu égard au système moniste auquel Haïti se rattache sera soulignée. C’est une manière de préparer la table pour des propositions quant à la mise en œuvre d’un statut juridique pour l’artiste haïtien.

Un cinquième chapitre permettra de revenir avec l’idée de mise en œuvre du statut de l’artiste en insistant sur la nécessité d’exiger un contrat. À notre avis, c’est un élément essentiel pour la définition de ce statut et la sureté des échanges entre créateurs et tiers. La formalisation des rapports est un moyen efficace pour contrer la mauvaise foi des uns et des autres. Une preuve prima faci. Une soupape de sécurité contre l’abus, le leurre. Une garantie pour l’artiste face au pouvoir et à la puissance économique des opérateurs et diffuseurs. Alors, la signature d’un contrat en bonne et due forme devra être non une éventualité mais une obligation clairement définie dans ce statut juridique que nous souhaitons pour l’artiste haïtien. En son article 33, la Loi [québécoise] sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs prévoit que l’énonciation dans un contrat de tout accord passé entre l’artiste et les diffuseurs. Et plus encore, les objets de cette entente doivent être précisés. La voie est toute tracée. Libre à nous de l’emprunter pour faire du contrat l’un des moteurs d’une loi conduisant au statut de l’artiste haïtien.

En dernier lieu, nous aurons l’occasion de faire une plaidoirie en faveur du renforcement de la gestion collective en Haïti. Ce sera notre sixième et dernier chapitre. La gestion collective représente le second pan de notre hypothèse. Nous soutenons qu’une gestion collective forte guidée par la gouvernance culturelle peut contribuer à l’avènement d’une société haïtienne où le respect du droit

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d’auteur ne serait plus une utopie. Elle doit s’inscrire dans le prolongement du respect du droit d’auteur. Une gestion collective forte est une étape importante pour parvenir à cette amélioration que nous souhaitons pour le créateur haïtien. Si le droit d’auteur est individuel, l’exercice de ce droit, pour qu’il soit possible, doit être collectif. À ce niveau, Pierre Trudel et Sylvie Latour soutiennent que «les droits résultant de l’activité créatrice sont reconnus aux individus, mais ils doivent fréquemment être exercés collectivement»47. Ce sera donc alors à une gestion collective de consolider ces acquis juridiques qui seront obtenus à partir d’une définition du statut de l’artiste. Faudrait-il cependant, qu’elle soit forte.

Pour ce qui concerne notre choix des deux lois québécoises sur le statut de l’artiste comme source d’inspiration, nous nous réservons l’occasion de le justifier dans la seconde partie de ce travail. Nous aurons l’occasion de témoigner de l’excellente réputation dont elles jouissent. Néanmoins nous pouvons d’emblée préciser ici les particularités de chacune :

La première des deux lois, la Loi sur le statut professionnel et les conditions d’engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma, s’applique à des domaines qui généralement côtoient l’industrie culturelle et reprend le modèle des conventions collectives, alors que la seconde loi, la Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs, touche des secteurs s’apparentant aux relations individuelles de travail et établit des exigences minimales quant aux contrats. La ministre Lise Bacon, qui a piloté le dossier des deux lois, exprime ce clivage en opposant travail et commerce ou encore biens et services. Ces lois possèdent cependant une section identique portant sur la reconnaissance des associations professionnelles […]. Avec ces lois un statut est donc accordé aux artistes, plus de 50 ans après qu’on eut fait la même chose pour les monuments et les objets d’art par le biais de l’ancienne Loi sur les biens culturels48.

Bien entendu il ne devrait être nullement question de puiser aveuglément dans les lois québécoises, de calquer sur ces dernières et les transposer en Haïti où la réalité, nous devons le reconnaitre, possède ses particularités propres. De plus,

47 Pierre Trudel et Sylvie Latour, « Les mécanismes de la gestion collective des droits d’auteur au

Canada », Cahiers de propriété intellectuelle, vol. 6, no 3, Québec,1994, p. 345.

