4 ELECTROCHIMIE
4.2 Mécanismes électrochimiques
4.2.1 Fonctionnement de la batterie lithium-Air
4.2.1.1 Mécanismes électrochimiques
Le mécanisme du système lithium-air a été investigué par différentes méthodes, toutes limitées mais complémentaires. Plus récemment, la Résonance Paramagnétique Electronique (RPE) [10,11], les spectroscopies UV-Visible (UV) [12] et Raman [13] ainsi que des analyses chimiques [14] ont témoigné de la présence de LiO2 comme intermédiaire de réaction où l’oxygène est à la fois aux degrés
d’oxydation -I et 0 assemblé dans la paire O-O-. Pour rendre compte de ces produits de décharge, la formation des anions doit être considérée selon les réactions de réduction de l'oxygène (RRO) qui régissent également les mécanismes dans les piles à combustible et autres systèmes équivalents:
O2 + e- ↔ O2 - à un potentiel de2,65 V (s’associant alors au lithium pour
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O2 - + e- ↔ O22- à 3,27 V vs. Li+/Li (se combinant alors au lithium pour
produire le peroxyde de lithium Li2O2),
O22- + 2e- ↔ 2O2- à 2,72 V (se liant alors au lithium pour former le monoxyde
de lithium Li2O).
La Figure 2 récapitule les potentiels des différents couples rédox possibles, montrant que, comme O2 - est une espèce radicalaire donc très instable et que le potentiel
standard O22-/O2- est plus faible que celui de O2-/O2(3,27 V vs. 2,65 V vs. Li+/Li), la
formation de O22- sera favorisée par rapport à celle de
O2 - [13]. De même, la formation de O2- se réalise à beaucoup plus basse tension
qu’en théorie (1,5-2,0 V vs. 2,72 V), expliquant qu’il soit rarement trouvé dans les conditions de décharge appliquées [15]. Finalement, la forme la plus stable électrochimiquement devrait être celle impliquant le degré d’oxydation –I, de fait Li2O n’a été que peu observé [15].
Figure 2 : Echelle de potentiels des couples oxydoréducteurs de l'oxygène en batterie lithium-air
Superoxyde O2-, peroxyde O22- et monoxyde : O2-.
En somme, l’oxygène adopte le degré d’oxydation -I sous la forme d’une paire oxygène de type peroxyde (Figure 2). L'analyse des électrodes en lithium-air [7] a donc permis de définir la réaction globale comme étant principalement un mécanisme à un électron par atome d’oxygène impliquant la réaction :
2Li + O2 ↔ Li2O2 .
4.2.1.2 Identification des produits : effet du solvant
En pratique, la détermination des produits de décharge est particulièrement difficile et de nombreuses divergences existent encore. En effet, il existe une forte
162 dépendance de la cristallisation vis-à-vis des conditions de décharge et des électrolytes utilisés positionnant la DRX comme une technique centrale ; la multiplicité et la similitude chimique des produits de décharge complexifient toute analyse.
Récemment, Bruce et al. [13] ont proposé un mécanisme expliquant aussi bien l'établissement des produits de décharge amorphes en surface de carbone [16] que leur cristallisation (théorie de Pearson d'acides-bases molles et dures) [17] (Figure 3). Ces différences se traduisent par un écart de rendement faradique, qui peut être suivi qualitativement par spectroscopie d’impédance complexe ou quantitativement par voltamétrie avec une électrode à disque tournant [17]. Le principe repose sur les nombres donneur ND et accepteur NA des cations, anions et solvants, classés selon l'échelle de Gütmann [18]. Ainsi les compétitions entre formations de paires de charge (oxygène réduit ; cations) sont expliquées.
Les cations alcalins Li+ et Na+ sont peu donneurs mais peuvent être solvatés par une molécule à haut ND (>15) comme le diméthylsulfoxyde DMSO (Figure 1), formant des cortèges de solvants répartissant la charge du cation. La formation de paires d'ions avec le radical O2- le stabilise alors dans le temps et favorise les interactions
avec le solvant aux dépends de celles avec la surface carbonée. De manière générale, la solubilisation continue des produits de décharge induit l'augmentation de leur concentration et donc des opportunités de germination/croissance de cristaux. Si le superoxyde réside encore en solution lorsque le temps de vie est écoulé, la dismutation se déroule spontanément pour donner O22- et O2, réaction
d’oxydoréduction dont les électrons ne circulent pas dans le circuit électrique (rendement faradique de 50%) ; en revanche, en contact avec l'électrode, O2- peut
subir une seconde réduction qui contribue positivement au rendement faradique tendant vers 100% dans un mécanisme à 2 électrons [13].
Pour un solvant avec un ND faible (<15) comme l'acétonitrile (ACN) (Tableau 1), une faible affinité des cations avec O2- est attendue ;ce dernier ne se solubilise pas et
reste hautement instable. La deuxième réduction est rapide et systématique (mécanisme à 2 électrons), les produits de décharge formant une couche amorphe en surface du catalyseur, notamment carboné. Les auteurs notent une dépendance de la seconde réduction vis-à-vis de la concentration en cations Li+, démontrant l’implication de ces derniers dans la réaction [13].
