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genevois Des monU- monU-ments cLassés :

Dans le document Patrimoine genevois : état des lieux (Page 52-55)

évolution Et état actuEl

Après les classements massifs de 1921 et 1923 ne s’opèrent plus que quelques classements sporadiques jusque dans les années 1950. Pourtant, dès 1928, apparais-sent les classements de sites naturels, le premier étant la Belotte, sorte de Nogent sur Marne lémanique où les Genevois en canotiers s’adonnent à la pêche, au cano-tage et aux régates à voile dès le XIXe

siè-cle et où prolifèrent alors les hôtels-pen-sions, dont ne subsiste aujourd’hui que le restaurant de la Belotte et sa remarquable terrasse ombragée de platanes. Les sites classés ensuite sont les emblématiques falaises de l’Arve, représentées sur les gravures du XVIIIe siècle déjà, les bords de la Drize et leurs rangées de peupliers, les rives de l’Allondon, pour ce que l’on appel-lerait aujourd’hui leur biodiversité.

Au lendemain des concours de la SDN et de la Gare Cornavin, la querelle des Anciens et des Modernes (dont Genève ne s’est toujours pas remise) conduit à un durcissement des sensibilités. Ingénieurs et architectes ressentent négativement le poids de l’histoire et rêvent de table rase. Les législatures d’Edmond Turret-tini (1931-1934) et de Maurice Braillard (1933-1936), sous la Genève Rouge de Léon Nicole, coïncident avec une suspension des classements, puisque entre 1935 et 1945 on ne classe, sous menace de démolition ou d’abattage, que cinq objets, dont deux groupes d’arbres. Durant le deuxième mandat de Louis Casaï, successeur de Braillard aux Travaux publics, pendant vingt ans conseiller d’Etat (1933-1954) et trois fois président du Conseil d’Etat, les classements reprennent lentement.

Cependant Pierre Bertrand, historien des monuments à la CMNS, déplore dans les années 1950’ les mentions par trop spora-diques du patrimoine monumental dans les chroniques de Genava.

En 1935 le classement du château de Dardagny, longtemps après celui du châ-teau de Lancy, anticipe une brève série des classements de domaines. Cette mesure sanctifie un monument privé de dépen-dance41 et qui vient à l’époque de faire l’objet d’une rénovation lourde par Henri Mezger, toutes choses qui aujourd’hui grande ancienneté, font partie des deux

premières campagnes de classements : cela va de l’ancienne cathédrale romano-gothi-que de Saint-Pierre à l’église néo-classiromano-gothi-que St-Pierre-aux-Liens de Soral. Parmi les bâtiments civils anciens apparaissent en priorité ceux appartenant à la collectivité et dont on peut aisément garantir l’accord du propriétaire. Les principaux bâtiments publics encore existants de l’ancienne Genève figurent d’ailleurs en tête de la première liste établie en 1921 : l’hôtel de ville, l’arsenal, le Collège Calvin, le Palais de Justice, suivis par des propriétés de la Vieille Ville appartenant à la collectivité, essentiellement d’anciennes demeures du XVIIIe siècle rachetées par la Ville ou par l’Etat34. Les édifices formant ensemble oc-cupent rapidement une place dans la liste de classement.

Quelques monuments fameux par leur histoire et la gloire de leur propriétaire viennent s’ajouter à cela : le Palais « édi-fié par le célèbre philhellène35 » Eynard, alors propriété de la Ville, le Musée Rath, construit par la Société des Arts « main-tenant à la Ville », le château de Charles Pictet de Rochemont à Lancy et son parc (ce qui n’a pas empêché la transformation radicale menée par René Schwertz en 1957 pour en faire la mairie de Lancy, ni l’expro-priation récente d’une partie de la parcelle faite non sans heurts par les TPG pour la nouvelle ligne de tramway n° 15), ainsi que le parc de la Grange légué à la Ville en 1917. Les anciennes fontaines de la ville36, qui viennent alors de faire l’objet d’une publication par André Lambert37, ainsi que les quatre fontaines de Carouge érigées par Jean-Daniel Blavignac entrent également

dans la liste des monuments classés. Objet d’attention nationale, les fontaines helvéti-ques, dont certaines se signalent par leurs représentations allégoriques ou historiées, figurent dans la plupart des premières listes cantonales. Evocation de la citadelle calviniste, les plus spectaculaires vesti-ges des anciennes fortifications encore visibles, soit le mur de la Treille, le bastion de St-Antoine et les murs d’enceinte de l’île Rousseau figurent également sur la liste des monuments classés.