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19 rien ne nous confirme que ce qui a fonctionné au Québec pourra se réaliser obligatoirement en Haïti. D’ailleurs, il a été même reconnu « […] combien est ardue la tâche d’appréhender un statut de professionnel à l’artiste »49. Mais au-delà de toutes difficultés à mettre en œuvre un statut pour l’artiste haïtien, au-au-delà de toutes critiques auxquelles nous nous exposons légitimement dans notre démarche, nous ne faisons que soumettre, au législateur haïtien une piste de réflexion afin qu’il réponde aux vœux de la Conférence de Belgrade de 1980, «laquelle visait à donner une impulsion à l’amélioration de la condition de l’artiste»50. Cette Conférence est ratifiée par Haïti. Elle évoque :

les quelques repères sur lesquels s’élabore le concept des droits de l’artiste et renvoie à cet égard à la Déclaration universelle des droits de l’homme ainsi qu’au Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels […]. C’est en soulignant le rôle de l’art et des artistes dans l’évolution et l’enrichissement de la vie en société et en rappelant que ces artistes ont des droits à titre de travailleurs, que la Conférence de Belgrade mène droit à l’affirmation de la nécessité de leur attribuer un statut. Il est par conséquent recommandé aux États de renforcer le statut de l’artiste en reconnaissant «son droit de jouir du fruit de son travail» ainsi que de «promouvoir et protéger le statut de l’artiste […]»51. [Nos emphases].

Fort de tout cela, la mise en œuvre d’un statut juridique pour l’artiste haïtien ne se pose pas uniquement comme une nécessité, mais surtout un engagement international auquel Haïti se doit de répondre.

49 Ibid.

50 Ibid, p.118. 51 Ibid.

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PREMIÈRE PARTIE

Vers le ‘’modèle québécois’’ du statut de l’artiste à travers l’effectivité, le positivisme et l’observance

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23 Chapitre 1 : Contribution de l’effectivité observée et du positivisme

juridique dans une dialectique droit d’auteur et statut de l’artiste

La dialectique droit d’auteur et statut de l’artiste sur le plan conceptuel

La frontière entre le droit d’auteur et le statut de l’artiste est mince. On peut même prétendre qu’ils marchent de pair. C’est un tandem. Certes, les deux notions ne sont pas liées dans la loi et ne le sont que rarement dans la doctrine. Cependant, le droit d’auteur ne saurait être efficace s’il n’est accompagné de la reconnaissance d’un statut pour le titulaire. C’est d’ailleurs le fond même notre hypothèse. L’artiste, le créateur est le sujet du droit d’auteur. Le droit d’auteur est un droit pour l’artiste. À telle enseigne que le Québec, vraisemblablement pour protéger ses créateurs, aurait eu recours à ses deux lois sur le statut de l’artiste, la législation sur le droit d’auteur étant exclusivement de compétence fédérale. « L’existence d’une loi fédérale sur le droit d’auteur a forcé le Québec à mieux articuler ses positions culturelles […] [L]e Québec n’a pas juridiction sur le droit d’auteur […] » nous explique-t-on52. Il est « [p]rivé de juridiction sur le droit d’auteur, c’est à travers ce spectre que le Québec doit trouver une niche. Il y parvient et le résultat, tributaire de contraintes et d’incertitudes juridiques, peut certes recevoir le vocable de « modèle québécois »53.

Le droit d’auteur, comme nous dit Isabelle de Maison Rouge, constituerait : « … une spécificité liée au statut d’artiste»54. On est en droit de penser que : « le droit d’auteur occupe une place centrale, alors que la Loi sur le statut de l’artiste joue plutôt en périphérie »55.

52 Azzaria, supra note 48, p.154. 53 Ibid, p. 164.

54 Isabelle de Maison Rouge, Salut l’artiste, Idées reçues sur les artistes, Éd. Le Cavalier Bleu, Paris,

2010, p. 124.

