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Chapitre 3. Lire/écrire dans l’espace binaire

5. Journal en ligne Le Monde

2.3. Les fractales dans l’art

La représentation des fractales dans l’art est bien antérieure à l’invention du terme par Mandelbrot. D’un côté, parce qu’elles sont des formes qu’on retrouve dans la nature, d’un autre, parce que les traces des premières notions de ce champ d’étude remontent, selon

149 En anglais, “inner infinity” (Mandelbrot, 1983:43).

150 La typologie des fractales est bien plus large. Le présent ouvrage fait référence seulement aux

Mandelbrot, jusqu’à l’époque d’Aristote et de Leibniz. A titre d’exemple, Mandelbrot (1983) cite le frontispice de La Bible moralisée, (écrite vers 1220-1250) comportant une représentation « fractale » de l’univers, Le déluge de Leonardo Da Vinci vu comme une superposition de tourbillons de différentes tailles et The Great Wave de Katsushika Hokusai (1760-1849), une étonnante image marine où la crête des vagues est figurée par une dentelleries de petites vagues blanches (planches C1, C3, C16). On pourrait y ajouter les peintures de date plus récente, Cathedral (Jackson Pollock, 1947) et Shadow Spirits of the Forest (Mark Tobey, 1961) où l’élément fractal semble également présent bien avant la formalisation du domaine151.

Après la mise au point de la théorie par Mandelbrot, la beauté des images fractales générées sur l’ordinateur a inspiré beaucoup d’artistes et même des mouvements dits « fractalistes ». C’est le cas par exemple du Groupe152 « Les Fractalistes - Art et Complexité », fondé en France dans les années 90, un collectif d’artistes visuels qui proposent comme forme d’expression esthétique un mélange de peinture et de nouvelles technologies centré sur les concepts de réseaux, jeux d'échelles, prolifération, autosimilarité, hybridation, effet papillon, infinitisation, etc. D’autres applications des fractales dans des champs artistiques peuvent viser la sculpture (ATA, 2004), ou des projets tels que le mur antibruit de Bernard Sapoval dans le domaine de l’architecture (Bourdet, 2004), ou encore, le laboratoire de musique fractale (Fractal Music Lab) de David Strohbeen.

La littérature ne peut pas faire exception. On y retrouve : des constructions fictionnelles suggérant l’idée d’échelle « I […] saw the earth in the Aleph, and the Aleph once more in the earth and the earth in the Aleph […] » (Borges, 1998c:283) ; des scénarios qui bifurquent à l’infini (Borges, 1998b) ; des explorations narrativo-psychologiques de l’ensemble de Mandelbrot153 (Clarke, 2001) ; des personnages, tels Thomasina Coverly (Stoppard, 1993) ou Dale Kohler (Updike, 1986), qui inventent ou utilisent dans leur recherches la théorie des fractales ; des structures fictionnelles dotées d’« anfractuosités » (Stephenson, 2003).

151 Voir http://pagesperso-orange.fr/charles.vassallo/en/art/fractalist.html (consulté le 27 juillet

2009).

152 Voir http://www.artotheque.ca/image/manifeste_fractaliste.html (consulté le 27 juillet 2009). 153 L’ensemble de Mandelbrot, une des plus célèbres fractales, une structure symétrique où une partie

3. Le modèle cartographique

Si la construction d’une approximation fractale de la côte comme la courbe Von Koch analysée plus haut peut théoriquement supposer un processus infini, le passage d’une échelle à l’autre sur des cartes électroniques réelles comporte un nombre fini de niveaux de représentation. Les pratiques de zoom-in et zoom-out sur une carte sont déjà devenues chose courante sur le Web, surtout via des applications telles Google Earth ou mapquest. Aujourd’hui, on ne pourrait pas imaginer une carte numérique sans au moins une des facilités de type zoom, rotation, visualisation 3D ou liens avec des diagrammes, tableaux, photographies. Par des changements successifs d’échelle, l’utilisateur peut passer, par exemple, d’une vue panoramique du globe terrestre à l’image satellite de la basilique Saint Pierre du Vatican, sur Google Earth, ou localiser à différents degrés de détail une adresse sur mapquest. En plus du procédé interactif de zoom-in et zoom-out, il y a trois autres aspects du modèle cartographique qui présentent de l’intérêt par rapport au concept de z- texte, i.e. la sélection des détails, la dynamique local/global et la représentation multi- échelle. Ces trois éléments, discutés dans ce qui suit du point de vue cartographique, seront repris dans le chapitre suivant, d’une perspective concernant le texte zoomable.

D’habitude, chaque fois qu’on se retrouve devant une carte, on part de l’hypothèse implicite qu’elle est une représentation objective et non-biaisée de la réalité. Cependant, il s’avère que tout processus de construction cartographique comporte un certain degré de subjectivité ou même d’intentionnalité, dans certains cas. Selon G.R.P. Lawrence (1971:3), une photo aérienne verticale et une carte constituent, les deux, des représentations à échelle de la surface terrestre, i.e. toutes les mesures sur une carte sont proportionnelles à leur valeur sur le terrain154. L’échelle est définie ainsi comme la relation entre une distance mesurée sur la carte et sa valeur réelle (p. 4-5). Lawrence observe que l’omission des détails dans le processus de simplification et de généralisation des formes pour la représentation à l’échelle rend subjectif le travail du cartographe. Par exemple, une carte à large échelle (appelée aussi plan) doit reproduire les détails de façon précise et avec peu de variation comparativement aux formes de relief qu’elle dépeint. Au fur et à mesure qu’on

154 Pour des raisons de simplification, Lawrence (1971:4) suppose que les distorsions dues à

l’aplatissement de la calotte sphérique ont été éliminées par le choix adéquat de la projection cartographique, ou que l’échelle de la carte est suffisamment grande pour pouvoir considérer ces erreurs comme négligeables.

simplifie et qu’on généralise pour réduire l’échelle, des détails sont laissés de côté. D’après Lawrence, ce genre d’opérations supposerait une certaine subjectivité quant à la sélection des détails à représenter, et il dépend du niveau de généralité de la description.

