• Aucun résultat trouvé

1 LE CABINET ET LA VOLONTE D’AUTO-INSTRUCTION DES GRENOBLOIS

1.1 Autonomie et ambition 1.2 L’esprit d’utilité

2 LE RÔLE DES MILIEUX ECLAIRES GRENOBLOIS 2.1 Le rôle des notabilités éclairées dans la promotion des savants

2.1.1 Pajot de Marcheval et Dominique Villars 2.1.2 Le cas du père Ducros

2.2 Le rôle des magistrats et des avocats grenoblois 2.3 Le rôle des loges maçonniques

2.3.1 Les francs-maçons au sein de la direction de la bibliothèque

2.3.2 Les francs-maçons parmi les associés libres de l’Académie delphinale

DOCUMENTS CHAPITRE DEUX

Document n° 5 :[SAUZIN (Louis de)], Lettre du président de la direction de la bibliothèque publique de Grenoble à la nouvelle congrégation du Collège

de Grenoble, copie partielle du ms. original, [1786] [11 f.] (BMG, R 8709,

document n° 40).

Document n° 6 : DUCROS (Etienne), « Rapport sur le Cabinet d’histoire naturelle de Grenoble », texte original, in Mémoire à la Commission administrative de la Bibliothèque publique et du Musée des Arts de la Ville de

Grenoble, 3 avril 1803, [p. 7-8] (BMG, R 90582).

Document n° 7 : [VILLARS (Dominique)], Projet pour l’établissement d’un

jardin public de Botanique dans la Ville de Grenoble, copie partielle du ms.

original, [11 p.] [1803] (BMG, R 9750, pièce 1).

Document n° 8 : Pièces historiques sur Grenoble : noms de Messieurs de

l’Académie Delphinale, suivant l’ordre de réception, 1772-1789, p. 25-30

(BMG, T.283).

Document n° 9 : [RABY (Joseph Claude)], « Projet pour parvenir à former une administration pour la bibliothèque publique de Grenoble avec les cas à prévoir pour éviter les inconvénients », texte original, [Grenoble], [1773], document n° 63, in Origine et formation de la Bibliothèque et Académie

Document n° 10 : DUCROS (Etienne), « Noms des 9 souscripteurs du cabinet d’histoire naturelle de Grenoble », texte original, in Comptabilité de la

Bibliothèque Publique et Cabinet d’histoire Naturelle, compte 1772-1776,

Deuxième Chapitre [f. 4-5] (BMG, R 8710, t. 1).

Document n° 11 : COLMONT de VAUGRENANT (Henri Camille), « La Leçon de mon Oncle. Sixième Courrier, 30 novembre [1767] », texte original,

in Correspondance entre un oncle et son neveu ou Pièces critiques morales et

philosophiques, Londres, Prault, 1771, p. 171-183 (ENS Lyon).

Document n° 12 : Tableau contenant la liste des principaux directeurs de la Bibliothèque publique de Grenoble de 1772 à 1786, avec leurs appartenances.

Une institution telle que le Cabinet d'histoire naturelle de Grenoble n'aurait pu voir le jour au XVIIIe siècle sans un climat global favorable. Or, la France des lumières, l'Europe elle-même furent propices à une telle naissance. Le XVIIIe

siècle se caractérisa par un goût très marqué pour les sciences naturelles : on admirait la Nature, sa beauté, son utilité et Buffon, directeur du Jardin des Plantes à Paris, donna même à la science l'auréole de la gloire littéraire avec la publication de son Histoire naturelle203. Par cet ouvrage dont il commença la publication en 1749, il rendit la science naturelle accessible à tous les milieux : de la noblesse aux authentiques hommes de sciences, naturalistes, médecins ou apothicaires. Buffon introduisit les sciences naturelles dans la littérature destinée à un vaste public lettré et non plus à quelques spécialistes. Cette vogue extraordinaire qui traversa tout le XVIIIe siècle fut favorisée par l'action du Jardin du Roi transformé en 1793 par la Convention en Muséum national d'histoire naturelle204. Enfin, dans ce climat favorable aux Lumières et aux sciences au XVIIIe siècle, il faut insister sur l’importance de l’Encyclopédie, compendium de la nouvelle pensée rationaliste205. Avant Buffon, deux ouvrages avaient déjà confirmé le goût des savants et des curieux pour l'histoire naturelle et la collection : il s'agissait en 1732 de l'œuvre de l'abbé Pluche – Le Spectaclede la nature206, manuel à l’usage des gens du monde et des enfants – et en 1742 de celle de Dezallier d'Argenville –