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Dans ce travail, les vocables « auteur », « créateur » ou même « artiste » auront tendance à se suppléer. « Le mot « artiste » désigne aussi le professionnel qui crée ou interprète une œuvre »56. Cependant nous sommes conscient des nuances évidentes entre ces termes. Nous les entendons dans le sens de celui qui créé des œuvres littéraires et artistiques. Vu sous cet angle, l’auteur ou le créateur est un artiste. Avec bien entendu des réserves sur le fait que l’«auteur » n’est pas à priori un « artiste ». Par exemple, l’auteur d’un ouvrage de science ou de droit ne fait pas une œuvre artistique. Il est certes un auteur mais pas un « artiste ». Il en est de même pour des inventions. Bernard Edelman précise sur ce point : « Lorsque l’effort intellectuel se résout à la mise en œuvre d’une technique, il ne peut y avoir formalisation d’une conception littéraire ou artistique »57. Pourtant,

si la définition d’un statut juridique à l’artiste parvient à contribuer au respect du droit d’auteur, alors l’auteur de ce livre de science ou de droit en bénéficiera autant que les auteurs d’œuvres littéraires et artistiques même quand il n’est pas qualifié d’« artiste ». De même, l’artiste non plus n’est pas nécessairement un « auteur ». À moins qu’on considère sa situation sous l’angle de l’originalité d’une interprétation. Dans ce cas, il s’agirait des droits voisins plutôt que du droit d’auteur. À ce carrefour, on nous reprochera peut-être d’avoir tendance à mélanger les concepts « droits d’auteur » et « droits voisins » et de n’avoir pas suffisamment insister sur leur différence. Mais on aura compris que l’appellation « droits voisins »58 prête souvent à confusion. De plus ce concept de « droits voisins » semble être un « droit d’auteur » qui ne dit pas son nom. De la sorte, nos conclusions sur le droit d’auteur pourraient avoir des effets sur les droits voisins. Mais ne nous aventurons pas dans ce débat qui pourrait faire l’objet d’un autre travail de recherche. Donnons de préférence la parole à l’auteure Béatrice Joyeux-Prunel qui semble classer les artistes en fonction de leur condition :

56 Geneviève Leduc, Le statut d’artiste : objet de reconnaissance professionnelle ou objet de

protection sociale ? Mémoire présenté à la Faculté de droit de l’Université de Québec à Montréal

(UQAM), octobre 2009, p.1.

57 Edelman, supra note 44, p.15.

58 Ibid, p. 96 : « C’est pourquoi la doctrine a toujours eu le plu grand mal à comprendre la nature

juridique des droits voisins qui apparaissent comme un corps étranger. On les a indifféremment qualifiés de droits « annexes », « connexes », « dérivés », voir « sous-jacents » au droit d’auteur et on entendait par là une sorte de « voisinage », de « familiarité », d’« esprit de famille ».

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25 Acteurs, musiciens, peintres, chorégraphes, gens de lettres, sculpteurs, art populaire, théâtre de Boulevard, photographes, réalisation cinématographique, plasticiens en général, spectacle vivant…voici les artistes, caractérisés globalement aujourd’hui par leur difficulté à « vivre de son art », leur référence permanente pourtant à la nécessité intérieure de leur activité, donc à un droit de vivre de cet art, artistes dont le combat pour assurer une stabilité sociale et financière à leur activité s’est lentement mis en place59. [Notre emphase].

Reprenant la définition du Petit Robert, Suzanne Capiau définit l’artiste dans une acception moderne comme : «une personne qui se voue à l’expression du beau, pratique les beaux-arts, l’art»60. Elle précise que l’artiste est un :

individu faisant (une) œuvre, cultivant ou maîtrisant un art, un savoir, une technique, et dont on remarque entre autres la créativité, la poésie, l’originalité de sa production, de ses actes, de ses gestes. Ses œuvres sont sources d’émotions, de sentiments, de réflexion, de spiritualité ou de transcendances61.

