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Les genres littéraires

L’écrivain du Moyen Âge est intimement lié à la société dans laquelle il vit. C’est elle qui le fait vivre matériellement. L’écrivain partage les valeurs, les croyances, les goûts de la communauté pour laquelle il compose, de la minorité qui détient le pouvoir ; ses œuvres reflètent les idéaux de cette communauté, dans la chanson de geste, qui glorifie la chevalerie, dans la littérature courtoise, qui codifie les relations de la société seigneuriale, dans la littérature satirique, qui en dénonce les abus.

1. La chanson de geste

Dans les dernières années du XIe siècle apparaissent à peu près simultanément deux formes littéraires très différentes, mais qui toutes deux rompent nettement avec les modèles que pouvaient offrir les lettres latines, et qui toutes deux allaient constituer pour un temps les manifestations essentielles de la littérature romane : la chanson de geste en langue d’oïl et la poésie lyrique des troubadours en langue d’oc.

Les chansons de geste, racontent les aventures d’un chevalier pendant des événements historiques remontant aux siècles antérieurs (gesta, en latin, signifie « acte accompli »). Mais c’est bien l’idéal de la société féodale contemporaine qui est en fait mis en scène : respect absolu des engagements féodaux entre suzerain et vassal, morale chevaleresque, qualités guerrières au service de la foi. Le chevalier obéit à un code d’honneur très exigeant : méprisant la fatigue, la peur, le danger, il est irrémédiablement fidèle à son seigneur. Le chevalier vit pour la guerre, il est fier de ses exploits guerriers ; de plus, parce que l’Église essaye de détourner vers la Croisade l’énergie violente de ces hommes passionnés de combats, les chansons de geste

évoquent des guerres « saintes » contre les Infidèles. Toute une communauté se reconnaît donc dans ces œuvres qui exaltent les valeurs chevaleresques.

Ces poèmes se définissent par une forme et par un contenu particulier. D’abord par une forme particulière : ils sont composés de laisses (strophes1 de longueur irrégulière) homophones2 et assonancées3. Le mètre employé est le décasyllabe4.

Le mot laisse à lui seul peut donner une première idée de ce qu’est l’esthétique des chansons de geste. Ce dérivé du verbe laissier, venant du bas latin laxare, signifie « ce qu’on laisse » et revêt à partir de là des sens variés : celui de « legs, donation » aussi bien que celui d’« excrément». Dans le domaine littéraire il désigne d’une façon générale un morceau, un paragraphe, une tirade d’un texte ou d’un poème, qui forme un ensemble, s’étend d’un seul tenant, est récité ou chanté d’un seul élan, sans interruption.

Les chansons de geste traitent de sujets essentiellement guerriers qui ont la particularité de se situer toujours à l’époque carolingienne, le plus souvent au temps de Charlemagne ou de son fils Louis le Pieux. Les personnages qu’elles mettent en scène sont des barons de Charlemagne qui combattent les Sarrasins ou défendent leurs droits contre l’empereur ou son faible fils. Elles se regroupent en cycles autour des mêmes personnages ou des mêmes lignages et se divisent ainsi en trois branches principales : la geste du roi, dont le noyau est la Chanson de Roland ; la geste des barons révoltés, avec Doon de Mayence et Ogier le Danois ; la geste de Garin de Monglane, dont le héros principal est Guillaume d’Orange.

2. La littérature courtoise

À partir du XIe siècle dans le sud de la France, du XIIe siècle dans le nord, la société féodale ajoute une nouvelle valeur à l’idéal chevaleresque : le service d’amour, qui met les préoccupations amoureuses au centre de la vie.

La courtoisie est une conception à la fois de la vie et de l’amour. Elle exige la noblesse du cœur, sinon de la naissance, le désintéressement, la bonne éducation sous toutes ses formes.

Être courtois suppose de connaître les usages, de se conduire avec aisance et distinction dans le monde, d’être habile à l’exercice de la chasse et de la guerre, d’avoir l’esprit assez agile pour les raffinements de la conversation et de la poésie. Être courtois suppose le goût du luxe en même temps que la familiarité détachée à son égard, l’horreur et le mépris de tout ce qui

1 Une strophe est un groupe de VERS.

2 On appelle homophones des mots qui se prononcent de façon identique mais de sens différent.

3 Répétitions de la voyelle accentuée à la fin de chaque vers.

4 Se dit d'un vers qui a dix syllabes.

ressemble à la cupidité, à l’avarice. Qui n’est pas courtois est vilain, mot qui désigne le paysan, mais qui prend très tôt une signification morale. Le vilain est âpre, avide, grossier. Il ne pense qu’à amasser et à retenir. Il est jaloux de ce qu’il possède ou croit posséder : de son avoir, de sa femme.

Mais nul ne peut être parfaitement courtois s’il n’aime, car l’amour multiplie les bonnes qualités de celui qui l’éprouve et lui donne même celles qu’il n’a pas. L’originalité de la courtoisie est de faire à la femme et à l’amour une place essentielle. C’est une originalité au regard des positions de l’Eglise comme au regard des mœurs du temps. L’amant courtois fait de celle qu’il aime sa dame, sa domna (domina), c’est-à-dire sa suzeraine au sens féodal. Il se plie à tous ses caprices et son seul but est de mériter des faveurs qu’elle est toujours en droit d’accorder ou de refuser librement.

L’amour courtois, ou fin’amor, « amour parfait », repose sur l’idée que l’amour se confond avec le désir. Le désir, par définition, est désir d’être assouvi, mais il sait aussi que l’assouvissement consacrera sa disparition comme désir.

