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II.2 La spectroscopie de réflectance

II.2.3 Absorptions du spectre lumineux

La réflectance d’une surface mesurée par un détecteur en fonction de la longueur d’onde est appelée spectre. En dessous de 1, la lumière a été absorbée par la surface ; les chutes significatives de réflectance à des longueurs d’onde précises sont appelées bandes d’absorption : ce sont les caractéristiques de ces bandes qui permettent de remonter à la composition d’une surface.

II.2.3.1 Processus électroniques

Un grand nombre de bandes d’absorptions observées sur les spectres de minéraux dans l’ultraviolet, le visible et le proche infrarouge (jusqu’à∼2 µm) peuvent s’expliquer par des processus électroniques impliquant pour la plupart les éléments de transition (comme le fer, le nickel, le manganèse, le titane, etc.).

Transitions électroniques de champ cristallin

Dans le modèle classique de Bohr (Bohr, 1913), les atomes sont représentés comme étant constitués d’électrons orbitant autour d’un noyau sur des orbites correspondant à des niveaux d’énergie définis, l’absorption ou l’émission de photons entraînant respectivement le déplacement des électrons sur des orbites de plus haute ou basse énergie. La théorie quantique prend en compte le caractère ondulatoire des particules, et décrit la position des électrons en termes de probabilité : l’espace à haute probabilité d’observer un électron est appelé orbitale atomique. Une orbitale est caractérisée en fonction de trois grandeurs : son niveau d’énergie n, son moment angulaire l et son nombre quantique magnétique m. Dans le cas des éléments (ou ions) de transition, les orbitales de type d, c’est à dire caractérisées par un moment angulaire de 2, ne sont pas pleinement saturées en électrons, et sont situées sur le même niveau d’énergie. Dans cette configuration où les niveaux d’énergie sont identiques entre les orbitales, le passage d’un électron d’un orbitale à une autre n’entraîne pas de changement d’énergie : il ne peut ainsi avoir ni émission ni absorption du rayonnement.

Or, lorsqu’un cation de transition est entouré d’anions comme c’est le cas dans les minéraux et notamment avec l’oxygène, une mise en commun d’électron(s) provenant de l’anion avec les orbitales vides du cation a lieu. Ainsi, des orbitales d de même énergie n peuvent se séparer en différents niveaux d’énergie distincts : les orbitales physiquement proches des anions participent à cette forme de liaison, dite de coordination, et peuvent donc se placer sur des niveaux d’énergie supérieure. Les orbitales physiquement éloignées des anions entourant le cation et ne participant pas à une liaison de coordination se retrouvent par conséquent sur des niveaux d’énergie inférieure. Ce clivage d’un niveau d’énergieE0en deux nouveaux niveauxE1 etE2 lorsqu’un ion de transition se trouve dans un champ cristallin autorise ainsi le passage des électrons externes sur différents niveaux d’énergie : il peut donc y avoir absorption du rayonnement, lorsque l’énergie de ce dernier correspond à la différence entreE1 et E2.

Ce type d’absorption de la lumière liée aux transitions électroniques produit des bandes d’absorption larges sur les spectres de réflectance dans le visible et dans le proche infra-rouge (Figure II.8), dont l’intensité varie en fonction des arrangements cristallins, mais également en fonction du nombre d’électrons disponibles (Hunt, 1977). Dans le cas du fer qui présente plusieurs degrés d’oxydation (et donc d’électrons), c’est la forme ferreuse Fe2+ qui produit les absorptions les plus intenses, en opposition à la forme ferrique Fe3+. C’est ainsi le fer ferreux qui est responsable des fortes absorptions à ∼1 µm et ∼2 µm des minéraux mafiques (cf. partie II.2.4.1).

Transferts de charge

Dans les champs cristallins, d’autres processus électroniques sont à l’origine d’absorp-tions dans le visible et proche infrarouge : les transferts de charge de cation à cation, et ceux avec les atomes d’oxygène.

