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Formation et détermination des représentations sociales

PARTIE 1 - CADRE THÉORIQUE

2.1.4 L’intérêt de l’approche des représentations sociales pour l’étude de l’acceptabilité .... ϯϳ

2.1.4.2 Formation et détermination des représentations sociales

La formation des représentations sociales est issue de deux mécanismes, « l’objectivation » et « l’ancrage » (Jodelet et al., 1970; Wagner & Hayes, 2005), mis en évidence par Moscovici (1961) (Pérez et al., 2015). Ils permettent à la fois la création et le fonctionnement des représentations sociales. En effet, ils rendent compte de l’émergence et de la transmission de ces dernières à travers les interactions et les communications sociales (Jodelet, 1989). Cela met donc en avant l’aspect collectif de ce type de connaissances. Elles sont donc socialement construites et correspondent à une vision partagée et diffusée au sein et par le biais de la communication (Jodelet, 2015).

À travers le processus d’objectivation, s’opère une construction sélective, ce qui

implique la sélection d’un nombre limité d'éléments de l’objet et l’omission d’autres. De fait, la représentation de l’objet subira une certaine distorsion. Il se produit ensuite une schématisation structurante, un nombre limité d'éléments liés par des relations en font une structure stable, organisant le champ de représentation et lui donnant un statut de réalité objective (Jodelet, 1989). Finalement, l’objectivation a une propriété de naturalisation, de rendre concret l'abstrait, de matérialiser le mot. Alors que le processus d’objectivation va produire une figure, celui de l’ancrage va lui donner un sens.

L’ancrage est « l’enracinement dans le système de pensée, l’assignation de sens, l’instrumentalisation du savoir » (Jodelet, 1989, p. 39). Ce processus à l’œuvre

dans les représentations sociales a pour but de rendre compte de la manière dont un nouvel élément de savoir est transformé et incorporé dans un environnement familier

(Moscovici, 2013). Ce dernier est composé d’un ensemble de connaissances socialement établi, d’un système préalable de classifications, de catégories familières, de typologies de personnes et d’évènements (Doise, 1990). Ainsi, les représentations s’intègrent dans un réseau de significations culturellement acceptables, disponibles et partagées (Kalampalikis & Haas, 2008). C’est donc un processus de catégorisation par lequel un savoir nouveau est assimilé aux savoirs connus. Cette familiarisation avec l’objet va permettre de lui donner du sens, de le rendre existant, représentable. En revanche, un objet n’ayant pas été sujet à la familiarisation, va être non classé, non nommé, non commun, il ne fait pas l’objet de connaissances et peut être menaçant (Kalampalikis & Haas, 2008).

Dans ce processus d’ancrage, il va s’opérer l’enrichissement de l’objet des représentations avec des propriétés connues de catégories auxquelles il est rattaché (Wagner & Hayes, 2005), ce qui va permettre de mieux l’appréhender. Dans le cas de l’objet de notre étude la « voiture électrique », il pourrait être associé aux représentations préalablement existantes relatives à l’électricité et les connaissances qui lui sont associées (production, stockage, acheminement, etc.), ou encore à l’automobile.

L’ancrage des représentations va fournir une grille de lecture commune aux membres d'une même société. Elle permet d’interpréter le réel, d’interagir, d'intégrer ce que nous ne connaissons pas ou peu dans un cadre plus familier qui nous est propre, correspondant à notre système de valeurs déjà présent, et cela à travers des analogies, des dissemblances, etc. « Nous formons des représentations pour nous

familiariser avec l’étrange, nous les formons aussi pour réduire la marge d’incommunication » (Moscovici, 2013, p. 110). Ce processus est tributaire de la

nécessité de partager des sens communs pour la communication, mais également de se familiariser avec l’étrange, de réduire l’incertitude qu’apporte la nouveauté qui peut prendre la forme d’information, évènement, groupe, technologie, etc. (Caillaud & Flick, 2013; Kalampalikis & Haas, 2008).

L’ancrage s’effectuant sur la base des savoirs préexistants, culturellement partagés et transmis (Jodelet, 1989; Moscovici, 1961), il nous renvoie à la notion de connaissances sociales. La transmission et le partage de ce savoir au sein d’un ensemble social sont indispensables pour donner du sens, constituer les rapports

sociaux, orienter les comportements collectifs et agir sur son environnement. Les connaissances sociales sont construites historiquement et s’actualisent en permanence dans nos interactions et communications avec autrui (Moscovici, 2013), elles peuvent donc être différentes d’un groupe à l’autre. Pour Moscovici (2013) il est possible d’identifier deux circonstances majeures dans lesquelles peuvent émerger les connaissances sociales. La première est la diffusion de connaissances scientifiques dans l’espace commun. La seconde provient des échanges sociaux au sein de nos groupes d’appartenance et de notre culture.

