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Chapitre II Modélisation des expériences

II.3. Modèle hybride objet croyance de l’expérience

II.3.1. Un formalisme hybride objet incertain

Nous avons choisi de combiner, dans un langage hybride, la représentation orientée objet et les fonctions de croyances pour pouvoir représenter les expériences. Nous souhaitons définir un cadre extensible basé sur des représentions orientées objet (OO) permettant d’exprimer la structure des expériences sous formes d’ensembles de couples (attribut, valeur). Les attributs peuvent être composites et contenir d’autres attributs de types différents. Les fonctions de croyance permettent de coupler la représentation de l’incertitude avec la représentation orientée objet. Nous avons choisi cette combinaison car elle nous semblait bien adaptée à notre problématique comme nous le montrons dans la suite de cette partie.

Tout d’abord, la macro-structuration de l’expérience présentée dans le chapitre I est exprimée facilement dans une organisation hiérarchique de type taxonomie nativement présente dans le formalisme objet. Nous avons en outre justifié le choix d’une approche orientée objet de représentation des connaissances, par rapport aux approches centrées objet usuelles de représentation des connaissances, principalement pour des raisons de cohérence et d’homogénéité pour l’opérationnalisation du système résultant. Les limites de l’orienté objet en termes de représentation des connaissances ne sont pas vraiment un problème dans notre cas grâce à l’approche volontairement simplifiée de représentation des connaissances que nous adoptons. Cependant, bien que n’ayons pas un besoin fondamental de justesse sémantique de la représentation des connaissances, nous avons une volonté de représenter les incertitudes présentes dans la description des situations et dans le jugement des experts. Les fonctions de croyance ont été choisies pour deux raisons principales :

! elles constituent une interface naturelle entre l’attribut et sa valeur sachant que l’attribut est une composante intrinsèque fondamentale de la notion d’objet,

! l’attribution de confiance sur des sous-ensembles du domaine de décision traduit, selon nous, très bien l’attitude des experts lorsqu’ils s’expriment.

Nous avons choisi la méthode des croyances transférables (MCT), variante de la théorie de Dempster-Shafer, d’une part, pour ses meilleures fondations théoriques puisque les critiques d’origine probabiliste adressées à la DST ne sont plus applicables (Smets, 1993) et, d’autre part, pour la possibilité d’utiliser l’hypothèse du monde ouvert (cf. partie II.2.2). Cette hypothèse permet d’attribuer une croyance sur élément inconnu, non représenté dans le cadre de discernement (autrement dit des valeurs manquantes au modèle) ce qui est généralement le cas dans les situations d’application du retour d’expérience où tous les éléments d’explication de l’apparition d’un événement ne sont pas forcément présents dans le cadre d’analyse.

II.3.1.1.

Structuration des entités composant l’expérience

La structuration de l’expérience est modélisée selon le schéma représenté sur la Figure II-7. Il s’agit de la définition du vocabulaire utile au processus de retour d’expérience, autrement dit, l’ontologie du retour d’expérience. En parallèle, les différentes ontologies de domaine sont également représentées, c'est-à-dire le vocabulaire utilisé pour décrire les événements, les contextes, les analyses et les solutions. Ces ontologies dépendent bien évidemment du domaine d’application du retour d’expérience tandis que l’ontologie du retour d’expérience est relativement figée. Afin de préserver la généricité du retour d’expérience, nous avons choisi de développer un modèle générique, indépendant de l’ontologie du domaine.

La partie gauche de la Figure II-7 décrit l’ontologie du retour d’expérience. Il s’agit d’une taxonomie classique qui reprend les entités qui ont été isolées précédemment. Ce schéma est exprimé dans un formalisme de type UML. Nous montrons aussi les relations avec les attributs qui caractérisent l’événement et avec les attributs incertains qui caractérisent le contexte. L’ontologie de domaine n’est pas représentée sur ce schéma par contre la classe attribut incertain représente les points d’entrée à partir desquels les attributs du domaine seront créés par sous-classage.