Dans le premier cas, les cations sont suffisamment proches les uns des autres pour qu’un transfert d’électron ait lieu. Les transferts de charge les plus courant dans les minéraux sont ceux impliquant le fer, le manganèse ou le titane. Ce type de processus électronique permet ainsi d’expliquer la faible réflectance de la magnétite, couramment observée dans les météorites martiennes (e.g.,Becket al.,2015; Herdet al., 2017) et de formule Fe2+Fe3+2 O4, où des transferts de charge entre Fe2+et Fe3+ ont lieu (Strens et Wood, 1979).

Dans le second cas, les transferts d’électrons ont lieu depuis les atomes d’oxygène vers le cation métallique. Ce processus, ainsi que celui du transfert de charge cation−cation, demande plus d’énergie que dans le cas des transitions électroniques de champ cristallin (Hunt, 1977), et provoque de ce fait des absorptions à plus faible longueur d’onde, ty-piquement dans l’ultraviolet et le visible. Les transferts d’électrons O2−Fe3+ sont ainsi responsables de fortes absorptions dans les gammes du violet et du bleu (Figure II.8), et sont de fait particulièrement impliqués dans le cas de minéraux d’altération riches en oxydes de fer (et donc de la poussière martienne), en leur procurant leur couleur brune/orangée typique.

Conduction

Les électrons les plus externes des métaux, et à moindre mesure des semi-conducteurs, peuvent circuler librement dans le minéral. Ces électrons résident dans une couche de haute énergie de l’atome appelée couche de conduction. Ce niveau est supérieur en énergie à la couche de valence, couche la plus externe où les électrons restent liés à l’atome.

La différence d’énergie pour passer de la couche de valence à celle de conduction, et inversement, varie en fonction des éléments : plus cette différence est faible, et plus l’élément sera conducteur. Dans le cas des métaux, cette différence est nulle : le passage d’une couche à l’autre ne nécessite pas de transfert d’énergie. Pour les autres éléments, cette différence est non nulle : un apport d’énergie est nécessaire pour transférer un électron depuis la couche de valence vers celle de conduction. Pour les éléments semi-conducteurs tels que le soufre, cette différence correspond à l’énergie du rayonnement dans l’ultraviolet jusqu’au très proche infrarouge, en résulte des absorptions à ces longueurs d’ondes comme dans le cas des sulfures (Hunt, 1977).

Centres colorés

Le dernier processus électronique discuté ici est celui des "centres colorés", ou centre F (pour farbe, couleur en allemand). Ce processus met en jeu les défauts dans le réseau cristallin : une lacune en anion ou en électron provoque localement un déficit de charge nécessitant d’être comblé par un électron, qui pourra ainsi transiter sur un niveau d’énergie supplémentaire si irradié par le rayonnement à l’énergie correspondante. Les centres colorés produisent des absorptions à des gammes d’énergie de l’ordre du visible, notamment dans le cas des halogénures (tels que la halite ou la fluorite). Ce processus n’étant pas impliqué dans la majorité des cas des minéraux discutés ci-après, il n’est donc pas discuté plus en détails ici.

II.2.3.2 Vibrations moléculaires

L’énergie du rayonnement infrarouge au delà de ∼2 µm est insuffisante pour exciter les électrons, mais suffisante pour exciter la vibration des molécules. Parmi les types de vibration moléculaire, on distingue deux modes actifs dans le proche infrarouge (Figure II.7) :

— un mode d’élongation (ou stretching), où la taille de la liaison varie. Il peut être symétrique (on parle alors du modeν1) ou asymétrique (mode ν3) ;

— un mode de pliage (ou bending) ν2. Ce mode de vibration est moins énergétique que l’élongation et est uniquement possible pour les molécules de plus de deux atomes.

