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Les fondements du financement de l'arbitrage par les tiers

Les fondements du financement de l'arbitrage par les tiers

53. Qui dit «argent» dit «marché». L'argent dans l'arbitrage a favorisé l'émergence d'un marché au sens économique du terme, lequel a été décuplé par l'effet de la mondialisation de l'économie.57 Le marché de l'arbitrage a crû à l'unisson du développement de l'économie mondiale qu'il encadre et accompagne et dont il se nourrit.58 L'existence de ce marché n'est pas nouvelle,59 même si certains ont pu en dénoncer les imperfections.60 Sa réalité n'est donc plus contestée et la meilleure preuve en est que ce marché suscite l'intérêt, sinon l'appétit.61

54. Le marché de l'arbitrage est analysé sous un angle juridique dans la suite de la présente thèse et l'on verra que les problématiques juridiques soulevées par l'intervention du tiers dans ce marché sont diverses. Mais avant cela, il est peut-être nécessaire de s'aventurer sur les sentiers de l'économie du droit, pour tenter d'appréhender l'objet économique que réprésente l'arbtirage et, plus essentiellement, l'assistance financière qu'apporte un tiers investisseur.

55. On observe ici un mouvement dialectique original qui voit le marché du financement de l'arbitrage se développer au sein du marché économique dont il est l'arbitre. L'arbitrage est une activité économique qui brasse des enjeux importants et le financement de l'arbitrage se voit bénéficier de cette justice adaptée. L'arbitrage et son financement jouent alors un rôle dans le développement économique.

56. On assiste effectivement à ce qui est l'arbitrage de l'économie. Le monde s'est standardisé. On va aux mêmes restaurants à New York qu'à Dubaï. On lit les mêmes magazines à Paris et Beyrouth. On voit les mêmes films à Londres et Tokyo. C'est pareil pour l'arbitrage puisque son évolution a suivi celle du développement économique mondial. Cela a été prédit par Bruno Oppetit, il y a quinze ans déjà: «c'est essentiellement au XXe siècle, et principalement

57 W. Ben Hamida et T. Clay, L'argent dans l'arbitrage - Le marché de l'arbitrage, Lextenso éditions, 2013,

p.13.

58 Infra, Chapitre 2, Section II: Le financement et le marché de l'arbitrage.

59 Ph. Fouchard, «Où va l'arbitrage international?», McGill Law Journal, vol. 34, n°3, 1989, p. 435. Ph.

Fouchard, L'arbitrage et la mondialisation de l'économie, in Philosophie du droit et droit économique. Quel

dialogue? Mélanges Gérard Farjat, éd. Frison-Roche, 1999, p. 381, spéc. n°9; B. Oppetit, Théorie de

l'arbitrage, PUF, coll. Droit, éthique, société, 1998, spéc. p. 10. J.B. Racine, «La mondialisation du règlement des différends: le cas de l'arbitrage», in E. Loquin et A Martin (dir.), Droit et marchandisation. Litec, 2010, p. 321.

60 J.B. Racine, La mondialisation du règlement des différends: le cas de l'arbitrage, op. cit., spéc. p. 329-332. 61 Infra, op. cit. Le financement et le marché de l'arbitrage.

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depuit les années cinquante, qu'à la faveur d'un exceptionnel développement des relations économiques la fortune de l'arbitrage devait connaître un prodigieux essor».62

57. À ce titre, on se doit d'évoquer la Commission des Nations Unies pour le droit commercial international (CNUDCI), dont le rôle décisif en matière d'arbitrage international est connu, pour se rappeler que l'Assemblée Générale des Nations Unies avait expressément précisé dans sa résolution qui a créé la CNUDCI que celle-ci devait prendre «en considération les intérêts de tous les peuples, et particulièrement ceux des pays en développement».63 On peut donc estimer que la CNUDCI a fait du développement économique sa mission et de l'arbitrage un de ses moyens pour y parvenir. Grâce à la CNUDCI, l'arbitrage s'est simplifié, popularisé et sécurisé. Il a donc pu agir sur le développement économique international.64

58. C'est parce que le recours à l'arbitrage est indispensable pour la conclusion des opérations économiques de grande envergure, qu'il a eu une grande influence sur l'économie mondiale. Aucun des deux opérateurs du commerce international ne souhaite en effet se retrouver devant la justice étatique de l'autre - non pas tant parce qu'il la suspecte a priori de partialité, mais parce qu'il estime inéquitable d'épouser les méthodes, les réflexes, la culture du co- contractant par hypothèse étranger et parce qu'il est toujours préférable de jouer sur un terrain neutre où les opérateurs peuvent choisir leurs arbitres.

