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Humour, ironie et sarcasme

3. Une description pluridimensionnelle de la prosodie Définir la prosodie suppose de prendre en considération non seulement l’ensemble des

3.3 Vers une approche fonctionnelle de la prosodie : illustration avec le système accentuel du français

3.3.1 Fonction syntaxique de la prosodie

3.3.1.1 Les relations entre Prosodie & Syntaxe

D’un point de vue théorique, si l’importance de la prosodie dans la compréhension syntaxique n’est plus à démontrer, il reste néanmoins de nombreuses discussions autour des rapports qu’entretiennent prosodie et syntaxe (pour une description de la problématique de l’interdépendance syntaxe/prosodie, voir par exemple Auchlin & Ferrari, 1994) : Lacheret-Dujour & Beaugendre (1999) résument les différentes approchent :

« (i) les structures intonative et syntaxique se correspondent exactement ; (ii) la structure intonative est totalement indépendante de la structure syntaxique ; (iii) La structure hiérarchique de l’intonation est incluse dans la hiérarchie syntaxique […] » (Lacheret-Dujour & Beaugendre, 1999, p. 20)

Les auteurs illustrent les relations qu’entretiennent prosodie et syntaxe via l’intonation, et notent que la première hypothèse ne peut être validée compte tenu du fait que plusieurs organisations intonatives peuvent correspondre à une seule et même structure syntaxique

et réciproquement (Martin, 2009). On peut ainsi considérer que la structure intonative est bel et bien associée à la syntaxe mais qu’elle peut ou non lui être congruente (Rossi, 1985). La seconde hypothèse se doit alors d’être également nuancée : si la structure prosodique peut être congruente à la syntaxe, elle n’en est alors pas totalement indépendante. Comme le souligne Di Cristo (2002) :

« […] l’aptitude des locuteurs à désambiguïser certaines formes d’ambiguïtés syntaxiques au moyen de la prosodie […] dénote que la syntaxe peut imposer des contraintes à la prosodie.» (Di Cristo, 2000, p.20)

Nous ajoutons que si la syntaxe peut contraindre la prosodie, la réciproque est tout autant pertinente. En effet, les contraintes prosodiques sous-tendues par la longueur des constituants impose une structure à la syntaxe, en insérant par exemple des frontières là où la syntaxe ne le prévoit pas (Delais-Roussarie, 1995 ; Astésano et al., 2007). Ainsi, faisant échos aux hypothèses de la latéralisation de la prosodie auxquelles nous faisions précédemment référence, le postulat selon lequel la structure prosodique serait soumise à la structure syntaxique est discutable. Au contraire, le rôle principal de la prosodie est de révéler en surface la structure syntaxique sous-jacente. Dans cette optique, elle joue également un rôle secondaire de désambiguïsation de la structure d’un énoncé. Sa fonction principale démarcative permet de segmenter l’énoncé et de mettre en évidence des groupes de constituants.

« La prosodie participe ainsi à l’organisation linéaire de l’énoncé, assumant une fonction de liage et d’intégration, ou au contraire, de rupture et d’autonomie entre les groupes » (Beaucousin, Lacheret & Tzourio-Mazoyer, 2003, p.231)

Par ailleurs, Fonagy (2003) note que pour certains auteurs tels que Léon (1972) ou Cruttenden (1970), l’approche syntaxique présuppose également une fonction distinctive, intrinsèquement liée à la fonction démarcative. Un processus supplémentaire lié à l’opération de démarcation se dégage : la fonction de hiérarchisation. Rossi (1985) note que la prosodie en même temps qu’elle participe à « l’organisation linéaire de l’énoncé», concourt à « une structure hiérarchique » en coïncidant avec différents niveaux syntagmatiques de l’énoncé (Rossi, 1985, p. 144).