ν

1

étirement symétrique

étirement asymétrique

ν

3

pliage

ν

2

Figure II.7 – Modes de vibration pour une molécule triatomique (p. ex., H2O)

Ces phénomènes provoquent des absorptions du spectre lumineux principalement dans l’infrarouge, et sur des gammes de longueur d’onde plus resserrées que dans les cas des processus électroniques décrits précédemment. Les processus de vibration des molécules peuvent être assimilés à un système masse-ressort classique, dont la fréquence s’exprime :

ν = 1 2π

sk

µ (II.8)

oùk est la constante de raideur du ressort (ici la force de la liaison) etµ la masse réduite du système, définie comme µ= mm1m2

1+m2, avec m1 et m2 les masses des atomes liés. Cette relation permet de comprendre au premier ordre les variations de position des bandes d’absorption (qui sont directement liées à l’énergie et donc à la fréquence de vibration) : pour des atomes de haut numéro atomique – et donc de forte masse, la fréquence de vibration est faible, les absorptions ont donc lieu à plus grande longueur d’onde que dans le cas de petits atomes. La force de la liaison influe également sur la fréquence de vibration, et sur les positions des bandes d’absorption. Ainsi, pour deux mêmes couples d’atomes, ceux liés par plusieurs liaisons absorbent à des longueurs d’onde plus courtes que ceux liés par une unique liaison.

À noter que les molécules ayant un moment dipolaire nul (une répartition symétrique des charges au sein de la molécule) sont "inactives" dans l’infrarouge, c’est à dire qu’elles ne peuvent absorber le rayonnement en vibrant. En effet, lorsqu’une liaison vibre, la dis-tance entre les atomes change, induisant une oscillation du moment dipolaire. Si cette oscillation interagit avec le champ électrique E~ d’un rayonnement de même fréquence, un échange d’énergie peut avoir lieu et donc une absorption. Ce phénomène explique pourquoi le N2 et l’O2 atmosphériques absorbent très peu le rayonnement infrarouge et ne sont pas des gaz à effet de serre, à la différence du CO2, du CH4 ou de l’H2O qui possèdent un moment dipolaire non nul1. Également, l’intensité des bandes d’absorption augmente avec le moment dipolaire des molécules : cette propriété explique pourquoi cer-tains groupes peuvent provoquer des bandes d’absorption plus profondes que d’autres, à même concentration.

En spectroscopie de réflectance, on étudie la zone du proche infrarouge (jusqu’à∼4–5 µm). Les absorptions fondamentales (un quantum d’énergie nécessaire à une vibration νn est absorbé) ont majoritairement lieu à plus basse fréquence dans l’infrarouge. Pour les longueurs d’onde inférieures à ∼2,7 µm, ce sont les harmoniques (plusieurs quanta d’énergie nécessaire à une vibrationνn sont absorbés, p. ex., 2νn) et les combinaisons (p.

ex., νn + 2νm) des modes de vibrations qui, plus énergétiques, provoquent l’absorption du spectre.

La spectroscopie de réflectance est particulièrement adaptée aux détections des prin-cipales familles minéralogiques, dont les groupes suivants sont actifs dans l’infrarouge :

— OH, H2O et métal–OH (présents dans les minéraux hydratés et/ou hydroxylés) ;

— CO23 (présent dans les carbonates) ;

— SO24 (présent dans les sulfates) ;

— PO34 (présent dans les phosphates) ;

1. Le CO2et le CH4possèdent des moments dipolaires nuls, mais certaines vibrations créent en réalité un dipôle, ce qui rend ces modes actifs dans l’IR.

— NO3 (présent dans les nitrates).

Bilan

La figure II.8 illustre l’absorption du spectre visible et proche infrarouge par des pro-cessus électroniques et vibrations moléculaires ayant lieu dans un minéral hydraté (ici, la nontronite).

