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III.2 Géologie des sites d’atterrissage : Mars 2020, de Jezero à Midway

III.2.1 Géologie régionale

Figure III.12 – Stratigraphies simplifiée des principales unités géologiques au niveau du cratère Jezero et de la région de Nili Fossae, décrites dans cette partie (échelle non respectée ; synthèse de Mangoldet al.,2007;Mustardet al.,2009;Ehlmannet al.,2009;Goudgeet al.,2015b;Scheller et Ehlmann,2020)

III.2.1 Géologie régionale

Les grandes unités géologiques présentes à l’échelle régionale sont pour la plupart en place au niveau du site de Midway, et/ou ont potentiellement pu être échantillonnées par

l’activité de drainage du bassin versant de Jezero. Ainsi, même si Perseverance ne sort pas du cratère, les roches qui seront analysées au niveau du delta de Jezero proviendront donc de cette région. L’étendue du bassin versant de Jezero, bien que modélisable à partir de MNT (p. ex.,Goudge et al., 2015b), est aujourd’hui difficilement estimable de par les événements venus modifier la topographie qui contrôlaient la forme du réseau lors de son activité (impacts, ouverture de fossae, mise en place de Syrtis Major).

III.2.1.1 Le socle pré-Isidis

La région de Nili Fossae est localisée sur la marge du bassin d’impact d’Isidis, daté à 3,96 ± 0.1 Ga (Werner, 2008). Ainsi, les roches les plus proches d’Isidis Planitia (soit à l’Est de la région) postdatent cette époque. Néanmoins, une croûte potentiellement plus primitive, pré-Isidis, est observable dans la région (Figure III.14) : des affleurements massifs de roches riches en LCP (Low-Calcium Pyroxene) et LCP altéré, des strates riches en argiles ferromagnésiennes (Stratified Basement), ainsi que des mégabrèches (megabreccias) affleurant autour d’Isidis (Figures III.13 et III.14 ; Mustard et al., 2005; Poulet et al., 2005; Mustard et al., 2009; Scheller et Ehlmann, 2020). La taille de ces blocs (jusqu’à 500 m de large, Scheller et Ehlmann, 2020) et leur distribution autour d’Isidis Planitia suggèrent que ces mégabrèches sont associées à l’impact géant ayant formé Isidis (Mustard et al., 2009) : elles échantillonneraient ainsi les lithologies d’une croûte primitive, pré-Isidis – soit formée au Noachien précoce.

L’analyse combinée des données CRISM haute résolution et HiRISE couleur cou-vrant ces mégabrèches parScheller et Ehlmann (2020) révèle au moins quatre lithologies pré/syn-Isidis différentes : des blocs beiges massifs (III.15b) ou stratifiés (III.15c), des blocs bleus massifs (III.15d) ainsi que des blocs sombres et violets (III.15e). Deux de ces classes possèdent des signatures minéralogiques claires depuis l’orbite : des argiles ferro-magnésiennes pour les blocs beiges stratifiés, ainsi que du LCP pour les blocs bleus (Figure III.15f ; Mustard et al., 2009; Scheller et Ehlmann, 2020). Ces deux types de blocs sont morphologiquement et spectralement semblables aux affleurements plus larges de croûte Noachienne pré-Isidis : le Stratified Basement ainsi que des affleurements bleus de croûte massive riche en LCP (Blue Fractured Unit). Se dessine ainsi la croûte pré-Isidis, consti-tuée d’un socle massif riche en pyroxène ainsi que des dépôts stratifiés riches en argiles, les larges affleurements duStratified Basement et de la Blue Fractured Unit représentant des roches pré-Isidis en place, ou excavées par les contraintes tectoniques régionales, et appartenant aux unités impactées et échantillonnées dans les mégabrèches.

Des mégabrèches sont localisées au niveau des bords (ou rims) du cratère Jezero (Figure III.15a). L’exploration des remparts et l’échantillonnage de ces roches par Perse-verance sont donc cruciaux pour l’étude de la croûte primitive de Mars, pré-Isidis.

