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Vers une compréhension approfondie des mécanismes fondamentaux relatifs aux photochromismes

1. Généralité sur le photochromisme

1.1 Définitions

Photochromisme. Le photochromisme est la transformation réversible d'une espèce chimique

entre deux formes, A et B possédant chacune un spectre d'absorbance différent, induite dans une ou les deux directions par l'absorption d'un rayonnement électromagnétique. L'interconversion entre les deux états est habituellement accompagné par un changement des propriétés physico-chimiques de l'espèce, telles que l'indice de réfraction, la solubilité, la viscosité, la mouillabilité d'une surface ou les constantes diélectriques…

Comme le montre la Figure 10, la forme stable thermodynamiquement A est transformée par irradiation vers la forme moins stable B, possédant un spectre d'absorbance différent, laquelle peut être reconvertie en forme A, par voie thermique et/ou photochimique. Plus précisément, si A et B sont thermodynamiquement stables (composés bistables), on parle de photochromes de Type P avec une reconversion photoinduite. Si B est thermodynamiquement instable, le photochrome est de type T et la reconversion se fait thermiquement.

Habituellement, pour la majorité des composés photochromiques, la forme stable est incolore ou jaune pâle, et se colore lors de l'irradiation (photochromisme positif). Quelques

composés photochromiques montrent une forme A colorée et une forme B incolore (photochromisme négatif), ou révèle un changement réversible entre différentes couleurs.

Figure 10 : Concept du photochromisme.

Paramètres photochromiques. Il est important de quantifier l’efficacité des molécules

photochromes et évidemment, outre les paramètres photochimiques classiques (lA, lB) et les coefficients d’extinctions (

A,

B), il est important de se référer au rendement quantique de formation de B(A) après excitation de A(B) selon :

𝜙𝐴→𝐵=𝑛𝑜𝑚𝑏𝑟𝑒 𝑑𝑒 𝑚𝑜𝑙é𝑐𝑢𝑙𝑒𝑠 𝑑𝑒 𝐵 𝑓𝑜𝑟𝑚é𝑒𝑠

𝑛𝑜𝑚𝑏𝑟𝑒 𝑑𝑒 𝑝ℎ𝑜𝑡𝑜𝑛𝑠 𝑎𝑏𝑠𝑜𝑟𝑏é𝑠 𝑝𝑎𝑟 𝐴 𝑜𝑢 𝜙𝐵→𝐴=

𝑛𝑜𝑚𝑏𝑟𝑒 𝑑𝑒 𝑚𝑜𝑙é𝑐𝑢𝑙𝑒𝑠 𝑑𝑒 𝐴 𝑓𝑜𝑟𝑚é𝑒𝑠

𝑛𝑜𝑚𝑏𝑟𝑒 𝑑𝑒 𝑝ℎ𝑜𝑡𝑜𝑛𝑠 𝑎𝑏𝑠𝑜𝑟𝑏é𝑠 𝑝𝑎𝑟 𝐵

L’état photostationnaire correspond à l’état d’équilibre thermodynamique de la réaction photochrome, obtenu après irradiation lumineuse durant un temps suffisamment long. Les concentrations en A et B (𝐶𝐴 𝑒𝑡 𝐶𝐵) peuvent s’exprimer à l’état photostationnaire selon :

𝐶𝐴

𝐶𝐵=𝜀𝐵𝜙𝐵→𝐴 𝜀𝐴𝜙𝐴→𝐵

Dans ces conditions, le taux de conversion (𝑋𝐵) de A est relié aux rendements quantiques de photoréaction et photoréversion selon :

𝑋𝐵= 𝜀𝐴𝜙𝐴→𝐵

𝜀𝐴𝜙𝐴→𝐵+ 𝜀𝐵𝜙𝐵→𝐴

Il est intéressant de voir que si 𝜙𝐴→𝐵 tend vers 1 et 𝜙𝐵→𝐴 tend vers 0 (ce qui est le cas des diaryléthènes que nous étudierons plus loin), le taux de conversion tend vers 100%.

Dans le cas des photochromes de type T, le retour B→A se fait essentiellement par voie thermique. La caractérisation de ce processus implique la détermination de la constante de vitesse

ket de l’énergie d’activation EA* (loi d’Arrhenius).

Fatigue des photochromes. Bien que le photochromisme soit un processus pleinement

réversible, des réactions secondaires peuvent avoir lieu. Cette photodégradation, même mineure, présente dans le temps ou sous irradiation prolongée est donc responsable de la perte progressive des propriétés photochromiques. Cette perte de performance, souvent provoquée par une oxydation du composé, est qualifiée de fatigue du photochrome. Une manière de quantifier cette fatigue est de déterminer le nombre de cycles, photoréaction/(photo)réversion, AB, que le système peut subir sans photodégradation notable de A.

A B

lA

lB , 

lA

Figure 11 : Différentes familles de photochromes.

1.2 Familles de photochromes

Il n’est pas question ici de donner une liste exhaustive des différentes familles de photochromes. Nous renvoyons le lecteur aux livres2 et revues complètes.3 Il me semble judicieux de donner ici quelques exemples de photochromes qui serviront aussi à comprendre quelques points de ce manuscrit. Evidemment, les différentes familles de photochromes peuvent être classées selon le type de réaction chimique à l’origine de la modification structurale et donc spectrale.

