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C. Une réponse inadaptée ?

2. La grille AGGIR : un outil limitant

Rappelons tout d’abord que les progrès scientifiques de la fin des années soixante-dix ont conduit à découvrir, en quelque sorte, les maladies neurodégénératives en les écartant du domaine de la sénilité. Parmi ces maladies, nous trouvons la maladie d'Alzheimer. En France, sa prévalence supérieure a conduit le champ médical et les pouvoirs publics à concevoir et à construire le problème Alzheimer en priorité, tout en l’indexant au problème d’une vieillesse dépendante. La mise en œuvre de la grille d’évaluation AGGIR est un des résultats de cette construction de sens. Cette grille sert à évaluer le niveau de dépendance, ou la perte d’autonomie, des personnes atteintes de troubles cognitifs. Elle intervient donc dans le champ de la maladie d'Alzheimer, mais aussi celui des affections chroniques neurodégénératives et du handicap, lorsque cette perte est temporaire. Par conséquent, elle a vocation à regrouper un certain nombre de publics cibles dont la composante commune est la fragilité et la perte d’autonomie qui en découle. Une vocation ambitieuse, sans aucun doute, semblant illustrer la

271 Marin C., L’homme sans fièvre, Armand Colin, « Le temps des idées », 2013, 224 p. 272 Gzil F., La maladie du temps, op. cit., p. 31.

volonté des pouvoirs publics à répondre à un ensemble de problématiques sanitaires et sociales par le biais d’un seul dispositif de politique publique. Nous allons voir cependant que l’utilisation de cette grille peut engendrer certaines limites dans le cas des PAMA.

Premièrement, elle tend à normaliser le déficit comme l’élément décisif dans la manière d’appréhender la PAMA. De fait, le score obtenu au moment du diagnostic est basé sur une évaluation des capacités cognitives. Mais la dégradation progressive du cerveau, induite par l’évolution de la maladie, tend à enfermer les malades dans une logique dégressive d’évaluation des pertes que conforte l’utilisation de cette grille. En prenant l’exemple des approches de « Carpe Diem » ou de « Hearthstone », il est possible de mettre davantage l’accent sur les ressources dans la manière d’appréhender Alzheimer. C’est en ce sens que Nicole Poirier pose également la question du « financement des pertes »273, puisque le résultat de l’évaluation conduit à déterminer un GIR, qui est lui-même indexé à un montant d’allocation. La logique dégressive conduit en outre à augmenter les montants d’aide à mesure que le niveau de dépendance augmente. Elle émet toutefois l’hypothèse selon laquelle, une personne en GIR 6 peut éventuellement demander plus d’attention qu’une personne en GIR inférieur. Dans une approche « relationnelle », en effet, cette personne sera plus à même d’interagir et de répondre aux sollicitations des soignants, voire de solliciter elle-même davantage l’attention de ces derniers. Dès lors, Nicole Poirier invite à questionner un système mettant l’accent sur les pertes à chaque moment de la prise en charge d’Alzheimer et pouvant conduire à se focaliser sur la maladie plutôt que sur l’individu. Un système d’autant plus limité lorsqu’on sait qu’il est possible de raisonner autrement, dans une logique de promotion de la qualité de vie, ou de la mémoire émotionnelle et affective, par exemple. Fabrice Gzil fait également la critique de ce « modèle de rééducation » des incapacités, au regard, notamment, de l’évolution inéluctable d’une maladie empêchant de « s’installer dans une représentation temporelle fixe » de « maintien de l’autonomie fonctionnelle »274.

D’autre part, la définition d’un GIR a tendance à restreindre la compréhension des besoins de chaque personne en les plaçant dans une catégorie relativement large. Par exemple, le GIR 5 renvoie à une « personne ayant seulement besoin d’une aide ponctuelle pour la toilette, la préparation des repas et le ménage » (Annexe 2). Rappelons tout de même que le GIR résulte d’une évaluation multidimensionnelle de l’individu réalisée régulièrement (tous les ans en général) de manière à adapter le montant des allocations aux besoins. Mais force est de constater que son résultat très synthétique peut restreindre l’individu à une vision très

273 Propos de Nicole Poirier lors d’un colloque organisé par l’association Ama Diem à Crolles, le 30 janvier 2014 274 Gzil F., op. cit., p. 66.

élémentaire de ce qu’il est en réalité. D’une part nous pouvons comprendre que cette vision élémentaire peut influer négativement sur l’estime de soi, pourtant reconnue comme un élément essentiel dans l’accompagnement des PAMA. D’autre part, il est tout à fait concevable qu’elle soit à l’origine d’une limitation de la pratique des soignants à cette vision « élémentaire » de la perte d’autonomie, contribuant à se focaliser sur la maladie. Nous partons du principe qu’il est peut être difficile de concevoir un accompagnement prenant en compte les spécificités de chaque PAMA dans la mesure où le système de financement ne l’autorise pas. Car au delà de cette composante élémentaire, l’individu renferme des réalités psychologiques, identitaires, sociales et familiales propres, qu’il faut avoir le temps d’étudier pour y répondre de manière individuelle. En pratique, les soignants tendent bien sûr vers cette prise en compte. Mais cela peut varier d’une structure à l’autre en fonction de ses moyens, et surtout, de son degré de spécialisation à l’accueil et l’accompagnement de PAMA. Nous l’avons vu en 2ème partie, il existe toutefois peu d’établissement à même de déployer un tel

accompagnement spécialisé. Dès lors, nous pouvons arguer qu’une personne ne se résume pas à ses déficits ni à ses compétences et que le système des GIR tend à négliger leur histoire de vie et leur personnalité, voire leur maintien dans la société en tant qu’individu. En ce faisant, il limite peut être également la portée d’un dispositif tel que celui du maintien à domicile à l’égard des PAMA.