200 m

c

2 1

LCP

LCP

50 km

2

a et 1

Jezero

a b

13EBC

B573

-4300 m 1600 m Altitude

Figure III.13 – (a) Morphologie à haute résolution des plateaux riches en LCP (HiRISE ESP 013463 1995). (b) Détection OMEGA et CRISM survey de LCP (fond : altimétrie MOLA et THEMIS IR jour). (c) Spectres CRISM targeted des plateaux riches en LCP comparés à un spectre de laboratoire tiré de la PDS Geoscience Spectral Library (LCP pigeonite C1PP42). Le numéro d’observation CRISM est indiqué à côté des spectres.

III.2.1.2 Le Ridged Basement

Les mégabrèches sont incluses dans une unité géologique stratigraphiquement au-dessus du socle noachien et en dessous de Jezero : le Ridged Basement. Cette unité est sombre avec une teinte orangée sur les images HiRISE et est traversée de fractures minéralisées, cohérentes et formant des crêtes en surface par érosion différentielle (Figure III.16 ;Mustardet al., 2009;Saper et Mustard, 2013;Pascuzzoet al.,2019). Autour des crêtes, l’unité apparaît très lisse et peu impactée malgré son âge noachien (car pré ou syn-Isidis), ce qui laisse indiquer une lithologie hautement érodable, voire en érosion continuelle.

Spectralement, elle est associée à des détections de phyllosilicates ferromagnésiens (Figure III.16 ; Ehlmann et al., 2009; Mustard et al., 2009), avec une bande d’absorption à 2,31 µm – soit plus proche du pôle du magnésium que du pôle du fer (comme p. ex., de la saponite).

L’origine de ces phyllosilicates est encore peu comprise. Néanmoins, les processus d’al-tération de surface semblent insuffisants pour expliquer leur présence et leur distribution.

En effet, leRidged Basement apparaît, de par sa faible densité de cratères, actuellement en érosion, tandis que les phyllosilicates sont largement détectés à sa surface, indiquant

Scheller et Ehlmann, 2020

1

2

3 blue fractured unit stratified basement

blue fractured unit stratified

basement smectite

Fe/Mg

LCP

HCP

2,30

1,92 1,41

100 m

100 m

c

a b

Figure III.14 – Signatures spectrales et morphologies à haute résolution du socle pré-Isidis : le Stratified Basement est beige, stratifié et possède une signature spectrale d’argile ferromagné-sienne (spectre 1), tandis que laBlue Fractured Unit est massive, bleue et possède une signature spectrale de LCP altéré (spectre 2) à non altéré (spectre 3).(a)Spectres CRISMtargetedmesurés parScheller et Ehlmann(2020) comparés à des spectres de laboratoire tirés de la PDS Geoscience Spectral Library (saponite LASA52, pigeonite C1PP42 et augite C1SC35).(b)Portion de l’obser-vation HiRISE ESP 019476 2005.(c) Portion de l’observation (HiRISE PSP 010206 1975).

que l’altération a sûrement eu lieu en profondeur. De plus, ces détections ne sont pas non plus retrouvées en association directe avec les vallées fluviales dont l’activité aurait pu mener à l’altération du socle. Pour ces raisons, Mangold et al. (2007) proposent une formation de ces phyllosilicates par hydrothermalisme, en profondeur.

III.2.1.3 La couche à olivine et carbonate

LeRidged Basement est régulièrement retrouvé en association avec une unité riche en olivine et en carbonate qui le recouvre (Figure III.16 et III.17). Cette unité, épaisse d’une dizaine de mètres en moyenne (Kremer et al., 2019) est finement stratifiée et apparaît

Jezero

Figure III.15 – (a)Répartition, (b, c, d, e)morphologies et(f)signatures spectrales des méga-brèches de la région de Nili Fossae, à partir de Scheller et Ehlmann (2020), modifié. Le numéro d’observation CRISM est indiqué à côté des spectres.

