La m éd itation , la liaison avec le grand so u ffle de la nature semble rem plir les guides. Leurs corps res pirent cette force qui est cachée dans un arbre, qui est si visible dans un anim al sauvage en train de se promener.
Les poètes sont bâtis (unique m ent) pour deviner cette énergie, la m êm e que celle de la pensée.
Je capte cette force dans les m ains énormes parfois, le petit d oigt v a la n t les plus gros médius. D e u x d oigts dans une rainure de gneiss d o iv en t hisser à la p erfection tou t le corps. C e sont des m ains qui épousent les objets. R egardez-les quand elles ajustent les cram pons : pas la plus petite précipitation. Et quand elles tâtent le rocher ou quand elles lancent une corde ? Toujours le geste du menuisier et le geste du chat.
La force n ’est pas tellem en t carrée, m assive. P arfois dans les mains, parfois dans une m âchoire. La m âchoire de M aurice C rettex était célèbre ! M ais j’admire, surtout ch ez le fils N esto r , cette espèce d ’élan sou ple des cuisses au torse qui se tourne ou qui se g o n fle com m e pour visser le m ond e.
Les visages ne sont pas sculptés m ais affirm és. A tel endroit (pour les décrire com m e une face...) il y a la saillie, la vire, la dalle, m êm e le becquet mais dans un h o rizon , sur un fo n d de calm e. La structure n ’est pas tourm entée. Les y e u x tém oignent de l’ex tr a ordinaire.
Us déchaussent les lu nettes en arrivan t au x cabanes. L ’œ il injecté de sang dans la peau rouge ; l ’œ il glob uleu x, qui sort de la paupière, lézardé et frais. A h ! les prunelles me disent le lon g e f fo r t ! C e sont des blessées m ais tout est en ordre. La stabilité de l’œ il attaqué reflète, net, la stabilité, la tran qu illité dans les tem pêtes. Je dis bonjour à des y e u x fixes qui sem blent ne regarder rien. Je constate l’intensité des regards et du vague, du lointain, un évanouissem ent. Us sont là et pas là. Les y e u x s’en fon cen t d ’une part dans l’ob servation précise et d ’autre part dans l ’élargissem ent c o n tem p la tif. J ’ai toujours goûté le désert en saluant les guides. A h ! ces y e u x d ’un autre « M aurice » après une lon gue traversée telles des émeraudes délavées ou de la braise bleue ou noire. U n peu d ’aquarelle glaciaire dans l’orbite. Et sous quelles arcades sourcilières !
Us sont les fils des torrents, de la pierre.
C h e z l ’alpiniste c ’est sou ven t l ’ascète qui transparaît, ch ez eux l’anim al fait pour la nature, la grande.
Us sont toujours dans un état d ’attente. Us laissent le m on d e les habiter. Leur propre p âte s’u nifie dans le silence et l’espace (un m ou le p our que la v ie se fasse réellem ent, tinte en nous), le silence et l’espace, substance m êm e de leur métier.
C ’est pourquoi leur in tellect ne les pousse pas à la conquête. Il fa u t p ayer les lutteurs pour q u ’ils bougent.
Us n ’on t aucunem ent besoin de se p rou ver quelque chose à eux- m êmes. Us sont.
U n guide assis sur une pierre d e v a n t la cabane. Il flo co n n e légè rement mais déjà aggressivem ent, des faucilles de v e n t fro id coupent le p etit m atin gris qui se prolonge. U n touriste boursouflé dans sa veste d u vet, penché, raidi du n ez au x jambes, interroge son oracle détendu, en train de tirer sur une cigarette m ouillée. D istra it et co n centré il observe le glacier. Il a l ’air d ’être accoté à un bon fourneau tiède en pierre ollaire. Les rocs se m ouillen t, se tachètent. Le dos du guide participe. Les petits flocon s, des gris, des « cradzets » ont zigzagu é com m e des étincelles sans se poser, puis le v en t s’est calmé dans l’anse des m ontagnes. Le guide en fin d élivre sa langue. Quelques m on osyllabes jugent un début de tourmente.
Q u elle singulière résistance au glacé et à l’hum ide.
E t la facu lté d ’assoupissem ent éveillé p erm ettra tous les m o u v e ments, les déplacem ents décisifs dans l’escalade. C haq ue membre attend, chaque mem bre suit ; souple, sans tension. O n les jumellera dans les parois !
Les guides q uitten t les cabanes de leur rapide pas lent. Le corps s’im prim e sur les gen ou x pliés, le balancem ent de l ’ascension les em porte. P as un pas plus v ite que l’autre. La course s’accélère très p etit à p etit jusqu’au p o in t de mesure. Le b alancem en t est très fort
au début. Je l’ai sentie cette spirale qui s’en- gendre des gen ou x au x épaules, dans la m o n tée d ’une pente le torse se renverse une dem i-fleur.
H e in , les funam bules des ca illo u x !
D e s nom ades, des n on-adap tés, pas tout à fa it écrasés dans le rouage.
G uides des régions à rochers, guides des régions à glaciers avec ces d eu x grandes c o n naissances, celle des neiges et la recherche de la souplesse et de l’équilibre : le granit est le caillou qui enseigne.
Je devrais vous murmurer m ainten an t la rivalité des vallées... Sous l’air serein, en ch a cun des cocus d ’A d a m com m e diraient les curés, il y a une fibre travaillée par la jalousie. La porte de la cabane cogne. Les v o le ts b at tent. Et les leçons de m orale entre guides et gardiens pour aller chercher les m orts ?
Je blague.
Je regarde les parois, les arêtes.
Q u els hom m es savent prendre le sentier des corniches ?
Transcender.
Le v id e bleu, le v id e blanc. Le grand aérien nous stimule.