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1 - LA NOTION DE CENTRE DANS LE VOCABULAIRE RELATIF AU CABINET

2 – LES ESQUISSES DU RESEAU A TRAVERS LA CORRESPONDANCE PERSONNELLE

2.1. La correspondance personnelle des Liotard, herboristes et jardiniers 2.1.1 La correspondance de Pierre Liotard : Jean-Jacques Rousseau, André Thouin

2.1.2 La correspondance de Claude Liotard : André Thouin, Augustin-Pyramus de Candolle

2.1.3 La bibliothèque et l’herbier des Liotard

2.2. La correspondance personnelle de Ducros, bibliothécaire

3 – L’ORGANISATION D’UN RESEAU 3.1. Le soutien de l’Académie delphinale 3.2. Le rôle central de Dominique Villars

4 LE CABINET D’HISTOIRE NATURELLE DE GRENOBLE : UN CENTRE D’ELABORATION DE THEORIES OU UN LABORATOIRE D’EXPERIMENTATION ?

4.1 La préférence faite au terrain : l’influence de Saussure 4.2 De la minéralogie à la géologie

4.3 L’organisation du Cabinet d’histoire naturelle de Grenoble en 1780 : l’influence de Buffon

DOCUMENTS CHAPITRE TROIS

Document n° 13 : LIOTTARD (Claude), Lettre manuscrite à M. de

Candolle, professeur de botanique à Montpellier, texte original, Grenoble,

14 mars 1810 (BCJBG). Lettre suivie de sa traduction.

Document n° 14 : FAUJAS de SAINT-FOND (Barthélémy), Lettre au père

Ducros, Paris, 9 avril 1787, lettre retranscrite par Edmond Maignien d’après

bibliothécaires Etienne Davau, Etienne Ducros, Grenoble, Drevet, s. d. [c. 1910], p. 20-23 (BMG, T 4811).

Document n° 15 : LIOTTARD (Claude), Lettre à M. le Comte de La Valette,

maire de Grenoble,historique du Jardin botanique de Grenoble de 1783 à

1807, texte original, s. d. [1815-1820] (AMG, R 2.61 d 1).

Document n° 16 : Liste des sociétés savantes aux travaux desquelles Dominique Villars s’est associé.

Document n° 17 : BALBIS (Giovanni-Baptista), Lettre autographe du médecin militaire Balbis au citoyen Villars, médecin des hôpitaux militaires

à Grenoble, texte original, Nice, 23 prairial an 3e de la République française

[11 juin 1795] (MHNG, Fonds Villars, E III).

Document n° 18 : GAUDY (Pol), Lettre du médecin botaniste Gaudy à

Dominique Villars, texte original, Genève, 16 brumaire an 7 [6 novembre

1798] (MHNG, Fonds Villars, E III).

Document n° 19 : VILLARS (Dominique), Sur l’histoire naturelle :

programme pour l’an 7 [à l’Ecole Centrale de Grenoble], texte original,

Aix, 1798 (BMG, R 9736).

Document n° 20 : LAMANON (Robert de Paul, chevalier de), « Au directeur des Affiches de Dauphiné », Saint-Clément près Montdauphin, 25 septembre 1783, texte original, in les Affiches de Dauphiné, Annonces, 22, 3 octobre 1783 (BMG, 5 Mi 9 R 3).

Document n° 21 : [VILLARS (Dominique)], « Mémoire sur la prétendue découverte d’un volcan éteint (dans le Haut-Dauphiné), annoncée par M. le Chevalier de Lamanon, dans ces feuilles, le 10 du précédent mois », texte original, in les Affiches de Dauphiné, Annonces, n° 27, 7 novembre 1783 (BMG, 5 Mi 9, R 4).

Document n° 22 : Liste et carte des cabinets d’histoire naturelle français au XVIIIe siècle en relation avec le cabinet d’histoire naturelle de Grenoble.

