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Généralement, un sujet de thèse s’inscrit dans le prolongement d’un mémoire de recherche qui apporte une ébauche de questionnement relatif à un terrain donné. Dans notre cas, le travail de recherche précédant la thèse mobilisait une approche mixant sociologie des organisations et sociologie politique. Notre entrée en doctorat a alors été marquée dans un premier temps par la découverte du regard socio-anthropologique porté par l’équipe du Laboratoire de Sociologie et d’Anthropologie de l’Université de Bourgogne-Franche-Comté (LASA-UBFC).

S’en est suivie une inscription en thèse qui devait être centrée sur la transmission des solidarités professionnelles sur le terrain de la coopération laitière locale. A priori, notre recherche n’avait donc pas pour objet les rapports sociaux de sexe. C’est pourtant au cours des séminaires et échanges avec l’équipe du LASA-UBFC, et plus précisément avec notre directrice de thèse, Dominique Jacques-Jouvenot, et co-directrice, Sylvie Guigon, que notre intérêt pour les études de genre a vu le jour. Cela s’est ensuite matérialisé par un changement d’orientation de notre travail vers la place des femmes dans le conflit Lip. De fait, il nous semble essentiel de revenir sur l’origine de cette recherche afin d’expliciter ce qui nous a conduit à interroger l’intrication des rapports sociaux de sexe et de classe à l’aune des luttes sociales de Lip.

2.1.1. La posture de socio-anthropologue

C’est en 2011 que nous avons commencé à suivre les séminaires organisés par le LASA- UBFC. Notre ambition de préparer une thèse de doctorat s’est précisée, comprenant qu’il s’agissait de porter un regard spécifique sur un monde social. En ce sens, ces séances ont largement contribué à notre appréhension de la culture bibliographique socio-anthropologique. Ainsi les portes de la discipline se sont progressivement ouvertes à nous (via des auteurs tels que M. Godelier, C. Levi-Strauss, M. Mauss, A. Strauss, A. Leroi-Gourhan etc.). Ceci n’a pu se faire qu’avec l’engagement didactique de l’équipe du LASA-UBFC, travaillant à expliciter cette posture singulière à l’égard du social que recouvre la socio-anthropologie. Nous avons découvert le sens pluridisciplinaire de ce type d’approche, à partir par exemple des travaux de

34 M. Mead et de J. Dewey132. La démarche anthropologique en appelle à un regroupement des

sciences humaines, qui aide le sociologue à « prendre (en pensée) tous les points de vue

possibles »133.

Dans le cadre de ce travail de thèse, il était primordial de réintégrer l’historicité relativement aux trajectoires des femmes et des hommes de Lip. L’approche pluridisciplinaire privilégiée par le LASA-UBFC consiste à considérer sociologie et histoire non pas comme une simple addition mais comme une modification, au sens d’un nouveau point de vue qui permet de redéfinir ce qu’il y a à questionner. Reconstruire l’intrigue historique participe ainsi à la rupture avec le sens commun134. S’appuyer sur la pluridisciplinarité permet ensuite de trouver des cadres concrets pour baliser un terrain135. De fait, reconstruire la « généalogie de

l’action »136 implique de suivre la filière de la provenance pour repérer, dans le cas qui nous

occupe, les permanences et changements qui se produisent/reproduisent, à l’aune du conflit Lip. La posture socio-anthropologique en appelle aussi à privilégier une approche comparative, ce que nous-mêmes mettons en œuvre entre nos populations féminines et masculines.

En outre, il s’agissait de saisir l’importance que revêt l’étude du terrain en socio- anthropologie, grâce notamment à des réflexions autour de la diversité des techniques d’enquête137. Ce qui participe de l’originalité, de la fiabilité et finalement de la capacité d’une

étude à produire des connaissances, ce sont les informations recueillies et la créativité dont il faut parfois faire preuve pour y accéder. La posture socio-anthropologique exige du chercheur qu’il s’ancre dans son terrain. Cela, tout en gardant à l’esprit que la question centrale posée par la discipline est celle de la fabrication des individus. Jean-Michel Bessette nous rappelle à cette interrogation fondamentale à plusieurs reprises : « Qu’est-ce que l’homme ? Réponses d’Echille (dans Prométhée enchaînée) et de Sophocle (dans Antigone) : l’essence de l’homme est l’autocréation. Les Dieux ne leur ont rien donné »138.

