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Le gouvernement des sociétés africaines autour du NEPAD et du cas gabonais comme objet de recherche

Afin de circonscrire notre problématique, nous faisons le choix du gouvernement des sociétés africaines un objet d’étude dont l’objectif explicite est la diffusion générale par le NEPAD d’une nouvelle manière de gouverner les sociétés en mutation dans un contexte contemporain. Le NEPAD, à en juger par ses prescriptions, se propose de promouvoir la bonne gouvernance de l’action publique contenue dans les traités internationaux abandonnée par les pays africains nonobstant leur reconnaissance dans les législations nationales. Il s’agit d’un programme à la recherche des institutions de gouvernement. Ce site d’observation des pratiques africaines de gouvernement nous paraît pertinent en ce qu’il constitue un cadre africain d’appropriation de la bonne gouvernance, que les acteurs entendent utiliser comme outil de leur légitimité internationale.

Une autre raison de ce choix tient au fait que l’avènement du NEPAD est un indicateur nouveau de la continuité du changement politique intervenu à degrés variables dans l’environnement africain lors du passage formel au multipartisme au début des années 1990 et certaines mesures de « libéralisation ». De ce point de vue, le programme africain peut être envisagé comme un site d’observation approprié des transformations en cours dans la société africaine. Le NEPAD intervient à plusieurs niveaux politiques en ce qu’il tente de transformer le jeu politique (politics), en cherchant à influer l’action publique (policies) en même temps qu’il diffuse des valeurs éthiques censées modifier les rapports entre gouvernants et gouvernés, et s’inspirent des mécanismes ayant cours ailleurs : le cas de l’introduction de l’évaluation comme résultat de l’interaction d’un grand nombre de gouvernants qui s’influencent réciproquement6. Le programme africain se place ainsi au centre du registre de la culture politique (polity).

Parler de transformation politique revient à détecter les lieux qui semblent porteurs des faits à étudier, et les modes par lesquels s’opèrent ces changements politiques du fait de la mobilisation du NEPAD, sans insister sur les types de régime qui ne sont pas l’objet de cette étude7. Notre étude aborde de manière globale les relations entre le Gabon et le NEPAD - fruit d’un enchevêtrement complexe entre les facteurs politiques, économiques et culturels8 - par le biais du jeu des acteurs et de la sociologie de la formation des institutions. Elle entend également s’intéresser à l’enjeu d’une action collective en faveur du gouvernement dans des environnements politiques encore récemment libéralisés. Il n’est nullement question à travers cette étude de rendre compte des mécanismes de changement de régime, moins encore de les qualifier. Il ne s’agit pas non plus d’élaborer une théorie des régimes politiques, à partir du cas gabonais, mais de comprendre les conditions et les effets de l’entrée du Gabon dans une dynamique nouvelle d’action collective.

Par ailleurs, à l’ère où les considérations géopolitiques déterminent la stratégie et la diplomatie des Etats, ce travail vise également à saisir ce moment de

6 J. Kooiman, Modern Governance. New Government-Society Interactions, London, Sage, 1993.

7 Pour une littérature sur les transitions politiques en Afrique, durant le début des années 1990, lire : Buijtenhuijs, R, et Thiriot, C, Démocratisation en Afrique au Sud du Sahara, 1992-1995 : un bilan de la littérature, Leiden, Centre d’études africaines ; Pessac, Centre d’étude d’Afrique noire, 1995 ; Van Walwaren, K, et Thiriot, C, Démocratisation en Afrique au Sud du Sahara : transitions et virage, un bilan de la littérature (1995-1996), Leiden, Centre d’études africaines ; Pessac, Centre d’étude d’Afrique noire, 2002. Voir également Quantin, P et Daloz, J-P, (dirs), Transitions démocratiques africaines, Paris, Karthala, 1997 ; Pour un débat sur les théories relatives à l’installation de la démocratie hors de l’Occident, voir Jaffrelot, Ch, Démocraties d’ailleurs, Paris, Karthala, 2000.