Dans les travaux qu’il a consacrés aux villes du Dauphiné au XVIIIe siècle, René Favier utilise pour la ville de Grenoble le terme de « capitale », avec ses variantes de « capitale administrative » ou de « capitale judiciaire ». Il rappelle qu’au XVIIIe siècle, nul ne contestait plus ces trois qualificatifs à la ville de Grenoble449. La ville était en effet depuis 1590 le siège des deux principales autorités administratives, le parlement et le gouverneur. Lesdiguières avait choisi Grenoble pour y rétablir l’autorité judiciaire de la province, jusque là contestée, et en dépit de l’important château qu’il s’était fait construire à Vizille, il avait fait édifier un hôtel particulier à Grenoble dans lequel résideraient ses successeurs. Par ces deux mesures, Lesdiguières avait fait de Grenoble une véritable capitale, capable d’assumer une fonction de représentation de l’autorité judiciaire et administrative. René Favier fait en revanche état des difficultés encourues par la ville sur le plan culturel, à l’intérieur même de la province du Dauphiné, difficultés qu’illustre bien la querelle universitaire avec la ville de Valence. L’université de Grenoble avait été supprimée en 1565 et cette disparition n’avait jamais été acceptée dans la capitale provinciale. Plusieurs fois tout au long du XVIIIe siècle, nous l’avons vu, les Grenoblois avaient tenté d’obtenir le transfert de l’université de Valence à Grenoble. En 1730, Fontanieu, l’intendant de la province, leur avait même apporté son soutien, voyant dans ce transfert la juste redistribution des équipements administratifs de la province qu’il envisageait de mener à bien : « Une université n’est bien concevable que dans la Capitale, sous les yeux du Parlement et des gens du Roy qui la dirigent »450. Mais les tentatives des Grenoblois se soldèrent toutes par un échec. René Favier observe alors, pour la seconde moitié du XVIIIe siècle, le développement à Grenoble des enseignements spécialisés paramédicaux, tous soutenus par l’intendance451. On y note en effet, avec la création de l’Ecole de chirurgie en 1771, l’existence d’un cours public et gratuit de chirurgie, la création d’un cours d’accouchement en 1774 et celle d’un cours public d’anatomie qui vint en 1775 compléter celui de chirurgie. Différents cours de botanique, privés ou publics, à l’instigation d’herboristes ou de démonstrateurs, complétèrent

449 R. FAVIER, Les Villes…, op. cit., p. 434.

450 Citation extraite de R. FAVIER, Idem, p. 129.

cette panoplie à partir de 1765 et ce, jusqu’à la création du jardin de botanique de Grenoble en 1783.

Si la ville de Grenoble ne parvint pas d’une façon générale à établir sa suprématie culturelle à l’intérieur de la province, n’a-t-elle pas alors cherché à s’imposer, comme par compensation, sur le plan scientifique ? Le Cabinet d’histoire naturelle n’en fut-il pas l’expression ? Pour mesurer la détermination des Grenoblois à se placer au centre de l’activité scientifique, nous étudierons tout d’abord la notion de « centre » utilisée par les pionniers dans le vocabulaire relatif au cabinet. Notre interrogation portera ensuite sur les moyens mis en œuvre par les Grenoblois pour faire de leur cabinet d’histoire naturelle un acteur fort de l’activité scientifique : n’ont-ils pas trouvé là le moyen d’exprimer différemment leur suprématie et ce faisant, n’ont-ils pas repoussé les limites géographiques que leur imposait la seule province du Dauphiné ? C’est toute la question de la forme que revêtirent les efforts déployés par les naturalistes pour placer le Cabinet d’histoire naturelle au centre de l’activité scientifique. Ce qui renvoie également à la question du rayonnement atteint par l’activité scientifique des naturalistes.