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Figure 3 : Schéma représentant les mécanismes électrochimiques des formes oxygénées et l’influence du nombre donneur ND [13]
Tableau 1 : Echelle du nombre donneur de solvant usuel sur l'échelle de Gütmann [17,18]
ACN PC DEC EC TEGDME DMC DME THF Dioxolane DMSO
ND 14 15 16 16,4 16,6 17,2 20,0 20 21,2 30
En résumé, les solvants à ND supérieur à 15 favorisent la formation de cristaux de Li2O2 et engagent des réductions à un électron pour une molécule de dioxygène dans
les cas où ND<15, une couche de Li2O2 est formée en surface du catalyseur carboné,
permettant une réduction à deux électrons par dioxygène.
4.2.1.3 Identification des produits issus de la réaction électrochimique par analyse texturale
Plusieurs morphologies de Li2O2 sont possibles [19] : des toroïdes (identifiés à 2 V
dans LiCF3SO3 1M, TEGDME) [20], des plaquettes agencées sous forme
d'empilements (LiTFSI 1M, DMSO, potentiel : non déterminé) [21], et des nodules vides ou pleines (LiTFSI 1M, TEGDME à 2,7 V) [22] sont répertoriés ; les différents formes sont présentées en Figure 4.
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Figure 4 : Images MEB de Li2O2 sous forme de toroïdes a) [20], de nodules vides b) [21] et de plaquettes c-d)
[22]
D'autres facteurs tels que la solubilité du dioxygène, la viscosité de l’électrolyte, la nature du substrat carboné ou la conductivité ionique [23,24], importent dans les phénomènes physiques de transport et cristallisation. McCloskey et al. [25] ont spécifiquement étudié les influences de la densité de courant et du potentiel de travail. A forte densité de courant (200 μA/cm2) ou à potentiel supérieur à 2,5 V, la cristallisation de Li2O2 est favorisée dans un mécanisme limité à un électron.
4.2.1.4 Réactions parasites et produits de décharge correspondants
Des produits de décomposition de LiO2, Li2O2 et Li2O existent, et constituent encore
un frein au développement de cette technologie.
Certains auteurs ont détecté l'hydroxyde de lithium LiOH en électrolyte aqueux [6] ; le couple considéré est alors OH-/O2- ; le changement du degré d'oxydation (0 ; -I) à
(-II) peut être obtenu selon :
2LiO2 + 4e- + 2Li+ + 2H2O 4LiOH + O2
Le couple OH-/O22- peut être impliqué dans la réduction d'un degré (-I ; -I) à (-II) : Li2O2 + 2 e- + 2H+ 2 LiOH.
En milieu organique, des cas sont également répertoriés à l'image des travaux de Liu et al. [20,26]. Le bilan de réaction supposé est la transformation chimique de LiO2 en
165 LiOH en présence de LiI (ajouté en tant que médiateur), la source de protons étant l'eau résiduelle :
4LiO2 + 2H2O 4LiOH + 3O2
Black et al. [27] obtiennent LiOH lorsque le liant PVDF et le catalyseur α-MnO2 sont
tous deux présents :
Li2O2 + 2H2O 2 LiOH + H2O2.
Les sels sont également instables et conduiraient à l’halogénure de lithium (LiF pour LiPF6 et LiBF4, LiCl lorsque α-MnO2 catalyse la décomposition de LiClO4 [28]) ou à
LixPFyOz.
Le carbonate de lithium Li2CO3 a été identifié par RMN notamment par polarisation
croisée 7Li13C [29]. La formation de cette espèce est le fruit d'une réaction parasite. De prime abord, sa présence pose alors la question de la source de carbone. Des travaux récents de McCloskey et al. [25] ont démontré qu’il provient de l’électrocatalyseur carboné et non des carbones des solvants d'électrolyte, contrairement à ce qu’ont proposé Huff et al. [30].
Ces solvants sont toutefois sujets à des attaques radicalaires. Les carbonates montrent peu de stabilité, en particulier le carbonate de propylène PC réagit aisément par ouverture de chaîne ; après quoi les réactions se succèdent pour donner des composés variés tels le formate de lithium, l'acétate de lithium, le dicarbonate d'éthyle de lithium, le propylene glycol de lithium, et de plus longues molécules comme LiOCH2OCO2Li et LiOCH2CH2OCO2CH2CH2OCH3. Les éthers, glymes
et l'acétonitrile se décomposent moins facilement comme le montre l'étude RMN de Huff et al. [30].
D’après l’analyse croisée, le mécanisme en lithium-air a été déterminé comme la réduction du dioxygène en LiO2 puis Li2O2 et des réactions annexes se déroulent. En
revanche, elle a été délicate puisque l’identification des oxydes, carbonate et hydroxyde de lithium est complexe.