L’Histoire naturelle éclaircie dans deux de ses parties principales, la lithologie et

la conchyliologie207. Plusieurs fois réédité et augmenté entre 1742 et 1780, ce

dernier ouvrage servit de modèle aux curieux et aux naturalistes pour arranger leurs collections. Son édition de 1780 dont le titre était La Conchyliologie ou

203 G. -L. Leclerc, comte de BUFFON, Histoire naturelle, générale et particulière, avec la description du cabinet du roi, Paris, Imprimerie royale, 1749-1804, en 44 vol. (BMG, C 1749).

204 P. -A. CAP, Le Muséum d’histoire naturelle, histoire de la fondation et des développements successifs de l’établissement, biographie des hommes célèbres qui y ont contribué par leur enseignement ou par leurs découvertes, histoire des recherches, des voyages, des applications utiles auxquels le Muséum a donné lieu, pour les arts, le commerce et l’agriculture, description des galeries, du jardin, des serres et de la ménagerie, Paris, Curmer, 1854 (BC MNHN 069.95 CAP).

205 D. DIDEROT, Encyclopédie ou dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers. Paris, Briasson, 1751-1765-1780 (BMG, A I 250).

206 N.-A. PLUCHE, Le Spectacle de la nature ou entretiens sur les particularités de l’histoire naturelle qui ont paru les plus propres à rendre les jeunes-gens curieux et à leur former l’esprit, Paris, Estienne et Desaint, 1772, en 7 vol. (BMG, F 9660).

207 A.-J. DEZALLIER D’ARGENVILLE, L’Histoire naturelle éclaircie dans deux de ses parties principales, la lithologie et la conchyliologie, dont l’une traite des pierres et l’autre des coquillages, Paris, De Bure, 1742 (BMG, A 2727).

histoire naturelle des coquilles de mer, d’eaux douces, terrestres et fossiles

contient un chapitre intitulé « De l'arrangement d'un Cabinet d'histoire naturelle »208. Le goût de l’histoire naturelle et des recherches scientifiques s’était répandu dans toute l’Europe et notamment en France pendant la deuxième partie du XVIIIe siècle. Les grands personnages et les gens du monde s’étaient convertis au culte des sciences. Les cabinets où s’amassaient leurs collections s’étaient multipliés. Dezallier d’Argenville en avait dressé la liste en 1742 : son fils la compléta en 1780 avec un chapitre intitulé « Des plus fameux Cabinets d’Histoire Naturelle qui sont en Europe »209. C’est dans cette édition que figura pour la première fois la mention du Cabinet d’histoire naturelle de Grenoble parmi les plus beaux cabinets de France et d’Europe :

Messieurs les Directeurs de la Bibliothèque publique établie depuis peu à Grenoble, ont fait arranger une salle, à la suite de la bibliothèque, qu’ils commencent à remplir de beaux morceaux d’histoire naturelle.

Sous la rubrique « Dauphiné », la Conchyliologie de Dezallier d’Argenville portait mention des six cabinets d’histoire naturelle que comptait la province, dont ceux de la Bibliothèque publique de Grenoble, de Raby l’Américain et de l’Abbaye de Saint-Antoine.

