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1.6.1 Introduction

L’extraction par fluide supercritique est une technique verte de plus en plus populaire auprès des industries alimentaires et pharmaceutiques. Cette méthode permet l’extraction d’une vaste gamme de molécules naturelles (Guedes et al., 2013). Le principe de cette technique repose sur l’utilisation de CO2 à l’état supercritique, qui sous une

pression importante et sous une température modérée et contrôlée, se comporte comme un solvant. L’utilisation d’une température modérée va permettre d’éviter la dénaturation des molécules au cours du procédé (Mezzomo and Ferreira, 2016). Lorsque celui-ci est terminé, une simple baisse de pression permet l’élimination du solvant d’extraction, le CO2 retournant à l’état gazeux à la pression atmosphérique. À l’état supercritique, le CO2

a une solubilité proche de celle de l’hexane et présente donc un pouvoir solvant accru, comparable à celui des solvants pétrochimiques, mais avec des propriétés cinétiques et de transports beaucoup plus intéressantes qui se rapprochent de celles des gaz. La variation de la pression permet une sélectivité plus ou moins importante des molécules d’intérêts (Dennis R. Gere, Lenore G. Randall, 1997). Cette méthode d’extraction a été sélectionnée pour l’extraction de la lutéine et de la chlorophylle, car elle répondait à toutes les problématiques de ce projet et sera décrite plus en détail ci-dessous.

Le CO2 supercritique est utilisé pour différentes applications dans le milieu

industriel. En effet, il est utilisé dans des réactions chimiques telles que l’hydrogénation, l’hydroformylation et l’oxydation (Hunt et al., 2010). Son utilisation principale reste l’extraction de composés phytochimiques, comme l’extraction du houblon pour l’industrie brassicole, des huiles essentielles (Ferreira et al., 1999; Martinez et al., 2007) et aussi pour la décaféination du café (de Melo et al., 2014). Une autre application intéressante et aussi appliquée à l’échelle industrielle est celle de l’extraction de l’acide trichloracétique des bouchons de liège, responsable du goût bouchonné du vin (Taylor et al., 2000). Il est intéressant de noter que beaucoup d’articles portent sur l’extraction par CO2 supercritique d’une gamme de molécules à partir de différentes matières de départ.

Par contre, peu d’articles rapportent l’application de ces procédés à l’échelle industrielle. En effet, un des désavantages de ce procédé est son coût d’investissement initial, qui décourage souvent les industries (de Melo et al., 2014).

1.6.2 L’état supercritique : définition

L’état supercritique d’un composé pur est atteint lorsque la pression et la température de ce dernier dépassent leurs valeurs critiques sur le diagramme de phase (figure 1-9). Lorsqu’un seul de ces paramètres a dépassé son point critique, on parle alors d’état subcritique. Quand la pression et la température ont dépassé leur point critique, le composé atteint alors un état de la matière intermédiaire entre un gaz et un liquide (Cavalcanti et al., 2012). La figure 1.10 représente cet état. À température ambiante et pression atmosphérique, les phases liquide et gazeuse sont bien séparées par un ménisque. Lorsque la température augmente, on observe une expansion de la phase liquide, et lorsque la pression augmente à son tour jusque son point critique, on observe une disparition de la séparation des deux phases, néanmoins, le fluide supercritique possède toujours une densité qui se rapproche plus de la phase liquide, expliquant son aspect laiteux, que l’on peut comparer à un aérosol. Sur le diagramme de phase, le point triple correspond à un couple de pression et température où les trois phases de la matière, à savoir solide, liquide et gazeux sont en équilibres.

Figure 1-5: Diagramme de phase d’un composé pur

Les courbes représentent l’équilibre entre 2 phases. Pour le CO2 : point triple Pt, est la

pression au point triple= 5,2 bar et température au point triple est -56,4°C. La

Température en °C Tc Pc Pr es si o n en ba r Point critique Phase supercritique Phase gazeuse Vapeur Phase solide Phase liquide Point triple Pt Tt

température et la pression au point critique sont respectivement de 31,1°C et 73,8 bars. Adapté de (Bendaoud, 2014)

