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ET NOS REVENDICATIONS

I.- Éléments d'une stratégie

I.8. UNE AUTRE FORMATION POUR TOUS

Il n'est question ici ni de reprendre les thèmes développés par les partis et les syndicats, ni de dresser un catalogue revendicatif, mais de mettre en valeur certaines pratiques actuelles à généraliser ainsi que certaines orientations.

I.8.1. ORIENTATIONS POUR UNE AUTRE FORMATION A - La formation

Un processus de formation n'est pas chose facile à définir, trop habitués que nous sommes à confondre formation et inculquation. Or cette dernière, qui implique constamment un sujet PASSIF et, au mieux, réceptif, et un dispensateur ACTIF, n'a rien à voir avec ce que nous souhaitions, à savoir un processus tel que les différentes personnes en formation soient actives.

Cela ne signifie aucunement que nous nions l'évidence : que les quantités de connaissance, sur un sujet donné, varient considérablement d'une personne àl'autre, mais s'il y a formation, il y a activité réciproque, les questionnements de l'un allant à la rencontre du savoir de l'autre, et le savoir s'élaborant, se modifiant, par l'impact des questions qui, à la fois, l'interrogent et le mettent en doute.

C'est pourquoi il n'y a pas de formation initiale ni de formation continue... mais un processus permanent de formation.

Cela implique que le droit à l'innovation soit une pratique reconnue et encouragée et que l'éducation soit conçue en termes de « devenir », de

« transformation » permanente, et non en termes de dons fixés une fois pour toutes, conception fataliste traditionnelle !

Pour cela, il est nécessaire que le milieu formateur admette de toute personne qu'elle peut changer et faire varier ses objectifs au cours du processus éducatif.

Le point de départ de toute formation consiste à inclure les personnes dans une structure de travail coopérative (classe, atelier, foyer... Cette structure est définie dans le chapitre Effectifs-Equipe pédagogique-Architecture).

La formation s'appuie en premier lieu sur la pratique qui alimentera des cycles de réflexion où cette pratique sera analysée de façon coopérative par le groupe. Si le groupe a, par exemple, besoin d'un outil théorique ou méthodologique, il fera appel à celle, à celui, qui le possède, que cette personne soit à l'intérieur du groupe ou àl'extérieur. Cela suppose donc une phase préalable de découverte, de communication, à l'intérieur du groupe, phase telle qu'elle permette à chacune, chacun, de découvrir les acquis antérieurs de toutes, tous, en dépit des timidités ou des jugements auto-dépréciateurs.

Chaque groupe reste responsable du contenu de sa formation, A l'intérieur de chaque équipe, des individus risquent de ne pas vouloir aller «aussi loin», ou de vouloir aller dans d'autres directions. Le groupe devra en tenir compte et tenter de résoudre ces conflits coopérativement, sans pour cela avoir recours à des procédés de contrainte. Dans cette perspective, toute personne dont les objectifs seraient tout à fait en contradiction avec ceux du groupe, au point de bloquer le processus de formation, pourrait se retirer pour entrer dans d'autres équipes plus en accord avec ses idées.

Cependant, pour empêcher les phénomènes de crispation d'un groupe sur lui-même, il est nécessaire qu'il y ait des possibilités d'ouvertures horizontales entre les groupes ; afin de permettre, aussi, que la régulation du processus de formation s'opère par des rétro-actions entre les différentes équipes.

Nous refusons les notions d'enseignant(e)/enseigné(e) et de formateur(trice) PERMANENT(E)S générateurs de hiérarchie. Mais on peut admettre des rôles provisoires s'ils répondent aux demandes du groupe. On peut également envisager qu'à l'intérieur des lieux de formation, des personnes assument un rôle d'animation à condition que ce soit pour une durée définie (deux ou trois ans par exemple) et dans un processus d'alternance entre un travail effectif sur le terrain et un travail d'animation.

La formation est une communication permanente et continue. C'est une recherche entre pratique et théorie, individu et groupe, groupe et groupe, besoins individuels et besoins sociaux.

Il est probablement nécessaire qu'à un moment donné du processus de formation un contrat soit conclu entre les différentes personnes du groupe, ou les diverses équipes, afin que des objectifs communs partiels soient explicitement définis.

