2 Travaux précédents sur les miARN 13
2.3 Fonction des miARN 20
La fonction d'un miARN est directement liée aux fonctions des gènes que ce miARN cible. Des études à grande échelle des cibles des miARN ont montré qu'un miARN peut cibler jusqu'à plusieurs centaines d'ARNm différents (Selbach, Schwanhäusser et al. 2008). Un aussi grand nombre de cibles suggère que celles-‐ci sont impliquées dans plusieurs fonctions biologiques différentes et donc que les miARN, en tant qu'ensemble, forment une classe de molécules dont les rôles sont très diversifiés et ne peuvent être liés à une seule fonction cellulaire spécifique. En fait, la majorité des ARNm représentent des cibles potentielles de miARN (Friedman, Farh et al. 2009) et donc ceux-‐ci seraient impliqués dans la régulation de la majorité des phénomènes cellulaires.
Par l'étendue et la diversité des gènes qu'ils ciblent, les miARN forment un réseau complexe de régulation de l'expression des protéines précédemment insoupçonné. Les frontières de ce réseau de régulation par les miARN sont encore mal définies parce que, d'une part, toutes les cibles de chaque miARN ne sont pas connues et d'autre part, parce que tous les miARN pouvant être transcrits n'ont pas encore été identifiés. Plusieurs expériences ont été menées afin de tester la nécessité des miARN
au développement normal d'un organisme par délétion des diverses protéines requises à leur maturation. Chez la souris, la perte de Dicer1 (DCR1) est létale tôt dans le développement et mène à des embryons dépourvus de cellules souches embryonnaires (Bernstein, Kim et al. 2003). La délétion spécifique aux cellules T de DCR1 mène à une différenciation aberrante de celles-‐ci (Muljo, Ansel et al. 2005). La perte de DGCR8 quand à elle mène à une augmentation de l'auto-‐renouvellement des cellules souches embryonnaires, au détriment de leur différenciation (Wang, Medvid et al. 2007). Ces évidences expérimentales suggèrent que les miARN ont un rôle important dans diverses fonctions biologiques, notamment la différenciation cellulaire. De plus, dans certains processus cellulaires, notamment ceux qui impliquent une importante modification des niveaux d’expressions géniques, le rôle de plusieurs miARN a été démontré et caractérisé.
Chez les mammifères, l'un des premiers systèmes dans lequel le rôle des miARN a été bien étudié est l'hématopoïèse, le processus successif qui permet de différencier des cellules souches hématopoïétiques en une variété de progéniteurs multipotents et ensuite en cellules différenciés du système sanguin (voir Figure 2-‐4). Une première étude publiée en 2004 a montrée que certains miARN murins (miR-‐142, miR-‐181 et miR-‐223) ont un patron d'expression spécifique aux cellules hématopoïétiques, posant ainsi l'hypothèse que ces trois miARN ont une fonction spécifique à ce système. Cette hypothèse a été supportée par l'observation que la modification des niveaux d'expression de ces miARN affecte le destin cellulaire (Chen, Li et al. 2004). Suite à ces travaux, l'implication d'au moins un miARN dans la majorité des étapes de l'hématopoïèse normale a été démontré. Le rôle de certains des miARN associés à l'hématopoïèse est brièvement décrit ici afin d'illustrer le propos sans alourdir inutilement le texte; des revues plus détaillées des rôles connus des miARN dans l'hématopoïèse normale (Garzon and Croce 2008, Havelange and Garzon 2010, O'Connell, Rao et al. 2010) et aberrante (Kluiver, Kroesen et al. 2006, Garzon, Calin et al. 2009) sont disponibles.
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Figure 2-‐4 Représentation de l'hématopoïèse et des miARN impliqués.
