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Frontières et limites : l’impossible fixité

2. Territoire, frontières et Union politique

2.2. Frontières et limites : l’impossible fixité

107 Claude MARTINAND, « Réseaux, service public et territoire européen », in L’évènement européen (collectif), op. cit., p. 108.

108 Ibid.

109 Michel FOUCHER, « Peut-on vivre sans frontières ? », in Michel ROCARD, Nicole GNESOTTO (dir.), Notre Europe, Paris, Robert Laffont, 2008, pp. 157-173.

110 François PERROUX, L’Europe sans rivages, Grenoble, PUG, 1990 (1e éd., Paris, PUF, 1954), p. 34.

111 Michel FOUCHER, « Peut-on vivre sans frontières ? », op. cit., p. 157.

112 L’article 2 TUE stipule quant à lui que « L'Union est fondée sur les valeurs de respect de la dignité humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi que de respect des droits de l'homme, y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les femmes et les hommes ».

113 Article 10 du traité de l’Atlantique Nord et article 16 de la Convention relative à l'Organisation de Coopération et de Développement Economiques.

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1992, la Commission affirmait que « le terme européen associe des éléments géographiques, historiques et culturels qui, tous, contribuent à l’identité européenne »114, tout en précisant que chaque génération serait amenée à le redéfinir115. Deux ans plus tard, c’était l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) qui s’emparait de cette question qu’elle traita dans sa recommandation 1247. Là, l’Europe géographique est mise entre guillemets, faute de mieux, mais la définition repose en fait sur un simple lien logique : est européen tout Etat qui est membre du Conseil de l’Europe (en 1994), plus tous ceux qui jouissent à l’époque d’un statut spécial au sein de l’APCE. Or, ce sont 42 Etats qui répondent alors au critère d’adhésion au Conseil de l’Europe, à savoir les Etats dont « le territoire national se trouve entièrement ou partiellement en Europe et dont la culture est étroitement liée à la culture européenne »116. Ce qui va plus loin que la formulation classique du Statut du Conseil de l’Europe117, mais qui ne lève pas vraiment l’ambiguïté.

Il n’est pas dans nos intentions de nous pencher plus avant sur les prétendues limites géographiques de l’Europe. C’est selon nous une fausse question, ou du moins une question superficielle. Il est bien plus intéressant de chercher à savoir pourquoi une telle question se pose. Nous observons par ailleurs que si le débat sur les élargissements futurs de l’Union a lieu, il masque cependant deux questions taboues : celle des limites ultimes et celle de la fixité des frontières.

Les limites ultimes de l’Union diffèrent selon les Etats, leur vision géopolitique et leurs intérêts nationaux. Depuis Washington, regard extérieur s’il en est, il est clair que l’Union devra s’étendre à l’ensemble des Etats membres du Conseil de l’Europe, donc en incluant la Turquie, mais en aucun cas la Russie qui en fait pourtant partie. C’est une vision géostratégique qui semble toujours chercher à contenir la Russie dans ses limites actuelles et qui a ses partisans sur le vieux contient. Une autre vision, davantage portée sur la cohésion interne et une ambition de puissance, verrait au contraire différentes alternatives à l’adhésion (association, partenariats, etc.), afin d’approfondir l’Union tout en tissant des liens forts avec les pays voisins, y compris le Maghreb et Israël, et en fixant des frontières temporaires. C’est le scénario que M. Foucher juge « réaliste et souhaite », et que l’on peut considérer comme étant en partie à l’œuvre au vu de la politique de voisinage de l’UE et de ses différents partenariats. Pourtant, toujours selon M. Foucher, qui laisse peut-être parler là le diplomate, c’est la « carte mentale de la sécurité de la pax euro-americana […] qui se met en place, sans débat public et sans envisager sérieusement de formules alternatives »118. Les limites ultimes seraient donc dans notre carte mentale, comme inavouées. Et si le débat ne s’engage pas, parmi les citoyens, c’est peut-être parce que « s’interroger sur les frontières ultimes, c’est réfléchir au sens de l’action collective, après un demi-siècle déjà de réussite »119. De plus, les

114 Commission des Communautés européennes, L'Europe et le défi de l'élargissement, Bruxelles, 24 juin 1992, communication au Conseil européen de Lisbonne du 26 et 27 juin 1992 (Bulletin des Communautés européennes, supplément 3/92).

