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La fn du XIXeetledébutXXesièclevoitseformer,notammentàlasuitedestravaux de PaulVidalde la Blache (1845-1918),l'école française de géographie quitransforme à la foisl'objetd'étudedelagéographieetsesméthodes.En efet,PaulVidaldelaBlaches'est attaché à observer «les infuences que [les] phénomènes physiques exercent sur les hommesetsurlesmanifestationsdel'activitéhumaine222».Pourcefaire,ila travaillé au croisementde méthodesde travail:le travailcartographique,le travailen archivesetle travailde terrain.La géographie humaine va donc prendre pour objet d'étude les interactionsentrel'hommeetson milieu.Lapratiquedu terrain prônéeparPaulVidalde la Blache va inscrire une transformation signifcative dansl'approche de la géographie régionale.Celle-cimobilisait,dèsla fn du XVIIIesiècle,l'idéede région naturellecomme ensemble quipeutêtre lu comme homogène etdontla description estfacilitée pardes espacesstables.En convoquantl'analysedesgenresdevieau contactderéalitéssensibles, PaulVidalde la Blache procède à une individualisation desrégionsnaturelles,dontla physionomie ne se restreint pas à sa composition physique,mais se transforme par l'évolution desmodesdevie.Ilen tirelesconclusionsque«lavienesemaintientquepar un efortcontinuelpours'adapteràdesconditionschangeantes223».Ainsi,lesdestructions engendrées par la Première Guerre mondiale inciteront,par exemple,un géographe

221MichelRautenberg concluel'article«T commeType»en rappelantquel'approchetypologiquedemeure une lecture de la réalité et qu'une «typologie n'est jamais neutre,elle doit être au service d'une problématique». RAUTENBERG Michel,«T comme Type», Lescahiersde la recherche architecturale et urbaine,n°20/21,mars2007,p.160.

222BLANCHARDRaoul,«Vidaldela Blache»,Recueildestravaux del’institutdegéographiealpine,no4,1918, p.372.

comme RaoulBlanchard (1877-1965)à proposerune méthode de géographie urbaine. Elle prend comme problématique de recherche l'étude des facteurs géographiques – d'ordrephysiqueou humain – telsqu'entendusparlagéographierégionale,l'examen des évolutions urbaines «jusqu'à [leur] achèvement provisoire224»,et l'étude des formes actuellesdelavieurbaine.

Élève de PaulVidalde la Blache,Jean Brunhes (1869-1930) va prôner une géographie humaine quiserait«avanttoutune description explicative de la surface du globe225»etdontl'étude desgenresde vie se révèle parl'explicitation etla classifcation des«faitsessentiels»,à la fois«méthode etdonc guide226».Ces faitsessentielssontau nombre de trois:l'occupation improductive dessols,l'occupation productive dessolset l'occupation destructive.Ilafrme que les faitsessentiels «se traduisent dansl'ordre géographiquejusqu'àcesfacteursimpondérablesetimmatérielsquifontlaviedessociétés, quifontlesmœurs,l'histoire,l'art,lacivilisation… ».Cetteapprocheparlesfaitsessentiels

permet à Jean Brunhes de modérer l'idée d'un déterminisme absolu des formes de l'établissementhumain vis-à-visdesformesde la géographie227.Ainsiafrme-t-ilavec un certain optimisme:«Ce qu'ilimporte de proscrire,ce sonttoutescesformulesnaguère triomphantes:“l'artproduitdu soletdu climat;… l'histoire faite parle soletparle climat...,le tempéramenthumain d'un groupe collectif,voire même le génie individuel issusdu soletdu climat!…” À quellesbévuesontconduitd'aussisimplistesrecherches d'explication !228»Cecinel'empêcherapas,deproposer,parexemple,unecartedestoits. Maisla production de telsdocumentsa,avanttout,une vocation classifcatoire,etnon pasprescriptive:Jean Brunhesrappelle,en efet,quepour«toutobservateur,surtouts'il survolenospaysen avion,un faitphysionomiquetelqueletoitapparaîtcommen'ayant passeulementun caractère régional,maiscomme étantsusceptible de participerà des descriptionssignalétiquesde plusvastesespaces229».La géographie humaine que meten place Jean Bruhnesprend donc en partie la maison comme objetd'étude maisvise à utiliserleurétablissementdansun soucidescriptifplusqu'explicatif.

224BLANCHARDRaoul,«Une méthode de géographie urbaine»,Lescahiersdela recherchearchitecturaleet urbaine,no20-21,mars2007,p.218,[1èreéd.La vieurbaine,n°16,Pariséd.ErnestLeroux,oct.1922]. 225BRUNHESJean,La géographiehumaine,Paris,LibraireFélixAlcan,1927,p.913.

