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Une formation promotionnelle continue peu développée et conçue pour l’ingénieur d’État

Dans le document Les ingénieurs tunisiens (Page 110-114)

212 Gary Becker, Human Capital, 2e éd., Columbia University Press, New-York et Londres, 1964.

213 Claude Dubar, La formation professionnelle continue, 4e éd., Paris, Coll. Repères, La Découverte, 2000, p.

La formation promotionnelle continue peut être considérée comme le « droit à une seconde chance » reposant sur la correspondance de deux échelles de classement. En premier lieu, on postule l'existence d'une échelle éducative, sur laquelle les générations qui n’ont pas pu bénéficier de l’allongement et de la massification de la scolarisation se situent aux premiers niveaux. L’État peut alors leur offrir les possibilités d’un rattrapage éducatif, par le biais de cours du soir ou en finançant des congés de formation et différents dispositifs prévus par le droit social (code du travail et conventions collectives). La seconde échelle est celle de la hiérarchie des emplois. Des distinctions de niveaux y sont formalisées, notamment au travers des grilles de classification de la fonction publique.

La promotion professionnelle par la formation continue mise en place par l’État se veut un projet économique et social de mise en correspondance de ces deux échelles. Le décret n° 93- 1220 de juin 1993, portant sur l’organisation de la formation continue des fonctionnaires et des ouvriers de l’État souligne que la formation continue est « un mode d’acquisition de connaissances, en vue d’une promotion ». Ce même texte stipule que les candidats admis au « cycle de formation continue, sont automatiquement promus au grade ou à la catégorie immédiatement supérieure »214. Les textes régissant le corps des ingénieurs des administrations publiques, en particulier celui du 12 avril 1999, établissent également un lien direct entre la formation et la promotion215.

Les dispositifs de formation promotionnelle

En fait, la formation continue des ingénieurs a principalement été conçue comme un instrument assurant la promotion dans le grade ou le changement de grade et « non comme un moyen de renforcement de la qualification des ingénieurs »216. Les entreprises privées n’ont jamais été associées à la mise en place d’une formation promotionnelle permettant aux techniciens supérieurs d’accéder au statut d’ingénieur. Pour obtenir un titre d’ingénieur par la formation continue en Tunisie, il existe deux voies, la formation continue diplômante et la formation continue pour la promotion dans le grade, cette dernière ne touchant que les salariés du secteur public.

Les dispositifs qui ont existé jusqu’en 1998 fonctionnaient dans des établissements d’enseignement supérieur situés à Tunis, en premier lieu l’ENIT. Entre 1984 et 1996, des accords ont été signés entre l’ENIT, le Conseil de l’ordre des ingénieurs217 et l’Office de la formation professionnelle et de l’emploi (OFPE), afin d’organiser des cycles de formation en cours du soir. Ceux-ci portaient sur le génie civil, l’électromécanique et le génie électrique. Les populations candidates à ces cycles ont fait l’objet d’une étude récente (1998) menée pour le compte du Premier ministère par une équipe d’universitaires coordonnée par le professeur Tahar Belakhdar, ancien enseignant à l’ENIT. Les auteurs de cette étude montrent que 92 % des candidats travaillent dans la région de Tunis et que 58 % sont des employés du secteur ou d’organismes publics218.

Dès 1990, le ministère de l’Équipement et de l’Habitat et l’ENIT sont convenus de mettre en place un cycle de formation continue en génie civil à temps plein, d’une durée de deux ans,

214 Cette disposition ne concerne pas les formations continues diplômantes.

215 Conseil de l’ordre des ingénieurs, Étude sur la formation continue de l’ingénieur, février 2000, p. 27. 216 Ibidem, p. 9.

217

L’instance exécutive de l’Ordre des ingénieurs.

218 Durant la période considérée, 357 techniciens supérieurs ont obtenu leur diplôme d’ingénieur technicien,

c’est-à-dire un taux de réussite de 65 %. Par ailleurs, les techniciens supérieurs employés par des entreprises privées ont suivi cette formation à leur initiative. Cf. Tahar Belakhdar, Place actuelle de la formation continue de l’ingénieur, Rapport pour le Premier ministère, 1998.

pour l’obtention des diplômes d’ingénieur technicien et d’ingénieur principal219. Entre 1984 et 1997, l’ENIT a également organisé des cycles de formation de deux ans en mode présentiel, destinés aux techniciens supérieurs et ingénieurs des travaux d’entreprises publiques comme la Société nationale d’exploitation et de distribution des eaux (SONEDE) ou d’établissements publics comme l’Office national d’assainissement (ONAS).