8 E-R. Perrin, « NPDA. Un nouvel ordre africain ? », Les Cahiers de l’Afrique, n° 1, 1er trimestre 2003, p. 7.

contournement/renoncement ou de dépassement du débat sur la légitimité démocratique issue des élections vers l’idée de redécouverte des institutions à travers le glissement vers une nouvelle forme de légitimité experte reposant cette fois-ci sur une légitimité de type technocratique issue de l’examen par les pairs (peer review). Dans ce cadre, notre recherche va s’articuler autour de l’approche néo-institutionnelle et s’inscrit dans une perspective de sociologie politique de la formation nouvelle des institutions. Elle vise à comprendre grâce à une vision empirique des faits à étudier, comment le Gabon est arrivé à entrer dans ce nouvel espace géopolitique institutionnalisé par les leaders africains et comment et avec quel succès l’Etat gabonais s’efforce de transformer une contrainte d’inspection externe en ressource politique.

Pour ne parler que du "peer review", il est important de comprendre comment la contrainte d’inspection externe (IFI et autres partenaires au développement) est transformée en examen interne par des "collègues Présidents africains" qui ne vont pas nécessairement se montrer trop sévères en raison du caractère volontaire de l’adhésion des Etats et de l’absence des sanctions. Et comment le Gabon anticipe en devenant un modèle d’application. Pour bien comprendre cela, il s’agit de s’intéresser aux Gabonais qui participent au processus, mais surtout de bien saisir le fonctionnement de l’évaluation des pays dans le système international.

En prenant appui sur le Gabon, nous entendons démontrer comment les acteurs gabonais ainsi que ceux de la communauté africaine façonnent ce processus et comment le NEPAD, notamment à travers son mécanisme de contrôle le ″peer review″ peut promouvoir l’application par l’Etat gabonais des dispositifs d’institutionnalisation en souffrance, si l’on s’en tient au cadre sociopolitique créé par son dirigeant Omar Bongo Ondimba. Par ailleurs, la variable fondamentale que nous souhaitons privilégier dans ce travail n’est ni nationale ni continentale. Elle chevauche les dimensions internes et internationales. Dans cette perspective, de l’articulation entre ces deux dimensions, il résulte que le développement des institutions en cours en Afrique, n’est qu’une "mise en scène" d’un jeu de pouvoir et d’enjeux d’affirmation de puissance entre les différents leaders politiques africains dans la région et au sein du système international.

C’est dire que la construction institutionnelle en Afrique obéit à une logique de

"théâtralisation" qui est destinée à susciter l’adhésion grâce à la production d’un discours, d’images, à la manipulation de symboles et dont l’organisation est assurée autour d’un cadre

cérémoniel9. Ce qui est vrai, si l’on admet que le NEPAD est aujourd’hui considéré comme le nouveau "cadre" de production des réformes de la gouvernance en Afrique. Ce d’autant plus que ce programme peut renvoyer à une logique de « production/consommation » mettant en présence du jeu, différents acteurs politiques à la fois anglophone et francophone que du monde musulman et non-musulman partagés entre la nouvelle « garde politique » et la

« vieille garde au pouvoir » ; acteurs aux ambitions hégémoniques et aux enjeux personnels de pouvoir, de domination et de "porte-parolat" reposant sur des interactions continues10.

Dans ce jeu, le Gabon à la recherche d’une légitimité internationale a, grâce à la longévité politique et au capital symbolique accumulé par son dirigeant dans plusieurs activités de médiation11 et les réseaux francophones, réussi à devenir un modèle d’application, en transformant la contrainte d’inspection interne en ressource politique, mieux, en se retrouvant aujourd’hui au centre de ce programme. Il est donc essentiel de questionner l’exercice opérationnel de ce pouvoir12, pour comprendre son fonctionnement dans les systèmes concernés13 et les projets de réformes de l’Etat14.

B. Les institutions et le gouvernement : dépasser les débats sur les critères de