226Ibid.,p.576.

227Cesélémentsontnotammentpu être portéspar lesmouvementsrégionalistes,notammentpar Jean Charles-Brun (1870-1946). cf. CHARLES-BRUN Jean, Le régionalisme,Paris,Bloud,coll.«Bibliothque régionaliste»,1911,289 p.

228BRUNHESJean,La géographiehumaine,op.cit.,p.918. 229Ibid.,p.914.

AlbertDemangeon (1872-1940),égalementélèvedePaulVidaldelaBlache,quant à lui,conduitd'importantstravaux d'étude géographique du monde rural230.Son travail interrogelesdéterminismesgéographiquesdanslesrapportsentrehommeetnature.Une foisencore,au-delà d'un simple déterminisme géographique,AlbertDemangeon avance l'idée que la forme despaysagesdécoule non seulementde phénomènesphysiques,mais égalementdel'action del'hommesurcesterritoires,etdoncsurdesaller-retourconstants entrel'hommeetlanature231.Si,initialement,sestravaux portentsurlescampagnesetles ruralités,ilva particulièrement s'intéresser à l'habitation rurale à partir desannées 1920.Ilconsidèrealorsla maison rurale comme«un faitd'économie agricole;à ce titre surtout,elle exprime le milieu géographique232».Ilpose alorsla question de la classifcation en des termes jugés,par Denis Wolf,comme moins descriptifs,moins naturalistes et plus fonctionnalistes que ceux de Jean Brunhes.Ilpropose alors une classifcation deshabitationsruralesélaborée d'aprèsleurplan interne etleurfonction agricole:la maison élémentaire,la maison en ordre serré,la maison en ordre lâche,la maison en hauteur. Ces typologies sont illustrées par des plans et des épreuves photographiques.

La géographie humaine ouvre donc un champ d'étude nouveau :le monde rural. Danscetensemble,la maison apparaîtcomme l'élémentquipermetde poser la question del'adéquation entremodedevieetterritoirephysiquenatureletdevient,à ce titre,un objetd'étude de premierrang de la géographie.Jean Brunhesira même jusqu'à qualifer la maison et le cheminement de «semis fondamental du peuplement233».Lerenouvellementdela géographieestopéréparle développement de nouvellesméthodesde travailscientifques.Elle favorise le travaild'enquête et

230AlbertDemangeon soutient,en 1905,unethèsesurlaPacardiequiconstitueunemonographiepionnière surune grande région française etparticulièrementdocumentée,illustrée notammentde trente-quatre photographies.Cetravailestbasé surun importanttravaildeterrain etd'enquête quiserontdespiliers fondateursdesaméthodedetravail.

231Lanatureestentendueiciau sensgéographique,physiquevoiregéologiquedu terme.Danslaconclusion de sa thèse,AlbertDemangeon afrme que «c’estla superposition,surle même territoire,d’un certain nombredephénomènesdominantsdontlaréunion créeunephysionomieoriginale;lesunssontnaturels commelesous-sol,lesol,lerelief,l’hydrographie,leclimat;lesautressonthumainscommelaculture,la propriété,le travail»(cité parWOLFFDenis,«AlbertDemangeon :un géographe face au monde rural (jusqu’en 1914)»,Ruralia [en ligne],n°18/19,31 décembre 2010,URL :http://ruralia.revues.org/1241 (consultéle26/6/2013).

232DEMANGEON Albert,«L’habitation rurale en France :essaide classifcation », Annalesde géographie, vol.29,n°n°161,1920,p.354.

233BRUNHESJean,La géographiehumaine.Essaideclassifcation positive.Principesetexemples,FélixAlcan,Paris, 1910,843 p.

s'appuiesurdenouveaux outils,notammentlesvuesaériennesetlaphotographie.Les études géographiques sur l'habitat ruralaccompagnent l'émergence de l'idée de régions naturelles de peuplement. Néanmoins, elles demeurent une science de l'observation desterritoiresdontlaclassifcation typologiqueestun outil.En cesens, ellesedistingued'autresétudesconduitesàlamêmeépoque:

«La géographie va notant et localisant un certain nombre de faits complexes qu'elle ne doitpass'aventurer à vouloir par elle-même ni surtoutparelle seule expliquer[…].Lesgéographesne doiventjamais oubliercequiestdelagéographieetcequinerelèvepointd'elle.À plus forte raison, les non-géographes (artistes, archéologues, historiens, économistes,etc.) doivent-ils à leur tour renoncer à solliciter de la géographiedesexplicationserronéesou du moinsfantaisistes234».

