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« Savoir s’étonner à propos est le premier

pas fait sur la route de la découverte »

Louis Pasteur

N

OUSavons vu que le champ de pesanteur mesuré sur la surface topo-graphique restitue de façon préférentielle les plus courtes longueurs d’onde (cf Chap. 3, Sec. 3.3, p. 58), ce qui conduit tout naturellement à son utilisation dans l’interprétation géophysique. Plus précisément, l’amplitude et les variations du champ de pesanteur sont reliées à la distribution de la densité dans les structures de l’écorce terrestre, qui rend compte à la fois des valeurs de la densité et des dimensions de structures.

L’interprétation du champ de pesanteur s’effectue essentiellement sur des anomalies de gravité. Aussi, ce chapitre expose les modèles géophysiques fondamentaux qui sous-tendent l’utilisation des anomalies de gravité en géophysique. Les modèles présentés sont délibérément exprimés dans leurs versions les plus simples, pour ne pas privilégier les développements ma-thématiques aux dépens des conclusions sur la physique des phénomènes. L’essentiel des éléments qui ont servi à l’élaboration de ce chapitre sont tirés de WAHR(1996) et TURCOTTEet SCHUBERT(2014).

4.1. Anomalies de gravité observables en surface 65

4.1 Anomalies de gravité observables en surface

Nous supposerons dorénavant que tout point P de l’espace peut être repéré par ses co-ordonnées géographiques dans un système de référence comportant un ellipsoïde de révolu-tion équipotentiel E0. Les coordonnées géographiques comportent (Fig. 4.1) :

— la longitude λ identique à celle définie pour les coordonnées sphériques;

— la latitude géographique ϕ qui mesure l’angle formé, dans le plan méridien passant par P, par la normale à l’ellipsoïde E0passant par P et la droite d’intersection du plan méridien et du plan équatorial;

— la hauteur h mesurée le long de la normale à l’ellipsoïde E0passant par P, depuis la surface de l’ellipsoïde jusqu’au point P.

FIGURE 4.1 –Définition des coordonnées géographiques d’un point P : longitude (λ), latitude (ϕ) et hauteur au-dessus de l’ellipsoïde (h). Les grandeurs a et b représentent respectivement le demi-grand axe et le demi-petit axe de l’ellipsoïde équipotentiel E0.

Les relations liant les coordonnées cartésiennes et géographiques du point P s’expriment par :    X = -N (ϕ) + h.cosϕ cosλ Y = -N (ϕ) + h.cosϕ sinλ Z = -N (ϕ)(1 − e2) + h.sinϕ , (4.1)

où e désigne la première excentricité de l’ellipsoïde E0définie à partir de son demi-grand axe a et son demi-petit axe b par :

e = !

a2− b2

66 Chapitre 4. Gravimétrie et Terre solide

et N (ϕ) est le rayon de courbure de la section normale orthogonale défini par :

N (ϕ) = $ a

1 − e2sin2ϕ

. (4.3)

Nous envisageons dans ce qui suit les seules variations spatiales de la pesanteur supposée constante dans le temps. La prise en compte des phénomènes dynamiques induisant des variations temporelles sera étudiée dans la section 4.3. Dans ce cas, la pesanteur en surface varie notamment de par les changements de niveaux qui équivalent à des rapprochements ou des éloignements des sources gravitationnelles. Pour prendre en compte cet effet non lié directement aux variations de densité, il convient d’utiliser les anomalies dites à l’air libre. Si H désigne l’altitude du point P et gobsla valeur de la pesanteur en P, l’anomalie à l’air libre en ce point ∆ gFAs’exprime par :

gFA(λ, ϕ) = gobs− γ0(ϕ) − H ∂hγ+ δ gA, (4.4) où γ0(ϕ) désigne la valeur de la pesanteur normale sur l’ellipsoïde à la base de la normale à E0passant par P, ∂hγ, le gradient normal de la pesanteur normale dont la valeur usuelle est 0,3086 mGal/m, et δ gAun terme correctif dû à l’atmosphère. Plus précisément, l’addition de la quantité δ gAà la pesanteur mesurée, dispense du calcul direct de l’effet des masses atmo-sphériques, ces dernières étant justement ramenées par ce calcul en dessous du géoïde. Le terme δ gAest positif et décroît avec l’altitude du point de mesure; il n’excède pas 0,87 mGal (MORITZ, 2000).

