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Nous nous questionnons sur la place des grands-parents au sein de la parenté et leur rôle dans les solidarités familiales. Nous nous référons principalement aux travaux de Martine Segalen et Claudine Attias-Donfut.

Martine Segalen et Agnès Martial écrivent : « de nouvelles figures parentales émergent, celles des grands-parents ; en meilleure forme que jamais, ils offrent leur aide et fournissent des repères à des familles déstabilisées. Si la famille d’autrefois était horizontale, s’appuyant sur les liens de germanité et la parentèle des cousins, des oncles et des tantes, la famille d’aujourd’hui est verticale, s’articulant autour des générations qui sont coprésentes, sur trois, parfois quatre générations… et même cinq générations » (Segalen & Martial, 2014, p. 262).

Comme pour les solidarités familiales, les grands-parents ont été un objet tardif de la sociologie. Ils sont les « grands oubliés » comme l’expliquent Claudine Attias-Donfut et Martine Segalen. Dans sa thèse Vincent Gourdon parle, non pas d’un renouveau, mais d’un changement de regard quant aux figures grand-parentales. En effet, les grands-parents ont toujours été présents au sein des familles, mais une transformation s’opère, notamment avec l’allongement de la durée de vie. L’image du vieillard dépendant et malade disparaît pour laisser place à celle des grands-parents actifs et dynamiques. Les auteurs s’accordent à dire qu’être grands-parents aujourd’hui comprend deux temps : une grand-parenté jeune (entre 50-75 ans) et une grand-parenté vieille (après 75 ans). A ces deux temps correspondent des grands-parents différents. Ce changement d’image s’accompagne d’une transformation des rôles. Quelles sont les nouvelles figures des grands- parents ?

Devenir!grandsHparents!

La naissance d’un enfant au sein d’une famille transforme les places de chacun. Le parent devient l’adulte, ses propres parents acquièrent le statut de grands-parents. Pour certains, l’entrée dans la grand-parentalité signifie un chevauchement des rôles de parents et de grands-parents. La question du « bon âge », ni trop jeune, ni trop vieux, se pose. L’importance du premier petit-enfant est soulignée. Le chevauchement est aussi possible lorsque les grands-parents procurent des soins à la fois aux petits-enfants et aux arrière-grands-parents.

La place du grand-parent à l’arrivée de l’enfant est donc nouvelle au sein de sa parenté. Pour éviter des confusions entre les places de chacun, les grands-parents sont nommés autrement. L’anthropologie, notamment avec Claude Lévi-Strauss, nous a appris l’importance de la dénomination comme marqueur identitaire. Claudine Attias-Donfut et Martine Segalen reprennent ces apports et s’intéressent à la façon de nommer les grands-parents. Elles montrent ainsi que la dénomination des grands-parents marque l’âge, la place et les relations dans la parenté, l’affectivité, la personnalité et l’appartenance sociale.

La dénomination est le plus souvent choisie par les grands-parents eux-mêmes. La dénomination est avant tout la marque de familiarité et exprime la dimension affective de la relation intergénérationnelle. Les deux auteurs notent que néanmoins l’importance de l’appartenance

sociale dans le choix des mots. Par exemple, les termes mémère/pépère s’emploient davantage chez les agriculteurs, mamie/papi s’entend davantage dans les familles de cadres supérieurs. Claudine Attias-Donfut et Martine Segalen estiment que la diversité dans les dénominations reflète la diversité dans les figures de grands-parents et des relations entretenues.

Styles!grandsHparentaux!

De nombreux chercheurs s’accordent en effet sur la diversité des figures des grands-parents. Certains proposent des typologies, qui ne sont en rien figées et qui peuvent se chevaucher. L’étude pionnière en 1964 de Bernice Neugarter et Karol Weinstein est celle la plus citée quand il s’agit de parler de styles grands-parentaux. Elles dégagent cinq styles : les grands-parents « formels », « éloignés », « réservoirs de sagesse », « ludiques » et « parents de substitution »5. Leur typologie s’étend des grands-parents portant peu d’intérêt à leurs petits-enfants et n’ayant que de rares contacts, aux grands-parents qui remplacent les parents. Même si ces analyses apparaissent comme relativement figées, elles inspirent toujours des études qui tentent une typologie.

Claudine Attias-Donfut et Martine Segalen remarquent, selon les propos des grands-parents enquêtés, que les styles grands-parentaux se sont transformés. En comparaison avec la génération précédente, elles constatent une proximité affective nouvelle et des relations plus ludiques. Les différentes études s’accordent sur la seconde place des grands-parents dans l’éducation de l’enfant. Leur rôle est secondaire, en tension entre leurs désirs et les demandes de leurs enfants. Comme les décrivent Claudine Attias-Donfut et Martine Segalen, les grands-parents peuvent ainsi « refuser de s’engager », « répondre présents à l’appel » ou être « réparateurs ». Ces deux derniers termes font référence aux grands-parents qui assurent un soutien auprès de leur enfant. Le plus souvent, il s’agit de garder les petits-enfants de manière plus ou moins quotidienne. Des grands-parents, surtout des grands-mères, assurent une fonction para-parentale en cas de crise familiale ou pour permettre à la mère d’avoir une vie professionnelle. On retrouve ici une des fonctions des solidarités familiales, protéger ou insérer.

Les relations intergénérationnelles ne sont cependant pas sans conflit. C’est justement autour des questions éducatives qu’ils se cristallisent. Dans certaines situations, les grands-parents peuvent être tentés de contrôler, de « réparer », l’éducation donnée à leur petit-enfant, ce qui engendre des conflits entre générations et entre lignées. Dans l’une des enquêtes menées par Claudine Attias- Donfut et Martine Segalen, 32% des grands-mères disent être en désaccord avec l’éducation donnée à leur petit-enfant. Il apparaît que certains parents se saisissent des problèmes éducatifs pour façonner les grands-parents et imposer leur style. En ce qui concerne les contrastes entre les lignées, les auteurs situent les relations entre concurrence et complémentarité. Ils parlent d’une « compétition souterraine » (p. 144) entre les grands-parents de lignées différentes. La disponibilité et l’engagement sont en jeu. Les relations grands-parentales dépendent à la fois des relations entre les grands-parents et leur enfant ainsi que de la proximité géographique et sociale des familles. Claudine Attias-Donfut et Martine Segalen constatent donc que le rôle des grands-parents est activé par les parents. Elles soulignent que 61 % des grands-parents gardent leur petit-enfant quand les parents sont inactifs et que seulement 37 % quand les deux parents sont actifs.

Comme pour les solidarités familiales, la place des femmes est décrite comme centrale par les divers chercheurs. La garde des enfants par exemple est exprimée comme « une affaire de

femmes ». Mais le moment de la grand-parentalité peut être celui où les grands-pères s’investissent dans un nouveau rôle. Même si cet investissement est relatif, il facilite le rôle des grands-mères, notamment quand il s’agit de garder plusieurs petits-enfants.