1.6.3 Choix du solvant supercritique

Le choix du dioxyde de carbone comme solvant supercritique s’impose par le fait qu’il s’agit d’un solvant classifié comme GRAS (generally regarded as safe), qu’il n’est pas toxique, et que son état supercritique est facilement atteignable, dès 31°C et 73,8 bars, contrairement à d’autres solvants (da Silva et al., 2016) (tableau 1.3). Cette caractéristique permet l’extraction de molécules thermosensibles telles que la lutéine et la chlorophylle. De plus, ce solvant est inerte chimiquement, est disponible en grande quantité (sous- produits de beaucoup d’industries, p. ex. fermentations, combustions et synthèses de l’ammoniac) et est non corrosif. D’autres composés purs peuvent être utilisés comme fluide supercritique, mais possèdent soit des contraintes environnementales et de sécurités ou des points critiques difficilement atteignables (Cavalcanti et al., 2012) (tableau 1.3). Tableau 1-3: Températures et pressions critiques de différents composés purs

Composé Tc (°C) Pc (bar) Dioxyde de carbone 31,1 73,8 eau 374,1 220,6 Éthane 32,3 48,7 Propane 96,8 42,5 n-Hexanes 234,5 30,1 Ethanol 240,9 61,4 Méthanol 239,6 80,9

Tc= Température critique Pc= Pression critique

Figure 1-6: Visualisation du passage à l'état supercritique

Adapté de Bendaoud A.(Bendaoud, 2014)

1.6.4 Propriétés de transport

Le SC-CO2 a des propriétés de transports intermédiaires entre l’état gazeux et liquide. La

viscosité de ce solvant à l’état supercritique se rapproche de celui d’un gaz et garantit donc un bon transfert de masse. La viscosité va cependant augmenter avec la pression, mais diminuer avec une augmentation de température. Les fluides supercritiques présentent également des propriétés de diffusion intermédiaires entre un gaz et un liquide. Ils permettent une meilleure pénétration dans la matrice, due à l’absence de tension de surface de ce solvant. En plus de ces deux avantages, le fluide supercritique va présenter une densité proche de l’état liquide qui de fait va permettre une meilleure solubilité de ce solvant (figure 1.11). La combinaison de toutes ces propriétés de transports fait du CO2

supercritique un outil très intéressant dans le monde industriel (A.Meireles, 2014).

Figure 1-7: Variation de la densité d'un corps pur en fonction de son état de la matière. Adapté de Bendaoud A. (Bendaoud, 2014)

Température Pression T Tc Tc P P Pc Fluide supercritique GAZ LIQUIDE FLUIDE SUPERCRITIQUE SOLIDE DENSITÉ + _

1.6.5 Effet des conditions opératoires sur la solubilité du SC-CO2

La solubilité peut se définir par la quantité d’un composé qui peut être dissous dans un solvant, ici le CO2 supercritique. La propriété de solubilisation du CO2 dépend de sa

densité, qui peut être modifiée en fonction de la pression et de la température (Mezzomo and Ferreira, 2016). Les forces d’interactions intermoléculaires, ainsi que la pression de vapeur sont donc deux paramètres importants à prendre en compte pour comprendre le comportement du soluté dans un solvant. Il est important de noter que le SC-CO2 atteint

une capacité de solubilisation comparable à celles des solvants organiques dès que sa densité dépasse 800 kg.m3. En utilisant le paramètre de solubilité de Hildebrand pour

réaliser une comparaison de pouvoir solvant entre les solvants organiques et le SC-CO2,

on peut constater que le paramètre de solubilité de ce dernier se situe entre ceux du cyclohexane et du toluène (de Melo et al., 2014).

La structure moléculaire du soluté influence aussi la solubilité dans les fluides supercritiques. En effet, la présence de groupes polaires –OH, C=O et COOH réduisent de façon significative la solubilité des composés dans ce solvant (Cavalcanti et al., 2012). Enfin, le CO2 supercritique va solubiliser préférentiellement des molécules de faibles

poids moléculaires et apolaires et de façon moins efficace les autres molécules (de Melo et al., 2014).

1.6.5.1 Effet de la température en conditions isobariques sur la solubilité du SC-CO2

L’effet de la température sur un solvant supercritique est complexe. À pression constante, donc en condition isobarique, plus la température du système augmente, moins le CO2

supercritique est dense. De fait, plus la température augmente et plus le pouvoir solvant du CO2 est faible. L’effet de la température influence plusieurs paramètres : la pression

de vapeur du soluté et la densité du fluide. De fait, quand la température augmente à pression constante et faible, la pression de vapeur du soluté augmente, augmentant sa solubilité dans le CO2 supercritique. Quand la température augmente de façon trop

importante, la densité du fluide décroît, causant de fait une diminution de la capacité de solubilisation du solvant supercritique. Ainsi, entre 100 et 200 bar, une augmentation de la température entraîne une diminution de la solubilité du soluté, car l’effet dominant sur la solubilité sera la densité du fluide, alors que passé 200 bar, une augmentation de température va entraîner une augmentation de la solubilité du soluté, car l’effet dominant sera ici sur sa pression de vapeur (Group, 2007; Williams et al., 2004).