Pour que pareil groupe coopératif fonctionne, il est nécessaire que la communication s'y instaure. Aucune forme de communication n'est proscrite, ni les communications affectives, ni les communications intellectuelles, ni les communications sexuelles, à condition que chacune, chacun, reste libre de ses choix et donc que le groupe ne fasse pas pression sur elle, lui.

B - Le centre de formation 1) Ce centre est créé en fonction : - d'une aire géographique ;

- d'une concentration de structures éducatives ;

(exemple : un centre pour 30000 habitants ou un centre par circonscription en milieu rural).

2) Ce centre comprend :

- un maximum d'informations actualisées

- un rassemblement de matériel qui peut être utilisé sur place ou prêté, - éventuellement, des animateurs(trices) provisoires.

3) C'est un lieu d'accueil :

- matériel (présence de crèche, restaurant, internat...),

- ouvert à tous, groupes, équipe, individu, éducateur(trice), enseignant(e), non enseignant(e).

4) C'est un lieu :

- d'accumulation d'échanges, des recherches produites dans les structures de travail (école, usine, famille...), - d'épanouissement de l'individu,

- de recherche personnelle ou collective,

- de travail, mais aussi de détente, de rêverie (le «droit à la paresse» est à revendiquer car c'est un des moyens de prendre du recul par rapport à des pratiques concrètes).

C'est donc un lieu de vie.

5) Chaque groupe, chaque équipe, chaque individu restent responsables de l'utilisation du centre.

6) Ce centre de base-centre de formation n'est pas exclusif : il peut y en avoir d'autres, très diversifiés,

7) Ce centre est géré coopérativement par tous les travailleurs, travailleuses du centre (bibliothécaire, cuisiniers, techniciens...).

Les mouvements pédagogiques apporteront une partie de l'information mais n'auront pas de statut de formateur, même s'ils en assument, provisoirement, le rôle, selon les modalités définies plus haut.

C - Les spécialistes

Nul(le) n'est propriétaire d'un savoir. Tout savoir acquis doit être transmis à la demande d'un groupe, d'une équipe, d'un(e) individu ou «mis en réserve» - au centre de formation. Le non-respect de cette règle est le refus d'un travail coopératif.

Le (la) spécialiste est celui (celle) qui a eu, à un moment donné, le besoin d'approfondir un thème, un sujet, une pratique... que cette pratique, ce thème soient manuel, corporel ou intellectuel.

Un(e) spécialiste doit être intégré(e) dans une structure de travail. Il est lié au processus général de formation : pratique, réflexion, recherche, hypothèses théoriques, pratique, réflexion, etc.

Dans un groupe, tout le monde doit avoir une compétence reconnue et apprendre à la communiquer sans «faire à la place». Faute de cette reconnaissance des compétences multiples de tous les autres, les compétent(e)s valorisé(e)s secrètent, à leur insu, du pouvoir. Le groupe doit toujours être vigilant afin que les changements provisoires de statut n'entraînent pas des prises de pouvoir ou des hiérarchies nouvelles.

Toute évaluation et contrôle d'un travail ne peuvent être assumés que par la structure de travail. En aucun cas des manques ou des erreurs ne peuvent entraîner de sanction. Mais ils sont pris en compte par la structure. de travail.

D - L'éducation permanente

L'éducation scolaire, la formation technique, la formation permanente, l'éducation par les loisirs doivent constituer un ensemble éducatif cohérent visant au développement équilibré de l'individu.

Une politique démocratique en éducation devra s'orienter vers une conception de l'école, centre communautaire, dont les locaux sont utilisés à plein

temps, ouvert aux travailleurs, aux associations. L'école sera le lieu de vie collective où ouvriers, artisans, paysans, artistes interviendront.

Elle sera le lieu culturel du village, du quartier, par l'organisation de clubs de création, de documentation. L'Université, l'enseignement technique, par leurs laboratoires, leurs ateliers, aideront les travailleurs désireux de poursuivre ou de commencer leur formation.

L'Ecole de demain, intégrée à la vie de la cité deviendra une authentique maison de la culture, un centre d'éducation populaire, parmi d'autres centres culturels.

La formation permanente devra cesser d'être un service utilitaire ayant pour seul objectif d'adapter la main d'oeuvre à la conjoncture économique.

