qui a joué un rôle déterminant dans la carrière du général Arthur Boucher, lui
permettant, par ses notes de service notamment, de promouvoir sa carrière et de
lui permettre d’être nommé au poste très important de chef du 3
ebureau de
l’état-major de l’armée. Ce dernier lui restera très fidèle tout au long de sa vie.
De 1883 à 1887, le général de Boisdeffre commande le 106
erégiment
d’infanterie à Châlons-sur-Marne. C’est dans ce poste qu’il rencontre le nouveau
commandant du VI
ecorps d’armée, le général de Miribel. Il le suit à Paris lorsque
celui-ci est nommé en 1890 chef d’état-major général de l’armée et il devient
alors adjoint comme sous-chef de l’état-major général. Le 2 septembre 1898, sur
327 Ibid., p. 92. 328 Ibid., p. 230. 329 Ibid., p. 510-511.
330 Ibid., p. 558. Un an plus tard éclate l’affaire Dreyfus, et on peut légitiment se demander si la disparition si brutale du général de Miribel n’a pas créé les conditions favorables à son apparition.
sa demande, il est relevé de ses fonctions de chef d’état-major général, après la
découverte du « faux Henry »
331, et dès lors n’exercera plus aucun commandement.
Cette proximité entre Arthur Boucher et de Boisdeffre naît dès l’affectation de
ce dernier au 106
eRégiment d’infanterie commandé par le colonel de Boisdeffre.
Arthur Boucher le suit à l’état-major du 6
ecorps, puis, très vite après,
l’accompagne à l’état-major de l’armée à Paris, qui vient d’être réformé, avec à sa
tête le général de Miribel. Mais la marque de confiance la plus emblématique
demeure la mission qu’il accomplit aux côtés du général de Boisdeffre, alors
sous-chef d’état-major de l’armée : celui-ci lui demande de l’accompagner à
Saint-Pétersbourg pour une mission de très haute importance, destinée à élaborer une
convention militaire d’alliance entre la France et la Russie. L’année suivante,
nouvelle marque de confiance de Boisdeffre envers Arthur Boucher : ce dernier,
venant d’être nommé en remplacement du général de Miribel, brusquement
décédé le 13 septembre précédent, le nomme chef de son cabinet le 28 septembre
1893. Le 28 décembre 1893, Arthur Boucher est nommé lieutenant-colonel, il a
46 ans. Le 18 juillet 1894, le général de Boisdeffre le nomme au très important
poste de chef du 3
ebureau de l’état-major général de l’armée. Le 9 mars 1897,
quelques semaines avant ses cinquante ans, il est promu colonel et, le 7
septembre, il est nommé à la tête du 101
eRégiment d’infanterie en garnison à
Saint-Cloud. Ainsi, pendant près de quinze années, Arthur Boucher est sous les
ordres du général de Boisdeffre, qui n’hésita jamais à lui confier des missions et
des postes importants, en toute confiance. Si la brillante carrière du général de
Boisdeffre a été en grande partie occultée, c’est certainement en raison de la
responsabilité qu’il porte dans le déroulement de l’affaire Dreyfus.
À notre connaissance, aucune biographie vraiment documentée n’a été écrite
sur ce personnage. Aussi nous nous appuierons sur deux sources différentes
332.
Raoul-François-Charles Le Mouton de Boisdeffre est né le 6 février 1839 à
Alençon, en Normandie. Il est issu d’une vieille famille militaire de Normandie,
qui s’est longtemps illustrée sur les principaux champs de bataille d’Europe
333. Il
entre à Saint-Cyr en 1858, et après son passage par l’École d’état-major (il en sort
premier en 1862), il est nommé lieutenant le 8 janvier 1863 aux cuirassés de la
Garde. Pendant quatorze ans, il est l’ami dévoué, le collaborateur assidu, le
confident du général Chanzy. Nommé capitaine le 12 août 1866, il est attaché à
l’état-major de la division à Oran et devient aide de camp du général Chanzy à
331 Ce qu’on appelle communément le « faux Henry » est un document administratif falsifié par le lieutenant-colonel Henry pour accuser faussement Dreyfus de trahison.