Outre l’ENIT, l’École supérieure des postes et des télécommunications de Tunis a organisé des cycles de formation continue à temps plein pour l’obtention des diplômes d’ingénieur technicien et d’ingénieur principal destinés aux fonctionnaires du ministère des Communications220.

En somme, ces formations continues n’ont été assurées que par les écoles d’ingénieurs de la région de Tunis. De ce fait, elles n’ont concerné, pratiquement, que les ingénieurs exerçant dans cette région, en se conformant aux profils académiques existant dans ces écoles.

Ce système de formation continue promotionnelle est désormais obsolète. Depuis la réforme et l’instauration du « diplôme national d’ingénieurs », la formation promotionnelle dispensée par l’ENIT a été interrompue. Par ailleurs, les dernières dispositions réglementaires prises en avril 1999, créant un corps de techniciens et régissant l’évolution de leur carrière, prévoient leur promotion, au sein de leur propre corps, sur la base des diplômes obtenus. Les techniciens supérieurs ne peuvent plus accéder par le biais d’une formation continue diplômante au titre d’ingénieur et aux avantages qui lui sont attachés221. En fait, ces mesures vident de tout contenu le dispositif décrit ci-dessus.

La formation continue diplômante : un mythe

Dans son étude publiée en février 2000, le Conseil de l’ordre des ingénieurs relève que « seulement 300 ingénieurs des travaux de l’État environ ont pu bénéficier d’une formation continue diplômante, ce qui correspond à peine à 4 % de cette population »222. Or, à la suite de la réforme du cursus des ingénieurs et de la délivrance des premiers DNI en 1997, il n’a pas été institué de cycles de formation professionnelle destinés aux « ingénieurs des travaux de l’État » pour obtenir ce nouveau diplôme : pour l’instant, cela laisse en suspens le devenir promotionnel des ingénieurs techniciens employés dans la fonction publique :

« Cette population a souffert du rétrécissement des horizons de promotion, d’autant plus que les modalités de passage de grade entre ingénieurs des travaux de l’État et ingénieur principal ont été modifiées plusieurs fois. Cette population a été assujettie à la formation continue, alors qu'après la réforme de la formation initiale, il n’a pas été forgé un nouveau concept de formation continue. Nous sommes en train de voir avec le Premier ministère la modification du statut des ingénieurs dans la fonction publique pour permettre à cette population d’accéder au titre d’ingénieur principal »223.

Il est vrai que les autorités tunisiennes entendent augmenter le nombre de techniciens supérieurs dans les prochaines années afin d’inverser la pyramide des emplois. Jusqu’à maintenant, le nombre de techniciens supérieurs est inférieur à celui des ingénieurs. Pour pallier le déficit en techniciens supérieurs, les autorités tunisiennes ont créé les ISET en 1992.

219 Ibidem. Sur 500 candidats 100 ont réussi à obtenir leur diplôme. 220

De son côté, le ministère de l’Agriculture a organisé à travers l’Institut national agronomique de Tunis au cours des vingt dernières années des cycles de formation d’une durée de deux ans pour la promotion aux grades d’ingénieur des travaux de l’État et d’ingénieur principal. Conseil de l’ordre des ingénieurs, Étude sur la formation continue de l’ingénieur, op.cit., p. 7.

221

Tahar Belakhdar, « Place actuelle de la formation continue de l’ingénieur », L’ingénieur tunisien, n° 21, p. 48. Les techniciens supérieurs peuvent toujours accéder au grade d’ingénieur dans l’administration, mais ils ne peuvent le faire désormais que par des concours qu’ils doivent préparer eux-mêmes.