208 L’homonymie des deux auteurs permit à Antoine-Joseph Dezallier d’Argenville fils, auteur de l’édition de 1780, d’offrir une continuité à l’œuvre de son père : A. -J. DEZALLIER D’ARGENVILLE, « De l’arrangement d’un Cabinet d’histoire naturelle », in La Conchyliologie ou histoire naturelle des coquilles de mer, d’eau douce, terrestres et fossiles, ouvrage considérablement augmenté… 3e éd. …par MM de Favanne de Montcervelle père et fils, chapitre IX,Paris, De Bure, 1780 (BMG, A 2717).

209 A.-J. DEZALLIER D’ARGENVILLE, « Des plus fameux Cabinets d’histoire naturelle qui sont en Europe », in La Conchyliologie…, chapitre X, p. 291.

1 - LE CABINET ET LA VOLONTE D’AUTO-INSTRUCTION DES GRENOBLOIS

Daniel Roche a montré dans son ouvrage consacré aux académies et académiciens provinciaux à quel point la notion d’autonomie avait été déterminante dans la volonté d’une élite provinciale de créer une institution210. La notion d’autonomie s’accompagna à Grenoble d’une ambition démesurée pour mener à bien le projet de cabinet d’histoire naturelle. Nous nous efforcerons dans notre étude de repérer dans un premier temps toutes les manifestations que revêtit cette ambition. Dans un deuxième temps, nous apprécierons par le concret la portée de l’esprit général d’utilité qui sous-tendit le projet. Nous avons jusqu’ici retracé les origines du Cabinet d’histoire naturelle de Grenoble, en recherchant les institutions savantes qui l’avaient précédé puis en resituant le cabinet dans un ensemble scientifique plus vaste, afin de répondre à la question de savoir comment le cabinet d’histoire naturelle de Grenoble est-il né et quelles infrastructures savantes avaient accompagné sa naissance ? Le propos de ce deuxième chapitre sera de formuler une réponse sur les valeurs qui présidèrent à cette naissance, sur les hommes qui accomplirent cette tâche et sur les idées qui sous-tendirent leur projet. Quels moyens les Dauphinois mirent-ils en œuvre pour créer leur cabinet d’histoire naturelle ? De quelle façon se rendirent-ils autonomes ? De quelle idée philanthropique s’inspirait leur dessein ? Par l’étude des collections de deux bibliothèques grenobloises – la bibliothèque publique de Grenoble et une bibliothèque privée, celle de l’avocat Prunelle de Lière – nous tenterons d’apprécier l’engouement généralisé pour les sciences dans la seconde moitié du XVIIIe siècle et de mesurer la part exacte faite aux sciences naturelles à Grenoble.

210 D. ROCHE, Le Siècle des Lumières en province : académies et académiciens provinciaux 1680-1789, t. 1, Paris, E. H. E. S. S., p. 57-59.

1.1. Autonomie et ambition

L’appel à une souscription publique atteste, chez les Dauphinois de l’Ancien Régime, d’une formidable volonté d’autonomie non dénuée d’une certaine habileté, de force de persuasion et d’esprit combatif. Ils eurent par trois fois recours à une souscription : pour financer leur bibliothèque, pour aménager leur cabinet d’histoire naturelle et enfin pour installer leur jardin public de botanique, se dotant ainsi de façon autonome des institutions qu’ils appelaient de leurs vœux. S’appuyant sur leur environnement proche, ils recherchèrent des alliés auprès des personnalités administrant leur province, des prélats, des chapitres et des ordres religieux ; ils s’assurèrent l’aide de ministres, Dauphinois de souche ou ayant quelque influence à Versailles ; ils contactèrent enfin des négociants dauphinois. Nous allons traiter dans un développement ultérieur du rôle de la magistrature grenobloise et de l’ordre des avocats. Au premier rang se distingue l’aide constante apportée aux hommes comme aux institutions par les deux intendants, Pajot de Marcheval (dont il sera question un peu plus loin) et Caze de La Bove. Motivée par des goûts et des curiosités, cette aide se doublait, à n’en point douter, d’une volonté bien arrêtée de faire grandir le prestige de la province qui leur était confiée. L’intendant Caze de La Bove211, de par l’intérêt personnel qu’il portait aux sciences – il possédait à Paris son propre cabinet –, s’est ainsi trouvé au centre d’un réseau savant qu’il a lui-même activé. Une lettre du savant genevois Louis Jurine au père Ducros, au sujet de minéraux récemment découverts par Schreiber mais arrivés en Suisse endommagés, atteste du rôle joué par l’intendant lui-même dans le trafic de minéraux entre Grenoble avec Ducros et la Suisse avec Jurine. L’envoi de minéraux de Grenoble vers Jurine se fit à l’instigation de l’intendant Caze de La Bove, véritable promoteur des mines du Dauphiné qui fit connaître, par ses cadeaux adressés au principal cabinet de Genève, les récentes découvertes dauphinoises. Jurine écrivait :