Autant qu'une fonction de perfectionnement dans l'exercice du métier, elle doit assurer un rôle culturel émancipateur.

Pour cela, tout en partant de la demande du travailleur en formation, demande actuellement souvent centrée sur le perfectionnement en vue d'une élévation dans le système social, il est nécessaire de favoriser un climat de libre expression qui permette un inventaire des besoins et une démystification de ce que l'enseignement a de plus traditionnel,

Cet ensemble de pratiques (alternance des rôles d'éducateur et d'éduqué, formation centrée sur les motivations, le vécu et les possibilités des intéressés, prise en charge par soi-même et par le groupe...) est seul susceptible d'introduire à la permanence de la formation, ou chacun devient sujet de sa formation et non objet parce qu'aliéné à un système économique qu'on ne maîtrise pas et ou gagner plus signifie surtout consommer plus et plus mal.

Chaque travailleur devra pouvoir librement gérer ses temps et son plan de formation qui seront rémunérés, et disposer d'un temps global de formation continue complémentaire de la formation initiale d'autant plus grand que sa formation initiale aura été plus courte (ce qui revient à raisonner sur un temps global de formation valable pour tous, mais différemment réparti suivant les situations individuelles).

Les finalités profondes de la formation sont clairement exprimées par les intéressé(e)s dans ce court témoignage :

« L'avantage que nous avons peut-être avec les adultes c'est qu'en mots simples et directs, ils savent exprimer ces changements qu'en eux la formation a suscités. Ces changements, nous pouvons les observer souvent immédiatement par le comportement dans le milieu de vie et de travail, quand ils nous annoncent qu'ils vont continuer à lire ou à se réunir une fois le stage terminé, quand nous les voyons suivre les réunions du conseil municipal de leur cité, critiquer une émission de télé ou un film, participer à une action pour l'amélioration des conditions d'habitat, dialoguer avec leurs représentants syndicaux qui reconnaissent : « Dans cet atelier, où il y a eu de la formation, on discute maintenant».

Quand elles nous disent : « Moi, j'ai un fils qui va au lycée, il y a beaucoup de choses que je peux discuter avec lui. L'autre jour, j'ai été voir ses professeurs, j'ai pu me permettre de discuter avec eux. Avant je n'osais pas».

« Moi, je voyais faire un peu de grammaire, un peu de calcul, essayer de se sortir un peu de notre coin de cancre de v'la longtemps, et c'était tout... »

« Au début, on était réticentes, on disait : « Le professeur va se moquer de nos bêtises, il nous a acceptées telles qu'on était ».

« Pour moi, ça a été une réponse à un tas de besoins que je ressentais plus ou moins bien, mais que j'ai découverts au Centre Promotionnel : ce contact des unes avec les autres : on s'apportait les unes aux autres, parce que, si il nous manquait des choses au point de vue scolaire, on a tout de même une expérience de la vie, et cette expression orale et écrite qu'on avait perdue, parce qu'on était trop restées chez nous ».

« Elles se sont rendu compte qu'elles pouvaient s'organiser. Elles ont pris du recul par rapport à leurs problèmes personnels ».

Alors on se rend compte que la formation permanente, ça peut aussi être une réalité, une conquête à protéger et à amplifier, dans le sens de la continuité et de la, globalité chères à Freinet »..

I.8.2. L'EXEMPLE DE L'ALPHABETISATION

Un certain nombre des préoccupations évoquées en 1.7. à propos de l'élargissement de l'équipe éducative trouvent leur illustration concrète dans l'action menée par de plus en plus de camarades auprès des travailleurs migrants.

Les principes que nous avançons à propos de l'alphabétisation sont ceux que nous retenons pour les travailleurs migrants, leurs enfants qui sont dans nos classes, les autres travailleurs en formation continue ; en définitive, ce sont ceux que nous défendons pour toute tâche d'éducation : - Respect des motivations des travailleurs : c'est à partir des problèmes concrets apportés par les intéressés eux-mêmes que doit se faire tout apprentissage (lecture d'enseignes, d'emballages alimentaires, relations avec les commerçants, le patron, correspondance avec la famille et d'autres groupes de travailleurs...).

- Respect des cultures d'origine expression sur la base de ces cultures et échanges culturels avec les moniteurs.

- Respect de la personne par une pédagogie de groupe et l'entraide.

