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Alors que tous les chapitres précédents s'appuient sur une pratique approfondie des principes que nous défendons, nous entrons dans un domaine où il est le plus difficile d'innover, compte tenu du choix que nous avons fait de travailler dans le cadre de l'enseignement public, seule perspective possible d'une éducation populaire lorsque les changements sociaux et politiques nécessaires seront intervenus.

En effet s'il est un domaine où nous nous heurtons aux contraintes c'est bien celui des programmes et des contrôles. Utilisant délibérément les brèches du système que nous critiquons, nous répondons généralement à ceux qui nous attaquent : « Iisez les proclamations généreuses de la plupart des instructions ministérielles, nous ne faisons rien d'autre que d'essayer de leur donner un contenu plus réel ». Et de ce fait on ose rarement nous attaquer de front sur les problèmes réels que nous posons mais plutôt par le biais de multiples tracasseries visant à nous décourager.

Mais sur le plan des programmes et surtout celui des contrôles il y a peu d'échappatoires. Néanmoins nous essayons d'antidoter ce qu'ils ont de plus néfaste en refusant de les appliquer de façon linéaire : tous les élèves commençant en même temps par le début et généralement ne parvenant pas à terminer avant la fin de l'année. Nous considérons ce programme comme un espace que chacun devra explorer mais pas obligatoirement dans un sens et à un rythme donnés. Et cette démarche nous donne malgré tout une plus grande souplesse.

Considérant qu'un programme annuel n'a aucune signification, nous nous interrogeons sur les étapes de l'enfance et de l'adolescence, sur l'influence de la cohabitation coopérative dans un même groupe d'enfants ayant une maturité physique, intellectuelle, affective différente. Nous revendiquons que les programmes ne soient pas liés à une productivité étrangère aux besoins des individus concernés.

Nous sommes encore plus désarmés sur le plan du contrôle et nous n'avons pas le choix des solutions : nous devons préparer les élèves aux examens et autres contrôles qui leur permettront d'accéder à d'autres classes ou aux professions qu'ils ont choisies. Conscients que les objectifs de l'éducation ne peuvent se réduire à la réussite aux examens, nous essayons d'apporter d'autres modes de formation que le bachotage mais nous ne pouvons éluder le problème : dans l'intérêt des élèves, nous ne pouvons faire abstraction des examens. La seule atténuation que nous puissions apporter, c'est de ne pas multiplier inutilement les contrôles fallacieux. Lorsque l'administration exige des colonnes de notes, nous fournissons des notes discutées collectivement avec les élèves car nous n'avons aucune illusion dans l'objectivité de la notation (voir la première partie, page 14) et nous pensons que l'appréciation extérieure n'a aucun intérêt si elle n'est pas prise en compte par celui à qui elle s'adresse. Dans l'auto-évaluation discutée en groupe, c'est le jeune lui-même qui évalue avec les autres, ce qu'il a fait, ce n'est plus l'enseignant qui se pose en juge incontestable.

En fait la notion de contrôle ne pourra évoluer positivement qu'en abandonnant le rôle de sélection arbitraire qu'il joue. Comme on a décidé de distribuer les tâches et les responsabilités, on veut faire croire que cette sélection repose sur des aptitudes objectivement démontrées. Tout le monde sait que c'est faux, que notamment dans les tranches moyennes du classement il y a peu de différences de niveau entre les candidats : on pourrait tout aussi bien utiliser le tirage au sort qui serait plus honnête sans être plus aléatoire. Seulement il soulèverait la contestation : pourquoi une certaine catégorie a-t-elle gagné définitivement un avantage ? Pourquoi ne tirerait-on pas au sort régulièrement certaines responsabilités ? Pourquoi n'organiserait-on pas un roulement des tâches entre tous ceux qui sont capables de les assumer ? Voilà où entraîne la remise en question des examens. Déjà certaines femmes contestent le fait que leur sexe les condamne définitivement à la vaisselle, au nettoyage, à la garde des enfants et exigent une répartition des tâches. Où irions-nous si les éboueurs, les cantonniers, les travailleurs à la chaîne se croyaient capables d'autres responsabilités et proposaient une rotation de ces travaux ? Non, décidément, le système des examens et des programmes évite d'envisager de telles remises en question.

Mais pour le cas où cette perspective ne paraîtrait pas apocalyptique, voici quelle pourrait être la perspective de programmes vrais et de contrôles réels.

Les programmes, organisés en cycles, ne seraient plus une énumération de connaissances mais constitueraient une somme de propositions de travail, d'objectifs concrets matérialisant les finalités concernant chaque âge. Chaque objectif serait complété par les moyens de contrôle qui permettent d'évaluer s'il a été réellement atteint. Cela éviterait de contrôler par une interrogation écrite que l'élève a acquis une démarche expérimentale dans le domaine scientifique (ainsi qu'on le fait couramment au baccalauréat).