Ces attributs seront nommés par la suite « descripteur simple » ou « descripteur objet » et ils sont en relation avec le domaine. Les attributs (descripteurs) sont valués au moyen de la représentation issue du modèle des croyances transférables. C’est donc l’attribut qui joue le rôle d’interface entre le langage objet et le MCT. L’analyse est une entité qui fait aussi intervenir l’incertitude dans une certaine mesure mais de manière différente à celle du contexte. L’entité analyse est une relation entre informations disponibles. Dans notre cas, il s’agit de la conjonction des attributs significatifs qui caractérisent le mieux l’occurrence de l’événement selon le point de vue d’un expert.

Figure II-7 - Structuration de l'expérience

L’ontologie de domaine n’est pas représentée sur la Figure II-7. Elle est construite autour de la notion d’attributs incertains que nous appelons « descripteurs ». L’ontologie de domaine est donc relativement élémentaire en termes d’expressivité. Il s’agit d’un modèle « attribut – valeur » intégrant la possibilité d’utiliser des attributs objets. Autrement dit, c’est un modèle objet simple prenant en charge la composition et l’héritage. Nous avons exploré la définition d’une ontologie plus précise du retour d’expérience qui représente plus formellement les composants du retour d’expérience et les relations possibles entre ces composants. Cette ontologie (concepts et relations entre concepts) a donné lieu à un prototype implémenté avec les graphes conceptuels (Kamsu et al., 2008). Dans ce travail de thèse, l’ontologie réalisée est plus simple et plus générique. Elle ne prend pas autant d’éléments en considération, en particulier, la solution n’est pas intégrée. En contrepartie, elle permet une opérationnalisation plus directe des systèmes tout en restant flexible et évolutive du fait de sa généricité et surtout de son lien fort avec les Langages de Programmation Orientés Objet.

II.3.1.2.

Intégration de l’incertitude

Dans l’ontologie qui est présentée, il est fait référence à deux entités « incertaines », l’attribut incertain (ou descripteur) et l’analyse qui est une relation entre les descripteurs. La première intégration est assez naturelle puisqu’il s’agit de représenter des valeurs d’attributs imprécises, incertaines, voire tout simplement inconnues. Au lieu d’utiliser des valeurs précises d’attributs classiques comme cela est le cas pour l’événement, la possibilité est offerte à l’utilisateur de sélectionner parmi les valeurs possibles de l’attribut celles qui sont possibles au lieu de ne choisir qu’une valeur unique et donc précise. Pour pouvoir coupler notre représentation « objet » avec les fonctions de croyance, nous avons considéré le domaine de définition de l’attribut comme le cadre de discernement d’une fonction de croyance. La contrainte majeure induite par ce choix est que les éléments du domaine doivent être mutuellement exclusifs (deux valeurs ne peuvent être vraies simultanément). Ceci implique qu’il ne faut pas mélanger plusieurs éléments d’informations (cf. II.3.2.1) et donc que les choix multiples de type conjonctif sont proscrits (relation « et » entre deux valeurs d’attributs). Donner une valeur à un attribut revient alors à définir une distribution de masse sur le domaine du descripteur. Cette valuation peut cependant être réalisée de manière relativement transparente. Il est envisageable que l’utilisateur choisisse les valeurs en affectant des degrés de confiance au moyen d’une interface. Plusieurs possibilités sont alors offertes à l’utilisateur :

Expérience! Evénement date identifiant timestamp Contexte Analyse Solution Attribut Attribut incertain 1..* 1..* usure experienceActeur etatMateriel … … 0..* Relation 0..* Domaine Expert

1..1 Relations d’influence pondérées entre

les attributs significatifs du domaine

! Il peut choisir une valeur précise et sûre (une seule valeur avec une confiance maximale), ! Il peut exprimer l’ignorance totale (« je ne sais pas ») auquel cas l’ensemble des valeurs est

sélectionné avec une confiance maximale,

! Il peut choisir plusieurs valeurs en cas de doute, toujours en associant un degré de confiance. Les valeurs choisies peuvent être disjointes. La confiance doit être répartie entre chaque groupe d’attributs,