Qu’il me soit permis, Monsieur, de vous dire naturellement et en Genevois, ma façon de penser sur les morceaux de mine et les cristallisations renfermées dans ladite caisse ; les dernières ont essuyé, par le cahotement de la voiture, des échecs irréparables, plusieurs

211 CAZE de LA BOVE (Gaspard-Louis) : dernier intendant du Dauphiné, de 1784 à 1790, protecteur des sciences, remarquable administrateur.

quilles de cristal de roche ont été cassées, d’autres très endommagées : pour les premiers qui sont les mines, je les aurais reçus tous avec un plaisir égal, si notre proximité de Grenoble, ne m’avait mis à même d’être pourvu de tout ce qui y a été découvert jusqu’à présent par vos brocanteurs : deux morceaux ont attiré essentiellement mon attention, le premier est le petit échantillon d’argent merde d’oie dont la mine vient d’être décrite dernièrement par Monsieur Schreiber ; le deuxième est le morceau du prétendu schorl blanc coloré par votre abondante terre argileuse verte ; la partie du premier échantillon où se trouvait quelques filets d’argent en végétation est rompue et brisée, ce qui m’a fait de la peine.

Si la partie minéralogique de mon Cabinet eut été commençante, je me serais fait un plaisir très grand d’y renfermer tout le cadeau de Monsieur de La Bove, mais depuis fort longtemps, je m’en occupe, non pour en faire parade, mais pour y renfermer des échantillons, petits à la vérité, mais très caractérisés, en un mot pour en faire un Cabinet d’étude ; je n’ai rien épargné pour me procurer les productions des différents pays en ce genre, soit par les marchands qui abondent, soit par mes relations dans l’Etranger. Si, sans indiscrétion, Monsieur et en profitant de vos offres généreuses, je pouvais espérer d’obtenir un autre petit échantillon de la même mine merde d’oie avec sa gangue, vous m’obligeriez infiniment ; s’il était possible d’y joindre une petite douzaine de cristaux de roche noire bien conservés et caractérisés, quoiqu’elle put coûter, le plaisir en deviendrait plus vif ; si vous pouvez réaliser mes désirs sur ces deux points, Monsieur, je vous demanderais la grâce de vouloir les bien envelopper de coton, afin de les recevoir dans toute leur intégrité212.

Il est cependant une autre aide, moins visible parce que plus pragmatique mais terriblement efficace, qui est à mettre à l’actif de l’intendant : la mise à disposition de son personnel d’intendance au service du cabinet de Grenoble, assurant, de fait, la promotion des savants grenoblois. Jourdan, son premier secrétaire, lui-même par ailleurs associé libre de l’Académie delphinale, participa souvent à l’acheminement de la correspondance, au transport du matériel scientifique ou des minéraux213. Ainsi, les caisses de minéraux que Ducros adressait aux différents cabinets parisiens, dont celui de Caze, furent-elles véhiculées par les soins de l’intendance214. Les livres empruntèrent le même circuit – tel le livre que le minéralogiste Sage offrit au père Ducros215, ainsi que