Dans la liste de 1923 on distingue une volonté de protéger des ensembles de la Vieille Ville, comme la place de la Taconne-rie, où plusieurs immeubles représentatifs de l’architecture du XVIIIe siècle38 sont classés simultanément, l’ensemble consti-tué par la maison Tavel et la maison Ca-landrini, plusieurs maisons donnant sur le parvis de Saint-Pierre donnant la réplique au monumental portique d’Alfieri, l’exem-plaire alignement des nos 2 à 16 de la rue des Granges, issu de l’influence de Jules Hardouin Mansart, l’étonnant ensemble

« Louis XVI » constitué des quatre immeu-bles de la rue Beauregard et du n° 18 de la promenade Saint-Antoine situé vis-à-vis.

On peut parler alors de classements systématiques dans ces deux premières campagnes, même, si, ici ou là, apparaît dans la série un objet singulier, mais emblématique. Ainsi les ruines du château de Rouelbeau, alors récemment fouillées et publiées par l’archéologue Louis Blondel, qui figurent comme premier objet sur la liste des monuments classés genevois.

Ou la Tour de l’Ile, fragment de l’ancien château de l’Ile et monument-clé à l’origine de l’histoire de la sauvegarde à Genève39,

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Palais eynard salle à manger, 1922 CIG, Jullien Prudon

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43 On peut dire la même chose de la situation des autres cantons romands et de la France.

44 Isabelle Roland, Isabelle Ackermann, Marta Hans-Moevi, Dominique Zumkeller , Les maisons de campagne du canton de Genève, Genève, Slatkine, 2006

41 Le maintien de la dépendance avait pourtant été demandé par une CMNS clairvoyante refusant

un isolement « haussmanien »du château, mais refusée par le Conseil d’Etat en raison de son état de délabrement

42 Il était une fois l’industrie : Zurich - Suisse romande : paysages retravaillés, ss. la dir. de Marc-Antoine Barblan, Genève, Association pour la patrimoine industriel, 1984.

sur la liste des monuments classés entre 1976 et les années 1990 sont également des bâtiments du XIXe siècle, soit inscrits dans le Ring comme la basilique Notre-Dame, l’église russe, la Holy Trinity Church, la Synagogue, qui a fait l’objet d’une belle restauration de son enveloppe polychrome, l’église St-François de Sales néo-byzantine, soit en Vieille Ville comme la chapelle de Pélisserie, soit en campagne comme l’église St-Maurice de Bernex ou la chapelle d’Eco-gia, toute deux de remarquables exemples néo-gothiques.

Le patrimoine moderne du XXe siècle, auquel les architectes sont immensé-ment attentifs aujourd’hui, ce qui au plan international se signale par la création de l’association DOCOMOMO. La dérive du classement appliqué à des objets qui viennent d’être livrés, comme l’ont été les bains du grison Peter Zumthor inaugurés à Vals en 1996 et classés deux ans plus tard mérite le questionnement. Prévu à l’origine pour sauver de la destruction et de la ruine des objets tombés dans l’oubli, en mal de réhabilitation, le classement doit-il concer-ner des objets qui sortent de terre, de sorte à les prémunir de possibles atteintes ? A Genève quelques objets modernes ont ainsi rejoint le panthéon : la maison Clarté (1986) dont le sort et la conservation semblent en voie d’être réglés, le Cinéma Manhat-tan de Marc-Joseph Saugey, menacé de démolition et au bénéfice d’un soutien international en 1993, la Maison Ronde dont le classement a été introduit par la Fondation Braillard architectes en 1995 et Miremont-le-Crêt du même Saugey, classé en 2004. D’autres objets du XXe siècle, en marge de la modernité, ont aussi bénéfi-cié de protection, comme l’église St-Paul, œuvre majeure du renouveau de l’art sacré ou le cinéma Alhambra de Paul Perrin, situé dans une zone déstructurée par les démolitions des années 1920’.

Telle qu’elle se présente aujourd’hui la liste des monuments classés genevois est d’une grande hétérogénéité43 ; il n’y manque que le raton-laveur ! Hormis les séries du début, les objets introduits récemment pour de strictes raisons de sauvegarde dénotent une politique du coup par coup. On peut affirmer à juste titre que la sélection des quelques 259 objets n’est pas représentative de l’éventail des richesses du patrimoine genevois. Certains objets sont sous-représentés comme l’ar-chitecture autour de 1900, de l’éclectisme à la modernité douce, l’architecture rurale (depuis longtemps recensée par le Service des Monuments et des Sites et qui vient pourtant de faire l’objet d’une publica-tion44), architecture rurale au contraire bien représentée dans le canton de Vaud et dans celui de Neuchâtel, l’architecture hô-telière dans une ville par tradition touris-tique, l’architecture résidentielle de toutes époques, les domaines et leurs mille villas déjà célébrées par Alexandre Dumas père !