Ces objectifs concrets seraient multiples et de toute nature : les uns directement utilitaires d'autres devenant opératoires dans des recherches ultérieures, d'autres encore constituant des acquis de connaissances utiles, certains pouvant être à la fois tout cela. Ils pourraient se regrouper en brevets prouvant certaines capacités d'ordre logique, esthétique, social, manuel, etc.

Pour mieux préciser ce qui convient à chaque niveau, il faudrait s'appuyer sur les activités des enfants de cet âge lorsqu'ils sont placés dans des conditions favorables à l'expérimentation libre dans un milieu riche (matériel et documentation, adultes aidants, groupe accueillant). Les études de psychologie génétique ont un rôle à jouer mais il ne s'agit pas de déboucher sur une normalisation de l'enfant-type par des programmes rigides et contraignants.

Précisons que si un contrôle par brevets nous semble plus rigoureux que le système actuel d'examens, il ne saurait être la seule forme de contrôle.

L'essentiel est de développer chez les jeunes l'esprit de responsabilité dans la conduite et l'évaluation de leur travail, c'est pourquoi l'autocorrection, l'auto-évaluation, la critique positive du groupe nous semblent fondamentales en matière de contrôle.

Un système de brevets capitalisables aurait l'avantage de permettre des orientations positives en fonction des réussites de chacun et non comme actuellement en fonction de l'échec ou du non-échec. Il ne permettrait aucun blocage global et lorsqu'un élève serait arrêté dans un domaine par une lacune précise il aurait la possibilité de mobiliser tous ses efforts pour franchir cette difficulté ou de poursuivre ses réussites dans d'autres domaines pour y revenir plus tard après avoir acquis plus de maturité.

Il n'y aurait plus alors de rupture entre la formation initiale et la formation permanente. Mais qu'on nous entende bien, la formation permanente constitue un accroissement des chances de réussite dans le temps, elle ne peut servir de prétexte à une détérioration de la formation initiale ; il serait criminel de ne pas profiter au maximum des périodes particulièrement sensibles de l'enfance et de l'adolescence, mais il serait également criminel de renoncer aux possibilités ultérieures de progrès, sous le fallacieux prétexte que tout est joué à 3, à 6, à 12 ou à 18 ans.

La rigidité des programmes actuels donne une telle impression de sérieux que certains se demanderont peut-être avec inquiétude si le mode d'appropriation des savoirs que nous proposons peut réellement constituer un programme valable pour la vie. En fait c'est pourtant ainsi que s'est réellement constituée leur personnalité. Ce qu'ils ont appris de l'école ne tient qu'une place très réduite pour tout ce qui a une importance déterminante dans leur vie. En faisant le bilan de leur jeunesse, ils découvriraient que l'essentiel ils l'ont généralement appris dans la famille, par les copains, dans la rue, par la rencontre avec quelqu'un, avec un événement, avec des livres ou des oeuvres d'art. Et même ce qui vient de l'école tient souvent à autre chose que le programme qui y était distribué : la chaleur humaine d'un enseignant, une rencontre occasionnelle qui aurait pu se produire ailleurs et autrement. Nous ne faisons rien d'autre que de prendre en compte tout ce qui a été pour chacun de nous l'occasion d'un progrès, d'une prise de conscience, d'une résolution. La part de hasard qui existe inévitablement en chacun de nous, nous ne prétendons pas la nier ou l'éliminer ce qui est une façon hypocrite de s'y résigner, nous l'intégrons comme une richesse que nous voulons apprendre à maîtriser. Nous n'avons pas choisi d'être ce que nous sommes, mais nous pouvons choisir de devenir ensemble ce que nous voulons.

Les programmes préétablis n'ont d'autre raison d'être que de canaliser le questionnement de chacun pour qu'il ne devienne pas remise en question.

Ecoutez les enfants, ils nous interrogent généralement sur le pourquoi qui aboutit naturellement aux problèmes fondamentaux que nous n'avons pas tous résolus mais que nous ne pouvons éluder. Mais généralement les adultes et surtout les programmes scolaires préfèrent répondre sur le comment, ce qui est très différent. Si vous n'êtes pas convaincus mettez « pourquoi » ? et « comment » ? devant les mots suivants : le travail, l'argent, l'obéissance, l'amour, la vie, la mort.

10. D'autres techniques

et d'autres outils

pédagogiques

Les principes énumérés dans les pages précédentes, beaucoup d'éducateurs les partagent volontiers mais cela ne suffit pas pour transformer la réalité des pratiques éducatives.