212 L. JURINE, Lettre du 22 mars 1786 à Ducros, op. cit., paragraphe 1.

213 JOURDAN, Lettre à Ducros, Grenoble, 17 janvier 1787(BMG, R 8709, Correspondance de la bibliothèque).

214 G.-L. CAZE de LA BOVE, Lettre à Ducros, Paris, 12 juin 1784 (BMG, R 8712, chemise 1).

215 SAGE (Balthazar-Georges, 1740-1824) : chimiste et minéralogiste, fondateur de l’Ecole des Mines.

les échanges épistolaires entre les deux savants216. Les catalogues de minéraux de Ducros aux minéralogistes parisiens passaient par ce canal également217. Dans son échange de correspondance avec le père Ducros, Madame de Quinsonas218, l’informait qu’elle utiliserait les services de Jourdan pour acheminer des colis destinés à Villars219. L’épouse de Caze de La Bove, qui tint souvent le secrétariat de l’intendant, entourait le père Ducros de ses soins et lui faisait des cadeaux – du papier pour décorer « son ermitage », tandis que l’intendant lui adressait du matériel de préparation – des flacons de phosphore220. Le cabinet bénéficia des services de la noblesse dauphinoise séjournant à Paris pour obtenir ses lettres patentes : les différents courriers de Caze et de Madame de Quinsonas de 1780 à 1789 attestent des efforts incessants déployés par l’intendant et par les Quinsonas pour obtenir l’octroi d’une existence légale à l’établissement de Grenoble. C’est grâce à l’entremise de Madame de Quinsonas auprès de l’Imprimerie Royale que la bibliothèque de Grenoble put bénéficier du privilège rare de dépôt légal, lequel permit d’acquérir pour l’étude au sein du cabinet, les livres de sciences que réclamait le père Ducros.

De la même façon, il faut insister sur le rôle fonctionnel des militaires, très présents dans les loges maçonniques du XVIIIe siècle, et dont les déplacements favorisèrent la circulation de l’information utile à la science221 : l’étude de la correspondance permet de comprendre que ce sont eux qui dépistaient les cabinets de curiosités des autres provinces, susceptibles de se mettre en relation avec le cabinet de Grenoble. Dûment mandatés avant leur départ par le cabinet de Grenoble, ils servaient de relais dans les échanges épistolaires. Une nouvelle fois, les courriers passaient ensuite par l’intendance, suivis des graines et des minéraux.

216 G.-L. CAZE de LA BOVE, Lettres à Ducros, s. l. [Paris ?], 26 mars 1785 et 11 mars 1786 (BMG, R 8712, chemise 1).

217 G.-L. CAZE de LA BOVE, Lettre à Ducros, s.l. [Paris], 19 février 1789 (BMG, R 8712, chemise 1).

218 CHAPONAY (Catherine Claudine de, 1746-1826) : naturaliste amateur, issue d’une vieille famille de l’aristocratie dauphinoise, elle épousa le marquis de Quinsonas ; elle vécut dans son château de Mérieu près de Lyon, propriété des Quinsonas, mais aussi à Grenoble et dans leur hôtel particulier de Paris.

219 C. de CHAPONAY-QUINSONAS, Lettre à Ducros, Paris, 10 février 1780 (BMG, R 8712, chemise 1).

220 G.-L. CAZE de LA BOVE, Lettre du 19 février 1789 à Ducros, op. cit., dernier paragraphe.

221 Le nom de M. de Planta, officier de cavalerie et vénérable de la Sagesse à Valence, est cité dans la correspondance de Ducros pour avoir transporté une liste de plantes de Grenoble pour le Jardin Botanique de Strasbourg (BMG, R. 8712, chemise 1, DU PUGET, 27 avril 1777).