222 Conseil de l’ordre des ingénieurs, Étude…, op.cit., p 10. 223

La priorité des pouvoirs publics n’est pas tant de promouvoir des formations continues pour les techniciens supérieurs, que d’inverser le rapport numérique entre ces derniers et les ingénieurs. Aussi la formation promotionnelle des techniciens supérieurs et des ingénieurs des travaux relève-t-elle plus du mythe que d’une pratique sociale massive. En fait, l’État a financé des formations promotionnelles ou diplômantes, mais celles-ci n’ont touché, dans la pratique, qu’un nombre limité d’ingénieurs techniciens et de techniciens supérieurs de l’administration et des entreprises publiques, c’est-à-dire les branches d’activité où les taux d’accès des ingénieurs à la formation continue sont les plus faibles.

Un impact promotionnel faible

On peut également identifier les obstacles à la mise en œuvre d’une formation continue promotionnelle en se référant à l’échelle éducative et à celle de la hiérarchie des emplois. Si l’on s’intéresse à l’échelle éducative, le développement de la formation continue se heurte à une augmentation sans précédent du nombre de bacheliers et, par voie de conséquence, à l’accroissement des effectifs étudiants dans l’enseignement supérieur, le tout dans un contexte de restrictions budgétaires qui menace la qualité des formations offertes224. Aussi le ministère de l’Enseignement supérieur tend-il à renforcer un modèle pédagogique conçu pour l’étudiant effectuant une scolarité continue, au détriment de celui qui reprend des études après une interruption. De plus, dans un contexte où le chômage des jeunes s’accroît, les politiques publiques se focalisent bien plus sur la « formation d’insertion » des jeunes que sur la « formation promotion ».

Lorsque l’on observe l’échelle de la hiérarchie des emplois occupés, on s’aperçoit que la perspective de privatisation des entreprises publiques a réduit l’importance du marché interne du travail, lui-même favorable à la promotion professionnelle des salariés. Elle contribue à la transformation des politiques de recrutement des entreprises : désormais, l’arbitrage entre les candidats se fait, de plus en plus, en faveur des diplômés de formation initiale. Par ailleurs, en raison des perspectives de constitution d’une zone de libre-échange euro-maghrébine (qui déboucherait sur une plus grande ouverture de l’économie tunisienne à la compétition internationale), l’horizon économique des entreprises publiques et privées se rétrécit et rend difficile la mise en place de dispositifs de formation à plein temps et étalés sur une longue période (en général deux ans pour les ingénieurs). Ce faisant, le « rendement promotionnel » de la formation continue, qu’elle s’effectue à la demande de l’employeur ou du salarié, ne peut être que faible.

Dans la perspective d’une économie valorisant la flexibilité, la formation « tout au long de la vie » est censée permettre au salarié de s’adapter en permanence, par des formations courtes, aux évolutions du marché du travail. Mais l’accès à ces dernières exige, comme pré- requis, une formation initiale de niveau de plus en plus élevé.

224

Graphique 14. Impact de la formation continue sur la promotion professionnelle

(en % du total des bénéficiaires de la formation)

30 21 42 29 41 63 48 53 18 10 16 29 0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100 % Entreprises privées Entreprises publiques Administration publique Ensemble

Obtention d'une promotion

Augmentation des chances de promotion Aucune retombée sur la promotion Source : Enquête Saïd Ben Sedrine & Éric Gobe, 2000.

De manière générale, les données de l’enquête montrent que la formation continue a un impact promotionnel limité225. Parmi l’ensemble des ingénieurs bénéficiaires de la formation continue, 53 % estiment que cette formation n’a eu aucune retombée sur leur promotion professionnelle : seulement 29 % déclarent avoir obtenu une promotion grâce à la formation continue et les 18 % restants considèrent que la formation suivie est susceptible d’augmenter leurs chances d’obtenir une promotion professionnelle. Par ailleurs, il convient de noter que cette formation a été effectuée tout d’abord à l’initiative des employeurs (dans 64 % des cas), puis des ingénieurs (dans 23 % des cas) et, enfin, à la demande conjointe des deux (dans 13 % des cas). Le graphique 14 montre que l’effet promotionnel de la formation continue est plus important dans le secteur privé que dans le secteur public226. Au sein du secteur étatique, l’effet promotionnel de la formation dans les entreprises publiques est nettement plus faible que l’effet obtenu dans la fonction publique.

Dans le document Les ingénieurs tunisiens (Page 110-114)