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Les gants parfumés à l’origine de l’essor de la parfumerie en France

I. Tannerie, ganterie, parfumerie ; une spécialisation progressive de Grasse en fonction des

1. Les gants parfumés à l’origine de l’essor de la parfumerie en France

La tradition fait remonter la naissance de la parfumerie grassoise aux foires de Beaucaire, où les Grassois avaient l’habitude de présenter à leurs clients, en complément de leurs gammes de gants de cuirs, des huiles odorantes536. En effet, au milieu du XVIe siècle,

Anne Marie Tremouille lance à la Cour de France la mode des gants parfumés. Le succès est tel que Catherine de Médicis, Reine de France depuis peu, missionne un certain Tombarelli,

533 BENALLOUL Gabriel,BUFFA Géraud, Grasse, l’usine à parfums, Lyon, Éditions Lieux dits, 2015, 176 p., pp. 24-34.

534 Origines et débuts de la parfumerie de Grasse, mémoire pour le diplôme d’étude supérieur d’histoire, Université Aix-Marseille 2, 1977, 55 p., p. 18.

535 La dentelle s’impose durant cette période et les gants en cuir tombent peu à peu en désuétude tandis que les taxes sur les cuirs ne cessent d’augmenter.

135 apothicaire d’origine italienne, pour étudier la possibilité d’implanter une industrie des parfums à Grasse537. Il ne nous est pas possible, au regard de la documentation disponible, de vérifier ces informations, et bien que le nom de Tombarelli existe réellement parmi les gantiers-parfumeurs de Grasse538, ce lien précoce entre la parfumerie et la cité provençale semble néanmoins anachronique. La ville de Grasse possède, en effet, depuis le XIIe siècle,

deux corporations de tanneurs qui utilisent des plantes à parfum locales – le myrte essentiellement – pour adoucir l’odeur du cuir ; il faut cependant attendre la fin du XVIIe

siècle pour que certains Grassois s’initient à la ganterie de luxe.

L’usage de gants parfumés, déjà attesté durant l’antiquité, revêt dès le règne de François

Ier, une importance particulière en France et les gants sont, à partir de cette période, désignés

par le nom de leur parfum539. Ces derniers sont d’un luxe inouï, ils sont garnis de riches dentelles, ornés de broderies d’or, de perles et quelquefois de diamants540. La couronne de France adopte alors de manière pérenne cet usage distinctif. Henri III confirme ainsi les

privilèges des gantiers-parfumeurs le 27 juillet 1582 et les défend face aux prérogatives des merciers qui entreprennent également de vendre des parfums541. Les mignons du roi prennent dès lors l’habitude de porter des gants de nuit destinés à entretenir la douceur des mains par une préparation minutieuse au cours de laquelle ils sont trempés dans un mélange composé de malvoisie, d’ambre gris, de musc, de civette et de benjoin. Les bassins de production des gants parfumés migrent, durant cette période, de la Champagne vers l’Espagne et ce n’est qu’à partir du XVIIe siècle, que les gantiers-parfumeurs français se réapproprient ce commerce

séculaire, qualifié, a postériori, de « tyrannique »542 par Georges Vindry du fait de la longévité considérable de cette mode. En 1656, Louis XIV, par lettres-patentes enregistrées au

Parlement, renouvelle et étend les privilèges de la communauté des « marchands maîtres gantiers parfumeurs » :

En tant que gantiers ils obtenaient le privilège de vendre et de faire toutes sortes de gants et mitaines de tous les cuirs qui se peuvent commodément employer. En qualité de parfumeurs ils pouvaient

537 M

OTTET, La Culture des plantes à parfums dans la région Grassoise, Thèse de doctorat dactylographiée,

1968, 315 p., p. 31.

538 Florentin Tombarelli, savant d’origine italienne semble s’être implanté à Grasse durant cette période. Jeanne Tombarelli est parfumeuse à Grasse de 1673 à 1692. Pierre-François Lubin (1774-1853) est apprenti parfumeur chez un Tombarelli à Grasse en 1794.

539 E.D, « Les armoiries des gantiers-parfumeurs », Revue des Marques de la Parfumerie et de la Savonnerie, n° 12, décembre 1923, p. 9.

