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Fonction nourricière de la fiction

Dans le document Philosophie morale et mondes fictionnels (Page 118-121)

2. Des usages philosophiques de la fiction

2.2. Fonction nourricière de la fiction

A la perspective qui oriente le schème didactique, laquelle conçoit les critères

du caractère philosophique d’une œuvre de fiction comme transcendant cette

dernière, selon une compréhension des relations du couple philosophie-fiction qui

est « moins fondé sur la complémentarité essentielle de leur démarches que sur leur

opposition hiérarchique » ; la valeur spéculative de la fiction étant tributaire de sa

subordination au discours et à l’attention critique du philosophe ; s’oppose une

244 M. PROUST, Contre Sainte-Beuve ; précédé de Pastiches et mélanges ; et suivi de Essais et

articles, Paris, Gallimard, 1971, p. 392.

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perspective inverse qui tient sa valeur philosophique pour immanente. Il s’agit du schème herméneutique. Pour Sabot, il suppose deux choses :

1. Une reconnaissance de la vérité propre à la fiction s’appuyant sur l’idée qu’elle détient une forme de connaissance irréductible au discours philosophique ordinaire.

2. L’idée selon laquelle les vérités de l’art lui seraient à lui-même inconnues, de sorte qu’il en serait plus le véhicule que l’instance communicante ; la tache de la philosophie étant, dans ces conditions de dévoiler et de rendre

explicite le sens dont il serait investi, quasiment à son insu.

Ainsi « la démarche herméneutique vise à […] actualiser les potentialités spéculatives d’un texte en procédant à l’analyse explicitante de son contenu ». 246

Dans le cadre littéraire, il en donne pour exemple le projet de Marquet, lequel ce

dernier décrit dans son livre, Miroirs de l’identité. La littérature hantée par la

philosophie ; comme la recherche de la « philosophie implicite » 247 des œuvres

littéraires. Ce qui revient à reconduire la disjonction entre la philosophie et la fiction, à l’intérieur même des œuvres narratives. En définitive, poètes, romanciers ou encore cinéastes peuvent être dits philosophes, en tant que « leurs œuvres

forment une réserve de sens ou le philosophe professionnel à tout intérêt à puiser » c’est-à-dire parce qu’elles peuvent nourrir la pensée de celui-ci ; ces derniers étant en quelque sorte philosophes sans le savoir », de manière indirecte, à condition que

leurs propos soient interprétés et traduits par des philosophes conventionnels. 248

Autrement dit, que ceux-ci leur donne un caractère véritablement philosophique.

246 Ibid., p. 56.

247 Ibid., p. 62 ; J.-F. MARQUET, Miroirs de l’identité : la littérature hantée par la philosophie, Paris, Hermann, 1996, p. XIV.

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Ainsi du schème didactique au schème herméneutique l’idée selon laquelle la dimension philosophique d’une œuvre de fiction lui est extérieure est reconduite, cela en dépit de la réorientation de la manière dont cette dernière était thématisée, de la transcendance à l’immanence. Un recoupement dont Sabot laisse l’explication à Pierre Macherey, en se rapportant à ce que ce dernier appelle, d’une part, l’illusion

normative, et de l’autre, l’illusion interprétative. Dans le cas de la première :

L’œuvre est […] soumise au principe d’une légalité : mais cette légalité ne lui appartient pas en propre, et la dépossède au contraire de son autonomie, puisqu’elle met en évidence son insuffisance à elle-même. Jusque dans sa prétention à construire, à juger positivement, la critique normative affirme son pouvoir de destruction. La légalité dont elle parle est une légalité extérieure, elle intervient après coup, et s’applique à un objet déjà donné qu’elle n'a pas contribué à produire. 249

Autrement dit, dans le cadre du schème didactique on exerce une violence sur l’œuvre depuis une location située en dehors d’elle ; en la soumettant à une critique philosophique qui la saisie depuis un point de vue de surplomb ; tandis que dans l’autre, qui correspond à la démarche du philosophe herméneute ; on lui fait violence de l’intérieur. Comme le dit Macherey :

Interpréter, c’est répéter mais d’une très curieuse répétition qui dit plus en disant moins : répétition purifiante, au terme de laquelle un sens, jusque-là caché, apparait dans sa seule vérité. L’œuvre n’est que l’expression de ce sens : c’est-à-dire aussi la gangue qui l’enferme et qu’il faut briser pour le voir. L’interprète accomplit cette violence libératrice : il défait l’œuvre, pour pouvoir la refaire à l’image de son sens, lui faisant alors désigner directement ce dont elle était l’impression indirecte. Interpréter, c’est aussi traduire : dire en les termes de l’évidence ce que contenait et retenait un langage obscur et incomplet. |…]250

249 P. MACHEREY, Pour une théorie de la production littéraire, Paris, F. Maspero, 1966, p. 26. 250 Ibid., p. 93‑94.

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En d’autres termes, tandis qu’on venait superposer une grille de lecture qui soumettait l’œuvre à des critères qui étaient extrinsèques dans le cas de figure propre au schème didactique ; la position qu’implique le schème herméneutique est celle d’un exégète qui tend à faire violence au texte qu’il considère dans la mesure où il entend y mettre au jour des vérités latentes qui y seraient, c’est là son assomption, dormantes et parfaitement ignorées par celui-ci. Dans un cas comme dans l’autre l’œuvre n’a pas la paternité ou la maternité du sens qu’on lui attribue. Ce qui semble nous ramener à une alternative : Soit nous adoptons une conception

disjonctive des rapports de la philosophie et de la fiction, disjonction exclusive qui

aura pour conséquence de les confiner chacune de leur côté dans des royaumes

autarciques, ou une disjonction non-exclusive impliquant un rapport d’extériorité

réciproque mais non une séparation radicale ; donc sa mise sous tutelle par la

philosophie sur le mode des schèmes que nous venons de voir ; ou nous optons pour une contestation de cette disjonction et admettons la possibilité d’une production philosophie inhérente aux œuvres fictionnelles. Ce à quoi Sabot donne le nom de schème productif. A savoir, si on anticipe sur son acompte du caractère distinctif de ce schéma d’engagement philosophique à la fiction, quelque chose qui ressemble à ce qu’un auteur comme Cavell se propose de faire pour le cinéma, à savoir :

Montrer comment la signification advient au cinéma. [Ce qui] requiert d’être ouvert au film, à la signification qui s’impose à vous, et de tenter d’articuler ce qui advient. […] Tout ce que j’ai écrit sur le cinéma a consisté à décrire les films, ce qui s’y passe. Je n’entends pas les expliquer ni les interpréter, mais réfléchir au détail de leur déroulement. 251

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