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B-1. Aft1p et Aft2p ne sont pas recrutés sur les mêmes promoteurs

Au cours de cette étude, nous avons montré que la plupart des gènes impliqués dans le métabolisme du fer sont régulés par Aft1p ou Aft2p ; Aft1p et Aft2p sont majoritairement recrutés sur les promoteurs de gènes différents. Aft2p, mais pas Aft1p, active directement la transcription des gènes MRS4, SMF3, et probablement COT1. Aft1p, mais pas Aft2p, active directement la transcription des gènes FET3 et FIT2.

Certains autres gènes sont co-régulés par Aft1p et Aft2p. Nous avons ainsi montré qu’Aft1p et Aft2p activent directement la transcription du gène FTR1. Les gènes CTH2 et

FIT3 sont également co-régulés par Aft1p et Aft2p, mais leurs profils transcriptionnels dans

les souches délétées d’AFT1 et/ou d’AFT2 suggèrent d’ores et déjà l’existence de mécanismes de co-régulation multiples, qui restent à définir.

L’analyse in silico des promoteurs des gènes régulés par Aft1p et/ou Aft2p nous a

permis d’identifier des consensus de fixation légèrement différents pour chacun des facteurs de transcription, 5’-TGCACCC-3’ pour Aft1p et 5’-(G/A)CACCC-3’ pour Aft2p. Ces résultats sont en accord avec des analyses récentes de « ChIP-chip », ayant pour but l’identification à grande échelle des motifs de liaison à l’ADN de chaque facteur de transcription de S. cerevisiae (Harbison et al., 2004). Ces auteurs ont identifié la séquence consensus 5’-GCACCC-3’ pour Aft2p et la séquence consensus étendue 5’-TGCACCC-3’ pour Aft1p. Grâce à la mutagenèse dirigée de la séquence consensus du promoteur de FET3 (cible d’Aft1p), nous avons confirmé ces données en mettant en évidence que l’activation transcriptionnelle médiée par Aft1p ou Aft2p est en partie fonction de la nature des résidus

flanquant le noyau GCACCC du consensus. La séquence GTGCACCCAT est nécessaire pour médier une forte activation Aft1p-dépendante, alors que la séquence CCGCACCCAT permet d’observer une plus forte activation Aft2p-dépendante qu’avec la séquence GTGCACCCAT. L’obtention d’une spécificité de régulation par des facteurs de transcription paralogues en « jouant » sur l’extension du motif consensus de base est un mécanisme déjà connu. Des analyses globales de transcriptome réalisées avec deux autres facteurs de transcription paralogues de S. cerevisiae, Yap1p et Cad1p, impliqués dans la réponse transcriptionnelle au stress oxydant et capables de se fixer in vitro sur la même séquence consensus (Fernandes et al., 1997), ont également permis de définir deux séquences consensus légèrement différentes. La séquence 5’-TTACTAA-3’ est préférentiellement présente dans les régions promotrices des gènes régulés par Cad1p, et c’est une séquence plus précise, 5’-GCTTACTAAT-3’, qui est présente dans les promoteurs des gènes régulés par Yap1p (Cohen et al., 2002).

Le consensus d’Aft2p nouvellement identifié n’est cependant pas sur-représenté parmi les promoteurs des gènes régulés par ce facteur (33%, contre 24% pour l’ensemble du génome), ce qui remet en question la pertinence de ce consensus. Y-a-t-il une possibilité de pouvoir définir une séquence consensus de fixation d’Aft2p plus précise ? L’analyse du groupe restreint de gènes activés par AFT1-1up/AFT2-1up et présentant un profil transcriptionnel compatible avec une régulation Aft2p-dépendante (résultat complémentaire à l’article 1, chapitre I) n’a pas permis de préciser davantage la séquence consensus reconnue par Aft2p. Il serait nécessaire d’analyser le recrutement d’Aft2p sur davantage de promoteurs de gènes cibles potentiels, afin de définir d’autres cibles directes de ce facteur de transcription, et ainsi affiner la recherche d’un consensus plus précis. L’obtention des protéines purifiées, afin de mettre en place des expériences de compétition par retard sur gel, serait également d’un intérêt certain pour mieux caractériser la séquence reconnue par Aft2p. Il n’est cependant pas exclu que l’originalité du facteur de transcription Aft2p réside justement dans sa capacité à reconnaître un consensus plus flou, autorisant ainsi la cellule à une certaine flexibilité concernant l’attribution des gènes cibles d’Aft2p.