En effet, il ne suffit pas de dire aux enfants et aux adolescents : « Ayez de l'imagination et de l'initiative, prenez vos responsabilités » pour les voir soudain devenir imaginatifs, entreprenants et responsables, surtout s'ils ont subi des années d'éducation passive. Encore faut-il créer les conditions qui leur permettent de le devenir.

Il ne suffit pas de dire aux éducateurs : « Changez donc votre type de relations avec vos élèves », encore faut-il leur donner les moyens de modifier le milieu éducatif de telle manière que ces relations se transforment.

Les sermons, les exhortations ne servent à rien si ce n'est à donner bonne conscience à celui qui les proclame (il a fait ce qu'il a pu). Dire aux autres : « Ayez de la volonté, de l'imagination, etc. » est une mystification car on n'indique pas comment peuvent en acquérir ceux qui en manquent (est-ce par piqûres intraveineuses ou par pilules ?).

Pour notre part nous refusons, avec les jeunes comme avec les adultes, ce type de discours. L'important est d'analyser les techniques de vie et de travail pour voir en quoi elles peuvent être bloquantes ou génératrices d'évolutions positives. Freinet, le premier, a montré que l'estrade et le manuel scolaire matérialisaient l'autoritarisme et le dogmatisme dans l'éducation. L'estrade, parce qu'elle installe en hauteur celui qui est déjà le plus grand en taille afin de bien montrer que tout ce qui se passe d'important viendra de lui, du haut de sa chaire-mirador : des discours et des punitions. Le manuel scolaire, parce qu'il prétend être la seule source d'information dans une discipline donnée, le seul outil de travail pour tous les élèves travaillant ensemble du même pas.

Si l'on étudie les techniques pédagogiques de l'enseignement traditionnel, on s'aperçoit qu'elles fonctionnent toutes selon le même schéma : un exposé magistral suivi de plus ou moins près par un exercice contrôlant la mémorisation. Il existe des variantes : l'exposé peut s'aider ou non d'un manuel, s'accompagner d'additifs visuels ou audiovisuels (gravures, projections, audition d'enregistrements), il peut même ne pas être fait par l'enseignant ou venir d'ailleurs (film ou émission de télévision) ; l'interrogation peut suivre immédiatement l'exprisé ou être reportée à une autre séance, elle peut être orale ou écrite, individuelle ou collective, utiliser une ardoise, une feuille blanche ou une fiche à compléter. En réalité, sous cette apparente diversité et parfois un vernis moderniste, un unique schéma de relations d'une désolante pauvreté : une seule personne s'adresse à chacune des autres qui n'ont à répondre qu'à elle seule. Toute autre relation au sein du groupe est sanctionnée comme bavardage ou comme tricherie. Dans ces conditions, comment modifier les relations avec les élèves si l'on ne remet pas en question profondément les techniques de travail.

u contraire les multiples techniques de la pédagogie Freinet : l'expression libre communiquée aux autres, l'imprimerie, le journal scolaire, la correspondance interscolaire, la recherche personnelle suivie d'un exposé au groupe, le travail en ateliers, en petits groupes, le travail individualisé qu'on corrige soi-même, l'enquête, etc., introduisent de multiples schémas de relations au sein de la classe mais aussi avec l'extérieur (les correspondants, le quartier, le village, etc.) et ces relations ne passent pas toutes par l'enseignant. C'est cette variété des techniques de travail qui crée la richesse du milieu éducatif et la qualité des relations qui s'y nouent.

La plupart de ces techniques nécessitent des outils appropriés et c'est un domaine que nous avons longuement exploré et ce n'est pas un hasard si notre action s'est largement développée dans la création, la mise au point, la réalisation et la diffusion d'outils nouveaux (1).

Pourtant ce serait une illusion de croire qu'un outil nouveau est inévitablement le vecteur d'un progrès pédagogique. Par exemple la machine à enseigner qui introduit une nouvelle forme d'apprentissage peut, selon son mode de fonctionnement et selon les programmes qu'elle contient, être un outil pédagogique favorisant l'autonomie de l'élève ou au contraire un moyen de dressage et de conditionnement.

Les meilleurs outils sont ceux qui permettent une grande souplesse d'utilisation et respectent les tâtonnements personnels de l'enfant.

C'est ce qui différencie les matériels didactiques créés pour induire un apprentissage précis et les boîtes de travail fournissant divers éléments utilisables dans une recherche.

Mais ce qui est le plus important c'est de proposer des outils mettant en oeuvre des activités et des relations très diverses entre les enfants ou les adolescents, entre eux et les adultes, entre eux et les savoirs.

