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Chapitre 2 : Périnatalité et psychisme : Du « tomber enceinte » au

2.1 La grossesse psychique : de la crise à la maturation

La grossesse, bien que socialement fantasmée comme un moment de bien-être et d’épanouissement pour la femme, reste avant tout une période de crise aux enjeux psy- chiques complexes. La grossesse peut parfois être la réponse à un projet d’enfant cons- cient mais elle est avant tout la résultante de trois éléments: le désir phallique, le lien à la mère originelle et la rencontre sexuelle avec un homme (Bydlowski, 2010). Considé- rée par certains comme une étape ultime du processus individuation-séparation dans la psyché féminine (Pines, 1982), elle est entendue comme un moment de « transparence psychique » (Bydlowski, 2001), où materiel préconscient et inconscient affluent. Cette transformation psychique se voit ponctuée par une forme de « folie maternelle », autrement appelée « préoccupation maternelle primaire » (Winnicott, 1956/2006, p. 34), qui prend la forme d’une sensibilité accrue à l’approche de la naissance du bébé. Suite à l’accouchement, la femme construira sa « constellation maternelle », véritable « axe d’organisation de la vie psychique » (Stern, 1997, p. 231). Ce processus psychique de la maternalité (Racamier,1961) qui débute dès la grossesse et se poursuit au-delà de la naissance de l’enfant, est à entendre comme un « stade libidinal » où se joue la réactiva- tion des pulsions partielles, à l’instar d’une véritable crise psychique (Bydlowski, 2001). L’espace temps de la grossesse devient singulier, échappant au temps biologique strict, il convoque passé et futur dans la propre logique de son déroulement.

2.1.1 De la mutation physique…

La transformation psychique s’étaye sur la transformation physique qui va pro- gressivement s’opérer au cours des neufs mois de gestation. Le corps devient cet espace si intime qui n’est plus tout à fait à soi. Un nouvel être en devenir s’y installe, un corps étranger dans l’étrangeté de mon corps. Un élément autre, un greffon, un parasite qui aurait dû, selon les lois de la biologie, être expulsé mais que le corps va, au contraire,

42 accueillir en modifiant une bonne partie de son fonctionnement, dédié à la croissance de ce fœtus. La femme peut alors être amenée à vivre la présence de cet « autre » comme une intrusion physique et psychique en ce sens où, il lui fait prendre conscience d’une partie de son corps jusque là enfouie, dans l’attente.

Les études concernant le vécu de ces transformations ne sont pas unanimes: cer- tains auteurs rendent compte d’une acceptation de la prise de poids (Davies et Wardle, 1994 ; Neiterman, 2007), d’un regard plus positif sur le corps au moment de la gros- sesse (Kamysheva, Skouteris, Wertheim, Paxton et Milgrom, 2008), alors que d’autres évoquent des sentiments négatifs (Leifer, 1977), des inquiétudes autour du corps plus marquées pendant la grossesse (Lacey et Smith, 1987); 50 à 72% des femmes présentent une insatisfaction autour de leur physique pendant la grossesse (Chang, Chao et Kenne- dy, 2006; Stein et Fairburn,1996).

L’image positive du corps semble être associée à une meilleure estime de soi (Bourgoin, Callahan, Séjourné et Denis, 2012 ; Kamysheva et al. 2008), à un meilleur vécu de la grossesse et à un risque moins élevé de symptomatologie dépressive (Dipie- tro, Millet, Costignan, Gureswitsch et Caulfield, 2003). Ce lien entre image du corps négative et dépression est retrouvé par plusieurs auteurs (Downs, Dinallo et Kirner, 2008; Skouteris, Carr, Wertheim, Paxton et Duncombe, 2005). Ces transformations physiques rapides et déstabilisantes vont favoriser le remaniement identitaire de la femme et l’émergence du bébé imaginaire (Stern et Bruschweiler-Stern, 1998). Cette période de la grossesse, avec ses transformations physiques, peut s’entendre comme un nouveau stade du miroir, un stade au cours duquel l’image de la femme jeune se brise pour laisser apparaître « le reflet identificatoire à la mère vieillissante », risquant d’éveiller ainsi l’angoisse de mort (Bydlowski, 2010, p.47).