Toutes ces définitions nous confortent dans la mesure où elles semblent englober, à notre sens, un large éventail d’expressions artistiques, notamment les arts plastiques lesquels concernent une part importante dans la production artistique haïtienne. Et parlant d’arts plastiques, Suzanne Capiau définit le plasticien comme un : « artiste spécialisé dans les recherches en arts plastiques encore appelés arts de l’espace, dans lesquels sont rangées l’architecture, la gravure, la peinture, la sculpture, la photographie » 62. De ce point de vue, nos artisans haïtiens sont alors des …artistes.

Suzanne Capiau poursuit :

cette expression fait depuis le XIXe siècle référence à tout art qui a une action sur la matière, voire qui évoque des formes, des représentations (comme la poésie). Aujourd’hui on y ajoute les œuvres explorant les anciens et nouveaux médias (photographie, cinéma et vidéo, les supports

59 Béatrice Joyeux-Prunel, « Peut-on faire l’histoire du statut de l’artiste », préface, Vivre de son art,

Histoire du statut de l’artiste XVe-XXIe siècle, dir., d’Agnès Graceffa, Hermann, Paris, 2012, p. 8.

60 Suzanne Capiau, l’Art et le Droit, « Le statut social et fiscal de l’artiste plasticien », dir. Guy

Keutgen, Éditions Larcier, Paris, 2010, p. 112.

61 Ibid. 62 Ibid.

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numériques, etc.), et les nombreuses pratiques artistiques expérimentales63.

D’autre part, il semblerait que toutes les innovations auxquelles on assiste aujourd’hui soient porteuses de changements importants au niveau des pratiques artistiques. En ce sens, l’auteure Agnès Graceffa pense qu’elles touchent jusqu’au:

statut même de ceux que l’on ne nomme pas encore « artistes » … une partie d’entre eux se distinguent du monde des artisans et revendiquent une pratique intellectuelle et un statut de créateur, et non de simples exécutants; l’écrivain, terme qui désignait autrefois prioritairement celui qui maniait la plume, devient désormais l’auteur. … Les notions de travail, de métier, de profession, prennent progressivement un nouveau sens; elles obligent à distinguer, par leurs pratiques ou leurs parcours, les professionnels des amateurs et incitent les praticiens des arts à négocier un statut symbolique élevé : ils ne sont plus seulement d’excellents ouvriers, mais des artistes de talent, de génie64. [Nos emphases].

En définitive, nous pensons que la définition des concepts « artiste » « auteur », « créateur », telle que proposée par certains auteurs apporte déjà certaines réponses quant à la nature commune de ces termes. Si la définition peut-être pareille pour ces deux termes, elle permet déjà de faire le pont pour ce rapport dialectique entre les notions droit d’auteur/ statut de l’artiste. Il appert dès maintenant que le droit attaché à l’un pourrait servir à l’autre. Ce sont des droits complémentaires.

Bernard Edelman définit le statut de l’auteur comme :

un indicateur précis du rapport qu’une société entretient non seulement avec son imaginaire collectif, mais encore avec l’imaginaire des individus … D’où les questions suivantes : quelle place une société reconnait-elle à la création, quelle fonction lui accorde-t-elle, quelle liberté donne-t-elle à l’auteur pour réaliser son moi, quelles envisage-t-elle pour le protéger, à quelles conditions reconnait-elle qu’un individu peut créer une

63 Ibid, l’auteure, cite Le Petit Robert.

64 Agnès Graceffa, « Le statut de l’artiste en France depuis la fin du Moyen Âge : pluralité et

fragilité » Vivre de son art, Histoire du statut de l’artiste XVe-XXIe siècle, dir., d’Agnès Graceffa, Hermann, Paris, 2012, p. 24.

