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La formation devient officielle

Dans le document LIVRE NOIR DE LA PSYCHANALYSE ? (Page 172-175)

Au cours de cette période, la question « comment peut-on devenir psychanalyste ? » évolua de manière radicale. En 1909, en réponse à cette question, Freud déclarait : « Par l'étude de ses propres rêves32. » En 1912, Jung recommanda que tout futur analyste se soumette lui-même à une analyse ; selon lui, plus un analyste avait lui-lui-même été analysé en profondeur, plus l'analyse avait des chances de réussir. Être analysé était donc la seule solution : « Il y a des médecins qui pensent pouvoir s'en sortir par une autoanalyse. C'est de la psychologie de

29. S. Freud, « Contribution à l'histoire du mouvement psychanalytique », Cinq Leçons sur la psychanalyse, Paris, Payot, 1968, p. 122.

30. Bleuler à Freud, le 4 décembre 1911, Freud Collection, Library of Congress, Washington.

31. Bleuler à Freud, ibid., 1er janvier 1912.

32. S. Freud, « De la psychanalyse (Cinq leçons) », Œuvres complètes, Paris, P.U.F., 1993,10, p. 30.

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Mûnchhausen, et ils y resteront certainement enferrés33. » La sugges­

tion de Jung obtint rapidement le soutien de Freud, qui la compta au nombre des mérites de l'école de Zurich. Il ne suffisait pas d'être psychiatre ou médecin pour pratiquer la psychanalyse. Puisqu'on la considérait comme une technique médicale, des qualifications supplé­

mentaires étaient requises. Il s'agissait là d'une innovation étonnante compte tenu des pratiques psychothérapiques de l'époque. Ainsi, il aurait été impensable d'exiger que chaque médecin doive se soumettre lui-même au traitement par l'hypnose. Voici les raisons exposées par Freud au sujet de l'analyse de l'analyste :

« Il ne suffit pas qu'il soit lui-même un homme approchant de la normale, on est bien plutôt en droit de poser l'exigence qu'il se soit soumis à une purification psychanalytique et qu'il ait pris connaissance de ceux de ses complexes personnels qui seraient de nature à le perturber dans sa manière d'appréhen­

der ce qui est offert par l'analysé. On ne peut raisonnablement douter de l'effet disqualifiant de ces déficiences personnelles34. »

On peut raisonnablement supposer qu'une telle purification ne visait pas à s'assurer seulement que les praticiens étaient tout à fait normaux, mais que la compréhension d'eux-mêmes se conformait à la théorie psychanalytique. L'analyse didactique était le seul moyen de garantir la transmission du savoir analytique en s'assurant que, chez le futur analyste, la « connaissance de son propre moi » se développait selon l'orthodoxie : on avait constaté la pertinence des vérités psycha­

nalytiques dans son propre parcours et l'on était par conséquent capable de les « reproduire » à travers la vie des autres.

La suggestion de Jung a eu un effet considérable, non seulement sur l'organisation ultérieure de la psychanalyse mais aussi sur l'ensemble de la psychothérapie moderne. En effet, cette condition requise constitue l'un des rares - voire le seul - dénominateurs communs d'innombrables écoles de psychothérapie. L'institution d'une analyse didactique a joué un rôle crucial en fournissant une base financière pour la pratique privée de la psychanalyse et en rendant cette profession attrayante.

33. C. Jung, « Attempt at a portrayal of psychoanalytic theory », éd. Gerhard Adler, Michael Fordham, Herbert Read, William McGuire, tr. R. F. C. HuU, Collected Works, 4, Londres, Routledge & Kegan Paul, 1981, § 449.

34. S. Freud, « Conseils au médecin dans le traitement psychanalytique » (1912), Œuvres complètes, Paris, P.U.F., 11, p. 150.

Pendant l'été 1912, Ernest Jones proposa à Freud de former un comité secret afin de garantir l'avenir de la psychanalyse. Le 30 juillet, il écrivit que Ferenczi avait exprimé le souhait suivant :

« Qu'un petit groupe d'hommes puisse être systématiquement analysé par vous, en sorte qu'ils puissent représenter la théorie pure, préservée de tout complexe personnel, et bâtir ainsi au sein du Verein un noyau dur officieux et servir de centres auprès de qui d'autres (débutants) pourraient venir apprendre le travail.