Bien que le critère « présence/absence » d’une séquence consensus dans la région promotrice puisse fournir des indications quant aux gènes pouvant être directement régulés par Aft1p et Aft2p, l’interaction de ces facteurs de transcription avec d’autres protéines est probablement déterminante pour médier leur activation transcriptionnelle. Fragiadakis et collaborateurs ont déjà montré que le recrutement d’Aft1p sur le promoteur de FRE2, et

probablement sur le promoteur de ARN2, nécessite la présence des protéines à HMG-box Nhp6p, ce qui n’est par exemple pas le cas pour les gènes FET3 ou FRE3 (Fragiadakis et al., 2003).

B-2. Des rôles distincts pour Aft1p et Aft2p dans la régulation du

métabolisme du fer

L’identification des gènes cibles d’Aft2p nous a permis de mettre en évidence une spécialisation fonctionnelle d’Aft2p dans la régulation de l’utilisation et du stockage du fer intracellulaire : Aft2p est seul impliqué dans la régulation directe des gènes SMF3 et MRS4, dont les produits jouent un rôle respectivement dans l’homéostasie du fer vacuolaire et mitochondriale. Nos analyses globales de transcriptome permettent d’élargir ces résultats à d’autres gènes dont les produits sont impliqués dans le métabolisme du fer, et de proposer qu’Aft2p régule directement la transcription de FET5 et FTH1, codant pour le transporteur bipartite de fer vacuolaire, et de FRE6, codant pour une ferriréductase vacuolaire. Aft1p quant à lui régule la transcription des gènes dont les produits sont impliqués dans le transport du fer extracellulaire. Cette spécificité d’action d’Aft1p et d’Aft2p dans la régulation de deux aspects différents de la réponse à la carence en fer, l’un pour le transport du fer au niveau de la membrane plasmique et l’autre pour la réorganisation de la distribution intracellulaire du fer, pourrait expliquer pourquoi ces deux facteurs de transcription font partie des 12% de gènes paralogues conservés à la suite de la duplication entière du génome de S. cerevisiae. Il est possible d’imaginer que l’ancêtre commun, « Aftp », était responsable de la régulation du transport du fer à la membrane plasmique et de la réorganisation de la répartition du fer à l’intérieur de la cellule. Après l’évènement de duplication entière du génome, les mutations accumulées par Aft1p et Aft2p auraient permis de dissocier la régulation de ces deux aspects du métabolisme du fer (modèle évolutif de « Duplication, Degeneration, Complementation », Force et al., 1999). La complémentarité des rôles entre Aft1p et Aft2p dans la régulation du métabolisme du fer serait à l’origine de la préservation des deux copies du gène ancestral.

Nous avons mis en évidence qu’Aft1p et Aft2p régulent la transcription du gène FTR1, codant pour la perméase à fer du complexe bipartite Fet3p/Ftr1p impliqué dans le transport à haute affinité du fer extracellulaire. La régulation redondante de FTR1 par Aft1p et Aft2p pourrait être le reflet de la redondance ancestrale des deux facteurs de transcription.

B-3. Un rôle pléiotrope pour Aft2p dans la cellule ?

Il semblerait que le rôle d’Aft2p au sein de la cellule ne se limite pas à la régulation d’un sous-groupe des gènes impliqués dans le métabolisme du fer. Nous avons également pu mettre en évidence qu’Aft2p est un activateur transcriptionnel direct des gènes ZRT1 et ZRT3, dont les produits sont impliqués dans le métabolisme du zinc. Ceci nous a permis d’établir une base moléculaire pour comprendre les mécanismes de la connexion fer-zinc chez S.

cerevisiae, et d’ajouter ces gènes à la liste des gènes cibles d’Aft2p.