L’utilisation de l’altitude H à la place de la hauteur h dans le calcul de l’effet lié au gradient vertical de la pesanteur mérite quelques explications. Stricto sensu, la pesanteur normale au point P à une hauteur h au-dessus de l’ellipsoïde E0s’exprime en ajoutant à la pesan-teur normale sur le géoïde γ0(θ), la quantité négative h ∂hγ. Ce n’est donc pas la pesanteur normale au point P qui est utilisée dans l’expression de l’anomalie à l’air libre, mais celle calculée en un point Psituée à une hauteur H au-dessus de l’ellipsoïde E0. Le point Pest tel que la différence de potentiel de pesanteur entre ce dernier et la surface de l’ellipsoïde le long de la ligne de force du champ normal, égale celle mesurée entre le point P et le géoïde le long de la ligne de force du champ réel. Cette propriété est parfaitement respectée lorsque H correspond à l’altitude normale du point P. Ainsi, l’anomalie à l’air libre mesure-t-elle une différence entre le champ réel et le champ normal entre deux points de même potentiel, qui sont nécessairement distincts puisque leurs surfaces de référence respectives – géoïde et el-lipsoïde – le sont.

L’anomalie à l’air libre mesure donc l’écart de la pesanteur observée en surface par rap-port à un modèle de la Terre au degré 2. Cette dernière apparaît généralement corrélée à la topographie, qui est le siège le plus superficiel de variations latérales de la densité.

Une première décorrélation s’opère en utilisant l’anomalie de Bouguer simple qui est ob-tenue en retranchant de l’anomalie à l’air libre, l’effet d’un plateau de matière infini, d’épais-seur H dont la densité ρ supposée constante, est choisie égale à la densité moyenne des roches superficielles, usuellement 2,67 gcm−3. L’anomalie de Bouguer simple ∆ gBS s’ex-prime donc par :

4.1. Anomalies de gravité observables en surface 67

La quantité 2πG ρ est le gradient normal de l’effet gravitationnel au-dessus du plateau. Sa valeur constante égale à 0,1119 mGal/m est égale environ au tiers du gradient normal de la pesanteur normale ∂hγ.

Le calcul de cette anomalie sur les océans doit tenir compte de ce que la matière com-prise entre la surface moyenne des océans, c’est-à-dire le géoïde, et la surface topographique sous-marine, est de l’eau de densité ρw. L’effet de plateau peut alors être calculé en considé-rant qu’il résulte :

— du retrait de la matière rocheuse de densité ρ, depuis le géoïde jusqu’à la profondeur (−H), puisque H < 0 sous les océans; d’où une contribution égale à −2πG ρ (−H);

— de l’ajout d’eau entre le géoïde et la profondeur (−H), d’où la contribution 2πG ρw(−H).

L’effet de plateau qui en résulte s’obtient en effectuant la somme des deux contributions, soit :

2πG ρw(−H) +-−2πG ρ (−H).= 2πG-ρ− ρw. H. L’anomalie de Bouguer simple sur les océans se calcule donc par :

gBS(λ, ϕ) = ∆gFA(λ, ϕ) − 2πG-ρ− ρw.

H. (4.6)

De nombreuses relations supplémentaires permettent de calculer l’anomalie de Bouguer simple dans différents contextes de mesure selon la position du point de mesure – sous-terrain, sous-marin et en fond de mer, sur un glacier, à la surface et au fond d’un lac, aéro-porté – (NGA, 2008).

Le calcul de l’effet gravitationnel de la matière située entre le géoïde et la surface topo-graphique peut être largement amélioré par l’utilisation d’un Modèle Numérique de Terrain (M.N.T.) décrivant les structures topographiques. La démarche consiste à décomposer ce volume de matière en éléments de masse simples tels des parallélépipèdes ou des prismes, dont les dimensions horizontales coïncident avec le pas d’échantillonnage du M.N.T. L’effet gravitationnel en un point est alors obtenu en sommant les effets individuels des éléments de masse qui l’entourent, jusqu’à ce que les contributions des éléments de masse deviennent négligeables comparés à l’incertitude des mesures gravimétriques. L’effet de terrain gETqui résulte de ce calcul donne une image beaucoup plus fidèle de la réalité des effets gravita-tionnels causés par la topographie. Les éléments de masse utilisés pour le calcul de l’effet de terrain sont en général supposés de densité constante égale à ρ sur les terres émergées et (ρ − ρw) sur les océans. Étant donné l’effet de terrain gET(P) calculé au point P, l’anomalie de Bouguer dite complète (Fig. 4.2) s’exprime par :