1.6.5.2 Effet de la pression en condition isotherme sur la solubilité du SC-CO2

En condition isotherme, la pression a une influence importante sur l’efficacité d’extraction. En effet, plus elle augmente, plus le fluide supercritique devient dense, ce qui conduit généralement en une augmentation du rendement d’extraction. Le pouvoir solvant du CO2 est alors accru, permettant l’extraction d’un plus vaste éventail de

molécules, mais diminuant de fait la sélectivité du solvant. En effet, selon les paramètres de pression choisis, différentes molécules seront extraites en fonction de leurs solubilités. Néanmoins, une augmentation de pression trop importante entraînera une diminution de la taille des pores de la matrice, engendrant une diminution du transfert de masse et ce qui diminuera par conséquent le rendement d’extraction. Au contraire, une diminution de pression va diminuer la densité ; seuls les composés ayant une plus grande affinité pour le CO2 seront extraits (A.Meireles, 2014; Cavalcanti et al., 2012).

1.6.5.3 Effet de l’ajout d’un cosolvant sur la solubilité du SC-CO2

L’addition d’un cosolvant permet d’augmenter la solubilité et donc l’efficacité d’extraction de molécules plus polaires dans le solvant supercritique. Les cosolvants ont une forme liquide, dont les plus courants sont l’éthanol, le méthanol, l’eau, le dichlorométhane et enfin le l’hexane. L’éthanol est le plus utilisé (53% des études), car il est considéré comme GRAS (generally recognize as safe), c’est à dire reconnu comme inoffensif en alimentation et donc utilisable en industrie agroalimentaire (de Melo et al., 2014). Ces cosolvants influencent le rendement d’extraction en agissant directement sur le soluté par des interactions physico-chimiques liées à leurs affinités spécifiques avec la molécule à extraire (liaison hydrogène, acide-bases et dipôle-dipôle), et vont donc augmenter sa miscibilité dans le CO2 supercritique. L’ajout d’un cosolvant va aussi

permettre l’augmentation de la densité du solvant supercritique (Cavalcanti et al., 2012).

1.6.6 Cinétique et transfert de masse de l’extraction par SC-CO2

La durée de l’extraction a également une influence importante sur le rendement. Ce paramètre doit être optimisé par un suivi cinétique afin d’évaluer le temps d’extraction optimum requis pour chacune des molécules et matrices. En général, le suivi cinétique permet l’étude du transfert de matière avec un solvant particulier. La courbe de suivi cinétique (le rendement en matière en fonction du temps d’extraction) peut généralement être divisée en 3 parties distinctes. La première partie, appelée CER (constant extraction rate) se produit quand le soluté à extraire est présent de façon importante dans la matrice et lorsque les phénomènes de transfert sont régis par le débit du solvant. Lors du second

stade de l’extraction, appeler FER (falling extraction rate) le soluté facilement accessible commence à diminuer dans le matériel extrait, laissant place à des phénomènes de diffusion. Le taux de transfert de matière entre la matrice et le solvant diminue de façon importante. La troisième étape, DC (diffusion controlled) est l’étape d’extraction contrôlée uniquement par des phénomènes de diffusion à l’intérieur de la matrice végétale, car tous les solutés facilement accessibles au solvant ont été extraits. De fait, le temps d’extraction optimum est celui obtenu à la fin de la première période d’extraction (CER), ou l’efficacité d’extraction est la meilleure. Il y a d’ailleurs peu de différence sur le rendement d’extraction après cette étape de la courbe, tendant vers un plateau. En effet, la pente de la courbe est représentative de la vitesse du transfert de masse (Z. Huang, Shi, & Jiang, 2012; Sovova, 2005).