59. La convention d'arbitrage est donc souvent une condition pour l'exécution d'un contrat commercial international: sans la clause arbitrale la société Disney ne se serait pas implantée en France, ni le musée du Louvre à Abou Dhabi. Le recours à l'arbitrage est une condition sine qua non pour l'investissement. Dorénavant, le recours au financement est de même une condition indispensable de l'arbitrage, donc du développement économique.

60. On sait que, sous l'influence de la prestigieuse école de Chicago, l'analyse économique du droit (Law and Economics) a fini par intéresser la doctrine française,65 notamment à travers la

62 B. Oppetit, Théorie de l'arbitrage, PUF, coll. Droit, éthique, société, 1998, spéc. p. 9.

63 W. Ben Hamida et T. Clay, L'argent dans l'arbitrage - Le marché de l'arbitrage, Lextenso éditions, 2013,

p.16.

64 W. Ben Hamida et T. Clay, L'argent dans l'arbitrage - Le marché de l'arbitrage, op. cit., p.16.

65 B. Deffains, Law and Economics in Civil Law Countries, Routiedge, 2013; D. Cohen (dir.), Droit et économie

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question de l'économie de la justice.66 Cet acquiescement se traduit par le fait que le développement économique ne saurait s'entendre uniquement comme étant celui des opérateurs économiques; il doit inclure l'intérêt général, d'où vient le rôle de la justice arbitrale par le maintien d'un développement durable à travers la cohérence des sentences arbitrales rendues pour régler les conflits économiques.

61. Historiquement, le mouvement Droit et Économie a probablement débuté avec J. Bentham en 1789, qui a examiné dans sa doctrine de l'utilitarisme l’attitude des acteurs envers l'intérêt judiciaire et le résultat des mesures judiciaires qui sont prises pour le bénéfice social. Le travail de J. Bentham a été ultérieurement développé aux États-Unis dans les années 1960 et 1970, notamment avec les travaux de Ronald Coase, Guido Calabresi et Richard Posner.

62. Ce mouvement se concentre sur les principes de la maximisation des richesses et l’efficacité économique, également reconnus par les tribunaux étatiques qui rendent leurs décisions en prenant en compte la politique de prospérité d'une communauté, leur permettant ainsi d’agir selon les limites de leurs paramètres conservateurs et naturels.67 De même, la philosophie du laissez faire qui a influencé durant le 19ème siècle plusieurs doctrines dans les systèmes du common law, trouve toujours son impact sur le raisonnement juridique d’aujourd’hui: une politique qui promet l’application de la loi par la résolution efficace du litige. Cependant, le concept de l’efficacité ne signifie point que chaque doctrine juridique ou décision judiciaire est efficace, mais que le droit est bien expliqué comme un système de maximisation des richesses d’une communauté bien déterminée.68

63. Le financement de l’arbitrage par les tiers est intrinsèque au concept de l’efficacité économique. En ce sens, P. Mayer observe que «l’autonomie de la volonté conflictuelle, où le demandeur se retrouve autorisé à déposer plainte sans s’engager financièrement, est davantage propice pour un développement du commerce international». 69 Ainsi, le financement par les tiers a essentiellement proliféré dans le but qu’une partie, se trouvant

66 L. Cadiet (dir.), «L'économie de la justice», Rev, intern. dr. économique 1999, n°2; L. Cadiet et S. Guinchard

(dir.), «Economie et Justice», Rev. Justice 1995, n°1.