gBC(λ, ϕ) = ∆gFA(λ, ϕ) − gET(P). (4.7) De par la prise en compte de l’effet du terrain, les anomalies de Bouguer apparaissent plus faiblement corrélées à la topographie (Fig. 4.3, p. 69), notamment pour les courtes lon-gueurs d’onde inférieures à quelques dizaines de kilomètres. En revanche, au-delà de 100 km de longueur d’onde, une surprenante anti-corrélation s’établit entre les anomalies de Bouguer et la topographie, autrement dit, la corrélation de l’anomalie à l’air libre avec la to-pographie s’estompe pour les grandes longueurs d’onde de la toto-pographie. Ce phénomène est dû aux effets gravitationnels des distributions de densité induites par les structures de l’écorce terrestre jusqu’à 350 - 400 km de profondeur, ce que nous allons expliquer à pré-sent.

68 Chapitre 4. Gravimétrie et Terre solide

FIGURE4.2 –Carte de l’anomalie de Bouguer complète publiée dans le cadre du projet WGM2012 (BONVALOT et al., 2012) par le BGI. Les anomalies positives les plus élevées sont localisées sur les océans de par la forte contribution positive de l’effet de plateau (2πG (ρ − ρw) H avec H < 0). À l’in-verse, les anomalies fortement négatives de cette carte se situent au niveau de la chaîne himalayenne de laquelle elles débordent très largement.

4.1. Anomalies de gravité observables en surface 69

La méthodes de calcul des anomalies de gravité et leur interprétation font encore l’objet de nombreuses recherches relatées dans une abondante littérature scientifique (FEATHERS -TONEet DENTITH, 1997, HACKNEYet FEATHERSTONE, 2003, HINZEet al., 2005, KUHNet al., 2009, LI et GÖTZE, 2001, NGA, 2008). Récemment, le BGI a publié des cartes mondiales des anomalies de gravité dans le cadre d’un projet baptisé « World Gravity Map » (BONVA -LOT et al., 2012). La méthode originale de calcul des effets de terrain a mis en jeu les tous derniers raffinements en matière de calcul numérique des décompositions en harmoniques sphériques (BALMINOet al., 2012). Pour l’occasion, des développements jusqu’au degré har-monique 10 800 ont été utilisés correspondant à une résolution spatiale (demi plus courte longueur d’onde) de 1,9 km. Ces travaux montrent tout le dynamisme des recherches encore menées aujourd’hui et suscitées par la puissance des calculateurs numériques actuels.

FIGURE4.3 –Carte de la topographie mondiale 1’×1’ d’après le modèle ETOPO1 (AMANTEet EAKINS, 2009). Ce modèle a été utilisé pour le calcul des effets de terrain en vue de la détermination de l’ano-malie de Bouguer complète WGM2012 (BONVALOTet al., 2012) par le BGI (cf Fig. 4.2).

70 Chapitre 4. Gravimétrie et Terre solide

4.2 Géophysique de la lithosphère

FIGURE 4.4 – Structure interne de la Terre vue par la sismologie.Droits réservés ©Pierre-André Bourque, université de Laval, Québec.

L’essentiel de notre connaissance des grandes structures de l’écorce terrestre provient de la sis-mologie (cf Fig. 4.4). Les vitesses de propaga-tion des ondes acoustiques dans l’écorce ter-restre sont liées à la densité des roches, de sorte qu’il est possible de déduire des modèles de la distribution de densités à partir de la me-sure des distributions de vitesses. Nous allons retenir seulement deux découpages classiques de la partie superficielle de l’écorce terrestre en croûte/manteau et lithosphère/asthénosphère, qui permettent d’interpréter les anomalies de Bouguer.

La croûte définie dans le premier découpage, s’étend depuis la surface topographique jusqu’à une zone de discontinuité de la vitesse de ci-saillement, appelée discontinuité de Mohoroviˇci´c ou plus simplement Moho. Cette limite sépare la croûte du manteau qui comporte des roches de

composition chimique différente de celles de la croûte, et également plus denses. En admet-tant que le comportement du manteau sur le long terme puisse être assimilé à celui d’un fluide, la structure de la croûte peut être décrite comme celle d’un solide reposant sur un liquide plus dense en équilibre hydrostatique. Toute augmentation de volume de la croûte depuis la surface, telle la présence d’un relief, doit alors être compensée par une augmenta-tion de volume à sa base, telle une racine, dans le manteau. Ce constat est à l’origine de la théorie de l’isostasie. Ainsi, les effets gravitationnels de grandes longueurs d’onde (> 100 km) de la topographie seraient-ils amoindris par les contrastes négatifs de densité induits par l’épaississement de la croûte sous les reliefs. Nous examinons ci-après les effets de l’isostasie pour expliquer les anomalies de surface.