D'une cellule souche hématopoïétique (HSC) dérivent les progéniteurs communs myéloïdes (CMP) et les progéniteurs lymphoïdes (CLP). Des premiers dérivent ensuite les progéniteurs érythrocytes et mégacaryocytes (MEP) et les progéniteurs granulocyte et monocytes (GMP). Divers miARN sont requis (↑) ou doivent être absents (↓) pour permettre la différenciation terminale des cellules hématopoïétiques. Dans le cas de miR-223, des expériences complémentaires supportent des hypothèses contradictoires sur son rôle dans la différenciation en granulocytes (indiqué par un ?). Des études préliminaires suggèrent que miR-181 et miR- 17-92 ont un rôle à jouer dans la différentiation des cellules T mais il n’est présentement pas connu s’ils sont requis ou s’ils doivent être absents.
Plusieurs miARN ont été identifiés comme des joueurs clés de la différenciation myéloïde. Des études in vitro de gain et de perte de fonctions ont montré que miR-‐223 active la différenciation en granulocytes, un type cellulaire différencié provenant de la lignée myéloïde (Fazi, Rosa et al. 2005, Fazi, Racanicchi et al. 2007). Par contre, un modèle de souris n'exprimant pas miR-‐223 a aussi révélé une augmentation de la prolifération des granulocytes (Johnnidis, Harris et al. 2008); mettant en évidence les différences dans les fonctions des miARN pouvant exister entre des lignées cellulaires et des cellules primaires. Le rôle de plusieurs autres miARN dans la différenciation myéloïde a également été démontré. Par exemple, la surexpression de miR-‐21 et miR-‐ 196b dans des cellules de moelle osseuse de souris a montré que ces deux miARN coopèrent pour contrôler la différenciation en granulocytes (Velu, Baktula et al. 2009).
La différenciation des monocytes et des macrophages est promue par miR-‐424 (Rosa, Ballarino et al. 2007). Le groupe de miARN miR-‐17-‐92 quant à lui inhibe la différenciation des monocytes et leur inhibition accélère la différenciation (Forrest, Kanamori-‐Katayama et al. 2010). La différenciation mégakaryocytique serait inhibée par miR-‐146 (Labbaye, Spinello et al. 2008). Finalement, dans le cas de l'érythropoïèse l'expression élevée de miR-‐451 ainsi qu'une diminution de l'expression de miR-‐155, miR-‐221, miR-‐222 et miR-‐223 semblent être liés à la prolifération normale des érythroblastes (Felli, Fontana et al. 2005, Masaki, Ohtsuka et al. 2007, Felli, Pedini et al. 2009).
Dans la lignée lymphoïde, le groupe de miARN miR-‐17-‐92 promeut la différenciation en cellule B (Ventura, Young et al. 2008) alors que la surexpression de miR-‐150 altère la formation des cellules B matures (Xiao, Calado et al. 2007, Zhou, Wang et al. 2007). Pour ce qui a trait à la différenciation en cellules T matures, miR-‐181 (Li, Chau et al. 2007) et le groupe de miARN miR-‐17-‐92 semblent nécessaire à certains stades de la formation des cellules T matures (Xiao, Srinivasan et al. 2008).
Outre leur rôle dans l'hématopoïèse, les miARN ont aussi un rôle important dans divers autres processus de différenciation cellulaire (Song and Tuan 2006), le cycle cellulaire (Carleton, Cleary et al. 2007), la réponse au stress (Mendell and Olson 2012) et diverses maladies telles que le cancer (Dalmay and Edwards 2006), les problèmes cardio-‐vasculaires (Small and Olson 2011) et les maladies neurodégénératives (Enciu, Popescu et al. 2012).
Le large éventail de fonctions des miARN en tant que classe de molécules et la possibilité pour les miARN de cibler les ARNm de certaines protéines non atteignables par les approches thérapeutiques standard en font aussi des molécules pharmacologiques intéressantes. Plusieurs miARN, mimiques de miARN ou inhibiteurs de miARN sont présentement à l'étude pour le traitement de divers cancer tel que le cancer du poumon (Trang, Medina et al. 2010) et du foie (Kota, Chivukula et
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al. 2009) et certaines maladies cardio-‐vasculaires (Montgomery, Hullinger et al. 2011).