132 GUINCHARD Christian, « Les enjeux socio-anthropologiques du pragmatisme de Mead et de Dewey »,

séminaire du 6 décembre 2011, LASA-UBFC.

133 BOURDIEU Pierre (1993), La misère du monde, Paris, Seuil, p. 1424

134 OGORZELEC-GUINCHARD Laetitia, « La sociologie à coups de marteau », intervention lors du séminaire

du 29 mars 2016, LASA-UBFC.

135 GUINCHARD Christian, « Sur la production de connaissances », séminaire du 3 décembre 2015, LASA-

UBFC.

136 CEFAI Daniel (2007), Pourquoi se mobilise-t-on ? Les théories de l’action collective, Paris, La Découverte,

pp.29-30

137 Comment par exemple Jean-Marc Weller utilise la photographie pour décrire avec précision le travail de

fabrication de la décision en droit, intervention intitulée « Jusqu’où suivre les acteurs eux-mêmes ? L’ethnographe à l’épreuve de son terrain », séminaire du 16 avril 2015, LASA-UBFC.

138 BESSETTE Jean-Michel, « Approche anthropologique des modalités de production des économies

émotionnelles et imaginaires de l’homo sapiens », d’après Cornélius Castoriadis (1999), « Les racines psychiques et sociales de la haine », Les carrefours du labyrinthe VI, Figures du pensable, séminaire du 24 janvier 2012, LASA-UBFC.

35 Nous nous sommes attachée à suivre la voie tracée par l’équipe du LASA-UBFC, appelant à historiciser nos questionnements sur la manière dont se fabriquent les êtres humains, à les maintenir ouverts aux autres disciplines, et à s’immerger dans nos terrains d’enquête. Dès lors qu’il n’y a pas de réalité cachée, « si on a les bonnes lunettes, tout peut être observé »139.

De sorte que cette culture socio-anthropologique a pu être mobilisée dans la construction de notre objet de recherche.

2.1.2. Solidarités, Transmission, Genre

Les études, discussions et réflexions abordées par le LASA-UBFC participent de notre prise de connaissance de cette grève qui a débuté dans l’usine bisontine en 1973. Les thèmes de la solidarité sous ses différentes formes, de l’évolution de la question sociale, les interrogations sur le domaine de l’économie sociale et solidaire ou plus largement de la coopération professionnelle, sont abordés par le collectif de chercheuses et chercheurs.

Les travaux de Dominique Jacques-Jouvenot montrent notamment que les thèmes de la transmission et de la mémoire doivent être systématiquement appréhendés dans le champ sociologique des professions140. Ses recherches mettent en évidence la nécessité de prendre en compte les spécificités culturelles qui participent à la définition de la population d’enquête. De plus, elles explicitent le fait qu’il ne suffit pas de traiter des éléments de contextualisation mais qu’il faut les intégrer dans l’analyse des parcours des individu.es. C’est donc sous l’impulsion de notre directrice, soutenant la pertinence qu’il était de travailler sur les trajectoires, que ce travail de thèse s’est tourné vers une « étude des solidarités post-Lip ». Très vite, nous avons pu mobiliser des études précédentes effectuées par des membres de l’équipe pour mieux appréhender les spécificités de la culture locale franc-comtoise : de l’héritage lié à la mémoire

139 THERY Irène, « Sur La distinction de sexe », colloque des 7 et 8 avril 2011 organisé par le LASA-UBFC. 140 Voir à ce propos JACQUES-JOUVENOT Dominique, VIEILLE-MARCHISET Gilles (2012), Socio-

36 sociale locale141, des caractéristiques de la coopération laitière142, sur la tradition horlogère143,

mais aussi la place des femmes dans la transmission144 etc.