Cette intuition fondamentale a pour conséquence que l’amour ne doit être assouvi ni rapidement ni facilement, qu’il doit auparavant mériter de l’être, et qu’il faut multiplier les obstacles qui exacerberont le désir avant de le satisfaire.

D’où un certain nombre d’exigences qui découlent toutes du principe que la femme doit être, non pas inaccessible, car l’amour courtois n’est pas platonique, mais difficilement accessible. C’est ainsi qu’il ne peut théoriquement y avoir d’amour dans le mariage, où le désir, pouvant à tout moment s’assouvir. On doit donc en principe aimer la femme d’un autre, et il n’est pas étonnant que la première qualité de l’amant soit la discrétion. D’autre part la dame doit être d’un rang social supérieur à son amoureux de manière à calquer les rapports amoureux sur les rapports féodaux et à éviter que les deux partenaires soient tentés : elle d’accorder ses faveurs par intérêt, lui d’user de son autorité sur elle pour la contraindre à lui céder.

Courtoisie et fin’amor trouvent leur expression dans la poésie lyrique des troubadours

de langue d’oc, et plus tard des trouvères de langue d’oïl, c’est-à-dire de ceux qui

« trouvent » (trobar en langue d’oc), qui inventent des poèmes. La cour imaginaire du roi Arthur dans les romans de la Table ronde devient le modèle idéal des cours : non seulement le chevalier est brave, mais il a en plus le désir de plaire (importance de la beauté physique, de la toilette, des parures) ; parce que les femmes sont présentes, le chevalier doit avoir des attitudes élégantes, des propos délicats ; à côté des tournois et des banquets, il prend plaisir

aux jeux (les échecs, par exemple), à la musique, à la poésie ; il est en tout mesuré. Cet idéal est bien celui des gens de cour (de là vient le mot « courtoisie »), véhiculé par toute une littérature en tant que modèle à imiter. Si les romans courtois présentent aussi des traîtres parmi les chevaliers, c’est pour mieux mettre en lumière l’image idéale du chevalier courtois qui peu à peu influencera réellement les mœurs.

3. La littérature satirique

Même dans les textes qui semblent les plus critiques et les plus moqueurs, il serait faux de lire des œuvres « engagées » contre l’ordre établi. Au contraire, la littérature satirique s’adresse toujours au public restreint de la classe dominante, pour rappeler une exigence morale ou religieuse, celle qui existe selon la tradition.

Si l’on présente un mauvais chevalier, ce n’est pas pour critiquer la chevalerie dans son essence, mais pour dénoncer une faute, une erreur, un manquement qui peut compromettre les valeurs reconnues par tous. Ainsi, dans le Roman de Renart, la satire de la justice royale ou des pèlerinages encouragés par l’Église se lit moins comme une critique des institutions que comme un rappel de leur vraie nature.

4. La prose

Jusqu’à la fin du XIIe siècle, la littérature française est tout entière en vers et la prose littéraire n’existe pas. Les seuls textes en prose vernaculaire ont un caractère utilitaire, qu’il soit juridique ou édifiant : ce sont des chartes, des traductions de l’Ecriture ou des prêches.

Cette situation caractérise toutes les jeunes littératures : partout le vers apparaît avant la prose. Celle-ci revêt à ses débuts deux formes, celle du roman et celle de la chronique.

Rétablissant en partie la relation entre Histoire et les histoires. Jusque-là, l’Histoire appartenait au genre de la chronique et était versifiée ; mais un nouveau souci de vérité apparaît.

La prose jugée moins trompeuse que la poésie, car moins artificielle, la remplace ; une nouvelle conception de l’historien se fait jour : écrivain au service d’un pouvoir individuel - il peut s’agir du roi ou d’un grand seigneur - l’historien défend une politique, l’explique, autant qu’il raconte des événements. Cependant la prose, qui est en latin la forme de l’histoire, le devient en français dès le début du XIIIe siècle, au moment même où la matière du Graal inaugure le roman en prose.

5. Le roman

Le roman apparaît vers le milieu du XIIe siècle, soit un peu plus tard que la chanson de geste et que la poésie lyrique. La chanson de geste et la poésie des troubadours et des trouvères ont en commun d’être destinées à être chantées. Le roman est le premier genre littéraire destiné à la lecture. A la lecture à voix haute, l’usage de la lecture individuelle ne se répandra véritablement que plus tard. Les premiers romans français se distinguent également des chansons de geste par leurs sujets. Ce sont des adaptations d’œuvres de l’Antiquité latine.

Le genre romanesque, qui deviendra le plus libre qui soit, est donc emprisonné à ses débuts dans l’espace étroit de la traduction, tandis que sa seule ambition affichée est celle de la vérité historique. Mieux, ce genre reçoit le nom de roman - mot qui désigne dans son emploi usuel la langue vulgaire romane par opposition au latin - parce qu’il se définit comme une mise en roman, c’est-à-dire comme une traduction du latin en langue romane.

Tant que l’action des romans se situait dans l’Antiquité et que leurs sources étaient des sources antiques, la prétention à la vérité historique pouvait être maintenue. Il n’en va plus de même dès lors que l’action s’est transportée dans les îles bretonnes et que les romanciers prennent pour source l’œuvre d’historiens qui leur sont contemporains. En quittant l’Antiquité et le monde méditerranéen pour la Bretagne et le temps du roi Arthur, le roman renonce à la vérité historique, référentielle, et doit se chercher une autre vérité. Une vérité qui est celle du sens ; un sens qui se nourrit pour l’essentiel d’une réflexion sur la chevalerie et l’amour.

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