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La forêt Eden: références bibliques

Chapitre 1 La figure sacrificielle féminine : idée du Christ 1.1 L’imitation du Christ

2.4 La forêt Eden: références bibliques

Le couple se retire de la ville, dans une forêt « Eden ».

Dans une forêt sombre, sur laquelle est plantée une cabane isolée, se déroulent presque tous les évènements du film. Cet espace unique joue un rôle clé dans la narration et parvient à construire un discours narratif en lui même. Charlotte se révèle esclave de cet espace. Elle avoue sa peur de cette forêt en particulier.

[He] Let’s make a list of things you are afraid of. [She] The woods.

[He] What scares you about the woods? [She] Eden.

La peur de Charlotte s’explique par le fait qu’elle a passé l’été précèdent avec son fils dans ce lieu, alors qu’elle travaillait sur sa thèse sur la chasse aux sorcières au Moyen Âge et la diabolisation de la femme en Europe. Au fil de cette rédaction, elle a acquis la conviction que les femmes étaient vraiment coupables du mal dont elles avaient été accusées. Quand elle admet à son mari qu'elle est terrifiée par la forêt, il insiste sur le fait qu'ils y retournent pour qu'elle puisse confronter ses craintes.

Lars von Trier place au sein de cette nature, une autre nature, celle de la femme. Chacune devient la métaphore de l’autre. Les deux évoluent de la même manière. Comme si l’une se nourrissait de l’autre et vice versa. On pourrait dire qu’il y a symbiose entre les deux. Les animaux, les arbres, la cabane, l’herbe, le pont, le trou, tous ces éléments symboliques dessinent le chemin de la rédemption ou celui de la chute.

Cet espace loin de la vie urbaine, des lois de la vie, des règles et des normes sociales, apparaît comme l’espace idéal du sacrifice féminin. La nature soutient cette femme dans son désir de se nommer coupable. Le cadavre d’un oiseau dévoré par des insectes, le renard qui mange sa propre chair parle et dit : « CHAOS REIGNS », les grains qui tombent et retentissent sur le toit de la cabane, chantent la mort de la nature, construisent l’image de l’autodestruction et du génocide. Tous ces éléments instaurés par Lars von Trier et vus par le personnage masculin en particulier, placent ce personnage dans la position de l’esclave et donne le pouvoir au personnage féminin. Ce qui évoque directement la Bible, où Dieu a placé Adam et Ève dans le jardin d’Eden ; et que la pomme de la discorde prise par Ève, entraîne par la suite la rupture de l’homme avec l’harmonie céleste et installe le chaos sur terre.

Dans cet espace, se succèdent plusieurs scènes dans lesquelles l’époux analyse la peur de sa femme de la forêt. Et puis, lorsque la femme avoue que sa vraie peur n’est pas la forêt mais ce qui est dans la forêt. Il marque cette peur par un point d’interrogation sur le sommet d’un triangle qu’il dessine sur un papier. C’est vers la fin, que la femme arrive à dire que « Nature is Satan’s Church ». Sa femme a peur du diable, du mal incarné dans cette forêt. Et puis plus tard, lorsqu’ elle met au sommet de ce triangle « ME », elle révèle qu’elle a peur d’elle-même en tant que femme et de sa propre sexualité qu’elle associe aux forces irrationnelles et incontrôlables de la nature.

En bref, Lars von Trier reprend dans ce film la problématique du mal telle qu’elle est exemplifiée dans la Bible et fait de ces personnages des figures mythiques et allégoriques dans un espace opposant Paradis et Enfer. Le personnage féminin croit aux légendes des sorcières et se voit possédé par ces idées.

Lars von Trier dans Antichrist paraît mettre en scène l’affirmation suivante : « Tous les personnages jetés à terre par la toute-puissance de Dieu revivent l’aventure de nos premiers parents chassés du Paradis. » (Léonard-Roques 2008, p.181) en créant à travers ses personnages, des figures mythiques, voire religieuses.

Le récit d’Antichrist apparaît comme une antithèse (la face ombre) de l’histoire chrétienne du péché et de la rédemption. Le personnage féminin dans Antichrist continue à représenter l’idée du Christ et de son sacrifice, mais cette fois-ci, en incarnant son envers, l’image du diable. À la fin du film, elle se réconcilie avec la mort mais elle ne se sacrifie pas par amour et bonté et non plus pour provoquer un miracle. Dans Antichrist, elle enlève la robe de la sainte qu’elle avait porté dans Dancer in the dark et Breaking the waves et va jusqu’au bout de sa folie. Au lieu d’être croyante, elle devient sceptique, sceptique de la vie, de la raison, de sa nature, et de son corps. Elle croit à l’enfer, au diable, parce qu’elle se sent proche de lui à Eden, lorsqu’elle dit « Nature is Satan’s church ».

Tout au long du film, Charlotte cherche vengeance. Sa terreur la conduit dans des comportements sadomasochistes envers son époux. Elle essaie de le tuer. Elle crucifie

l'homme en lui plantant des clous dans les membres, elle le torture. L’homme survivant erre dans la forêt, sous le même air d’opéra de la première scène. Une foule traverse la forêt. Après l’histoire d’Adam et Ève, les générations se succèderont sur cette base du péché, de la salvation et de la rédemption.

Pour conclure, et en revenant aux deux perceptions de l’hystérie, l’une véhiculée par la société victorienne et l’autre «scientifique» étudiée par Freud et la psychiatrie. La fin d’Antichrist, nous rappelle aussi l’époque de l’extermination des sorcières (les femmes hystériques). Les symptômes scientifiques de l’hystérie dans ce film prennent la forme d’une actualisation de l’image du diable. Lars von Trier met ses spectateurs dans deux positions contradictoires : « croire » ou pas « croire ». Ce scepticisme est beaucoup plus explicite dans Melancholia (2011).