1 - LA NOTION DE CENTRE DANS LE VOCABULAIRE RELATIF AU CABINET

Le vocabulaire propre à la définition du Cabinet d’histoire naturelle de Grenoble dans les délibérations, dans les mémoires des savants, ou dans leur correspondance se fit le reflet, de 1773 à 1855, de l’importance apportée par les Grenoblois à l’institution qu’ils créèrent et à la place qu’ils lui attribuèrent. Ils voulurent que cette place fût centrale, que ce soit sur le plan historique, sur le plan géographique ou scientifique. Dans la lettre de demande de soutien qu’ils adressèrent au contrôleur général des finances, les directeurs de la Bibliothèque publique de Grenoble, sous la plume de leur

secrétaire Raby, remirent en cause les origines historiques de l’existence de l’université à Valence et l’obligation qui était faite aux Grenoblois de s’y rendre pour y faire leurs études. Dans la longue querelle qui les opposait à Valence, ils soufflaient au chancelier que la création d’une bibliothèque et d’un cabinet d’histoire naturelle dans les murs de Grenoble serait désormais pour la ville un atout sérieux pour accueillir son université. Trop éloignée de la ville principale de la province, les Grenoblois émettaient en plus un doute quant à la qualité de l’université de Valence, comme de celle d’Orange, moribonde. Par la création du cabinet, les Grenoblois manifestèrent leur désir de déplacer à Grenoble le centre historique affecté aux sciences en Dauphiné ou dans les provinces limitrophes du royaume, tout en lui conférant une nouvelle et nécessaire dynamique :

[Il manque] à cette ville l’établissement d’une Université, qui serait infiniment plus utile ici qu’à Valence, où elle languit nécessairement, et qu’à Orange où il n’y en a qu’un simulacre. Ce serait un secours essentiel que celui de la bibliothèque publique, et peut être est-ce une raison déterminante pour attirer à Grenoble l’Université. Nous avons l’espoir de voir commencer un Cabinet d’Histoire naturelle. La Province, Monsieur, vous est bien connue, et vous savez combien elle renferme de richesses dans le règne minéral et dans le règne végétal et l’agrément d’un Cabinet qui serait un ornement accessoire de la Bibliothèque. Les recherches qu’on ferait dans ces deux genres si à portée de nous, conduiront à des découvertes utiles et curieuses452.

Monsieur de Quinsonas, dans deux lettres qu’il fit rédiger par son secrétaire à l’attention du père Ducros, insistait bien en 1786 et 1787 sur la position centrale du cabinet d’histoire naturelle de Grenoble à l’intérieur de la province. Le libellé de l’adresse du père Ducros sous la plume de son secrétaire révélait l’importance du rayonnement sur tout le Dauphiné que Quinsonas, un des initiateurs de la souscription originelle, accordait de fait au cabinet. Il fit ainsi adresser sa correspondance à « Monsieur l’abbé Ducros, bibliothécaire et garde du cabinet d’histoire naturelle de la province de Dauphiné au Collège Royal à Grenoble453 ». L’ambitieux Gagnon, à son

452 [J.-C RABY], Lettre des directeurs de la bibliothèque publique à M. le Chancelier, texte original, Grenoble, [12 juillet] 1772 (BMG, R 8709, document n° 12).

tour, n’omit pas de rappeler à l’intendant Caze de La Bove, intercédant auprès du ministre Calonne pour la bibliothèque et le cabinet, qu’il s’agissait

d’un établissement qui honor[ait] la capitale d’une Province qui a[vait]

l’honneur de donner son nom au fils aîné de nos rois, n’hésitant pas à

conférer à l’établissement ses lettres de noblesse454. Le père Ducros, quant à lui, trouva dans l’éloignement de Grenoble de la capitale du royaume et de tout centre savant, la justification première de la création grenobloise :

La ville de Grenoble privée de tous les secours qui peuvent concourir aux progrès des connaissances saisit avec empressement l’occasion que fournit en 1771 la mort de M. de Caulet, évêque de cette ville, pour se procurer une bibliothèque publique. Ce savant prélat avait formé la plus belle collection de livres qu’un particulier put avoir, et sa bibliothèque complète de plus de [quarante] mille volumes et ouverte à toutes les personnes qui avaient besoin de la consulter était un grand secours pour cette ville éloignée du centre du royaume. Cette perte eut été à jamais irréparable, si quelques citoyens ne se fussent réunis pour chercher les moyens de l’acquérir455.