Si seulement c'était possible, ce serait une solution idéale35. »

Jones précisa encore que « l'idée d'un petit corps uni » était

« destiné, comme les paladins de Charlemagne, à garder le royaume et la police de leur maître36 ». Freud répondit favorablement à cette suggestion, et le comité fut mis en place. Ses autres membres étaient Karl Abraham, Sândor Ferenczi, Otto Rank et Hans Sachs. En 1914, Jung et l'école de Zurich quittèrent officiellement TAPI.

Après l'interruption due à la Première Guerre mondiale, l'institution­

nalisation du mouvement psychanalytique s'est rapidement étendue. La Société psychanalytique de Berlin, fondée par Karl Abraham en 1920, a commencé à officialiser sa formation. En 1924, une analyse didactique de quatre mois devint obligatoire, ei l'approbation de l'analyste forma-teur devint en outre nécessaire pour que le candidat puisse continuer sa formation. Siegfried Bernfeld se souvient que de nombreux membres de l'Association ressentaient le besoin d'une analyse, mais ne souhai­

taient pas confier leurs secrets à un analyste vivant dans la même ville qu'eux. Ainsi, on invita Hanns Sachs, qui vint à Berlin analyser les analystes37. C'est à la Société berlinoise que fut mise en place la triade

« analyse personnelle, analyse supervisée et séminaires », qui allait servir de modèle à tous les instituts psychanalytiques. En 1925, au congrès de psychanalyse de Bad Homburg, il fut décidé par vote que les psychanalystes devraient nécessairement avoir été analysés.

Le comité secret joua un rôle fondamental dans le contrôle du déve­

loppement de la psychanalyse. Ernst Falzeder remarque que les insti­

tuts de Berlin, Budapest, Londres et Vienne « étaient dirigés par les

35. Jones à Freud, 30 juillet 1912, dans S. Freud, S. & Jones, E. Correspondance complète, Paris, P.U.F., 1998, p. 198.

36. Jones à Freud, 7 août 1912, ibid, p. 201.

37. S. Bernfeld, « On psychoanalytic training » (1952), Psychoanalytic Quarterly, 31, 1962, p. 464.

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membres du comité secret, qui exerçaient donc non seulement un contrôle "politique" sur le mouvement psychanalytique, mais aussi une influence directe sur les futurs analystes en formation

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». Le but du comité secret était d'assurer la survie de la psychanalyse et de se protéger contre les dissidences. Lorsqu'on s'éloignait de l'orthodoxie, il y avait deux cas de figure : soit l'expulsion pure et simple des dissi-dents, soit ce qu'on pourrait appeler une gestion de crise interne : on autorisait les innovations en les considérant comme des sous-courants légitimes de la théorie psychanalytique. Ce qu'il y a de frappant, c'est que le jugement de sécession ou de sous-courant légitime, porté sur un développement particulier, ne dépendait pas d'abord de l'éloignement plus ou moins grand de la théorie psychanalytique ; en effet, au fur et à mesure que les institutions devinrent plus solides, on autorisa une plus grande latitude. L'ironie de la chose, à maints égards, c'est que les positions hérétiques défendues par Adler, Jung, Rank et d'autres s'ac-cordent davantage avec le principal courant analytique d'aujourd'hui qu'avec l'orthodoxie de l'époque. On a recyclé et incorporé leurs idées aux théories analytiques sans leur témoigner la moindre reconnais-—

sance. (Je sont ces mêmes idées qui ont permis aux psychothérapeutes de continuer à appeler leur discipline « psychanalyse » et à la profes-sion de subsister, bien que Freud les eût dénoncées comme hérétiques.

Le véhicule principal du contrôle était l'analyse didactique. James Lieberman fait remarquer que, « lorsqu'on a estimé que l'œuvre d'Otto Rank s'était trop éloignée de l'orthodoxie psychanalytique, il s'est fait traiter de malade mental par Brill, il a été exclu de l'Association psycha-nalytique américaine et les analystes qu'il avait formés ont dû démis-sionner ou être ré-analysés par un analyste orthodoxe

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».

C'est à travers son entreprise de formation que la psychanalyse

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