La transmission des savoirs et leurs transformations de savoir expert en savoir profane selon les processus d’ancrage et d’objectivation, peuvent engendrer des situations où deux types de savoirs, parfois contradictoires, coexistent au sein d’un même groupe (savoir expert et savoir profane, savoir ancien et savoir nouveau). Ce phénomène renvoie à la notion de polyphasie cognitive (Kalampalikis & Haas, 2008; Moscovici, 1961, 2013; Wagner & Hayes, 2005). Elle est caractérisée par le fait que des croyances ou des pratiques contradictoires coexistent au sein d’un groupe d’individus. Un tel phénomène pourrait se retrouver chez certains groupes, en lien avec la voiture électrique. Cette dernière pourrait à la fois être considérée comme pro-environnementale, non polluante, car ne rejetant pas de gaz à effet de serre, et en même temps, d’un point de vue plus expert comme étant à l’origine d’une pollution liée à la fabrication de la technologie, à la production de l’énergie électrique, ou au recyclage des batteries utilisées pour la faire fonctionner.

Callaghan & Augoustinos (2013) évaluent différents discours émanant de personnes aux points de vue divergents sur le changement climatique. Ces individus utilisent également deux moyens de communication des connaissances : l’un unidirectionnel et avec un registre de langage scientifique et l’autre, plus interactif et sur le registre de la vulgarisation. C’est ce dernier qui semble le plus efficace, favorisant la familiarisation et le passage de savoir expert dans le sens commun. Ils concluent également que l’ancrage des représentations peut être différent selon les individus, mais également les buts recherchés. Cela fait écho aux écrits de Moscovici (2013) montrant que les normes, le contexte et les buts vont orienter un groupe à penser un objet d’une manière particulière. Caillaud & Flick (2013) écrivent également que l’ancrage peut se faire dans différentes catégories de pensée pour un même objet de représentations (dans leur article, les représentations des problèmes

écologiques entre la France et l’Allemagne). Ces différences dans les ancrages dépendent des groupes et de leur culture et engendrent des différences dans les représentations de l’objet et les pratiques des individus. Ainsi, pour les représentations de la voiture électrique, les individus appartenant à des groupes sociaux très préoccupés par les questions environnementales auraient des représentations de la voiture électrique ancrées sur leurs connaissances des problématiques environnementales et leur volonté d’y remédier. A l’opposé, celles des personnes appartenant à des groupes sociaux mettant en avant les aspects techniques de l’automobile, seraient plutôt ancrées sur des dimensions fonctionnelles du véhicule comme sa vitesse, son autonomie et son mode de recharge.

La prise en compte des représentations va être pour nous un moyen d’accéder aux perceptions que les individus ont de la voiture électrique. Dans leur recherche sur l’implémentation de systèmes informatiques, Gal & Berente (2008) montrent que l’analyse des représentations sociales apporte un vocabulaire riche permettant d’examiner la formation, les changements, le contenu des représentations des Systèmes d’Informations (SI), ainsi que les relations que les individus ont avec eux. L’utilisation des représentations sociales permettrait selon les auteurs d’avoir accès aux explications causales du processus d’implémentation de la technologie. Cette

recherche portant sur des TIC15, nous ne pouvons directement appliquer les

conclusions aux voitures électriques. Cependant, cette dernière faisant également l’objet de représentations, nous pouvons nous inspirer de leur démarche pour appréhender les facteurs et mécanismes en jeu dans leur acceptabilité.

L’intérêt porté aux représentations de la voiture électrique pourrait nous apporter des éléments pour la compréhension de dimensions ayant un rôle dans son acceptabilité. Dans un premier temps, nous nous intéresserons au contenu des représentations de la voiture électrique, ensuite nous chercherons à appréhender leur ancrage. Au vu de la faible diffusion de la technologie étudiée, elles pourraient être en lien avec les véhicules thermiques qui connaissent une forte diffusion et sont une technologie proche de la voiture électrique, elles se positionnent en effet toutes

deux pour des activités de déplacement. Elles pourraient également être liées à l’environnement du fait de l’absence d’émission polluante de ce type de véhicules. Dans un second temps, nous nous intéresserons à l’évolution des représentations de la voiture électrique à différents temps de l’usage (premier usage, usage à plus long terme…). Ce sont des entités dynamiques, il est donc pertinent de s’intéresser à la manière dont elles émergent, mais également dont elles évoluent (Gal & Berente, 2008). Leur évolution pourra nous renseigner sur celle du rapport que les individus ont avec cette technologie.

2.1.5 En synthèse : L’acceptabilité sociale, une première étape

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