Figure 1-8 : Courbe de suivi cinétique montrant les différentes périodes de transfert de masse pendant l’extraction par fluide supercritique (exemple de

l’épinard)

1.6.7 Prétraitement de la matière de départ

L’humidité du matériel de départ influence également de façon importante l’extraction des composés cibles. L’eau présente dans l’échantillon va induire un changement dans la tension de surface et l’angle de contact du solvant sur la matrice. L’élimination de l’eau avant l’extraction va permettre d’augmenter le rendement par une amélioration de l’accès aux pores de la matrice, et par conséquent une augmentation des propriétés de transports.

1.0 1.5 2.0 2.5 3.0 3.5 4.0 4.5 5.0 time 1.5 2.0 2.5 3.0 3.5 e x tr a c t pred extract CER FER DC tCER tFER

Temps d’extraction en heure

R en d em en t d e l’e xt ra ct io n en %

Plus il y a d’eau dans l’échantillon et plus il y a de chance que cette eau forme un film entre les pores de la matrice et le fluide supercritique (Cavalcanti et al., 2012).

1.6.8 Équipement

Le procédé d’extraction par fluide supercritique peut être divisé en deux parties distinctes : Une partie constituant l’extraction et l’autre la séparation du solvant supercritique de l’extrait et son recyclage (A.Meireles, 2014).

Le CO2, issu d’un réservoir, est en premier refroidi afin de s’assurer qu’il arrive sous

forme liquide dans la pompe et d’éviter la cavitation de cette dernière. Il est ensuite compressé à la pression choisie (supérieure à la pression critique) et passe au travers un échangeur de chaleur afin d’y atteindre la température désirée (supérieur à la pression critique). Le CO2, ayant ainsi atteint son état supercritique, passe à travers l’extracteur où

a préalablement été placée la matière à extraire. Le solvant supercritique emporte avec lui les molécules à extraire, jusqu’à une vanne de décompression, contenant en général un élément chauffant pour éviter la formation de glace et le blocage des lignes lors de la dépressurisation du CO2. De fait, après cette vanne de décompression, la pression du CO2

ayant chuté de façon importante, le CO2 est de nouveau à l’état gazeux et séparé de

l’extrait dans le séparateur, ou la pression en générale est de 50 bar (au lieu de 300 bars par exemple). Le CO2 passe ensuite à travers un filtre pour enlever les impuretés et dans

Sc-CO2 Spinach Valve Cooler CO2 Pump Heater Cosolvent pump Cosolvent Extractor BPR separator Extract CO2 Valve Valve Cooler Filter

Figure 1-9: diagramme de l'installation de laboratoire utilisée pour les extractions

1.6.9 Extraction de la lutéine et de la chlorophylle par le CO2 supercritique

La majorité des études réalisées sur l’extraction au CO2 supercritique ont été faites sur

des graines ou sur des feuilles. Toutefois, aucune étude n’a encore été faite sur l’extraction de la lutéine et de la chlorophylle à partir de l’épinard. La matrice végétale a une influence importante sur l’extraction par fluide supercritique. L’efficacité d’extraction des caroténoïdes et de la chlorophylle sont variables et dépendent des matrices végétales utilisées. Dans la majorité des cas, les auteurs observent une bonne efficacité d’extraction de ces composés. (Macias-Sanchez et al., 2009; Macías-Sánchez et al., 2005; Nobre et al., 2006). De nombreux articles rapportent l’extraction de ces deux molécules à partir

de microalgues et de la fleur de souci. (Gao et al., 2010; Macías-Sánchez et al., 2005, 2007). La lutéine et la chlorophylle sont des molécules peu solubles dans le CO2, mais

l’ajout d’un cosolvant tel que de l’éthanol permet d’augmenter leurs solubilités ainsi que le rendement d’extraction. La majorité des chlorophylles et des caroténoïdes sont extraits en 300 minutes (Macias-Sanchez et al., 2009; Macías-Sánchez et al., 2007, 2010). Avec l’ajout d’un cosolvant éthanolique, le temps d’extraction diminue à 240 min (Guedes et al., 2013; Zhengyun et al., 2007). Les extraits obtenus à partir de cette méthode sont souvent des mélanges de molécules peu purifiés. En effet, les matrices végétales sont riches en composés extractibles. (de Melo et al., 2014). La variation des différents

paramètres de pression, température, temps, concentration en co-solvant permet d’augmenter la sélectivité de cette technique pour les molécules d’intérêts. À notre connaissance, ce sera la première fois que l’épinard sera utilisé dans une étude concernant l’extraction de la lutéine et de la chlorophylle par CO2 supercritique.

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