Danslacontinuitédecetteidée,legéographeJean Robert(?-?)conduituneétudesur La maison ruralepermanentedanslesAlpesfrançaisesdu nord235.Ilafrmealorsqueson approchedegéographesedistingueàlafoisd'un regard d'architecte– qui,selon lui, chercheraitdesdescriptionssurlesmodesde construction,l'inclinaison destoitsou lesdimensionnementsdematériaux – etd'un regard folkloriste– quis'attacheraitàla description desdétailsmobiliers,décoratifsou encoredesinstrumentsdetravail. Enquêtersurl'architecturerurale

Au-delà destravaux desgéographes,diférentesenquêtesvontêtre conduitesafn de chercheràcomprendreetàdéfnirlestypesdel'habitatrural,utilisantladescription, le dessin,maiségalementla photographie.La première enquête majeure estcelle de l'administrateuretéconomisteAlfred deFoville(1842-1913)publiée,en 1894,sousle titre Enquête sur les conditions de l'habitation en France236. Elle s'intéresse essentiellementàlaFranceruraleetamènel'idéed'uneadéquation entremaison-type etcadre naturel.La conduite d'une telle enquête parun administrateurtraduitla nécessité,pourlesinstancesgouvernementales,de produire une documentation qui fasse étatde manière concrètedesconditionsde l'habitation populaire.Elle prolonge desétudesconduitesdemanièrestatistiquesurlenombre,la consistance etla valeur

234BRUNHESJean,La géographiehumaine,op.cit.,p.914.

235ROBERTJean,La maison ruralepermanentedanslesAlpesfrançaises.Étudedegéographiehumaine,Tours, Arrault& Cie,1939,517 p.

236FLACH JacquesetFOVILLEAlfred de,Enquêtesurlesconditionsdel’habitation en France:lesmaisons-types, Brionne,G.Monfort,1894,vol.2,381 p.

desmaisonsetdesusinesquirévélaitlerapportentrevaleurlocativeetvaleurvénale del'habitat.Pourconduirecetteenquêtesontsollicitésdesfonctionnairesdesimpôts ou desinstituteursàquiAlfred DeFovilleproposeuneméthodenovatrice.Illesinvite égalementàfournirplans,croquisou photographiesquifaciliteraientl'intelligencede la description desmaisons-type.Le travailestdonc conduitpardesenquêteursqui n'ont pas de formation spécifque pour le construire.Les représentations qu'ils produisentapportentpeu d'informationssurlesqualitésarchitecturales,notammentà caused'un manquederigueurdanslesproportionsetd'un manquedesavoir-faire.Si cette enquête marque lesfondementsd'un intérêtpour l'habitation rurale,Albert Demangeon regrettaitdéjàen 1920 un travailjugéinégal.

Lasecondeenquêtemarquantesurl'habitatruralestcelledu Chantierintellectuelet artistique 1425 ditEnquête surl'architecture rurale (EAR).Elle marque une forme d'aboutissementdesréfexionsconduitesdepuisla fn du XIXesiècle surl'habitation populaire.Elleestconsidéréecommeun «momentclédu passagedu “folklore”(...)à “l'ethnologiefrançaise”237».Leschantiersintellectuelsetartistiquessontmisen place, à partirde1941 etjusqu'en 1946,sousla direction du muséedesArtsetTraditions populaires et de l'ethnographe Georges HenriRivière (1897-1985).À partir de thématiquestellesquel'architecturerurale,lemobilierrégional– chantier909 –,ou l'artisanatruraleturbain – chantier1810 –,ilscherchentà décrire la civilisation matérielle.Ceschantiersparticiperontà un travailde légitimation scientifque du musée desArtsetTraditionspopulairescréé en 1937 par GeorgesHenriRivière notammentcomme«contrepoint[au]pressentimentd'unetransformation inévitable, procheetbrutaledu monderuralfrançais238».PendantlaSecondeGuerremondiale, bénéfciantdansunecertainemesuredespolitiquesde retourà la terreprônéesparle régimedeVichy,ilssontun palliatifau chômageintellectuel239.

237DENISMarie-Noële,«L’Enquête d’architecture rurale (1940-1968),une étape dansla construction de l’ethnologie française»,inCHRISTOPHEJacqueline,BOËLLDenis-Michelet MEYRAN Régis,Du folkloreà l’éthnologie,Paris,éd.delaMaison dessciencesdel’Homme,2009,p.49.