Les relations entre prosodie et syntaxe ont par ailleurs également été confirmées dans des études pratiquées en imagerie cérébrale. Steinhauer, Alter et Friederici (1999), dans une étude en potentiels évoqués, ont soumis trois groupes de sujets droitiers sans trouble à trois conditions expérimentales (vingt sujets dans l’expérience 1, vingt sujets dans l’expérience 2

et seize sujets dans l’expérience 3). Les stimuli proposés se composent de deux types d’énoncés en allemand dont l’interprétation est soumise à la segmentation prosodique (l’accent détermine les frontières) :

Ex 1 : [Peter verspricht Anna zu ARBEITEN] [und das Büro zu putzen] (« Peter promet à Anna de travailler et de nettoyer le bureau »)

Ex 2 : [Peter verspricht] # [ANNA zu entlassen] [und das Büro zu putzen]

Peter promet à Anna de l’aider à nettoyer le bureau »)

A ces énoncés présentant une prosodie congruente, s’ajoute un 3ème type de phrase intégrant une prosodie incongrue. Ceux-ci sont conçus par l’assemblage des syntagmes de chacun de deux autres types d’énoncés.

Ex 3 : *[Peter verspricht] # [Anna zu arbeiten] [und das Büro zu putzen] (« *Peter promet de travailler Anna et de nettoyer le bureau »)

Lors de la première tâche, le sujet doit répondre par oui ou par non aux questions posées par l’examinateur. Celles-ci sont relatives à la compréhension des énoncés (« Est-ce qu’Anna a promis de nettoyer de le bureau ? »). Dans les autres expériences, les sujets doivent juger la cohérence prosodique de chaque phrase immédiatement après la tâche de compréhension. Les auteurs ont observé la variation d’une onde cérébrale (ERP) reflétant le traitement des accents de frontière (Closure Positive Shift, CPS) et ont ainsi souligné que les informations prosodiques accentuelles guidaient effectivement l’interprétation syntaxique d’un énoncé.

Pour résumer, bien que la problématique concernant le degré d’interdépendance effectif entre prosodie et syntaxe ne soit pas résolue, sa fonction structurante n’en est pas moins effective.

3.3.1.2 Actualisation de la fonction syntaxique de la prosodie

L’accentuation non emphatique joue ainsi un rôle majeur. Elle permet de révéler conjointement la structure syntaxique de l’énoncé et sa structure informationnelle. En français, l’accent non emphatique marque essentiellement la dernière syllabe du mot ou du syntagme (accentuation oxytonique). Cet accent final (noté AF) permettant de déterminer les frontières (de mots ou de syntagmes) remplit ainsi une fonction démarcative fondamentale. Lorsqu’il est associé à une frontière prosodique majeure d’énoncé, on peut alors lui attribuer le statut d’accent nucléaire (noté AN). AF est essentiellement marqué par l’allongement.

D’autres travaux (Astésano, 2007) tendent en outre à confirmer l’hypothèse selon laquelle la présence d’un accent initial (AI) sous-tendrait également une valeur syntagmatique. Celle-ci serait notamment investie dans l’interprétation d’énoncés syntaxiquement ambigus. La prosodie investirait ainsi une fonction syntaxique (accent final (AF) et accent initial (AI) sont indiqués en gras et en majuscules, la frontière majeure est notée (//) et les pauses (#))

Structure 1 : [[Les GANTS] # // et [les [BAS lisses]]]

AF AI

Structure 2 : [[[Les gants] et [les BAS]] // [LISSES]]

AF AI/AF

Le syntagme « les gants et les bas lisses », composé de deux noms suivis d’un adjectif [N1+N2+Adj.] sous-tend deux structurations prosodiques, chacune impliquant une interprétation distincte de la structure syntaxique sous-jacente:

- soit l’adjectif porte uniquement sur le second nom du syntagme (structure 1), seuls « les bas » sont « lisses », dans ce cas la frontière majeure est instaurée par la position de l’accent final (AF) sur le premier nom « GANTS », et la position de l’accent initial (AI) sur le second nom « BAS ». Notons la réalisation conjointe d’une pause entre les deux noms (pour une discussion voir Astésano et al. 2007). - soit l’adjectif porte sur les deux noms du syntagme (structure 2) : « les gants et les

bas » sont « lisses », dans ce cas, la frontière majeure est déterminée par la position de l’accent final (AF) sur le second nom « BAS » et la position de l’accent initial (AI) sur l’adjectif « LISSES ».