La séparation entre la lithosphère et l’asthénosphère tient plus au comportement rhéo-logique des matériaux. En effet, la lithosphère apparaît comme la couche limite des phéno-mènes de convection, refroidie par rayonnement dans l’atmosphère, dont le comportement rhéologique est devenu cassant sur de longues périodes de temps. L’épaisseur de la litho-sphère varie sur la Terre où elle dépasse 50 km sous les continents et est inférieure à 50 km sous les océans. En comparaison, l’épaisseur de la croûte oscille seulement entre le quart et la moitié de celle de la lithosphère. Du point de vue de la densité, la lithosphère plus froide que l’asthénosphère est aussi légèrement plus dense. Elle est donc irrémédiablement ame-née à disparaître dans l’asthénosphère du fait de l’attraction gravitationnelle, chose qui se produit dans les zones de subduction. Si le maintien de la topographie ne peut plus s’inter-préter comme résultant d’un équilibre hydrostatique, c’est que la lithosphère doit pouvoir opposer aux charges constituées par les reliefs, des contraintes mécaniques d’une autre na-ture, telles des contraintes élastiques. Les effets de la flexion élastique de la lithosphère, consi-dérée comme une plaque mince, sous la charge des reliefs, est envisagée du point de vue de ses effets gravitationnels ci-après.

4.2. Géophysique de la lithosphère 71

4.2.1 Effets de l’isostasie

4.2.1.1 Le modèle de compensation d’Airy

FIGURE 4.5 – Compensation isosta-tique selon le modèle d’Airy. La croûte est la couche d’épaisseur ec.

Un premier modèle d’isostasie est dû à l’astro-nome britannique Sir George Biddell Airy (1801 – 1892). Ce modèle repose sur deux hypothèses simpli-ficatrices :

1. le manteau de la Terre se comporte comme un fluide à longue période de temps;

2. la croûte est morcelée sous l’effet des charges de grande longueur d’onde exercées par la to-pographie; ces « morceaux » de croûte sont maintenus en équilibre grâce à la poussée d’Archimède exercée par le manteau.

Considérons une colonne verticale de matière prélevée dans la croûte (Fig. 4.5). Soient ρc et ρm les densités respectives de la croûte et du manteau, et soient ht la hauteur de la topographie au-dessus de la croûte, et pr la profondeur de la racine mesurée

de-puis la base de la croûte. En supposant la gravité uniforme, l’équilibre hydrostatique de la colonne repose sur la compensation de la surcharge due à la topographie et la racine par la poussée d’Archimède exercée par le manteau. La relation d’équilibre s’écrit alors :

ρc

-ht + pr.

S g = ρmprS g , (4.8)

où S désigne l’aire de la base de la colonne et g l’accélération gravitationnelle.

Après simplification, l’équation 4.8 fournit une relation entre la profondeur de la racine pr

et la hauteur de la topographie ht :

pr = ρc

ρm− ρc ht. (4.9)

À partir des valeurs usuelles de la densité de la croûte et manteau - ρc ∼ 2000 à 3000 kgm−3 - et du contraste de densité croûte/manteau - ρm − ρc ∼ 400 à 700 kgm−3 -, la relation 4.8 permet d’estimer la profondeur pr entre 3 et 8 fois la hauteur ht.

La relation 4.9 possède une interprétation différente qui apparaît en multipliant chacun de ses membres par 2πG, ce qui donne :

2πG ρcht = 2πG-ρm− ρc.

pr ⇒ 2πG ρcht + 2πG-ρc− ρm. = 0.

Ainsi, l’effet de plateau dû à la topographie 2πG ρcht apparaît-il comme complètement compensé par celui dû à la racine 2πG-ρc− ρm.

. Cette compensation résulte du contraste négatif de densité - ρc − ρm < 0 - causé par la racine de croûte prolongée dans le manteau. Ce modèle prévoit donc une décorrélation de l’anomalie à l’air libre avec les masses topo-graphiques concernées par la compensation isostatique et à l’inverse, l’apparition de cor-rélations avec les racines de ces mêmes masses dans l’anomalie de Bouguer. L’assimilation de l’effet gravitationnel de la topographie et de ses racines à celui d’un plateau infini consti-tue une approximation du premier ordre, si bien que les (dé)corrélations des anomalies de gravité avec la topographie sont nécessairement partielles.