Trois lettres de l’artilleur Du Puget en Alsace à Ducros attestent de la rapidité et de l’efficacité des échanges : à la demande du cabinet de Grenoble – les directeurs de Sauzin, de Sayves et le minéralogiste Binelli – le militaire repérait en avril 1777 les cabinets dignes et susceptibles de faire des échanges avec Grenoble – en l’occurrence les cabinets de M. d’Autigny, prêteur royal, et du baron Dietrich à Strasbourg ; en juin 1777 les listes des doubles à échanger dans les collections des mines d’Alsace et celles du Dauphiné étaient établies et en septembre, les échanges étaient conclus. Grenoble procéda également, par l’intermédiaire du militaire, à l’envoi de graines du jardinier Liotard pour le botaniste Spielmann, professeur au Jardin de botanique de Strasbourg222. Les militaires se chargèrent parfois d’acheminer fort loin la correspondance destinée aux associés libres de l’Académie delphinale résidant dans les colonies, comme celle pour M. de Genton, correspondance expédiée dans les bagages d’un militaire en partance pour les Antilles223. Dans le même esprit, les fondateurs du cabinet de Grenoble se servirent de l’expérience acquise par les négociants dauphinois dans leurs affaires pour bâtir un projet. Ils récupérèrent aussi les collections que ceux-ci avaient rassemblées lors de leurs voyages. Les archives ont livré comme on l’a vu le cas de Raby l’Américain qui devint l’un des douze premiers directeurs de la bibliothèque. Les textes qui conduisirent à la création du cabinet d’histoire naturelle de Grenoble s’inspirèrent de son expérience. Le cabinet reçut son empreinte par le legs qu’il lui fit en 1781, reflet de ses voyages lointains.

Dès 1772, les principaux ordres religieux de la province, dont les Antonins, les Chartreux et les Dominicains participèrent à la souscription de la bibliothèque. Simonard, député de l’ordre de Saint-Antoine, compta aussi parmi les premiers directeurs de la Bibliothèque. En 1777, il exposa en séance le vœu du chapitre général de l’ordre pour que le cabinet d’histoire naturelle qui leur appartenait soit réuni à la bibliothèque et au cabinet d’histoire naturelle de Grenoble. Rassuré sur ce qu’il était advenu du cabinet de curiosités des Antonins, il exprimait en 1786 sa satisfaction dans sa correspondance au père Ducros :

222 E.-J.-A. DU PUGET, Lettres de Edme-Jean-Antoine Du Puget d’Orval, artilleur, à Ducros,

Strasbourg, avril-juin-septembre 1777 (BMG, R 8712, chemise 1)

223 C.-H., comte de LA LUZERNE, Lettre pour de Genton, officier au Cap français, Saint-Domingue, aux directeurs de la bibliothèque publique, Paris, 16 avril 1790 (BMG, R 8709, Correspondance de l’Académie delphinale).

J’aurai la satisfaction de voir cette nombreuse collection de laves ainsi que le prolongement du cabinet de physique et d’histoire naturelle où l’intelligence et le bon goût se font remarquer dans l’ordonnance des décorations et dans l’arrangement des richesses que l’on y a rassemblées224.

Pour donner plus de chance à leur projet, les Grenoblois avaient déjà adressé pour leur bibliothèque une lettre circulaire à toutes les personnes de la province susceptibles de concourir « à l’établissement si utile de la Bibliothèque publique » : ils avaient obtenu le soutien de plusieurs évêques – l’archevêque d’Embrun ayant donné 800 livres225. Ils avaient obtenu l’aide de M. de Clermont-Tonnerre226, commandant la province, lequel avait été invité à visiter l’établissement227, et de M. de Monteynard228, alors ministre de la guerre :

Un projet aussi utile mérite à tous égards, l’approbation et la protection du roi. On ne peut que louer les vues patriotiques qui vous ont engagé à y donner vos soins ; je proposerai avec plaisir à sa Majesté d’encourager les efforts des souscripteurs, en autorisant cet établissement ; et je vais me faire rendre compte de la forme qu’il conviendra d’employer

Documents relatifs