238CHIVAIsac,«GeorgeHenriRivière :un demi-siècled’ethnologiedelaFrance»,Terrain [en ligne],no5,1 octobre1985,URL :http://terrain.revues.org/2887#tocto1n4 (consultéle4/6/2013).

239L'ethnologue MarcelMaget (1909 ?-1994),collaborateur de Georges HenriRivière,récuse la thèse avancéeparl'historiographeChristian Faurequivoitdansl'EAR «laconsécration del'ethnographierurale française parle régime de Vichy ».En témoin desévénements,MarcelMagetdansla conduite desces chantiers sur le monde rural comme «une réduction du champ […] due aux contraintes de

Dans ce contexte,l'objectifde l'EAR est d’obtenir des études exhaustives rendantcompte destypesde maisonsrurales,non seulementpourapprofondirla connaissancedesrégions,maispourservirderéférenceslorsdelareconstruction.Une vingtaine de régions françaises sera étudiée. Bien que conduite par l'EAR, la particularité de cette enquête réside dans le fait qu'elle mobilise plus d'une cinquantaine d'architectes.Ilssontconvoquéspourconduire desétudesexhaustives surlesmaisonsruraleseten produire desmonographies,répondantà un cahierdes charges précis fournipar le musée des Arts et Traditions populaires.Dans les instructionspourlesenquêteurs,lesresponsablesdu chantierrappellentl'apportdela géographie humaine ou de l'enquête d'Alfred de Foville dansla constitution d'une documentation surlamaison traditionnelle.Maisilsafrmentégalement:

«Ilappartientsurtoutàdesespritstournésversl'architecture,doncvers lasynthèse,d'étudierlamaison traditionnelle;carcetteétudedemande, avec beaucoup de sensibilité,soitune parfaite connaissance de l'artde bâtir,soitlesmoyensdepouvoirenregistrerlerésultatdesinvestigations pardesrelevésdeplans,decoupesetd'élévation permettantd'exprimer clairementcequefutlapenséedu bâtisseur240»

La participation des architectes est donc recherchée à deux titres: par leurs connaissancesetparleursavoir-faire.Estattendued’eux unedocumentation illustrée, mesurée,précise desmaisonsidentiféescomme signifcativesd'un territoire,de son climat,deson histoireetdesescoutumes.

La méthodologie mise en œuvre estdétaillée avec précision,tant dans les informationsàrécolterquedanslestypesdedocumentsàproduire.Lesétudessuivent un ordrerigoureux:

– une étude de la maison dans son environnement naturelet humain – informationsgénéralessurlepays,ledomaine,lamaison,

– unedescription détailléedesbâtiments– natureetcaractéristiquesdesmurs, desfondations,destoitures,desmatériaux...,

– une analyse critique surl'adaptation de la construction au milieu naturel,à l'hygiène,au genredevie,auxhabitants,

– etun historiquedelaconstruction.

l'Occupation ».MAGETMarcel,«A proposdu Muséedesartsettraditionspopulairesde sa création à la Libération (1935-1944)»,Genèses,vol.10,no1,1993,p.96.

240DÉLÉGATIONGÉNÉRALEÀL’ÉQUIPEMENTNATIONALetSERVICEDESCHANTIERSINTELLECTUELSETARTISTIQUES(éd.),

Enquêtesurl’ArchitectureRégionale.Instructionspourlesenquêteursdu chantier1425.,Bernard frères,Paris, 1941,p.7.

Letravaild'enquêteeststructuréparlanécessitédeproduirediférentsdocuments241:

– un journalderoutedanslequell'architectedoitconsignersesobservationsau jour le jour, carnet directement tiré des méthodes d'enquêtes ethnographiques,

– un carnetde croquisquifaitréférence au journalde route pourtranscrire graphiquementlesobservations,

– un carnetd'épreuvesphotographiques,danslamesuredu possible,

– lesmonographiesdemaisons«n'étantpasautrechosequ'unedescription très détaillée242».

Les monographieselles-mêmes suiventdes normes précises de présentation etde représentation.Ellesrassemblent,surun format21 x 27 cm,un plan desituation,un plan-masse, un plan d'ensemble, plans, façades, coupes et détails signifcatifs. L'ensemble decesdocumentsestproduità une échelle déterminée parle cahierdes charges.La méthode de travailcombine un travaild'enquête orale etun traitement des sources à disposition – cadastre, actes notariés, archives départementales, communales,familiales... Malgré la précision détaillée desélémentsà produire,le

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