Cette immersion dans des travaux qui traitent de la culture locale ainsi que le recueil d’informations sur le conflit Lip, notamment des données biographiques, ont permis de dresser les différents enjeux que recouvre un tel objet d’étude. Or les données n’en finissent pas de soulever des interrogations et notre directrice pointe le manque de précision de notre problématique. Parmi les thèmes abordés par l’équipe de recherche du LASA-UBFC, la question du genre avait retenu notre attention et notre objet faisait aussi ressortir la nécessité d’un questionnement sur le genre : en dépit d’une présence majoritaire des femmes dans la mobilisation, celles-ci étaient comme éclipsées par l’omniprésence (tant médiatique que discursive) des anciennes figures de leadership masculines. Un tel constat sur l’absence/présence des femmes soulevait donc logiquement la question de leur place dans les luttes (Où sont-elles ? Comment se mobilisent-elles et pourquoi ? etc.). L’intervention de Monique Piton au cours d’un séminaire organisé par le laboratoire nous a en outre interpelée sur la problématique de la domination masculine intra-Lip145.

Mais il a fallu dès lors chercher à ouvrir davantage notre regard, gardant à l’esprit le fait que « les études de genre ne s’arrêtent pas à la domination masculine »146. Il faudra que nos directrices nous rappellent à cette impasse et nous aident à tenir ce questionnement autour des rapports sociaux de sexe. Cet angle de vue nous oriente désormais vers un raisonnement centré sur la division sexuée du travail. Plus précisément, il s’agit de s’appuyer sur la dynamique permanences/changements pour cerner la portée subversive d’un mouvement social qui mobilise des répertoires d’action particulièrement radicaux.

141 JACQUES-JOUVENOT Dominique et GUINCHARD Christian (2013), « Clarisse Vigoureux (1789-1860),

affranchie ou disciple de Charles Fourier ? », in Les affranchies, Franc-comtoises sans frontières, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, pp. 131-142

142 GUIGON Sylvie (1999), Le métier de fromager : reconnaissance, monopolisation, dépossession d’un savoir

professionnel, Thèse de doctorat en sociologie, Besançon, 247 p.

143 COURNARIE Emmanuelle (2011), Approche socio-anthropologique d’une reconversion industrielle : de

l’horlogerie aux microtechniques à Besançon, Thèse pour le doctorat de sociologie, Besançon, 335 p.

144 JACQUES-JOUVENOT Dominique (1997), Choix du successeur et transmission patrimoniale, Paris,

L’Harmattan, 239 p.

145 PITON Monique, « Monique Piton et la place des femmes dans les solidarités ouvrières : autour du conflit

Lip », séminaire du 18 février 2011, LASA-UBFC.

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2.2. Réalisation de l’enquête et construction du questionnement

2.2.1. Difficultés rencontrées

Lorsque nous engageons notre recherche, nous avons très peu de connaissance sur le conflit Lip, et encore moins sur les ouvrières. A cette étape de l’enquête, la population à interroger est définie comme l’ensemble des personnes ayant vécu les luttes pour l’emploi de Lip, et nous devons puiser dans cette population pour constituer notre échantillon. Les premières personnes rencontrées sont celles qui ont été les plus facilement identifiables, du fait de la visibilité qu’elles conservent de leur participation active au conflit. Nous comptons ensuite sur les réseaux de connaissance des personnes interviewées pour étoffer l’échantillon et progresser dans notre enquête. Le but étant de réaliser des entretiens avec des personnes ayant des appartenances différenciées : en terme de genre, d’âge, d’adhésion syndicale et/ou politique, de reprise ou non en coopératives, de catégorie professionnelle (passage du privé au public, du salariat à l’entreprenariat individuel…).

A première vue, l’entrée sur le terrain ne pose pas de problème majeur, même s’il faut tenir compte de la réduction considérable des possibilités d’interviews, étant donné que les évènements remontent à plus d’une quarantaine d’années147. Certaines personnes ont quitté Besançon sans qu’elles puissent être identifiées dans le cadre de cette enquête ; d’autres souffrent de maladies liées au vieillissement de notre population. Ces conditions mises à part, l’enquête a pu commencer rapidement, tout au plus remarquait-on une arrivée secondaire des femmes par rapport aux hommes. La mise en récit semblait pour elles plus désordonnée, moins habituelle et plus pénible aussi que pour leurs homologues masculins, qui semblaient prendre plus de plaisir à discourir, se raconter. Il s’est aussi rapidement avéré que la période du second conflit (1976-1981) n’était abordée que sommairement dans les entretiens, indifféremment du sexe. Ces premières observations sont en fait révélatrices de deux difficultés majeures de notre terrain d’enquête.