2.1.2 … A la mutation psychique

Devenir mère suppose différents mouvements psychiques périlleux, lieux de réac- tivation des pulsions partielles (Racamier, 1979) facilement accessible du fait de l’état de « transparence psychique » de la grossesse (Bydlowski, 2010, p.89): les souvenirs infantiles, les fantasmes oubliés resurgissent du passé, mettant en échec le mécanisme de refoulement. Devenir mère nécessite, en outre, un double mouvement identificatoire

43 vers sa propre mère d’une part et vers le bébé d’autre part. Il s’agit pour la parturiente de s’identifier à la mère toute-puissante et, dans le même temps, de parvenir à suffi- samment écailler l’image maternelle, de reconnaître sa vulnérabilité pour se créer soi- même mère et s’autoriser à prendre sa place. Cela ne peut se faire sans la solidité du lien originaire et la permanence de cette rencontre maternelle. L’intégration de cette mère originelle suppose la dette qui lie la mère en devenir à sa propre mère, l’inscrivant dans la filiation féminine avec pour témoin l’enfant à naître (Bydlowski, 2010). Ainsi, un nouveau triangle se crée durant la grossesse: la future mère, sa propre mère et le bébé (Stern et Bruschweiler-Stern, 1998). Une forme d’idéalisation de sa mère peut appa- raître chez la parturiente, donnant lieu à des trêves, même dans le cadre de relations conflictuelles habituelles. Néanmoins, ces temps de paix ne durent que le temps de la grossesse (Stern et Bruschweiler-Stern, 1998).

Quant au fœtus, il est investi, en qualité d’enfant imaginaire, comme « lieu de passage d’un désir absolu », comme la solution à la perte, au manque, au vide (Bydlowski, 2010, p. 24). L’identification à « l’enfant du dedans » rend compte dans un premier temps d’un mouvement narcissique et d’un mécanisme de régression, qui, au final, favorisera la « nidification psychique » (Missonnier, 2004). Cette relation à « l’objet virtuel » souleve les questions de fusion et de séparation, du Moi et du non- Moi, jusqu’à aboutir, en fin de grossesse à « une authentique préfiguration de l’enfant objectal » (Missonnier, 2004). La parturiente va finalement se tourner vers le fœtus en l’investissant affectivement et en développant une réelle préoccupation pour ce petit- être en devenir, ce que Condon (1993) définit comme les signes de l’attachement préna- tal. Shieh, Kravitz et Wang (2001) définissent les trois dimensions qui caractérisent l’attachement materno-fœtal : une dimension cognitive qui rend compte de l’envie de connaître le bébé, une dimension affective qui relève du plaisir éprouvé au cours des interactions avec le fœtus et une dimension altruiste qui est illustrée par l’élan de pro- tection vis-à-vis de l’enfant à naître. La future mère est donc capable d’investir émotionnellement le fœtus dès la 8ème semaine de grossesse (Sjögren et Uddenberg, 1988) mais l’attachement prénatal semble s’intensifier en fin de grossesse (Sjögren, Edman, Widstom, Mathiesen et Uvnas-Moberg, 2004).

Dans le même temps, les femmes qui bénéficient d’un soutien social plus conséquent créent un attachement plus intense (Laxton-Kane et Slade, 2002). A

44 contrario, l’alexithymie semble associée à une faible attachement vis-à-vis du fœtus (Vedova, Dabrassi et Imbasciati, 2008). Néanmoins, la méta-analyse effectuée par Yarcheski , Mahon , Yarcheski , Hanks et Cannella (2009) conclue que seul l’âge gesta- tionnel semble avoir une forte influence sur l’intensité de l’attachement prénatal, le sup- port social et les variables sociodémographiques représentant de faibles prédicteurs de l’intensité de l’attachement anténatal.

Nous notons enfin que les études ne sont pas unanimes dans le type de lien exis- tant entre les variables relevant des états émotionnels et des traits de personnalité et l’attachement prénatal. Ainsi, les mères qui se sentent coupables, anxieuses et qui pré- sentent une désirabilité sociale, développent un niveau d’attachement prénatal plus im- portant (Sjögren et al., 2004). Cependant certaines études montrent que la dépression et l’anxiété-état sont toutes deux associées à un attachement de moindre qualité (Condon et Corkindale, 1997; Gallois, 2009) et de moindre intensité (Cranley, 1981; Figueiredo, Costa, Pacheco, Conde, et Texeira, 2007; Gaffney, 1986). De même, certains auteurs avancent que le stress perturberait la qualité du lien prénatal (Cranley, 1981; Feldman, 2007; Mikulincer et Florian, 1999) alors que d’autres n’observent aucun lien entre les deux variables (Figueiredo, et al., 2007; Mercer, Ferketich, May, DeJoseph, et Sollid, 1988; Stanton et Golombok, 1993). Enfin, certaines études concluent que le niveau de stress perçu est positivement corrélé à l’intensité de l’attachement prénatal (Gallois, 2009; Leifer, 1977). Cependant, les problèmes relationnels, le niveau d’inquiétude quant au futur bébé ainsi que les sensations physiques stressantes semblent liés, au troi- sième trimestre, à un attachement de moindre qualité (Gallois, 2009 ; Maas, Vreeswijk, Braeken, Vingerhoets et Van Bakel, 2014).

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