540 Ibid. 541 Ibid.

542 VINDRY Georges, « Les origines de la parfumerie grassoise », 3000 ans de Parfumerie : parfums, fards et savons de l’Antiquité à nos jours, catalogue d’exposition, Grasse, 1980, 124 p., p. 157.

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appliquer sur les gants, et débiter toutes sortes de parfums et même vendre en détail les cuirs de toute espèce, peaux lavées, parfumées, blanchies et autres propres à faire des gants…543

« Le Roi le plus fleurant du monde » leur attribue ainsi le monopole de la distribution des parfums, autrefois assurée par les apothicaires et les droguistes qui continuent cependant à leur opposer une concurrence sérieuse :

Toutefois, il n’est pas douteux que la vente de la parfumerie convenait beaucoup mieux aux gantiers dont le commerce tenait la première place parmi les objets de luxe par quoi se manifestait l’élégance des raffinés des diverses époques et que ce sont eux qui ont porté à son apogée la réputation, jamais amoindrie depuis, de la parfumerie française, la première du monde544.

Ainsi, à Grasse, dès 1660, les contrats sont nombreux entre les gantiers parfumeurs de la cité provençale et les cultivateurs alentours545 afin d’embaumer leurs créations et non plus seulement limiter l’odeur forte et désagréable des peaux. Le travail ancien du cuir, le recours à des plantes odoriférantes – lentisques, orangers sauvages, aspics et cassiers – participent de manière certaine à l’essor de cette production dans la ville provençale. Ces points de convergence ont contribué à forger l’idée que les tanneries grassoises sont à l’origine de l’émergence de la ganterie. Georges Vindry, dans un article dédié aux origines de la parfumerie grassoise, composé à l’occasion de l’exposition 3000 ans de parfumerie546, souligne toutefois les limites de cette vision linéaire d’une filiation directe entre les anciennes corporations de tanneurs du Moyen-âge, les gantiers-parfumeurs du XVIIIe siècle et la

naissance des premières parfumeries grassoises :

Il a toujours semblé évident que la fameuse mode des gants parfumés avait fait naître la parfumerie grassoise de la ganterie, laquelle était évidemment issue de la tannerie (…) La réalité est comme toujours beaucoup plus complexe et bien plus intéressante. »547

En effet, bien que des liens soient vraisemblablement établis entre ces secteurs d’activités, ils répondent néanmoins à des besoins en matières premières naturelles différents et à des débouchés antinomiques. Emmanuelle Eldega, dans son mémoire consacré aux Marchands tanneurs de Grasse au XVIIIe siècle548, insiste sur la distinction nécessaire entre ces

543 E.D, « Les armoiries des gantiers-parfumeurs », art.cit, p. 9. 544 Ibid.

545 MOTTET, La Culture des plantes à parfums dans la région grassoise, op.cit, p. 31.

546 Cette exposition a été organisée à l'occasion de l'Année du Patrimoine et de la tenue du VIIIe Congrès Mondial des Huiles Essentielles du 22 juillet au 22 octobre 1980 au Musée d'art et d'histoire de Grasse.

547 VINDRY Georges, « Les origines de la parfumerie grassoise », art.cit, p. 156.

548 EDELGA Emmanuelle, les marchands tanneurs de Grasse au XVIIIe siècle, mémoire de maitrise d’histoire sous la direction de Michel Derlange, Université Nice Sophia Antipolis, 1994, 183 p., p. 176.

137 deux groupements professionnels. L’origine et la qualité du cuir549, les méthodes de travail et les outils mobilisés550 tout comme leur emplacement551 dans la cité diffèrent même si la solidarité est courante lors de la défense d’intérêts communs552. En 1724, la rupture entre la tannerie et la ganterie grassoise est finalement entérinée par les premiers statuts de corporation des gantiers-parfumeurs, lesquels sont homologués par le Parlement de Provence en 1729. Moins nombreux que les gantiers-parfumeurs parisiens, le nombre d’adhérents à la corporation ne cesse pour autant de croître au cours du XVIIIe siècle. Ces derniers acquièrent

une réputation solide notamment grâce à un tannin particulier qui permet d’obtenir un cuir odorant de couleur verte553. Façonné, en souliers et en gants, ils sont appréciés en Provence mais également en Italie et en Espagne.