147 D’après l’entretien mené avec C. Piaget, notre population de référence serait désormais inférieure à 200

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2.2.1.1. Les refus des femmes

Nous avons dû faire face à de nombreux refus de la part des femmes, pour qui souvent, la simple évocation du mot « Lip » concluait négativement toute possibilité de rencontre. En tant qu’enquêtrice, nous avons dû parfois « convaincre » des femmes de nous rencontrer, en reformulant par exemple l’objet de notre recherche : si notre demande venait effectivement du fait qu’elles avaient participé au conflit, l’entretien porterait davantage sur leur parcours et ce qu’elles avaient aussi vécu par ailleurs (cf. Annexe n°1, Canevas d’entretien). Néanmoins, les refus d’entretiens se sont multipliés et ont représenté une réelle difficulté dans cette enquête (Ils s’élèvent à 17 pour 21 femmes de Lip effectivement interrogées).

A défaut de pouvoir rencontrer un plus grand nombre de femmes, nous avons fait le choix de noter ces refus comme une donnée « en soi » de notre terrain. De fait, une étude qui entend analyser la division sexuée du travail ne peut passer à côté de cette information que fait ressortir l’enquête : l’acceptation des hommes à discourir sur leur expérience est systématique alors que ce n’est pas du tout le cas des femmes. Ces dernières évoquent souvent le fait de ne pas vouloir « remuer le passé », ou se sentent illégitimes pour parler « je suis nulle pour vous

aider » ; dans ce cas elles renvoient l’enquêteur vers Charles Piaget, « les syndicats ». D’autres

fois, le refus est plus explicite, « je ne veux pas en parler ». On comprend petit à petit que l’évocation du conflit Lip renvoie à des expériences douloureuses chez les femmes contactées : « j’ai plus envie de reparler de tout ça, on se retrouve dans des choses…non. Je m’excuse mais

non ». Effectivement, au fur et à mesure que nous connaissons mieux le contexte des luttes qui

ont eu lieu chez Lip, nous prenons conscience de leur aspect éprouvant, notamment parce qu’elles ont généré aussi des conflits internes, des situations de chômage, des divorces ou d’autres bouleversements dans la sphère privée et/ou professionnelle. Cette difficulté du terrain pointe finalement le côté ardu des luttes qui sont souvent présentées sous leur meilleur jour, quasiment comme une « célébration collective », d’où un deuxième défi pour la recherche.

2.2.1.2. La construction mythique du conflit Lip

Si notre enquête, réalisée longtemps après les évènements, nous expose aux « biais des

effets de reconstruction »148, elle se heurte aussi à la construction « mythique » qui entoure les

148 GROSSETI Michel, BIDART Claire (2006), « Trajectoires sociales et bifurcations », Cahiers internationaux

39 luttes pour l’emploi de Lip, et en particulier celle de 1973 – victorieuse. Cela infiltre nécessairement le discours des personnes interrogées, comme l’indique la tendance à reconstruire l’expérience des luttes en se référant au récit « officiel » qui continue de circuler à postériori. Il arrive par exemple que les dires des leaders qui témoignent dans le film de Christian Rouaud149 soient remobilisés par d’autres personnes lors de la situation d’entretien. La mémoire des individus se confond, se compose, s’aménage avec l’image « victorieuse » élaborée autour de la lutte de 1973150. De même, ils et elles sont communément plus prolixes à propos de cet épisode de grève, mais la lutte de 1976 reste plus difficile à aborder. C’est la question que soulève A. Strauss lorsqu’il explique que « Certaines facettes se trouvent

oblitérées, estompées, d’autres mises en lumière (…) les actes du passé sont considérés sous d’autres angles lorsqu’ils ont été soumis à l’épreuve de la mémoire sélective »151. De fait, la

popularité de la première lutte pour l’emploi tend à laisser dans l’ombre des aspects plus sombres, dont l’issue de la seconde mobilisation.