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27 œuvre qui n’appartient qu’à lui-même, dont il est le seul maitre, et qu’il peut même supprimer ?...65

La société haïtienne se doit donc de définir son rapport avec ses créateurs. Et cette définition peut notamment venir du droit. Le sociologue, l’anthropologue, l’économiste ou le politique peut apprécier la situation chacun à sa façon. Tout un chacun aura probablement raison d’une manière ou d’une autre. Cependant nous continuons à faire confiance au droit pour saisir l’individu. « …Le statut de l’auteur participe au processus d’individualisation qui est le propre des sociétés occidentales. Or ce processus est essentiellement juridique… » 66 . [Nos emphases]. Le droit au secours de l’ineffectivité juridique haïtienne, ajouterons-nous. Le droit au secours du droit. Le droit au secours de l’art aussi. Pourquoi pas? N’en déplaise à ceux-là qui croient encore que « l’art et le droit ont semblé avoir une vocation réciproque à ne pas se rencontrer »67. Car, il est intéressant de le faire remarquer :

Voilà que l’artiste, longtemps resté artisan, acquiert un statut, et commence à revendiquer des droits : l’art se patrimonialise; ce sont surtout les héritiers de l’artiste, qui sont souvent d’abominables béotiens, qui s’acharnent à défendre en justice sa lucrative mémoire68. Mais l’artiste lui-même ne dédaigne pas les richesses lui-même s’il se situe encore dans le clan des révoltés : au XXe siècle, il peut être à la fois un communiste engagé dans sa fréquentation mondaine, un insoumis aux règles dans sa production artistique et un capitaliste ordinaire dans la gestion de son œuvre69.

Outre la matière des droits intellectuels … l’art va rencontrer sur son chemin les prélèvements fiscaux, les lésions qualifiées, les dommages et intérêts compensatoires, valeurs oh! Combien inesthétiques, jusqu’à ce qu’il soit presqu’entièrement mangé par la normativité esthétique du marché. L’art, alors, est mûr pour rencontrer le droit70.

65 Edelman, supra note 21, p.10-11. 66 Ibid, p.11.

67 Capiau, supra note 60, p. 9.

68 Ibid, l’auteure cite Emmanuel Pierrat dans Familles, je vous hais ! Les héritiers d’auteurs,

Höebeke, Paris, 2010.

69 Ibid, p. 13. 70 Ibid.

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C’est que «…le droit apparait comme le dispositif irremplaçable de classification, de mise en ordre, de régulation sociale …. Il traduit normativement la prise de pouvoir de la raison. … Pas de pouvoir de la raison sans accompagnement juridique»71. Ainsi, prenons-nous parti pour le droit comme un levier pour le changement dans la société et entreprenons-nous d’expliquer comment une définition du statut de l’artiste haïtien peut aider à la protection, au respect de son droit d’auteur et à son épanouissement personnel dans une société comme Haïti.

Dans l’étude réalisée par St-Lot, on reconnait qu’ :

[u]ne législation sur l’artisanat permettra d’éliminer cette sorte d’ambivalence qui a trait à ce secteur qui est perçu comme n’étant pas suffisamment important d’un point de vue économique pour la mise en place de politiques pour son expansion comme pour l’agriculture, le textile et d’autres secteurs économiques, ni suffisamment important du point de vue culturel pour mériter une assistance spéciale du Ministère de la Culture et de la Direction du Patrimoine 72.

Au Québec, à partir des années 1980 les auteurs ont pu bénéficié l’entrée en vigueur de deux lois sur le statut de l’artiste grâce à des actions ponctuelles comme « des exemptions fiscales pour les artistes et les normes gouvernementales d’acquisition de droits d’auteur […]»73.

Sous un autre angle, nous nous positionnons également du côté du droit naturel de l’auteur qui veut que celui-ci dispose librement de sa création. Selon certains philosophes tels que Locke, Hegel et Kant, le droit d’auteur, semble puiser son fondement dans l’approche naturaliste. John Locke, par exemple, avance que l’être humain, en tant qu'être conscient et pensant, est propriétaire de sa personne. Dans son Traité du gouvernement civil, il affirme :

… bien que la nature ait donné toutes choses en commun, l’homme néanmoins, étant le maître et le propriétaire de sa propre personne, de

71 Edelman, supra note 21 p.11. 72 St-Lot, supra note 28, p.32. 73 Azzaria, supra note 48, p. 117.

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