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4. Discussion générale

4.2 Forces et limites de la thèse

Le présent projet doctoral comporte certaines limites qui doivent être discutées, en plus de celles abordées dans les articles apparaissant aux chapitres 2 et 3. D’abord, la taille de l’échantillon limite la puissance statistique des analyses menées. Celle-ci se traduit donc par plusieurs relations qui approchent le seuil de significativité, sans toutefois l’atteindre. Dans ces cas, il est seulement possible de parler d’une tendance et non d’une relation statistiquement significative. Néanmoins, considérant la difficulté de recrutement et de rétention des enfants négligés dans les études (Kinard, 2001), cette thèse contribue de façon significative au manque de connaissances sur le niveau de développement langagier de ces enfants.

Par ailleurs, la présence d’un biais de confusion potentiel dans l’établissement de la relation entre la qualité des interactions et les habiletés langagières doit être mentionné. On remarque des tendances entre la LMÉm et certaines dimensions de la qualité des

interactions. Or, le modèle émergentiste souligne que de multiples facteurs influencent le développement langagier, certains étant liés à l’enfant, comme ses capacités innées, et d’autres liés à sa famille, comme la qualité de l’interaction parent-enfant ou le type de famille. Ces variables n’ont pas été considérées dans le projet doctoral. Elles sont aussi susceptibles de contribuer, du moins en partie, au niveau d’habiletés langagières présenté par les participants.

Par exemple, concernant les capacités initiales, le développement des aires cérébrales responsables du traitement et la compilation langagière s’effectue principalement

avant l’âge d’un an (Casey, Tottenham, Liston, & Durston, 2005). Ce développement est fortement dépendant des expériences vécues par l’enfant. Ainsi, le fait de vivre en situation de négligence à un très jeune âge met l’enfant à risque de présenter des capacités initiales de niveau inférieur (Casey et al., 2005).

La motivation à mobiliser ses capacités initiales, autre élément central au modèle émergentiste, est construite par l’entremise des interactions que l’enfant vit avec les adultes significatifs de son entourage (Center on the Developing Child, 2015). Le fait de vivre une expérience positive à la suite d’une interaction avec un adulte de son entourage agit comme du conditionnement opérant, c’est-à-dire que l’enfant voudra revivre cette émotion positive en interagissant à nouveau. Le fait de ne pas avoir de réponse à une tentative de communication fait en sorte que l’enfant ne l’associe pas à une expérience positive, et sera donc moins porté à reproduire le comportement. En contrepartie, le fait de recevoir une rétroaction négative associe l’interaction à une expérience négative, ce que l’enfant tend à éviter (National Scientific Council on the Developing Child, 2018). Les rares occasions d’apprentissage qui caractérisent la situation de négligence pourraient exercer un rôle dans la relation faisant l’objet de la thèse, mais n’a pas été considérée.

Par ailleurs, le fait qu’un enfant négligé soit placé en famille d’accueil, où la qualité de l’input langagier est supposé supérieur à celui reçu dans sa famille biologique, pourrait influencer positivement sa LMÉm. Ainsi, le niveau d’habiletés morphosyntaxiques de ces

enfants négligés serait attribuable à une tierce variable, et non à la qualité des interactions dans son SGÉ. Le milieu de vie des enfants représente une variable qui aurait pu potentiellement être confondante. Cependant, les résultats d’analyses exploratoires des données effectuées a posteriori n’appuient pas cette hypothèse, puisqu’il n’y a pas de différence entre la LMÉm des enfants selon qu’ils vivent avec leur famille biologique, une

famille d’accueil de proximité ou en famille d’accueil (p > .05).

Une autre variable potentiellement confondante dans la relation entre la LMÉm des

enfants négligés et la qualité des interactions dans le groupe en SGÉ correspond au statut socioéconomique des familles. En effet, les enfants issus de milieux défavorisés sur le plan socioéconomique sont plus à risque de présenter des difficultés langagières

Hart & Risley, 1995). Encore une fois, les résultats d’autres analyses exploratoires effectuées a posteriori n’appuient pas cette hypothèse, puisque la proportion d’enfants négligés ayant des DM ne varie pas selon qu’ils se situent au-dessus ou sous le seuil de faible revenu (p > .05). De façon similaire, la proportion d’enfants négligés qui présentent un DT de la LMÉm ne varie pas selon qu’ils se situent au-dessus ou sous le seuil de faible

revenu (p > .05).

La thèse présente aussi de nombreuses forces qu’il importe de mettre en évidence. Elle aborde une thématique de recherche novatrice en permettant de jetter un premier regard sur le niveau de développement morphosyntaxique d’enfants négligés francophones et sa relation avec la qualité des interactions dans le groupe en SGÉ. Le fait que l’échantillon soit exclusivement composé d’enfants dont le statut de négligence parentale est confirmé par les intervenants psychosociaux constitue une grande force de la thèse. En effet, les chercheurs s’étant précédemment intéressés au développement langagier en contexte de maltraitance ont inclus dans leurs échantillons différentes formes de maltraitance, dont la négligence (Beeghly & Cicchetti, 1994; Coster et al., 1989; Eigsti & Cicchetti, 2004; Fox et al., 1988). Compte tenu des caractéristiques de la négligence en termes de pauvreté de la stimulation langagière et de l’interaction parent-enfant fortement fragilisée, les enfants négligés présentent un profil tout particulier en regard des difficultés langagières comparativement aux autres enfants maltraités (Allen & Oliver, 1982; O’Hara et al., 2015). Il importe alors de considérer séparément le niveau de développement langagier de ces enfants en fonction du motif de maltraitance, tel qu’étudié dans la présente thèse.

Ensuite, l’analyse de la LMÉm a été dérivée d’un instrument de mesure dont la

passation était standardisée, c’est-à-dire que tous les participants ont été exposé au même matériel de jeu et ont reçu les mêmes sollicitations pour produire leurs énoncés. La grande validité écologique du Jeu de village, un jeu semi-structuré, doit aussi être soulignée. Il s’agit du moyen le plus robuste permettant de statuer sur le niveau développement langagier d’un enfant, car il met en évidence l’ensemble de ses habiletés dans un contexte naturel de communication. Finalement, l’analyse de la LMÉ a porté sur le calcul en morphèmes. Celle-ci constitue la mesure la plus représentative de l’ensemble des habiletés

langagières d’un enfant de 4 ans, car elle considère les nombreuses manipulations grammaticales que l’enfant est en mesure de faire à cet âge (Parisse & Maillart, 2004).

La qualité des interactions dans les SGÉ a été mesurée à l’aide d’un instrument dont les qualités psychométriques sont reconnues (Pianta et al., 2008). L’ensemble des observations a été effectué par des observatrices certifiées, ce qui confirme la fidélité de la mesure. Il est également important de souligner que les observatrices n’étaient pas familières avec les éducatrices observées. Ceci assure l’impartialité de la codification et réduit le risque d’interprération des comportements de l’éducatrice de la part de l’observatrice pour s’en tenir aux comportements directement observés (Vitiello, Bassok, Hamre, Player, & Williford, 2018).

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