Par ailleurs l’état de conservation d’un grand nombre d’exemples du parc des custodienda laisse à désirer : certains immeubles anciennement classés ont été totalement dénaturés, empaillés ou lourdement rénovés. Alors que la ques-tion de l’authenticité matérielle des objets taraude l’esprit des actuels défenseurs du patrimoine, force est de constater que le classement n’a, des décennies durant, aucunement prémuni les monuments des dénaturations. Aux listes de monuments classés s’ajoutent donc beaucoup de coquilles vides et quelques simulacres ! décourageraient quiconque d’introduire

une demande de classement ! Les morcel-lements des grands domaines de Varembé, Vermont, Beaulieu dans les années 1950’

coïncident avec une campagne de classe-ments de domaines puisque, entre 1954 et 1960, on classe dix-huit domaines alors que de 1960 à nos jours on n’en classera seulement quinze. Certains classements tiennent lieu de sauvetages : la maison de maître de Château Banquet est classée en 1954 avant que ne surgisse le luxueux complexe résidentiel de Pierre et Maurice Braillard. Plusieurs domaines de la route d’Aïre à Vernier sont classés en 1957, alors que les projets pour la cité du Lignon de Julliard, Addor & Bolliger sont sur le point de voir le jour. En 1960 c’est la campagne de Budé qui, à la veille d’être lotie, est à son tour classée.

Une nouvelle série d’objets, celle des maisons fortes et tours médiévales en campagne, fait l’objet d’attentions nouvel-les. Si les premières manifestations de cet intérêt remontent à 1921 avec le clas-sement de la commanderie de Compesière et de la tour d’Hermance, il faut attendre 1945 pour voir ratifié le classement d’une grande partie du bourg médiéval d’Her-mance. Puis ce sont successivement la tour de Saconnex d’Arve en 1955, la maison forte d’Adda à Corsinge en 1956, la mai-son forte de Laconnex la même année, la maison forte d’Arare et la tour de Troinex dessus l’année suivante, l’ancien château de Veyrier en 1961. Tandis que les mai-res convoitent de plus en plus les vieilles tours et les maisons fortes pour y établir leurs bureaux, et ce non sans mal, malgré le suivi de la Commission des monuments et des sites (comme à la Tour de Meinier), d’autres classements s’opèrent dans les années 1980 comme ceux de la maison forte de Bardonnex en 1985 et de celle de Vésenaz en 1987.

Le patrimoine du XIXe siècle, apparu à titre exceptionnel dans la première cam-pagne de classement avec le palais Eynard et le Musée Rath, bénéficie d’attentions nouvelles dès la fin des années 70’. Les me-naces portant sur l’hôtel de la Métropole et le Musée de l’Ariana, menacé l’un de dé-molition, l’autre de transformation lourde, ouvrent alors les yeux du public sur ce patrimoine mal-aimé : le palais de l’Athé-née, palais de la vénérable Société des Arts née à la fin du XVIIIe siècle déjà, et le Conservatoire de musique sont classés tant pour leurs valeurs artistiques que pour leur rôle historique dans l’histoire gene-voise. De ces deux affaires et de quelques autres naîtra la loi Blondel votée en 1983 qui désormais permettra de protéger les ensembles urbains d’immeubles du XIXe et du début du XXe siècle. Ceci explique en partie le petit nombre de classement de ce patrimoine protégé par d’autres mesures.

En 1987-1988 toutefois, l’ancien arsenal et l’école de médecine vis-à-vis sont classés ensemble, alors que se décide la démolition de l’ancien Palais des expositions tout près de là. L’Usine des Forces motrices, désaf-fectée, mobilise le soutien des amateurs de patrimoine industriel42, dont les effectifs, nés de la démolition des Halles Baltard à Paris, se solidarisent internationale-ment. La maison Eynard dont on découvre les richesses vient agrandir le quartier Eynard d’un néo-classique de bel aloi. A travers le classement du délicat monu-ment Brunswick, façonné à l’imitation de celui des Scaligeri à Vérone, les Genevois rendent un juste hommage au Duc, l’un des plus grands bienfaiteurs que Genève ait connu. Un lot assez hétéroclite d’im-meubles et maisons (Maison de la Tour, château El Masr à Cologny, Maison Royale sur le quai Gustave Ador, Maison Choffat à Lancy, Palais Wilson) est classé à la fin des années 1990 et au début des années 2000. Les églises qui font leur apparition

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45 Répertoire des immeubles et objets classés, Service des Monuments et des Sites, Travaux publics et énergie, Genève, 1994, p. 7.

46 Même si la loi française a rapidement mis en place l’idée d’un diamètre de protection de 500 m. autour des monuments classés.

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Dans le document Patrimoine genevois : état des lieux (Page 52-55)