72 Chapitre 4. Gravimétrie et Terre solide

4.2.1.2 Le modèle de compensation de Pratt

En supposant une épaisseur de croûte en l’absence de topographie égale à ec, la masse de la colonne de croûte considérée au §4.2.1.1 est donnée par : ρc

-ht + ec + pr.

S. En utilisant la condition d’équilibre 4.8, il vient :

ρc

-ht + ec + pr.

S = ρcecS + ρmprS. (4.10)

FIGURE 4.6 – Compensation isosta-tique selon le modèle de Pratt.

Cette relation traduit l’égalité des masses de deux colonnes de matière comportant croûte et man-teau et ayant même section et même profondeur dans le cas où la compensation d’Airy est réalisée. Un deuxième modèle de compensation proposé par John Henry Pratt (1809 – 1871), respecte cette pro-priété à la différence près qu’il suppose que ce sont des variations latérales de densité de colonnes de croûte d’égale profondeur qui permettent l’égalité de leur masse (Fig. 4.6). Dans ce modèle, les masses to-pographiques seraient supportées par une croûte de moindre densité et non pas par une croûte épaissie.

Soit ρh la densité d’une colonne de croûte sup-portant une masse topographique de hauteur ht

(Fig. 4.6). La condition de compensation de Pratt s’écrit alors :

ρcecS = ρh(ec + ht) S, (4.11) d’où il résulte

ρh = e ec

c + ht ρc. (4.12)

La densité sous la topographie est donc plus faible. En supposant une épaisseur de la croûte égale à 30 km et une topographie de hauteur maximale égale à 8 km, le facteur multiplicatif

ec

ec+h varie entre 79 et 100 %. La diminution de densité peut donc atteindre 21 % ce qui situe-rait les densités sous les plus hautes montagnes entre 1 600 et 2 400 kgm−3.

En outre, les effets de plateau ne varient pas entre deux colonnes successives puisque, d’après la relation 4.12 :

2πG ρh(ec + ht) = 2πG ρcec.

Ainsi, comme dans le cas de la compensation d’Airy, le modèle de Pratt prédit-il une décor-rélation entre l’anomalie à l’air libre et la topographie avec le même ordre d’approximation. Plus précisément, la relation précédente traduit l’uniformité de la masse par unité de sur-face de la croûte en cas d’équilibre isostatique, qui se répercute directement sur l’anomalie à l’air libre. Au premier ordre, les modèles d’Airy et de Pratt prédisent donc les mêmes effets sur les anomalies de gravité. Le premier est plus adapté aux régions dans lesquelles la topo-graphie apparaît comme une charge sur la croûte, le second rend compte des reliefs issus de la dilatation ou la contraction thermiques de la croûte ou du manteau, qui entraînent des variations latérales de densité.

4.2. Géophysique de la lithosphère 73

Il convient de noter également que le modèle de Pratt n’implique pas nécessairement l’uniformité de la densité dans chaque colonne de croûte, de sorte que la relation 4.11 est encore valable avec les densités moyennes de chaque colonne. De ce point de vue, le mo-dèle de Pratt est plus raffiné.

Un troisième modèle de compensation développé par le géodésien finlandais Heiska-nen1, constitue un compromis entre les modèles d’Airy et de Pratt. Ce modèle suppose que les deux tiers environ de la topographie est compensée par la formation de racines et un tiers par la croûte terrestre au-dessus de la limite croûte/manteau. Dans tous les cas, le respect de l’équilibre isostatique de la croûte entraîne l’apparition de contrastes latéraux de densité dont l’effet gravitationnel s’apparente à celui de l’effet de terrain. En retranchant cet effet de l’anomalie à l’air libre, il résulte une nouvelle anomalie de gravité dite isostatique (Fig. 4.7 ), qui rend compte de l’écart entre la pesanteur réelle et celle obtenue en supposant une compensation isostatique parfaite de la croûte.

FIGURE4.7 –Carte de l’anomalie isostatique publiée dans le cadre du projet WGM2012 (BONVALOT

et al., 2012) par le BGI.

Carte produite à l’aide du logiciel GMT.

74 Chapitre 4. Gravimétrie et Terre solide

L’étude des corrélations entre l’anomalie à l’air libre et l’anomalie isostatique avec la to-pographie a permis d’estimer la profondeur de la limite croûte/manteau à 10 km sous les océans et 50 km sous les continents. Ces estimations sont tout à fait compatibles avec celles données par la sismologie – 5 à 15 km sous les océans et 30 à 60 km sous les continents –. Les modèles de compensation isostatique semblent donc pertinents pour expliquer la structure

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