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De l’hystérie féminine à l’hystérie masculine

CHAPITRE 4 She is Lars : traitement de la figure sacrificielle féminine par la création artistique

4.4 Le travail de l’espace sacrificiel

4.4.2 De l’hystérie féminine à l’hystérie masculine

On peut décrire cet aspect du film, en utilisant les mots de Pierre Sorel dans son article Considérations sur l’hystérie masculine.

« L’insatisfaction de l’hystérique qui est une déception par l’objet, mais aussi un emballement de ses protestations narcissiques, se manifeste tant que l’homme se veut et se croit homme, puisqu’il se retrouve constamment confronté à sa féminité. Séparé de l’objet, dans tous les aménagements qu’il se propose, il se trouve en position féminine. Car ce que l’hystérique ignore, c’est que l’inconscient ne connaît pas

l’opposition homme-femme, mais l’opposition actif-passif, qui s’applique à la même libido. 64»

Donc l’espace sacrificiel dans notre film se voit nourri par le sacrifice du désir de l’homme de devenir femme, et pas n’importe quelle femme, mais la femme dans l’œuvre de Lars von Trier. Quand au début de notre film, la femme demande à l’homme : « comment tu sens-tu d’être cette femme, sa femme à lui ? Il répond : « je me sens piégé ». Dans le film, l’homme hystérique est atteint d’une crise d’identité. Il erre dans la forêt et se voit enclavé dans la chambre. Cette crise d’identité est accompagnée de la phobie de castration. Tout comme l’hystérie féminine, l’hystérie masculine prend les organes sexuels comme siège et remonte vers le cerveau, comme le soutient l’affirmation suivante.

Male hysteria, to be hysteria at all, had to modeled after female hysteria. Without the masculine phallus as the primary signifier, the male becomes hysterical, disassociated from body, language and the scales of patriarchy.” (Lukinbeal, C.Aitkey 1998, p. 270)

Cette hystérie en général, et en particulier l’hystérie masculine, sont traduites dans notre film sous différents angles, construisant ainsi l’espace sacrificiel. L’effet de théâtralité dans notre film, par exemple, nous informe par la mise en scène, dès le début du film, qu’il s’agit d’une scène de casting, d’un film qui est en train de se faire. Dans le premier plan, large et fixe, l’acteur au fond de la chambre commence son jeu. Les directives données par la voix féminine sont jouées et puis rejouées comme s’il s’agissait d’une répétition afin d’accentuer la présence de l’acteur et d’affirmer pleinement ses émotions. Comme si l’acteur, ou l’artiste, voulait mettre en valeur cet aspect de répétition dans la mise en scène, cette tentative de produire ce film. En psychologie, « le théâtralisme est caractéristique de l’hystérique. Il reste modéré et n’est jamais caricatural

                                                                                                               

64 Sorel, Pierre, « Considérations sur l’hystérie masculine ». http://www.cartels- constituants.fr/medias/documents/6461.pdf . Consulté le 25 Octobre 2013.

ou désadapté.65» Grâce à lui, l’hystérique interpelle l’autre. Les évènements sont dramatisés, les propos sont amplifiés, les attitudes et les émotions sont exagérées. L’hystérique s’habille de manière à attirer l’attention et à ne pas passer inaperçu. On rencontre deux inflexions possibles dans le caractère hystérique : «parfois des caractères faibles, suggestibles, influençables et donc versatiles dans leurs opinions leurs choix. Parfois, il y a une forte affirmation de soi, une assurance, parfois un autoritarisme. Cette forme s’accompagne d’agressivité envers l’autre (surtout les sexes opposés). 66 »

L’acteur-réalisateur dans notre film attend de la femme un signe afin de changer son statut, sa position, son état émotif, comme s’il s’agissait d’un jeu de ping pong entre l’homme et la femme. Le personnage masculin fait tout et n’importe quoi pour attirer l’attention de la femme derrière la caméra. Il s’approprie des discours, invente des attitudes, des histoires. Il croit que le sol brûle. Il traverse les meubles avec un air infantile. Dans le deuxième chapitre de notre film, on remarquera cela aussi chez la femme He is Lars. Elle fait également partie de ce jeu hystérique. Elle partage avec lui les mêmes désirs.

Entre les deux personnages, on observe un certain lien émotionnel. Les deux communiquent entre eux des désirs charnels, des sentiments, des affects et des conversions. Chacun se bat pour gagner l’autre, et dans cette bataille, les deux sont conscients qu’ils peuvent perdre l’autre.

L’homme dans notre film, et la femme dans les films de von Trier, se ressemblent dans leur statut et leurs désirs. C’est leur sexualité, leur corps, et leur inconscient qui est jugé comme coupable. Ils cherchent une spiritualité pour pouvoir échapper à la matérialité. « L’homme est né spirituel quand à l’âme, et il est enveloppé du naturel qui fait son corps matériel. C’est pourquoi, quand les dépouilles de ce corps matériel sont déposées, son âme enveloppée de son corps spirituel, vient dans le monde où toutes                                                                                                                

65  Juignet, Patrick. 2011. « La personnalité hystérique ». Psychisme.

http://www.psychisme.org/Clinique/Hysterie.html consulté le 10 novembre 2013.

choses sont spirituelles, et de là elle s’associe avec ses semblables. » (Swendenborg, Moët 1819 p. 214)

C’est ce corps matériel que la femme von Trierienne torture et déchire pour en montrer l’âme. Dans Melancholia, le personnage féminin juge la planète Terre comme un symbole de matérialité qu’il faut également détruire. Il faut la dégrader afin de pouvoir s’élever vers le spirituel. Dans une des scènes de She is Lars, l’homme, coincé sur un meuble, répète trois fois la phrase : « the earth is evil, we don’t need to grieve for it » après cette scène, on voit l’homme vêtu de blanc, ressemblant à la Vierge Marie, figure stylistique symbolisant la spiritualité.