332 La notice parue dans M. Prévost, Roman d’Amat (dir.), Dictionnaire de Biographie française…, op. cit., t. 6 ; et l’ouvrage du général André Bach, L’Armée de Dreyfus…, op. cit.
333 Son grand-père, Louis, René, Le Mouton de Boisdeffre (1744-1814), fut un général de brigade de la Révolution française.
Sidi Bel Abbès le 6 janvier 1869. Il fait la campagne contre la Prusse, au 13
ecorps
en retraite de Mézières sur Paris. Le 21 décembre 1870, il quitte la capitale en
ballon (chargé d’une mission confidentielle) pour rejoindre à Tours le général
Chanzy qui vient de prendre le commandement de l’armée de la Loire. Après
guerre, il retourne en Algérie (1873-1878), et redevient une troisième fois aide de
camp de Chanzy pendant son gouvernement général. Il le suit encore à
Saint-Pétersbourg comme attaché militaire lorsque le général est nommé ambassadeur
auprès du tsar (1879-1880). Lieutenant-colonel le 18 juillet 1878, il est ensuite
nommé colonel à l’état-major du 6
ecorps en juillet 1882, Chanzy venant de
prendre en février 1882 le commandement du corps. Début 1883, le général
Chanzy décède subitement. De Boisdeffre prend alors le commandement du 106
eRégiment d’infanterie (du 6
ecorps), qu’il exercera du 13 mars 1883 au 13 janvier
1887. À cette date, il devient chef d’état-major du 6
ecorps jusqu’au 17 mai 1890,
date à laquelle il suit le général de Miribel à Paris comme adjoint, avec, comme
fonction, sous-chef d’état-major de l’armée. Peu auparavant, le 31 décembre
1887, il avait été nommé général de brigade, à quarante-huit ans.
Dès sa prise de fonction à Paris, en août, il est chargé de mission en Russie
pour assister aux manœuvres de la garde impériale. Conseiller d’État en service
extraordinaire le 12 novembre 1891 pour suivre les questions relatives à
l’organisation de l’armée, il est promu à cinquante-trois ans général de division (le
23 juillet 1892) et de nouveau désigné pour suivre les grandes manœuvres de
l’armée russe
334. Alors qu’il venait d’être placé le 26 août 1893 à la tête de la 10
edivision, il apprend le décès brutal du chef de l’état-major de l’armée, le général
de Miribel, dont il avait été l’adjoint. Le général de Miribel l’avait choisi comme
son futur dauphin et imaginait que ce dernier aurait deux ou trois ans pour se
préparer à ce poste et faire ses preuves à la tête d’une division, mais la mort de
Miribel ne laisse pas au général de Boisdeffre le temps d’acquérir l’autorité
nécessaire pour « en imposer aux généraux de corps d’armée et aux directeurs du
ministère. Il ne pouvait disposer de l’écoute d’un de Moltke jusqu’en 1888, ou
d’un Schlieffen devenu à son tour chef du grand état-major allemand depuis 1891,
et ce, pour une durée qui ne s’interrompra qu’en 1906. La mort prématurée de
Miribel donnait ainsi un sérieux coup de frein à l’ambition de l’état-major de
devenir l’outil incontesté de la préparation stratégique et tactique, tant de l’armée
que des officiers chargés de la diriger. »
335.
334 C’est au cours de cette mission officielle qu’il négocia les accords militaires secrets (août1892) entre la France et la Russie. Pendant cette mission, le tsar lui donna les marques de la plus vive sympathie. L’empereur d’Allemagne Guillaume II assistait également à ces manœuvres et se montra particulièrement prévenant pour le général.
« Décès du si regretté et éminent de Miribel » dit le général de Boisdeffre en
apprenant le décès du général de Miribel. Il le remplace immédiatement à titre
provisoire. Il devient officiellement titulaire du poste le 1
ermai 1894. Cette
nomination inattendue ne remplit guère de joie le général de Boisdeffre :
Elle arrivait trop tôt dans sa carrière et allait l’obliger à essayer d’exister entre le ministre et le vice-président du Conseil supérieur de la guerre. (…) Resté longtemps dans l’ombre de Chanzy, il n’était connu que de cercles restreints, et il était condamné, privé de la protection de Miribel, à louvoyer dans un milieu où son manque de notoriété pouvait lui être rappelé à tout instant.336