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4 – Une plus grande utilisation du langage (explicitation)

Bien que les pratiques de remédiation cognitive se réclament d’un héritage piagétien, elles se caractérisent par l’attention particulière qu’elles portent au langage. Ainsi, pour Karmiloff-Smith (1981), « Piaget a de façon injustifiée relégué le langage à un rôle secondaire et de ce fait sous-estimé son importance comme objet de l’attention cognitive (…) sous-estimé donc le langage comme facteur constructif du développement » (p. 21). Pour les partisans du socioconstructivisme, le langage participe de la construction même de la pensée ; ainsi le langage égocentrique est l’instrument essentiel de l’autorégulation. Au cours des ateliers, nous avons systématiquement invité les élèves à ré-extérioriser ce langage interne, en

les incitant à expliciter leurs procédures. En effet, l’ensemble de notre dispositif tendait à contrarier la tendance spontanée des élèves à l’action immédiate et à la réponse évidente, en favorisant la réflexion et l’explicitation : « présentation du matériel, prise d’information individuelle, anticipation du but à atteindre, mise en commun des informations recueillies, représentation collective du problème à traiter, contrôle des stratégies en cours de résolution, vérification, évaluation et énonciation d’une règle générale » (Cèbe, 2011 p. 5). Cependant, pour certains élèves, la participation à notre dispositif n’a pas permis de développer une plus grande utilisation du langage dans un objectif d’explicitation.

A., Groupe Conceptualisation 2

A. est une jeune fille dont les développements physique et psychique semblent en décalage car, malgré sa grande taille, elle parait extrêmement immature. Elle est décrite par ses enseignants comme une jeune fille au comportement et à l’humeur labiles. Ils soulignent une fluctuation, ainsi qu’une sélectivité de ses investissements en fonction des matières. Et bien qu’étant capable de bonne volonté, celle-ci peut avoir une attitude vis-à-vis de ses camarades et des enseignants frôlant l’irrespect. Ses résultats au premier trimestre sont le reflet de ces appréciations car, très bons dans certaines matières, ils peuvent être ailleurs très en deçà de la moyenne. Enfin ses moyennes en français chutent considérablement entre le premier et le troisième trimestre.

Dès les premières des séances, nous observons un comportement semblable, c’est-à-dire une attitude variable, tant vis-à-vis des tâches proposées que du groupe, ce qui l’empêche d’investir pleinement le dispositif. S’opposant systématiquement au cadre proposé, nous devons régulièrement réactiver une relation de confiance. Par ailleurs, elle tend à pointer les erreurs et difficultés de ses camarades. Cette attitude, qui semble masquer une faible estime d’elle-même, l’empêche d’entrer dans un réel travail métacognitif et la maintient dans une motivation extrinsèque. Ainsi, les phases de travail spécifique sur la métacognition ont révélé de grandes difficultés quant à la capacité d’A. à formuler et expliciter ses procédures et ses états émotionnels. Ainsi, nous n’avons pu, faute d’analyse clinique plus approfondie, déterminer l’origine de cette difficulté : dispose-t-elle d’un bagage lexical trop pauvre pour pouvoir mettre des mots sur ses sentiments et ses processus cognitifs, ou est-ce lié à manque d’implication réel dans le dispositif proposé ?

Mais l’utilisation du langage a été bénéfique pour certains élèves, comme D., car l’explicitation des procédures lui a permis de progresser dans la maîtrise des concepts visuo-spatiaux.

D., Groupe Visuo-Spatial 2

D., que nous avons décrite dans une précédente vignette, éprouve de grandes difficultés à décrire le matériel et expliciter ses procédures. Dès la première séance, à l’occasion du retour effectué sur les évaluations dynamiques, elle montre d’emblée des difficultés dans l’utilisation du langage en visuo-spatial : "Il y avait deux ou trois machins et un dessin, on devait remettre dans l’ordre". Lors des trois premières séances, elle semble éprouver de réelles difficultés à employer un vocabulaire approprié et à expliciter clairement les notions liées aux orientations spatiales, aux différents plans ou encore aux positions relatives. Interrogée sur sa position dans l’espace par rapport à un camarade, elle répond "je suis à côté", puis invitée à continuer elle tente "il est à ma gauche"

tout en levant sa main afin de conforter sa réponse. Par exemple, lors de l’activité Toporama®, dans laquelle doit transmettre une information précise, à un camarade ses explications restent très approximatives : "avec des traits plus loin", "il y a un trait là comme ça", "au milieu dedans".

Malgré cette difficulté princeps, elle s’empare au fur et à mesure du vocabulaire approprié et devient de plus en plus précise dans ses explicitations. Il semble que le passage à l’écrit l’ait beaucoup aidée, car c’est un moyen d’expression dans lequel elle se sent plus à l’aise. A la séance 4, elle devient en mesure de décrire précisément une illustration en utilisant un vocabulaire adapté et précis : "Il y a au 1er plan une maison, puis au 2ème plan il y a un chat avec un garçon à sa gauche".

Toujours en lien avec cette aisance à l’écrit, elle consigne les activités en fin de séance avec un style est clair et concis : "On a fait un exercice très bien qui consiste à mettre les pions à la bonne place"

(Séance 2), " On a parlé des pays et des orientations (nord, sud, est, ouest)" (Séance 5). A la dernière séance, nous avons travaillé avec les élèves à un niveau plus métacognitif, notamment en leur demandant quelles stratégies ils utilisaient lorsqu’ils révisaient un contrôle. D. a été l’une des premières à expliciter la manière dont elle procédait : "Je lis dans ma tête et après j’écris, comme ça je me rappelle ce que j’ai écrit". Cela montre bien comment le passage à l’écrit lui permet de se saisir du langage comme outil de pensée.

PARTIE DISCUSSION

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