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2.3 Descriptions et propri´et´es des ´etats quantiques

2.3.2 Fonction de Wigner

La matrice densit´e est une description bien adapt´ee pour les ´etats naturellement d´ecrits en base de Fock, et pour lesquels on peut se restreindre `a un sous-espace ne contenant que quelques photons. Elle devient en revanche assez peu pratique lorsque les ´etats sont plutˆot d´ecrits en termes de variables continues. On peut alors ˆetre tent´e d’introduire une distribution dans un espace des phases comme on le fait classiquement. Seulement, puisque l’on ne peut pas d´efinir en mˆeme temps les deux quadratures avec une pr´ecision arbitraire, contrairement `a une description classique, on pressent que l’on risque de se heurter `a quelques difficult´es afin de d´efinir et interpr´eter physiquement un tel objet.

La fonction de Wigner W (x, p), pour un mode donn´e, n’est donc pas d´efinie comme ´etant une distribution de probabilit´e, mais selon un crit`ere moins fort. La seule propri´et´e qu’il lui est demand´ee est de pouvoir obtenir la distribution de probabilit´e pour une quadrature quelconque

ˆ

X✓, en int´egrant selon l’autre quadrature [Leonhardt97] :

pr(x✓, ✓) =hx✓|ˆ⇢|x✓i (2.63a)

= Z

dp✓ W (x✓cos ✓ p✓sin ✓, x✓sin ✓ + p✓cos ✓) (2.63b)

o`u les ´etats |x✓i sont ´etats propres des quadratures (2.32) Pour ✓=0 cette formule se simplifie

en pr(x✓=x) = Z dp✓ W (x, p✓) = Z dp W (x, p) =hx|ˆ⇢|xi, (2.64) et pour ✓=⇡/2, pr(x✓=p) = Z dp✓ W ( p✓, p) = Z dx W (x, p) =hp|ˆ|pi. (2.65) Il est remarquable que le lien avec la matrice densit´e puisse ensuite ˆetre ´etabli uniquement grˆace `a la d´efinition (2.63). On peut en e↵et montrer [Leonhardt97] que la fonction caract´eristique W[u, v], d´efinie comme la transform´ee de Fourier de la fonction de Wigner,

W[u, v] = Z

dx dp W (x, p)e iux ivp, (2.66)

est reli´ee `a la matrice densit´e par la relation :

W[u, v] = Tr{ˆ⇢ exp( iu ˆX iv ˆP )} (2.67a)

La transform´ee de Fourier de la fonction de Wigner est donc l’´equivalent quantique de la fonction caract´eristique d’une distribution de probabilit´e, pr´esent´ee par exemple dans [Appel08]. Apr`es quelques ´etapes de calculs, on en d´eduit enfin la formule de Wigner, donnant l’expression explicite de la fonction de Wigner `a partir de la matrice densit´e :

W (x, p) = 1 2N0 1 2⇡ Z d⌫ ei2N0⌫p hx ⌫ 2|ˆ⇢|x+ ⌫ 2i (2.68)

Pour un ´etat multimode ˆ⇢= ˆ⇢1⌦ . . . ⌦ˆN, la fonction de Wigner totale est simplement le produit des fonctions de chaque mode :

W (x1, p1; . . . ; xN, pN) = W1(x1, p1) . . . WN(xN, pN) (2.69)

Enfin, si les quadratures de N modes sont transform´ees lin´eairement en x0=M x, o`u x := x1, p1, . . . , xN, pN T est un vecteur regroupant les quadratures avant la transformation et x0 est

d´efini de la mˆeme mani`ere pour les quadratures apr`es la transformation, la nouvelle fonction de Wigner W0 v´erifie

W0(x0) = W (M 1x). (2.70)

Propri´et´es

La fonction de Wigner poss`ede de nombreuses propri´et´es. Nous n’allons pr´esenter ici que les plus importantes sans les d´emontrer, les d´emonstrations pouvant ˆetre trouv´ees dans [Leonhardt97]. On montre tout d’abord que puisque les distributions de probabilit´e des quadratures sont nor- malis´ees, la fonction de Wigner doit l’ˆetre ´egalement :

Z

dx dp W (x, p) = 1 (2.71)

La g´en´eralisation de la fonction de Wigner pour un op´erateur monomode ˆA quelconque se fait de mani`ere ´equivalente `a la d´efinition (2.68) [Leonhardt97] :

WA(x, p) = 1 2N0 1 2⇡ Z d⌫ ei2N0⌫p hx ⌫ 2| ˆA|x+ ⌫ 2i (2.72)

Ceci permet de calculer la trace d’un produit d’op´erateurs `a partir de leurs fonctions de Wigner :

Tr{ ˆA ˆB} = 2⇡2N0

Z

dx dp WA(x, p)WB(x, p) (2.73)

Cette formule est sans doute une des plus importantes, car elle permet d’obtenir plusieurs gran- deurs. On peut calculer la valeur moyenne d’un op´erateur,

h ˆAi = Tr{ˆ⇢ ˆA} = 2⇡2N0

Z

dx dp W (x, p)WA(x, p), (2.74)

et la fid´elit´e entre un ´etat ˆ⇢ quelconque et un ´etat pur| i quelconque :

h |ˆ⇢| i = 2⇡2N0

Z

Pour des ´etats ayant une fid´elit´e ´egale `a z´ero, l’int´egrale ne peut ˆetre nulle que s’il existe des zones o`u une des deux fonctions de Wigner est n´egative. Nous avons donc un argument simple pour justifier que la fonction de Wigner ne peut pas ˆetre positive pour tous les ´etats, et que de ce fait elle ne peut pas ˆetre interpr´et´ee comme une distribution de probabilit´e. La n´egativit´e de la fonction de Wigner est d’ailleurs un outils extrˆemement important pour quantifier le degr´e “quantique” d’un ´etat. Selon le th´eor`eme de Hudson-Piquet, la fonction de Wigner d’un ´etat pur

est partout positive si et seulement si elle est gaussienne [Hudson74]. La pur´et´e d’un ´etat s’obtient avec :