D’autres analystes attirent l’attention sur le caractère intentionnel ou marqué du point de vue socio-culturel de la représentation cartographique. Orford (2005:200-201) observe que le design cartographique n’est pas un processus purement technique de transposition de la réalité, mais il renferme aussi des éléments déterminés par les relations de pouvoir. A titre d’exemple, l’analyste cite le contrôle des gouvernements sur la production cartographique, ainsi que les cartes politiques, territoriales, particulièrement en temps de guerre, incluant de la propagande ou excluant certaines informations (localisation des dispositifs militaires, exclusion des groupes défavorisés), pour des raisons d’intérêt national, de sécurité, ethnique, etc. Orford conclut ainsi que le fait d’inclure certaines choses et d’en exclure d’autres, confère aux cartes le statut de « textes construits sur des principes d’ordre social »155 et qui peuvent accepter des interprétations multiples. De façon similaire, MacEachren (2004:10) parle de la « subjectivité inhérente » des cartes ou même de leur caractère de « discours rhétorique ». Elles ne constituent pas seulement une représentation d’une région de la Terre, par exemple, mais aussi un reflet du paysage social et culturel qui les a produites. Selon lui, en tenant compte de ces caractéristiques, les méthodes d'analyse cartographique se rapprocheraient de celles de la critique littéraire, plutôt que des procédés des sciences exactes.

Si la sélection des détails dans l’étape de construction tient du travail plus ou moins subjectif du cartographe ou, comme discuté plus tard, de l’auteur d’un z-texte, le rapport local/global présente une importance particulière du point de vue de la réception du message. En s’interrogeant sur les mécanismes cognitifs gérant l’extraction de sens des représentations cartographiques, MacEachren (2004) considère que la question des dépendances entre l’image globale et les détails locaux dans le processus de compréhension d’une carte s’aligne avec les recherches de la théorie perceptuelle-cognitive. Il cite ainsi une étude de Navon (1977)156 selon laquelle les processus de perception impliqueraient une organisation temporaire de l’information, allant d’une structuration globale vers une analyse de plus en plus fine (p. 97). MacEachren fait aussi référence à des expériences

155 En anglais, “socially constructed texts” (Orford, 2005:200).

156 Navon, D., “Forest before Trees: The precedence of global features in visual perception”, Cognitive Psychology, 9, pp. 353-383, 1977, cité par MacEachren (2004:97).

menées dans le domaine de la représentation graphique qui ont mis en évidence le caractère dynamique du rapport local/global dans la perception des images (pp. 99-102). La grandeur ou la forme des éléments composant une figure peuvent ainsi déterminer le passage d’un type de traitement à l’autre. Par exemple, les images qui dépassent une certaine ouverture de l’angle visuel ou l’existence de contours inhabituels semblent conduire à un changement de l’attention, du global vers le local. D’un autre côté, l’identification d’un détail local peut aider souvent à la reconnaissance de la scène globale, là où elle n’est pas facilement reconnaissable à première vue. Il semble alors que l’extraction du sens des représentations visuelles, y compris des cartes, suppose un processus dynamique de passage du global vers le local et vice-versa, et même une « structuration hiérarchique de l’information, à multiple échelle », ainsi que le note MacEachren en citant une étude de Mistrick des années 90157 (p. 101). Des hypothèses similaires se retrouvent dans les études concernant l’application du concept de « carte cognitive » dans le domaine littéraire, de Bjornson (1981) et Ryan (2003), discutées plus en détail dans le Chapitre 5.

Le dernier point mentionné au début de cette section porte sur les représentations cartographiques numériques multi-échelle, multi-résolution, permettant l’affichage d’une région sélectionnée à une échelle et une résolution différente comparativement au reste de l’image. Ce genre de système suppose la possibilité de délimiter dynamiquement la zone d’intérêt, à zoomer, qui sera affichée à une autre échelle, sans affecter les aires adjacentes. Selon MacEachren (2004:381), la façon dont le système humain de traitement de l’information visuelle analyse une scène aux détails variables est un problème perceptuel- cognitif pas encore étudié. MacEachren fait l’hypothèse que ce genre de question tient de la perception de type figure/arrière-plan. Plus précisément, si le fragment affiché à une résolution moins fine est perçu comme arrière-plan ou il peut paraître plus proche, à cause d’unités visuelles plus larges, et donc être interprété par l’observateur comme figure de premier plan. La question présente de l’intérêt aussi pour le modèle de z-texte qui suppose l’affichage de fragments textuels à différents degrés de détails, sur la même page. Si du point de vue visuel on parlait du rapport figure/fond, quels seraient les éléments à considérer dans le cas de l’écriture et de la lecture d’un texte comportant une représentation multi-échelle ? Pourrait-on imaginer des considérations similaires tenant, par exemple, des

157 Mistrick, T., The Effects of Brightness Contrast and Figure – Ground Discrimination for Black and White Maps, Unpublished master thesis, Pennsylvania State University, 1990, cite par MacEachren (2004:101).

oppositions de type scène/contexte, premier/arrière-plan, proximité/distance dans l’espace textuel ? Les deux chapitres suivants avanceront quelques hypothèses sur ce sujet, de la perspective conceptuelle et d’implémentation, tandis que la troisième partie sera dédiée à une approche, à caractère d’essai, qui proposera sinon des réponses, du moins des directions d’étude.

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