bleue sur les compositions colorées HiRISE (III.17c). Spectralement, elle est associée à absorption large entre∼1 µm et∼1,8 µm, compatible avec la présence de fayalite, ou de forstérite à large taille de grains (III.17a ; Mustard et al., 2005). Les mesures TES sur la composition de l’olivine et les modèles sur la taille des grains de l’unité coïncident avec la seconde option (Koeppen et Hamilton, 2008; Poulet et al., 2009; Edwards et Ehlmann, 2015). Cette large bande d’absorption est souvent retrouvée en association avec deux absorptions supplémentaires, à ∼2,31 µm et ∼2,51 µm, et attribuées à la présence de carbonates magnésiens (Ehlmann et al., 2008b). Ces carbonates ont été les premiers carbonates martiens confirmés, et cette unité à olivine regroupe les plus larges dépôts de carbonate de la planète. Localement, une bande d’absorption à 2,1µm attribuée à de la serpentine est visible (Figure III.17a ;Ehlmann et al., 2009).

Les strates à olivine et carbonate sont souvent recouvertes par une unité sombre, fortement cratérisée, sans signature minéralogique apparente (Mustard et al., 2009) : la Capping Unit (Figure III.17). Ces affleurements partagent généralement des morphologies similaires au Volcanic Floor amazonien de Jezero, interprété comme une coulée de lave fluide (cf. section III.2.2), mais sont probablement bien plus anciens, avec un âge noachien à hespérien (Quantin-Nataf et al., 2018a).

3E12

Figure III.16 – (a) Morphologie à haute résolution du Ridged Basement (HiRISE PSP 006712 2020). (b)Détection OMEGA et CRISMsurvey des phyllosilicates ferromagnésiens (ici, principalement le Ridged Basement) et d’olivine (unité à olivine et carbonate). (c) Spectres CRISMtargeted duRidged Basement(crêtes confondues) comparés à des spectres de laboratoire tirés de la PDS Geoscience Spectral Library (saponite LASA52 et vermiculite LAVE01). Le numéro d’observation CRISM est indiqué sous les spectres.

L’unité à olivine et carbonate est décrite en détails en fin de section dans une étude publiée dans le journal Icarus (Mandon et al., 2020).

III.2.1.4 La couche à kaolinite

Localement, des dépôts blanchâtres relativement fins (<2 m) sont retrouvés sur le Ridged Basement. Ces derniers ont des spectres caractérisés par des absorptions à 1,4 et 1,9 µm et une absorption asymétrique à 2,2 µm (Figure III.18 ; Ehlmann et al., 2009; Scheller et Ehlmann, 2020). La position de cette dernière est caractéristique des phyllosi-licates alumineux, l’asymétrie étant généralement observée dans le cas de la kaolinite, ou

a

Figure III.17 – (a) Spectres CRISM targeted de l’unité à olivine et carbonate comparés à des spectres de laboratoire tirés de la PDS Geoscience Spectral Library (magnésite CACB06, fayalite C3PO59 et forstérite C1PO51), de l’USGS Spectral Library (forstérite HS285.4B BECKb) et mesuré par le spectromètre SHADOWS à l’IPAG (serpentine LM15).(b) Cartographie combinée OMEGA/CRISMsurvey/THEMIS de l’unité à olivine et carbonate (Mandonet al.,2020, modifié ; fond : mosaïque de MNT HRSC et THEMIS IR nuit).(c)Morphologie à haute résolution de l’unité à olivine et carbonate (HiRISE PSP 006712 2020).

de sa forme hydratée, la halloysite. Les deux absorptions responsables de l’asymétrie de la bande (à 2,16 µm et 2,21 µm) étant peu distinctes, Ehlmann et al. (2009) proposent la présence, soit d’une forme peu cristalline de kaolinite, soit de halloysite, soit d’un mé-lange de kaolinite et de smectite alumineuse (ayant une bande symétrique à 2,2 µm).

Ces dépôts sont observés en place sur le Ridged Basement et occupent le même niveau stratigraphique que la couche à olivine et carbonate.