OH, H2O, Fe3+-OH,

Al-OH Fe3+-OH

Fe3+

Fe3+

O2--Fe3+

H2O, OH

Fe3+-OH, Al-OH

vibrations moléculaires processus électroniques

OH, H2O, Fe3+-OH,

Al-OH

Figure II.8 –Exemple d’absorptions du spectre lumineux liées à des processus électroniques (trans-fert de charge oxygène – fer et transitions électroniques du fer) et des vibrations moléculaires sur un échantillon de nontronite (smectite Fe3+, et à moindre mesure, Al) mesuré grâce au spectromètre SHADOWS (cf. section IV.1)

II.2.3.3 Paramétrisation des absorptions

Comme nous venons de le voir, la description des bandes d’absorption du spectre de réflectance d’une surface renseigne sur les types de minéraux présents. Cette description se fait à l’aide de la quantification de paramètres de bandes, typiquement leur position en longueur d’onde, leur largeur et leur profondeur.

Pour une bonne paramétrisation des bandes, il est nécessaire de s’affranchir du "conti-nuum", qui représente l’ensemble du spectre hors bande d’absorption identifiée (Figure II.9). L’estimation des continuums en spectroscopie de réflectance est particulièrement importante, puisque ils sont rarement constants. Leur pente au niveau des bandes

d’ab-sorption introduisent des décalages artificiels en longueur d’onde des positions apparentes des bandes d’un minéral étudié : si le continuum possède une pente positive (dite rouge), le minimum de la bande sera artificiellement décalé vers les courtes longueurs d’onde, et inversement dans le cas d’une pente négative (dite bleue ;Clark et Roush, 1984). Si ces pentes spectrales peuvent être causées par une phase absorbant plus ou moins le rayon-nement à longue ou courte longueur d’onde, elles peuvent également être dues à des effets décorrélés de la composition de la surface. Par exemple, une diffusion préférentielle du rayonnement en longueur d’onde peut être causée par une granulométrie spécifique (lorsque la taille des grains est comparable à la longueur d’onde). Ainsi, de nombreux spectres de poudres possèdent des continuums rouges (cf. section IV.3.4).

Pour estimer un continuum, on considère généralement la partie supérieure d’une en-veloppe convexe autour des points de mesure composant le spectre (p. ex., Horganet al., 2014). Le continuum est ensuite retiré du spectre par division du spectre (Figure II.9).

Les méthodes utilisées dans ce travail pour le calcul des continuums sont détaillées dans le chapitre IV.

Si les positions et largeurs des bandes renseignent sur la composition minéralogique et chimique des surfaces (cf. section précédente), l’abondance de ces minéraux peut être reliée au premier ordre à la profondeur de ces absorptions, ici notéeBD pourBand Depth.

Le calcul de la profondeur de bande est couramment utilisé en spectroscopie de réflectance, et notamment pour la cartographie des surfaces planétaires, dans l’optique d’identifier les surfaces exposant au mieux les minéraux ciblés (p. ex.,Pelkeyet al., 2007; Viviano-Beck et al., 2014; cf. section III.1.6). Selon la formulation de Clark et Roush (1984), le calcul de la profondeur d’une bande sur un spectre dont le continuum n’est pas retiré s’exprime :

BD= 1− RB

Rc (II.9)

où RB est la réflectance mesurée à la position de la bande et Rc la réflectance du continuum à la même longueur d’onde. Pour une absorption positionnée àλB entre deux épaules λ1 (courte longueur d’onde) et λ2 (grande longueur d’onde), Rc s’exprime :

Rc =aR1+bR2, avec : (II.10)

a= 1−b et b = λB −λ1

λ2−λ1

. (II.11)

Dans la même logique, BD peut être estimé simplement sur un spectre dont le conti-nuum a été retiré en calculant la différence entre la ligne de base (R = 1) et le minimum d’absorption (Figure II.9).

, ,

, ,5

λ1 λB λ2

R

c

R

B

, , ,

BD

Figure II.9 –Représentation du continuum d’un spectre et des grandeurs utilisées dans le calcul d’une profondeur de bande d’absorption (équation II.9 ;RB : réflectance mesurée à la position de la bande, Rc : réflectance du continuum à la même longueur d’onde,λ1 : position de l’épaule à courte longueur d’onde, λB : position de la bande, λ2 : position de l’épaule à grande longueur d’onde, BD : profondeur de l’absorption)