115 Michel FOUCHER, « Peut-on vivre sans frontières ? », op. cit., pp. 162-163.

116 Recommandation 1247 de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, article 2.

117 « Tout Etat européen capable de se conformer aux dispositions de l’article 3 […] peut être invité par le Comité des Ministres à devenir membre du Conseil de l'Europe ». Statut du Conseil de l’Europe, article 4.

118 Michel FOUCHER, « Peut-on vivre sans frontières ? », op. cit., p. 170.

119 Ibid., p. 167.

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différentes visions géostratégique, géopolitique ou géoculturelle, traduisent en fait des définitions en négatif de ce qui rassemble les Etats de l’Union. C’est la raison invoquée qui nous renseigne alors. Par exemple, dans le refus d’intégrer la Turquie, il semble qu’il y ait une opposition contre un peuple et sa religion, plutôt que contre un Etat et son économie ou sa géopolitique. Preuve en est le débat sur les racines chrétiennes de l’Europe. S’ajoute à cela le spectre d’une coïncidence entre « l’Union, comme Europe instituée, et l’Europe comme patrimoine historique commun des nations qui s’en réclament »120, qui serait la « réponse idéale et incontestable »121 -autre carte mentale inconsciente, mais aux contours flous.

Les différents scénarios montrent bien que limites ultimes et fixité des frontières sont deux choses distinctes : on peut déterminer une ligne au-delà de laquelle l’Union ne s’engagera pas, de quelque manière que ce soit, même si c’est peu réaliste, et envisager d’avoir des frontières temporairement fixes, au gré des adhésions. Cette fixité, qu’elle soit temporaire ou non, selon l’échelle de temps envisagée, apparaît comme nécessaire à la construction d’une Union politique, envisagée de longue date mais absente des Traités.

La CECA avait pour objectif de « [réaliser] simplement et rapidement la fusion d'intérêts indispensable à l'établissement d'une communauté économique et [d’introduire] le ferment d'une communauté plus large et plus profonde entre des pays longtemps opposés par des divisions sanglantes »122. Dès le début de l’aventure européenne était envisagée une finalité autre que le marché économique, exprimée par exemple dans les traités par cette « union sans cesse plus étroite entre les peuples européens »123 : une Union politique, bien que les termes ne figurent pas124. Même si les premières décennies ont été marquées par une

« dépolitisation »125 en faveur de la production normative, l’intégration économique et notamment la monnaie unique ont « [obligé] à une communauté de destin qui soulève le problème du contenu et d’une finalité politique »126. Au-delà de la question de l’« arbitrage », qui est aujourd’hui au cœur du débat sur la gouvernance économique, c’est bien la finalité et le dessein commun qui doivent être pensés et débattus, et cela ne peut se faire sans une interrogation sur les frontières et le territoire : quel rôle jouent-ils dans le contexte et la perspective de cette Union politique ?

120 Ibid.

121 Ibid.

122 Déclaration Schuman, 9 mai 1950.

123 TUE, préambule.

124 Le terme « politique » n’apparaît dans le TUE et le TFUE que pour désigner une ou des politique(s) de l’UE (commerce, PAC, etc.). La seule exception concerne l’article 10 TUE, où il est question de la

« conscience politique européenne », que les partis européens doivent contribuer à former.

125 Dominique BOCQUET, « Comment ‘politiser l’Europe’ ? », in André BRIGOT (dir.), Les territoires de l’Union, Paris, Cahiers d’Etudes Stratégiques n° 19, 1997, p. 29.

126 Ibid., p. 28.

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