Avant lui, Monseigneur de Caulet, érudit formé dans les meilleurs collèges parisiens puis à la Sorbonne, ne cessa de répéter son regret d’avoir quitté la capitale et semblait avoir recréé, avec sa bibliothèque, un peu de la vie parisienne qu’il avait tant appréciée. Il retrouvait avec elle l’activité intellectuelle qu’il avait connue à Paris, allant jusqu’à ouvrir les portes de sa bibliothèque « aux personnes savantes de la ville »456. Se comparer à la capitale en termes d’éloignement ou insister sur le fait que Grenoble était la capitale du Dauphiné fut une constante dans les délibérations ou la correspondance des directeurs :

[… ] Un établissement si nécessaire pour faire fleurir les sciences et les lettres dans la ville capitale [du] gouvernement [du Dauphiné]457.

(BMG, R 8712, chemise 1).

454 H. GAGNON, Lettre autographe à M. de La Bove, intendant du Dauphiné, Grenoble, 17 juin 1784 (ADI, D 3/9).

455 E. DUCROS, « La Ville de Grenoble [...] » : Premier historique sur l’utilité de l’établissement de la Bibliothèque publique de la ville de Grenoble, [c. 1781], in Origine et formation de la Bibliothèque et Académie delphinale, document n° 11(BMG, R 8709).

456 A. BERNE, La Bibliothèque de Monseigneur de Caulet évêque de Grenoble (1726-1771), op. cit., p. 14-17 ; 20-21 ; 136.

Devant justifier auprès des autorités départementales de la création de la bibliothèque et du cabinet, Ducros se révéla diplomate et opportuniste pour la défense de son établissement et offrit une variante à cette notion de « ville capitale »en qualifiant Grenoble de « ville-département »458.

C’est Villars qui se fit le plus précis et qui emprunta au vocabulaire de la géographie naissante pour situer la place du cabinet d’histoire naturelle de Grenoble, reliant celui-ci à un appareil complexe et savant composé de l’Ecole de chirurgie de Grenoble, du jardin de botanique et de la bibliothèque :

Notre commune possède une préfecture. Elle est le centre d’une division militaire ; des tribunaux, une Ecole d’artillerie, une Ecole de chirurgie sont dans son sein : les environs de ce pays, la proximité et l’élévation des montagnes en ont fait Le Jardin de la nature selon M. Fourier. Selon le Conseiller d’Etat Fourcroy, Grenoble est

une terre classique pour l’histoirenaturelle459. Des curieux, des savants étrangers viennent chaque année visiter nos montagnes et nos glaciers pendant la belle saison. Le département de l’Isère possède les plantes de la Suisse : mais nos montagnes sont beaucoup plus variées, plus riches en mines. Il faut donc, à côté d’une bibliothèque publique, à côté d’un musée et d’un riche cabinet d’histoire naturelle, un asile aux plantes : une espèce de dépôt pour acclimater les productions des Alpes, pour les échanges, ensuite avec Paris et avec les autres départements et alimenter, soutenir notre jardin par des échanges industrieux et propres à nous créer des amis, des correspondants, des appuis pour acquitter notre dette envers les nations éclairées, pour concourir avec elles au progrès des sciences utiles460 .

