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l’invariance d’échelle est une caractéristique de l’énaction (le modèle Act-In, Versace et al., 2014, est alors fondamentalement un modèle énactiviste). La fractalité de la cognition développée dans ce travail peut sembler être un ajout théorique à l’énactivisme, mais elle n’est en réalité que le prolongement de son application stricte.

4.2 Fondamentaux d’une mémoire énactiviste

Se passer de l’essentialisation d’un contenu cognitif improbable nous a permis de mettre en exergue quatre fondamentaux d’une mémoire énactiviste.

En premier lieu, la conception d’une mémoire sans représentation n’a aucune raison d’être modulaire. L’emploi d’un système mnésique unique et épisodique est la manière la plus pertinente de traiter des activités mnésiques non-essentialisées. Nous nous sommes dès lors basés sur MINERVA2 pour modéliser l’ecphorie synergétique des traces mnésiques au contexte situationnel, à la différence près que ATHENA ne traite plus du contenu mnésique mais du traitement mnésique (l’information n’est pas récupérée en mémoire, elle est construite).

Le deuxième point fondamental provient directement de l’absence de représentation : la cognition ne se souvient pas de contenus récupérables mais de processus réutilisables. Baser l’ensemble de l’information mnésique sur la mémoire des covariances permet de se passer de contenu essentialisé (ainsi que de pattern représentationnel propre au connexion- nisme). De cette manière, le problème de transduction récursive n’a pas lieu d’être, puisque l’information ne circule pas entre des modules arbitrairement distincts.

Le troisième point fondamental concerne l’utilisation que l’on peut faire de telles co- variances apprises : la contextualisation. Puisqu’il n’y a plus d’information objectivement pertinente à récupérer, la construction d’un souvenir s’opère en adaptant la mémoire à la situation présente (ce qui résout le problème du sub-symbolisme connexionniste), ce qui est conforme à l’ecphorie synergétique, mais aussi aux caractéristiques d’un système autopoiétique. En ce sens, l’émergence du souvenir n’est pas le but de la mémoire mais un effet secondaire de celle-ci. Si l’on considère la cognition de manière évolutionniste comme un système autopoiétique, sa seule fonction est de perdurer, de conserver une cohérence interne en évitant toute forme de dissonance cognitive. Dès lors, puisque le système cognitif subit constamment des perturbations provenant de l’environnement et de lui-même (pour un système non-isolé, qu’une attente perceptive perturbe un traite- ment visuel revient au même que si un traitement auditif perturbe ce traitement visuel) la réaction sensorimotrice du système est une forme de résonance dont la seule utilité est de rétablir un état d’équilibre suite à une perturbation. Cependant, dans la mesure où les perturbations sont constantes et sont en rétroaction perpétuelle, le système n’atteint jamais un état d’équilibre. Cette particularité a été étudiée par Sartre (1936) qui considé- rait que l’état actuel du système (en-soi) et l’état d’équilibre à atteindre (pour-soi) est un

Discussion 4.2. Fondamentaux d’une mémoire énactiviste

jeu de miroirs se reflétant perpétuellement (jusqu’à la mort du sujet où techniquement les deux se rejoignent). Cependant, l’en-soi n’est pas un donné, il est inféré et est donc une interprétation qui ne peut se faire que par comparaison avec le pour-soi (on se définit en fonction de ce qu’on aimerait être) ; de même, le pour-soi n’est pas un donné et s’infère en fonction de l’en-soi (on détermine nos choix en fonction de l’état actuel du système). Ce double jeu en-soi/pour-soi où l’identité est constamment en devenir permet de se passer d’une hypothétique nature de « soi », et par extension la contextualisation de covariances sensorimotrices n’est pas incompatible avec la notion de construction de « soi » ni l’émer- gence d’une certaine forme d’intentionnalité (sur laquelle nous reviendrons). Mais dans la mesure où la construction de « soi » ne s’effectue pas de manière unitaire (ni ponc- tuellement ni temporellement), il est nécessaire d’appliquer à cette contextualisation une invariance d’échelle dans son fonctionnement.

Nous en sommes ainsi venus au quatrième point fondamental d’une mémoire énacti- viste, qui, bien qu’elle en soit une application directe est encore peu étudiée : l’invariance d’échelle. Il est un modèle qui, s’il ne s’en revendique pas, est pourtant à ce jour le seul à pouvoir rendre compte d’une mémoire énactiviste : le modèle Act-In (Versace et al., 2014). En effet, ce modèle porte les germes d’une mémoire non-représentationnelle (non-indépendance des traces, invariance d’échelle et construction mnésique par le sen- sorimoteur). Dans une mémoire à traces multiples où chaque trace (ainsi que chaque composante de la trace) est un processus, l’absence de représentation n’est efficace que si les processus internes à la mémoire se comportent comme la mémoire dans sa globalité. Chaque processus tente de reconstruire le souvenir, et c’est la synergie de l’ensemble des tentatives de reconstruction qui permet l’émergence du souvenir. Dans ce cas, toutes les traces se modifient en fonction de la manière dont elles traitent l’information, et comme les traces se modifient toutes en fonction de covariances corrélées à la même situation (les traces se modifient en parallèle en fonction de leur manière de construire la nouvelle trace), il en résulte une interdépendance des traces capable de se souvenir des covariances contextualisée des processus mnésiques de manière récursive. Ainsi, la manière de traiter une information est construite, ce qui résout le problème de la structure pré-donnée des systèmes représentationnalistes. Cette particularité est la clé de voûte permettant à une mémoire énactiviste de ne pas se retrouver limitée à l’étude des interactions « purement » sensorimotrices de bas niveau, et de construire des corrélations d’abstraction de manière récursive au cours du temps.

Dans la mesure où la constance temporelle n’est pas pré-donnée au système, il est une caractéristique qu’un modèle énactiviste se doit de réaliser : un comportement tem- porel émergent. En effet, si la flèche du temps n’est pas ce sur quoi se base la mémoire pour obtenir un comportement temporel cohérent, mais une interprétation de la logique temporelle (l’ipséité), un système énactiviste doit a minima être capable de produire un comportement temporellement cohérent (sur lequel construire une ipséité individuelle).