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Fonctionnement du réseau transcriptionnel Krox20 : entre paillasse et ordinateur

Control of positional information in the vertebrate hindbrain by FGF signalling

3. Fonctionnement du réseau transcriptionnel Krox20 : entre paillasse et ordinateur

Pour décrire expérimentalement le fonctionnement du réseau Krox20 (Fig. 1) à l’échelle moléculaire, il faut notamment lier sa réponse transcriptionnelle à l’occupation de chaque site Krox20 de l’élément A. L’unique approche in vivo dans ce cas est le ChIP mais elle se prête peu à des études dynamiques, sa résolution est insuffisante au regard des courtes distances génomiques qui séparent chaque site (entre 10 et 100 pb), et elle ne saurait renseigner sur le comportement de cellules uniques. D’où notre dévolu sur une approche computationnelle. Nous avons construit un modèle ab initio prenant en compte la régulation du niveau d’initiation, l’architecture de l’élément A et l’interaction entre les phases d’initiation et d’autorégulation. Par ailleurs, nous avons choisi un modèle de nature stochastique d’une part parce qu’il a été démontré que la réponse

transcriptionnelle à un signal d’induction est stochastique (Kepler and Elston, 2001), d’autre part parce que nous voulions décrire l’évolution du réseau au cours du temps et non simplement à l’équilibre. Ceci impose de résoudre les interactions dans un environnement contenant très peu de molécules Krox20, une situation qui ne peut être décrite de manière fiable par une représentation déterministe.

La première hypothèse que nous voulions tester avec ce modèle est que le réseau transcriptionnel Krox20 produit deux états stables à l’échelle cellulaire : soit Krox20-positif, soit Krox20-négatif. Il s’agit alors d’un système bistable. Cette hypothèse provient d’une expérience chez le poisson-zèbre montrant qu’une population de cellules soumise à une stimulation par l’apport de Krox20 exogène présente une distribution bimodale, c’est-à-dire qu’une partie des cellules répond en activant A, l’autre partie en ne l’activant pas. Ce résultat laissait supposer que le comportement de cellules uniques est « digital », sur le mode tout-ou-rien, par opposition à un comportement analogique, graduel, proportionnel à l’intensité de stimulation. Autrement dit, les cellules ne peuvent se trouver quand dans deux états. Le comportement digital des cellules est souvent associé à l’existence d’une forme de rétrocontrôle positif, qui n’est cependant pas suffisante pour que les deux états soient stables dans le temps. Cela dépend aussi des paramètres du système, i.e. dans notre cas, des constantes d’affinités de Krox20 pour ses sites, de la vitesse de dégradation, de la quantité de protéines produites pour chacune des phases, etc. L’approche computationnelle donne accès à ces paramètres.

Dans cette étude, nous présentons une solution au modèle qui se conforme à tous nos résultats expérimentaux et à partir de laquelle nous pouvons décrire un phénomène bistable à l’échelle cellulaire et moléculaire : à l’équilibre, les cellules contiennent ou ne contiennent pas de protéines Krox20, selon que leur élément A est activé (c’est-à-dire lorsque quatre protéines Krox20 y sont liées) ou inactif (aucune protéine Krox20 liée). Cette bistabilité provient de la probabilité nulle qu’ont les états intermédiaires de l’élément A d’exister et ce exclusivement en raison de la coopérativité de liaison entre les protéines Krox20. La bistabilité de l’élément A sous-tend le choix binaire offert aux cellules du rhombencéphale, entre le destin r3/r5 (Krox20-positif) et le destin Krox20-négatif. Est ainsi mis en évidence un effet interrupteur dans l’allocation du destin Krox20 (cell-fate switch). Le modèle permet de retrouver les caractéristiques premières d’un effet interrupteur bistable (Wang et al., 2009) : l’impossibilité pour une cellule de changer de destin une fois qu’elle s’est engagée dans une voie (phénomène d’hystérèse) et l’effet de ralentissement critique (critical slowing-down effect).

La bistabilité de l’élément A justifie son rôle dans la définition du nombre de cellules Krox20+ : lorsque le niveau d’initiation est faible, un nombre moins important de cellules peuvent,

statistiquement, passer le seuil d’activation de A et donc « choisir » le destin Krox20+. Dès lors, l’élément A conditionne la morphogenèse du rhombencéphale dans l’espace, tout autant que dans le temps comme démontré par la perte d’expression de Krox20 dans le mutant A-KO.

Un autre enseignement de ce modèle est la robustesse de la boucle aux variations du niveau d’initiation. Cette robustesse explique l’absence de phénotype chez les embryons de poisson ou de souris hétérozygotes. Par ailleurs, elle implique que le niveau de Krox20 se maintient au cours du temps. Pour expliquer le déclin de l’expression de Krox20, de 8 ss à 22 ss, il faut donc imaginer un changement de paramètre. Nous proposons qu’un simple ralentissement de la dynamique de liaison de Krox20 à l’élément A suffise à expliquer ce déclin. Durant cette phase, la pente du déclin, donc la durée d’expression de Krox20 dépend d’un phénomène invisible jusque là : la synergie qui existe entre les protéines Krox20 liées à l’élément A pour recruter la machinerie transcriptionnelle, dont l’ARN polymérase PolII. La durée d’expression de Krox20 dépend du niveau de synergie.

Notre étude suggère fortement que notre solution au modèle implique un comportement bistable. Cependant, nous ne le démontrons pas de manière définitive car nous n’avons pas encore trouvé le moyen d’analyser notre modèle, c’est-à-dire de résoudre notre système d’équations pour dériver une formule analytique décrivant tout le système à l’équilibre. C’est ce à quoi nous nous emploierons dans un futur proche, en cherchant des simplifications possibles au modèle. Nous pourrons ensuite réaliser une analyse de bifurcation, c’est-à-dire rechercher les transitions spontanées du système, d’un état à un autre, et donc définir les états stables. Nous pourrons tester la « qualité » des états stables à travers une analyse de phases (phase-plane analysis), leur robustesse vis-à-vis de fluctuations et définir les valeurs clés de paramètres qui assurent la bistabilité du système (parameter sensitivity analysis).

Enfin, avec ce modèle, nous décrivons une réponse digitale principalement basée sur la coopérativité de liaison entre les protéines Krox20. Cette situation rappelle le cas de l’embryon de Drosophile chez qui la protéine Bicoid lie les éléments régulateurs de ses cibles, notamment hunchback de façon coopérative (Burz et al., 1998; Crauk and Dostatni, 2005; Lebrecht et al., 2005; Gregor et al., 2007). Il en résulte la définition de frontières bien délimitées. Un mécanisme comparable pourrait définir la position de la frontière r3/r4 dans le rhombencéphale des Vertébrés.

4. Le positionnement de la frontière r3/r4 est indépendant d’un effet morphogène des