P = 2⇡2N0

Z

dx dp W2(x, p) (2.76)

Enfin, on peut obtenir les ´el´ements de matrice dans n’importe quelle base, ce qui montre bien que la fonction de Wigner d´etermine enti`erement l’´etat quantique et que sa donn´ee est compl`etement ´equivalente `a celle de la matrice densit´e :

ha|ˆ⇢|bi = 2⇡2N0

Z

dx dp W (x, p)W|aihb|(x, p) (2.77)

Fonction P

Si l’on cherche `a d´efinir une repr´esentation en prenant un analogue quantique de la fonction caract´eristique tel que (2.67), la fonction de Wigner n’est pas la seule possibilit´e. En fait, puisque

ˆ

X et ˆP ne commutent pas, l’exponentielle classique e iux iup peut ˆetre “quantifi´ee” de plusieurs fa¸cons. La fonction P est la distribution de fonction caract´eristique ´egale `a [Leonhardt97] :

P[u, v] = Tr{ˆ⇢ exp( i↵ˆa†) exp( i↵⇤ˆa)} (2.78) avec la convention N0=1/2 et ↵=(u + iv)/

p

2. Cette fonction caract´eristique est simplement reli´ee `a celle de la fonction de Wigner par

P[u, v] = W[u, v]e+14(u2+v2). (2.79)

En prenant la transform´ee de Fourier inverse, nous voyons que la fonction de Wigner est ´egale `

a la convolution de la fonction P avec une gaussienne.

La fonction P est particuli`erement int´eressante d’un point de vue th´eorique car elle permet de “diagonaliser” la matrice densit´e sur un ensemble d’´etats coh´erents8 9 :

ˆ ⇢ = Z d2↵ P (↵)|↵ih↵| (2.80) avec P (↵) = e|↵| 2 ⇡2 Z d2 e| |2h | ie ⇤↵ ↵⇤. (2.81) 8. Nous introduirons les ´etats coh´erents dans la section2.5.3. Ces ´etats sont le pendant quantique des ´etats classiques des modes du champ ´electromagn´etique d’amplitudes normales ↵.

9. Cette d´efinition est en fait l´eg`erement di↵´erente de (2.78). Dans(2.81), la fonction P prend comme argument l’amplitude ↵ d’un ´etat coh´erent, alors que la d´efinition (2.78) conduit `a prendre comme arguments les quadratures x=2pN0<(↵) et p=2pN0=(↵). Dans tous les calculs o`u nous utiliserons la fonction P , c’est la convention (2.81)

Cette formule est valable mˆeme si l’´etat est pur, pourtant elle n’utilise que des ´etats{|↵ih↵|} et fait penser `a un m´elange statistique. Cette d´ecomposition contre intuitive s’explique en fait en se souvenant que d’une part les ´etats coh´erents ne sont pas orthogonaux entre eux, et en remarquant d’autre part que la fonction P peut ˆetre un objet math´ematique plus d´elicat qu’une simple fonction. Par exemple, pour un ´etat coh´erent ˆ⇢=| ih |, qui est pourtant un ´etat tout `a fait physique, h |ˆ⇢| i = e | |2 | |2 e ⇤ ⇤ , et donc : P (↵) = e|↵|2 | |2 1 ⇡2 Z d2 e ⇤(↵ ) (↵⇤ ⇤) = 2(↵ ) (2.82)

Pour des ´etats non classiques, elle peut mˆeme ne pas exister en tant que distribution temp´er´ee [Leonhardt97]. C’est d’ailleurs une raison pour laquelle elle est difficile `a reconstruire exp´erimen- talement, contrairement `a la fonction de Wigner qui peut l’ˆetre efficacement par tomographie quantique [Leonhardt97].

La fonction P nous sera tr`es utile lorsque nous ´etudierons l’utilisation d’un amplificateur sans bruit en cryptographie quantique, aux chapitres9 et10.

Autres repr´esentations

La fonction P n’est qu’une des autres repr´esentations possibles, mais il en existe en fait une infinit´e, en g´en´eralisant la formule (2.79) en :

W[u, v, s] = W[u, v]es4(u2+v2) (2.83)

Une telle repr´esentation s poss`ede des propri´et´es tr`es proches de celles de la fonction de Wigner. La fonction de Wigner correspond donc `a s=0, et la fonction P `a s=1. Nous renvoyons le lecteur `

a la r´ef´erence [Leonhardt97] pour une pr´esentation plus compl`ete.

Enfin, une autre fonction couramment utilis´ee est la fonction Q, pour laquelle s= 1. Elle est d´efinie par :

Q(q, p) = 1

2⇡Tr{ˆ⇢|↵ih↵|} = 1

2⇡h↵|ˆ⇢|↵i (2.84)

avec ↵=(q+ip)/p2 et la convention N0=1/2. Ses d´etails sont fortement estomp´es par rapport `a

la fonction de Wigner, car le terme exponentiel dans sa transform´ee de Fourier agit comme un filtre coupant les hautes fr´equences.

En fonction des situations, on pourra privil´egier une des trois repr´esentations pr´esent´ees dans cette section. Pour certains probl`emes th´eoriques, la fonction P ou la fonction Q peuvent ˆetre plus adapt´ees. En revanche d’un point de vue exp´erimental, la fonction de Wigner apparaˆıt comme le meilleur compromis entre un comportement proche d’une distribution de probabilit´e, et la capacit´e `a pouvoir facilement distinguer les ´etats quantiques.