Dans l’introduction au cours d’histoire naturelle que Villars dispensait à l’Ecole centrale de Grenoble, le savant avait coutume de dresser un historique du Cabinet d’histoire naturelle de Grenoble. Ainsi, de 1796 à 1803, il insista sur l’originalité de la naissance de celui-ci, montra les richesses naturelles qui entouraient la ville de Grenoble et qui conféraient au cabinet sa spécificité dans les domaines de la minéralogie et de la botanique. En introduction à son cours, Villars déroulait l’historique des savants

458 E. DUCROS, Etablissement et utilité de la bibliothèque publique de Grenoble, op. cit.,

1791.

459 Souligné dans le texte.

460 D. VILLARS, Exposé fait à la Société d’Agriculture sur l’origine, l’utilité des Jardins de Botanique mais principalement de celui de Grenoble, [Grenoble], 1805 (BMG, R 9750, pièce 2).

voyageurs qui avaient parcouru les Alpes – comme Guettard –, des hommes d’Etat qui s’étaient intéressés aux Alpes – comme Gaston d’Orléans –, des botanistes qui les avaient visitées – Tournefort sous Louis XIV, Jean-Jacques Rousseau en 1769, le professeur Desfontaines en 1778 avant d’aller en Afrique461, La Billardière en 1786 avant de voyager autour du monde462 – et des savants de Genève qui avaient parcouru les environs de Grenoble – comme Saussure, Pictet, Gosse ou Gaudy463. Villars expliquait que c’était en outre grâce à des hommes des Alpes comme Werner, Dolomieu, Saussure, Brochant464 et Schreiber qu’avaient progressé les sciences naturelles. Souhaitant apporter son soutien à la création à Grenoble d’une Ecole spéciale d’histoire naturelle, il insistait dans son cours sur l’importance du « riche Cabinet de minéralogie et d’histoire naturelle ». Il ajoutait :

Une vaste Bibliothèque de plus de [soixante] mille volumes, est réunie à ce Cabinet.

C’est à l’occasion de ces cours qu’il rendit hommage à la ville de Grenoble, accordant de ce fait à l’institution savante dont il faisait la promotion une place privilégiée en Europe, au cœur même des Alpes :

Grenoble, située au pied des Alpes est une terre classique pour l’industrie, l’agriculture et les sciences naturelles465.

Tout le vocabulaire employé par les pionniers pour désigner le Cabinet d’histoire naturelle de Grenoble fut révélateur de la volonté des naturalistes de donner à celui-ci une place centrale. Le cabinet occupait une

461 DESFONTAINES (René-Louiche, 1750-1833) : botaniste, titulaire de la chaire de botanique au Muséum national en 1793.

462 LA BILLARDIERE(Jacques Julien Houton de, 1755-1834) : naturaliste au Muséum national, rédacteur de la relation du voyage de 1791 à 1794 à la recherche de La Pérouse.

463 SAUSSURE(Honoré Bénédict de, 1740-1799) : géologue suisse, il vit dans l’étude des montagnes le moyen d’accélérer les progrès de la théorie du globe ; auteur des Voyages dans les Alpes (1779, 1786 et 1796) ; PICTET (Marc-Auguste, 1752-1825) : professeur et géologue genevois, ami de Dolomieu et de Saussure ; GOSSE (Henri-Albert) : savant genevois, fondateur de la Société de Physique et d’Histoire Naturelle de Genève ; GAUDY (Pol) : médecin, botaniste et homme de lettres genevois.

464 BROCHANT de VILLIERS (André-Jean, 1773-1840) : ingénieur des mines travaillant sous la direction de Schreiber, puis titulaire de la chaire de minéralogie à l’Ecole des mines.

position géographique centrale, de la même façon que la ville de Grenoble était une ville « capitale ». Les naturalistes justifiaient ainsi de la position de leur cabinet par le fait qu’il était installé au cœur même de la capitale du Dauphiné. Mais on voit bien, avec l’intense activité du botaniste Villars, que le rayonnement du cabinet s’étendait au-delà de cette province : grâce à l’étude de différentes correspondances de naturalistes grenoblois, nous poursuivrons donc notre recherche pour mettre à jour le véritable réseau scientifique qui se mit progressivement en place autour du Cabinet d’histoire naturelle de Grenoble.