Photochromisme par isomérisation cis-trans. Une famille importante de photochromes est basée sur l’isomérisation cis-trans photoinduite des doubles liaisons C=C, pour les stilbènes, ou N=N, pour les azobenzènes,4 ces derniers étant de loin les plus répandus dans la littérature. Le changement spectral des azobenzènes entre les formes trans et cis, induit par les rayonnements UV, est en général modéré à cause de la similitude concernant la délocalisation des électrons  des deux formes. Par contre, la différence de géométrie étant très forte entre les formes trans et cis, ces molécules sont utilisées pour les applications nécessitant un déplacement de matière (actionneur, Surface Relief Grating...).

Photochromisme par transfert de particule/groupement moléculaire. Pour ces familles de photochromes, généralement de type T, la photoréaction est basée sur le transfert d’un électron (viologènes), d’un proton (anils), dun atome d’hydrogène (quinolone-cétone) ou sur le transfert d’un groupement chimique (quinone)…. Evidemment, ce type de photochromisme est très sensible à l’environnement.

Photochromisme basé sur une réaction péricyclique.§§ Outre les réactions de cycloaddition

(ex : dimérisation de l’anthracène), plusieurs familles importantes de photochromes sont basées sur l’électrocyclisation qui est un réarrangement électronique entraînant la transformation d’une liaison  en liaison  ou vice-versa. Qu’elles soient concertées ou non, les réactions de photoélectrocyclisation font intervenir dans la majeure partie des cas, 6 électrons  et 6 atomes. Les spiropyranes et spirooxazines (voir Figure 11) sont des photochromes de type T (molécules que j’ai un peu étudiées à mon arrivée au LASIR) tandis que les fulgides, fulgimides et les diaryléthènes sont en général des photochromes de type P. Bien évidemment, je vais détailler plus longuement les principes de cette famille par la suite.

1.3 Les Diaryléthènes

Généralités. Les diaryléthènes sont des dérivés du cis-stilbène construits autour d’une double

liaison C=C substituée par deux groupements aryles. La réaction photochrome des diaryléthènes repose sur une réaction d’électrocyclisation [1,6] du motif 1,3,5-hexatriène formé par l’enchaînement Aryle-Ethylène-Aryle comme le montre la Figure 12. Un exemple très courant de diaryléthènes, très étudiés dans la littérature, concerne la famille des dithiényléthènes qui possèdent des noyaux thiophéniques (Y=C ;X=S) et un pont perfluorocyclopentane.

Forme Ouverte (Open Form, OF) incolore Forme Fermée (Closed Form, CF) colorée Figure 12 : L’électrocyclisation des diaryléthènes.

Cette réaction obéit aux règles de sélection de Woodward-Hoffmann, résumées dans le Tableau 2. Ainsi, dans le cas des diaryléthènes, puisque la réaction d’électrocyclisation implique 6 électrons , elle serait théoriquement possible selon un processus thermique via un mécanisme disrotatoire ou selon un processus photochimique, dit de « photocyclisation » via un mécanisme conrotatoire. Cela étant, les calculs révèlent que la grande barrière énergétique entre le réactif et le produit inhibe la cyclisation par voie thermique et seule la voie photochimique permet donc

d’accéder au produit de cyclisation de manière efficace.

Tableau 2 : Règles de « sélection » de Woodward-Hoffmann. (n ℕ).

Systèmes d'électrons Processus thermique Processus photochimique.

4n conrotatoire disrotatoire

4n+2 disrotatoire conrotatoire

Les différents conformères. De par la nature même des diaryléthènes, et selon la réaction

d’électrocyclisation carbone-carbone, une terminologie précise est employée. En général, la forme thermodynamiquement la plus stable est la Forme Ouverte (Open Form, OF) qui est généralement incolore avec un spectre prédominant dans l’UV. Si on excite cette bande d’absorption UV, on induit la photocyclisation et on produit la Forme Fermée (closed form, CF) colorée avec une nouvelle bande d’absorption dans le Visible. Si une seule conformation existe pour la CF, l’OF peut

exister sous la forme de deux conformères par rapport à l’orientation relative des groupements aryles : un conformère parallèle, noté P(ou cis) et un autre anti-parallèle, noté AP (ou trans) comme le montre la Figure 13.

Figure 13 : Conformère AP en équilibre avec le conformère P non photoactif ; forme colorée CF.

Suivant les règles de Woodward-Hoffmann édictées plus haut, la réaction de photocyclisation ne peut se produire qu’à partir de la conformation anti-parallèle. D’une manière générale, la proportion de chacun des conformères en solution est proche de 50%, notamment pour les diaryléthènes faiblement encombrés au niveau des carbones photo-actifs. Le rendement quantique de cyclisation ne pourrait alors théoriquement pas dépasser 0,5. Un des enjeux de beaucoup de chercheurs est de contourner cette limitation conformationnelle pour d’atteindre des rendements avoisinant l’unité.

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