67 La politique de prospérité, telle que expliquée par R. Posner, détaille les raisons qui motivent le juge dans les

systèmes anglo-saxons à rendre sa décision en prenant en compte le principe de la maximisation des richesses, Posner R, Economic Analysis of Law, Boston : Little, Brown and Company, 3ᵉ édition, 1986.

68 Idem, Posner R, Economic Analysis of Law, p. 21

69 P. Mayer, V. Heuzé, Droit international privé, Montchrestien, 8e éd., 2004, p. 514. V. aussi en ce sens, Javier

Carrascosa González, «Règle de conflit et théorie économique», Revue Critique de Droit International Privé, 2012/3, p. 521.

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dans une situation financière démunie, ait la possibilité de financer les coûts du procès arbitral.70C’est donc en permettant l'accès à l'arbitrage à l’une des parties, dont l'efficacité économique devient de plus en plus dépendante du respect par la partie adverse de ses obligations contractuelles, que le financement par les tiers trouve ses fondements théoriques dans le mouvement Droit et Economie.

64. Il est vrai qu'il n'existe pas d'études quantitatives globales permettant de mesurer le poids économique de l'arbitrage et de son financement par les tiers. On dispose ça et là de quelques données ponctuelles ou locales, mais pas d'éléments d'ensemble dont la collecte est d'ailleurs rendue difficile par la confidentialité qui entoure et couvre l'arbitrage. Malgré tout, cette absence de statistiques n'empêche pas une analyse intuitive de la question, voire une approche empirique, nourrie de l'observation attentive de l'évolution du financement, même si la démarche serait sans doute récusée par les économistes purs.71

65. Le manque d'étude quantitative s'explique aussi par la grande antinomie qui existe entre la justice et l'argent. Mais force est de constater que la recherche du profit est l'un des principaux moteurs du capitalisme et qu'elle a donc immanquablement gagné la justice qui, lorsqu'elle est privée, tel que l'arbitrage, est presque toujours rémunérée. Cette constatation est examinée dans ce qui suit, par la comparaison des motifs des usagers de la justice et l'intérêt social que cette dernière tente de promouvoir.72 La rémunération dans la justice arbitrale incite les usagers à arbitrer, mais la procédure arbitrale elle-même les contrarie en même temps par le paiement des coûts exorbitants. De là, l'émergence du financement par les tiers dans la justice arbtirale est certes devenue justifiée.

66. Si l’on pense à des procès où le demandeur serait un particulier et le défendeur une entreprise aux moyens financiers très larges, l’intérêt économique du financement par un tiers sera donc de prévenir que la partie faible et impécunieuse ne devienne victime d’une attitude opportuniste de la part de la partie adverse. Sans l’option du financement, il est facile

70 Le manque de ressources financières, on le verra ultérieurement, n'est pas cependant la raison sine qua non de

la partie financée pour recourir au financement.

71 W. Ben Hamida et T. Clay, L'argent dans l'arbitrage - Le marché de l'arbitrage, Lextenso éditions, 2013,

p.14.

72 Le motif social est presque inexsitant dans la justice arbtirale, mais l'on citera par passage pour l'objectif de

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d’imaginer que la victime ne pourrait pas faire face aux coûts relatifs à son procès.73 D'ici,

l'importance d'analyser le motif privé du demandeur. Plus ce motif est solide et plus le financement existe, plus ce dernier encourage la partie adverse à respecter ses obligations contractuelles. Cet effet de prévention se traduit par l'aptitude de la partie faible à exercer son droit d’accès à la justice arbitrale.

67. L'application des concepts de l'efficacité économique et la maximisation des richesses appellent donc à l'encadrement logique du financement par la théorie économique du droit. Cela nécessite de déterminer l'effet du financement sur le théorème de divergences des motifs privés du demandeur et les motifs sociaux de la justice, aussi connu comme le théorème de Coase, intrinsèque à la théorie économique du procès (Section I).74 Cette analyse classique des motifs sert à déterminer les contours et fondements du financement par les tiers, et son rôle dans la gestion efficace du procès arbitral (Section II).75