- Refus des ghettos : ouverture des groupes ethniques, et non pas cloisonnement par communautés.

Le travail d'alphabétisation conduit, dans les meilleures conditions, à une profonde communication culturelle entre les personnes impliquées (car il ne s'agit pas seulement d'apprendre à lire et à parler aux étrangers, mais d'analyser avec eux leur vécu, d'apprendre d'eux en retour leur culture, leur langue...).

Il passe aussi par l'ouverture de l'école, y compris pendant les heures scolaires, et laisse entrevoir quelle pourrait être l'action culturelle à mener dans un quartier, avec la participation de toutes les couches de la population ; dans une école au service de tous les travailleurs : cette maman maghrébine qui a appris à lire dans une des écoles de la Villeneuve de Grenoble, en même temps qu'elle participait aux travaux des enfants en est une vivante illustration, et un exemple parmi d'autres.

Une camarade nous parle du travail qu'elle mène avec d'autres en Savoie :

« En face d'une alphabétisation efficace, «audiovisuelle» (livres, matériel), payée en heures supplémentaires dans le cadre de la nouvelle loi, «Ies FREINET» que nous sommes sont liés aux immigrés pour d'autres motifs : gosses en classe, luttes locales pour le logement, les conditions de travail, les accidents du travail.

D'où amitié, expression libre, démystifier le LIVRE, pour nous, pour eux.

On écrit quoi ? Les noms, les adresses - la famille - le boulot - le racisme.

On parle : des femmes (celles du ciné, de France, de Là-bas) de Dieu (ramadan, alcool...) - des élections ici, là-bas - de la télé - des matches - des bagnoles - des commissions.

On a besoin :

de B.T. Adultes : le pays géo-politique, histoire - économie, la condition d'immigré, le droit au travail. (On pourrait les faire : par échange entre équipes. Mais c'est très difficile : les gars ne viennent au maximum que trois fois par semaine pendant six mois.

de matériel pas cher, de photocopie,

de lettres mobiles petites, plates, serrables, capitales, script, cursives.

Ça ne peut pas être bien gentil, l'alphabétisation.

Ces gens-là viennent dans l'école (c'est interdit... maladies) après la classe et même pendant ! Et si on les fait rentrer, si on explique aux enfants, l'urgence qui les a amenés ? S'ils s'adressent aux enfants, disent leur nom, ceux de leur famille, l'écrivent en arabe ou turc au tableau ? S'ils nous apprennent à compter, si on sort des grandes photos de leur pays ?

C'est toujours des maîtres «marqués» qui font de l'alphabétisation : révolutionnaires mal vus du maire, de la police, des patrons et de l'administration.

Quand ils en parlent, c'est quelquefois technique, c'est surtout indignés (tracts) ou quêteurs (grèves), L'ECOLE - APPRENDRE - notre culture, simplifiée à l'usage de travailleurs manuels, à leur niveau, ou :

Pourquoi sont-ils /à ? Malades ou accidentés ? Mal logés, étrangers, manuels ? Chômeurs chez eux, et ici, et désormais comme beaucoup de français ? Pourquoi ça coûte cher, pourquoi les contrôles de police ? Pourquoi le racisme ?

Ces questions ne sont pas celles d'un caté révolutionnaire à inculquer à des nouveaux nés (qui refusent en bloc). Elles naissent chaque jour des soucis partagés, des actions, démarches, échecs solidaires. Et encore quand nous voient-ils au travail manuel douze heures par jour ?».

Et ainsi conclut l'auteur d'un autre témoignage

« L'enrichissement humain d'une telle expérience ne se décrit pas. Nous avons quitté le chantier d'alphabétisation avec l'esprit et le coeur bien plus ouverts qu'en y arrivant. Nous avons redécouvert la valeur d'un sourire, de la disponibilité, du partage, de la simplicité.

Sentimentalisme généreux ? Sûrement pas car ces découvertes se sont accompagnées d'une prise de conscience politique concernant les structures d'injustice où les travailleurs se trouvent».

Cette culture vivante partagée, peut-elle croître pour devenir celle d'une école populaire, l'école de la continuité et de la globalité, ouverte à tous ? C'est en tout cas le sens du combat collectif de notre mouvement.

Il. - Revendications de l'I.C.E.M.