! Enfin, il peut exprimer qu’il connaît la valeur mais que celle-ci n’est pas présente parmi les choix proposés. Cette possibilité est d’ailleurs un des apports du modèle des croyances transférables. Elle consiste à affecter la croyance sur une valeur qui ne fait pas partie du cadre de discernement (une valeur non disponible dans l’ensemble de définition).

Nous rappelons que la croyance est une masse unitaire qui est répartie entre chaque valeur ou groupe de valeurs possibles. Si l’utilisateur n’est pas sûr de la valeur choisie, il affecte un degré de confiance en relation avec sa confiance. Le reste est affecté à l’ensemble entier et traduit une information incertaine. Ce degré de confiance est équivalent à un pourcentage et pour faciliter la saisie, il est envisageable de traduire le degré de croyance à l’aide de modérateurs linguistiques (pas très sûr, moyennement sûr, quasiment sûr, sûr).

La deuxième forme d’intégration de l’incertain dans le modèle est plus complexe. Nous avons en effet choisi de traduire l’analyse des experts au moyen de relations qui sont incertaines par nature. Très souvent lorsque l’information est trop abondante, il devient nécessaire de la filtrer. Plutôt que de simplement sélectionner des attributs, nous souhaitons laisser la possibilité à l’expert d’expliciter une analyse imparfaite, avec des doutes. Par exemple, dans le cas d’un accident du travail sur une machine- outil (événement), l’expert sécurité pourrait analyser l’événement en sélectionnant les attributs traduisant que l’opérateur était inexpérimenté et que les dispositifs de protection étaient défectueux. Suivant la certitude de cette analyse. Il peut alors caractériser la confiance qu’il accorde à son analyse. Nous avons envisagé l’ajout d’une variable correspondant au degré de reproductibilité correspondant à l’estimation de l’expert quant aux chances de reproduction de l’événement en considérant son analyse. A l’image des MCT, nous avons souhaité augmenter les possibilités d’expression afin de pouvoir traduire le fait qu’une « cause » ne figure pas parmi les descripteurs de contexte disponibles. A ce stade, soit le modèle est étendu avec le nouveau descripteur, soit l’analyse qui fait intervenir l’élément « autre » est conservée. Bien que le MCT permette une telle manipulation, introduire de telles informations très imprécises a pour conséquence de répercuter dans les résultats finaux autant d’imprécision. Le principal avantage est de ne pas fausser l’analyse en considérant des données basées sur des hypothèses fausses. Il est ainsi préférable selon nous d’avoir une expérience qui ne soit pas vraiment exploitable plutôt qu’une expérience qui induise en erreur.

Nous avons aussi voulu permettre aux experts d’émettre des hypothèses disjonctives leur permettant de fournir plusieurs interprétations de l’accident. Cela pourrait être utile quand un expert hésite entre plusieurs scénarios valides pour expliquer un accident. En reprenant l’exemple précédent, nous pouvons imaginer que l’expert ne sait pas bien si l’accident sur la machine outil est dû aux causes présentées plus tôt ou tout simplement au fait que l’opérateur n’était pas suffisamment attentif. Dans ce cas, il fera une disjonction des analyses pour inscrire les deux possibilités dans la base. A nouveau, il convient de préciser que l’approche de retour d’expérience ne cherche pas à établir une vérité mais à collecter de façon incrémentale des connaissances à partir de faits. Si l’analyse d’un événement conduit à plusieurs scénarios valides, alors il est préférable de stocker chaque analyse puisque cela constituera autant de fragments de connaissance.

Nous donnons maintenant une vue plus formelle des deux entités intégrant l’incertitude dans la représentation de l’expérience à savoir le contexte et l’analyse.