En outre, le mythe de « l’unité » a tendance à resurgir au moment des entretiens152. Le risque est alors de se fier à cette vision uniformisée, homogénéisée, qui se dégage à priori du groupe mobilisé – et qui s’apparente en réalité à une image illusoire153. A ce titre, nous avons compris au fur et à mesure de la progression de notre ancrage sur le terrain, que la préservation de l’image victorieuse dominante sur les évènements passés a joué un rôle dans le choix des personnes qui nous ont été données à rencontrer. D’ailleurs, très peu d’enquêtés parvenaient à se remémorer des noms de femmes. Parfois, ils procédaient explicitement devant nous à une sélection des personnes intéressantes à contacter, notamment lorsque nous sollicitions des interviews avec des femmes. De fait, nous faisions remarquer que toute parole nous semblait

intéressante à recueillir, mais les raisons invoquées aux choix effectués ne laissaient pas de

place à l’argumentation : le plus souvent, il était évoqué la certitude préalable d’un refus « [Elle] ne parlera pas de toutes façons », quand la personne elle-même n’était pas clairement considérée comme illégitime à discourir : « je vous donne les personnes les plus susceptibles

de vous dire quelque chose », ou « [Elle] c’est pas la peine ». Ainsi, notre position d’enquêtrice

149 ROUAUD Christian (2007), Les Lip, l’imagination au pouvoir, Film documentaire, 118 minutes.

150 Voir notamment le travail de CASSOU Saoura (2002), Lip, la construction d’un mythe, sous la direction de

Jean-Louis Robert et Franck Georgi, Université Paris I, 22 p.

151 STRAUSS Anselm (1992), Miroirs et masques, Paris, Editions Métailié, pp. 35-37

152 Pauline Brangolo met à ce titre en avant la propagation du message du mythe de l’unité des travailleurs, par

exemple dans le nom donné à la revue édité depuis le collectif en lutte Lip-Unité, in BRANGOLO Pauline (2015),

Les filles de Lip (1968-1981) : trajectoires de salariées, mobilisations féminines et conflits sociaux, mémoire de

Master II en Histoire, sous la direction de Franck Georgi, Paris I, p. 12

153 En référence au texte de BOURDIEU Pierre (1986), « L’illusion biographique », Actes de la recherche en

40 nous plaçait dans un réseau d’interconnaissances où chacun avait tendance à anticiper et se faire une idée – plus ou moins juste – du type de discours délivré par d’autres.

Il est donc peu étonnant concernant notre enquête que les discours les plus critiques et négatifs tenus sur les luttes de Lip soient advenus assez tardivement, après que notre insertion sur le terrain nous ait permis de lier des contacts plus étroits avec des personnes nous permettant d’accéder jusqu’à eux. Il parait en ce sens significatif que notre mise en relation avec des personnes au discours moins « consensuel » n’ait pu se faire que par l’intermédiaire de femmes qui ont elles-mêmes développé une parole contestataire.

A travers ces aléas de l’enquête, on peut ainsi observer parmi notre population un clivage net entre des personnes qui endossent – toujours – des rôles de porte-paroles, tandis que d’autres sont très rarement sollicitées pour parler de leur expérience des luttes. Dès lors, les discours récoltés sont différents et ne traitent pas de la même manière des évènements, n’y accordent pas le même sens, aussi parce qu’ils ne prennent pas la même charge dans la trajectoire. C’est pourquoi, il semble opportun de faire remonter ces difficultés du terrain, et de les relier à l’analyse que nous ferons dans la dernière partie de notre thèse sur les infléchissements biographiques.

2.2.2. Campagnes d’entretiens et articulation avec un questionnement centré sur la division sexuée du travail

Dans la réalisation de notre enquête, nous avons adopté une démarche qui serait influencée par l’induction. C’est-à-dire que le parcours d’enquête a suivi un chemin incertain, sur un mode expérimental, partant du singulier pour remonter au général154. De fait, notre travail de terrain s’est effectué en deux temps : la première campagne d’entretiens, exploratoires, a permis de dégager des pistes de réflexion, un début d’hypothèses, qu’il fallait ensuite affiner et vérifier en retournant sur le terrain, et ainsi compléter l’enquête.

154 GUINCHARD Christian, « Sur la production de connaissances », séminaire du 3 décembre 2015, LASA-

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2.2.2.1. Travail exploratoire et articulation avec une posture de recherche

L’enquête exploratoire a eu lieu entre le mois de juillet 2014 et le mois de mars 2015,

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