2 – LES ESQUISSES DU RESEAU A TRAVERS LA CORRESPONDANCE PERSONNELLE

Le Cabinet d’histoire naturelle de Grenoble eut des racines profondes et sa création en 1773 fut préparée par l’intense activité déployée dans le domaine de la botanique par les herboristes et jardiniers grenoblois. Grâce aux archives conservées au Muséum d’histoire naturelle de Grenoble, nous avons pu fixer précisément à 1763 la date du premier jardin de ces herboristes en lien avec le cabinet, et à 1774 le démarrage de leurs échanges épistolaires avec le milieu savant de l’époque. L’étude des naturalistes grenoblois permet alors de distinguer deux étapes dans leur activité scientifique : la première est celle des prémices d’un réseau que l’on discerne déjà dans les liens personnels que tissèrent les herboristes et le garde du cabinet, et la deuxième celle de la mise en place d’un véritable réseau savant, favorisé par l’Académie delphinale et activé par le botaniste Villars.

2.1. La correspondance personnelle des Liotard, herboristes et jardiniers

La famille Liotard de Grenoble comprit trois botanistes. Le premier, Claude (1690-1785), oncle et aïeul de la famille, était herboriste et botaniste à Grenoble. Il entretenait déjà dans cette ville un jardin de plantes médicinales. Il fut le premier d’une longue dynastie grenobloise, laquelle donna à la botanique successivement des herboristes, des jardiniers puis des médecins. Son neveu Pierre, dit Liotard neveu (1729-1796), fut marchand herboriste à Grenoble comme lui. Il eut, sous l’autorité de Villars, la responsabilité des trois jardins publics de botanique qui se succédèrent à Grenoble, en 1783, 1786 et 1793. Il établit une correspondance avec Jean-Jacques Rousseau et avec Thouin au Jardin du Roi. Il était en relation avec Faujas de Saint-Fond. Son fils Claude lui succéda au Jardin de botanique de

Grenoble en 1796. Claude poursuivit les travaux de son père et la correspondance que celui-ci entretenait avec Thouin. Il intensifia les échanges avec le Jardin botanique de Montpellier et avec Genève. Aidé par les botanistes grenoblois membres de l’Académie delphinale, son fils Pierre put faire ses études de médecine gratuitement à l’Ecole de chirurgie de Grenoble.

2.1.1 La correspondance de Pierre Liotard : Jean-Jacques Rousseau, André Thouin

Pierre Liotard dut sa formation scientifique au docteur Clapier, de Grenoble466. Clapier avait lui-même fait ses études de médecine à Montpellier avec Gouan, Cusson et Commerson467, puis au Jardin du Roi. Il est vraisemblable que l’enseignement qu’il prodigua à Liotard se ressentit de l’influence bénéfique du Jardin de botanique de Montpellier et de l’enseignement prodigué au Jardin du Roi. Clapier et Liotard herborisèrent avec Jean-Jacques Rousseau. Ils possédaient des herbiers et cultivaient ensemble, dans un jardin près de la Porte de France à Grenoble, des plantes rares inconnues de Linné lui-même468. Les archives conservées au Muséum de Grenoble nous apprennent que Pierre Liotard vendait par correspondance une poudre appelée « principale », ainsi que toutes sortes de plantes médicinales et d’herbiers rangés par genre de fleurs « suivant Pitton-Tournefort ». Liotard suivait ainsi la classification botanique d’un professeur de botanique du siècle précédent, qui avait voyagé dans les Alpes et dont Villars viendrait un siècle plus tard consulter l’herbier à Paris. Liotard avait établi à Grenoble un jardin privécontenant « toutes les plantes des Alpes » où il enseignait la botanique dès le mois de mai469.

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