Des analyses globales récentes de la réponse à la carence en fer (Puig et al., 2005) ont également permis de mettre en évidence que les voies de biosynthèse de l’ergostérol et des acides gras peuvent être régulées en fonction de la quantité de fer présente dans le milieu. Nous avons identifié certains de ces gènes comme étant des cibles potentielles directes du facteur de transcription Aft2p.

Comme mentionné dans l’introduction de cette thèse, l’ensemble des processus intervenant dans l’acidification et la morphologie des vacuoles, ainsi que dans le système de trafic des protéines de l’appareil sécrétoire (réticulum endoplasmique, appareil de Golgi, endosomes, vacuole) sont des éléments nécessaires au maintien de l’homéostasie du fer des cellules. En accord avec ces données, nous avons révélé plusieurs gènes dont les produits sont impliqués dans ces processus comme autant de gènes cibles potentiels d’Aft2p, tels que LAP4 ou PEP4 codant respectivement pour une aminopeptidase et une protéinase A impliquées dans la dégradation vacuolaire des protéines, ou AKR1, codant pour une palmitoyltransférase ayant un rôle dans le processus d’endocytose.

Au vu de l’ensemble de ces résultats, il semblerait qu’Aft2p puisse avoir un rôle de régulateur pléiotrope, pour moduler, en fonction des besoins en fer de la cellule, l’expression d’un certain nombre de gènes appartenant à des voies métaboliques différentes.

Pour des raisons encore mal comprises à ce jour, l’augmentation de la transcription des gènes du métabolisme du fer est retrouvée de manière récurrente dans de nombreuses analyses de transcriptome. L’augmentation de la transcription des gènes du métabolisme du fer est par exemple retrouvée dans la réponse cellulaire à l’exposition à divers métaux tels que le cobalt, le zinc ou le cadmium (Stadler et Schweyen, 2002, Lyons et al., 2004, C. Dubacq, communication personnelle et cette étude). Elle est également observée lors d’un stress oxydant, provoqué par exemple par une exposition à l’hydroxyurée ou à la choloroquine, ou par la délétion des gènes SOD1 (superoxyde dismutase) ou GRX5 (glutharédoxine) (C.

Dubacq, communication personnelle, Emerson et al., 2002, De Freitas et al., 2000, Belli et

al., 2004). L’augmentation de la transcription des gènes du métabolisme du fer est aussi

observée lors de la transition diauxique (Haurie et al., 2003). Enfin, la quantité de fer dans le milieu est un paramètre important pour l’expression des gènes du « régulon galactose » ou pour l’adaptation des cellules à un environnement alcalin (Shi et al., 2003, Serrano et al., 2004).

Les résultats concernant la réponse transcriptionnelle de S. cerevisiae à une exposition prolongée à l’hydroxyurée méritent une attention particulière. L’hydroxyurée est une drogue qui inhibe l’activité des ribonucléotide réductases, enzymes à centre di-fer impliquées dans la synthèse et la réparation de l’ADN. En réponse à une exposition à cette drogue, la levure active la transcription des gènes connus pour être régulés par Yap1p, ainsi que la transcription des gènes du transport du fer extracellulaire (cibles d’Aft1p) et de l’utilisation et du stockage du fer intracellulaire (cibles d’Aft2p). Seuls les gènes que nous avons identifiés comme cibles d’Aft2p (MRS4, SMF3, COT1, FET5, FTH1, et LAP4) restent induits en réponse à l’hydroxyurée chez un mutant ∆aft1 (C. Dubacq, communication personnelle), ce qui

confirme les rôles distincts d’Aft1p et d’Aft2p dans la régulation des gènes du métabolisme du fer.

Les études futures permettront probablement de mettre à jour d’autres situations pour lesquelles la régulation du métabolisme du fer est un paramètre important pour les cellules, et apporter ainsi des informations supplémentaires quant à l’importance d’Aft2p dans ces réponses.