DES OUTILS DE TRAVAIL INDIVIDUEL

Des outils comme les fichiers et les livrets permettent un travail totalement individualisé dans la mesure où ils sont autocorrectifs, c'est-àdire s'ils contiennent des réponses que l'enfant consulte ensuite pour vérifier son travail et corriger ses erreurs. Il a alors la totale maîtrise de ce qu'il fait et n'a recours à l'adulte qu'en cas de difficulté ou pour faire vérifier les tests de fin de séquence prouvant qu'il a bien assimilé les apprentissages proposés.

C'est grâce à de tels outils que les jeunes peuvent prendre une véritable responsabilité sur leur propre formation mais l'individualisation doit se conjuguer avec la vie collective du groupe pour un épanouissement complet de chacun.

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(1) Dans ce but a été créée la Coopérative de l'Enseignement LA (C.E.L.), BP 282 -06403 Cannes Cedex, qui réalise et diffuse les outils de la pédagogie Freinet,

DES OUTILS A INCITATION COLLECTIVE

Le plus caractéristique est l'imprimerie. Certes elle permet tous les tâtonnements individuels lors de la composition. C'est ce qui en fait un outil

irremplaçable pour les jeunes enfants : ils peuvent multiplier les essais sans dépenser autre chose qu'un peu de papier et d'encre. D'un essai à l'autre, ils corrigent les erreurs typographiques et améliorent la mise en page.

Mais l'imprimerie est essentiellement un moyen de communiquer en nombre illimité le texte que l'on vient d'écrire. Elle met en oeuvre le travail d'une équipe pour le tirage (l'un encre, l'autre place et enlève les feuilles, le troisième presse).

A toutes les étapes de sa réalisation : conception, fabrication, diffusion, le journal scolaire est essentiellement une activité de groupe. C'est si vrai que toute association tout groupe de jeunes ne se sent exister que lorsqu'il édite, ne serait-ce qu'avec des moyens de fortune, sa feuille, son bulletin, son journal, sa revue.

On peut classer les outils pédagogiques d'après plusieurs fonctions :

10.1. LA DOCUMENTATION

Avec le prix d'une collection de manuels tous identiques, on peut constituer le début d'une bibliothèque qui ne se trouvera pas périmée par un changement de programme. Même les ouvrages un peu dépassés gardent leur place comme référence historique d'une étape de la connaissance.

Freinet a proposé le terme de « Bibliothèque de Travail » pour désigner la documentation mise à la disposition des enfants et des adolescents. C'est devenu le titre d'une collection de brochures (les B.T.) largement connue du public scolaire et non scolaire. En fait il s'agit là d'une véritable encyclopédie populaire.

Mais les ouvrages les plus divers entrent également dans la bibliothèque qui se double d'un fichier documentaire et d'une sonothèque. Pour jouer un rôle de stimulation, la documentation doit être accessible directement par les enfants et, pour cela, les documents doivent être classés de façon claire. C'est pourquoi nous avons étudié un système de classification décimale et réalisé des index alphabétiques de documentation.

10.2. LES OUTILS D'INCITATION

Dans cette catégorie entrent les boîtes de travail conçues de manière souple et ouverte pour permettre le maximum d'expérimentations. De même les fiches d'incitation (F.T.C.) proposant des pistes de recherche dans tous les domaines.

(Voir au bas de la page trois fiches destinées aux enfants de maternelle)

10.3. LES OUTILS DE CREATION ET DE PRODUCTION

Ils vont de l'équipement des ateliers d'expression artistique et manuelle au matériel audiovisuel (appareil photographique, magnétophone et même caméra) en passant par le matériel d'imprimerie et de duplication.

Il faut bien voir que les outils utilisés déterminent largement le résultat. Ainsi, en donnant aux enfants des godets de gouache et des feuilles de format cahier on n'obtient pas le même type de dessin qu'en leur proposant des pots de peinture, de gros pinceaux et du kraft en rouleau dans lequel ils choisissent eux-mêmes leur format.

10.4. LES OUTILS D'APPRENTISSAGE ET DE CONSOLIDATION

Là où l'enseignement traditionnel n'utilise que les exercices des manuels, nous avons créé des outils divers : des fiches proposant un travail de courte durée, des livrets programmés nécessitant plusieurs heures. Ces outils sont autocorrectifs pour permettre aux enfants de travailler seuls à leur rythme.

(Voir au bas de la page un extrait de livret autocorrectif destiné au C.E. 1)

10.5. LES OUTILS D'ÉVALUATION

Dans ce domaine les recherches doivent se poursuivre pour proposer une alternative sérieuse aux contrôles traditionnels. Nous expérimentons des brevets, des grilles d'évaluation permettant non seulement aux adultes mais surtout aux jeunes d'évaluer objectivement leur progrès.