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II. Les limites du système d’apprentissage genevois

2.1 Flou législatif et organisationnel de 1933-1948

La loi fédérale de 1930 sur la formation professionnelle pose un cadre commun pour l’apprentissage en Suisse dans l’artisanat, l’industrie, le commerce et les transports. Son entrée en vigueur, le 1er janvier 1933, est pourtant loin de faciliter la tâche aux cantons. En effet, ils doivent désormais composer avec les dispositions fédérales, tout en comblant les brèches laissées par elles. « Les cantons ont encore le droit de légiférer sur toutes les matières que la Constitution fédérale ne réserve pas expressément à la législation fédérale et sur tout ce qui relève du droit fédéral, tant que la Confédération ne fait pas usage de son pouvoir »1. De plus, la situation économique des années trente, puis la guerre, obligent le Conseil fédéral à maintenir certains éléments des lois cantonales de façon temporaire, afin de ne pas surcharger les cantons2. Ainsi, au niveau fédéral, l’autorité compétente est le Département fédéral de l’économie publique. Plus précisément, la gestion et la surveillance de la formation professionnelle incombe à l’Office fédéral de l’industrie des arts et métiers et du travail (OFIAMT) et à la Division de l’agriculture, pour les apprentis de ce secteur. L’OFIAMT établit quelles sont les professions qui nécessitent un contrat d’apprentissage, surveille

1 ULDRY, 75 ans de formation professionnelle, p. 44.

2 Arrêté du Conseil fédéral du 24 mars 1933.

43 l’application de la loi, définit les grandes lignes de l’enseignement complémentaire obligatoire (les programmes normaux) et les exigences des examens. Il accorde également les crédits pour la formation professionnelle. Les aspects plus spécifiques, comme les programmes de formation, les conditions de l’apprentissage ou la durée de l’apprentissage se trouvent dans les règlements d’apprentissage élaborés en consultation avec les grandes organisations professionnelles. A Genève, nous l’avons évoqué, un certain nombre de dispositions de la loi cantonale sur l’apprentissage et le travail des mineurs du 9 mars 1927 restent en vigueur, principalement celles concernant la protection des apprentis. Devant la confusion que provoque la loi fédérale, le Conseil d’Etat genevois s’aperçoit vite de la nécessité de statuer. En mai 1934, il publie un arrêté1 explicitant les dispositions cantonales qui demeurent réservées et qui servira de base légale jusqu’à la loi cantonale de 1959.

Un cadre législatif suffisant...

En observant le tableau des lois, en annexe (p. 116), nous pouvons affirmer qu’il existe un cadre législatif suffisant pour la gestion des apprentissages après la Seconde Guerre mondiale. Cependant, un premier problème réside dans la mise en œuvre rigoureuse des lois.

C’est au Service des apprentissages, créé à la fin du XIXe siècle, qu’incombe cette tâche. Ses missions consistent à assurer le respect des lois en vigueur et à enregistrer les contrats, à contrôler l’enseignement aussi bien pratique que théorique et à délivrer les diplômes2. En 1937, la nécessité de coordonner les activités de l’Etat en faveur des jeunes se fait ressentir.

Sur l’initiative d’Adrien Lachenal (Conseiller d’Etat en charge du DIP) le Conseil d’Etat met en place un Office de l’enfance, sous la responsabilité du Département de l’instruction publique3. La loi confie à ce tout nouvel Office les Services d’orientation professionnelle et des apprentissages, considérés conjointement. Pour G. Barbezat, ce changement est loin d’être une amélioration, « [n]ous sommes en pleine confusion; alors que depuis 1892 toutes les lois qui se succédèrent donnent au Département du commerce et de l’industrie la compétence de s’occuper des apprentissages, subitement en 1937 apparaît une nouvelle loi sur l’Office de l’enfance qui englobe […] le Service d’orientation professionnelle et des apprentissages »4. Initiée dans un désir de coordination, cette organisation va rapidement se complexifier. En effet, la question de la formation professionnelle est traitée dans le règlement d'application de janvier 1938 de la loi sur l'Office de l'enfance (art. 29 et art. 30). Pour des raisons

1 Arrêté du Conseil d’Etat du 16 mai 1934.

2« Mémoire de François Perroux [cf. p.119] concernant l’apprentissage », 15 novembre 1949, AEG.DEP.1986va9.84.5.

3 Article 3 de la loi sur l’Office de l’enfance du 2 juillet 1937.

4 BARBEZAT, Association des commis, p. 192.

44 essentiellement politiques, ce règlement comporte deux dispositions dérogatoires (qui annulent la mise en œuvre prévue dans l’initiative de départ). D’abord, le Conseil d’Etat peut

« [...] charger un autre département de tout ou partie de l’activité attribuée à l’un des services de l’Office [de l’enfance] »1. Ensuite, le Service des apprentissages reste soumis à la législation qui le régit, tant qu’il n’est pas rattaché au Département de l’instruction publique2. Cette loi ajoute donc de la confusion, sans pour autant améliorer la gestion de la formation professionnelle. Si ces arrangements législatifs reflètent des enjeux politiques, ils contiennent également des questions de fond sur la conception et le rôle de l’apprentissage. Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, la question du droit régissant la formation professionnelle est donc floue. Il existe une réelle nécessité de l’étudier pour éviter les conflits entre la loi de 1927, la loi fédérale de 1930 et celle sur l’Office de l’enfance. Cependant, bien qu’il y ait un consensus sur l’utilité d’une nouvelle loi cantonale, son élaboration provoque de vives réactions de la part des forces présentes. Nous tenterons de comprendre dans le chapitre suivant quels sont les enjeux pour les différents acteurs.

...mais une application chaotique

L’organisation cantonale de l’apprentissage après la Seconde Guerre mondiale reste réglée par la loi de 1927. En 1933, le Conseil d’Etat décrète3 que les articles de la loi fédérale de 1930 (et ordonnances) sont appliqués, selon les cas, par l’un ou l’autre des départements de l’Etat de Genève. Ainsi, malgré ce que prévoit la loi sur l’Office de l’enfance, il n’est pas question de confier toute la matière au DIP. La dispersion des compétences en matière d’apprentissage complexifie encore une gestion déjà difficile. Au début des années 1940, cinq départements différents s’occupent de l’apprentissage. Le Département du commerce et de l’industrie gère les questions budgétaires et remet les certificats fédéraux de capacités (CFC).

Le Département de l’instruction publique est compétent pour les écoles et les cours professionnels, tout en s’occupant également de la protection des mineurs. Le Département du travail, de l’hygiène et de l’assistance publique, effectue tout le travail administratif, puisqu’il est dirigé par Antoine Pugin, désigné en 1936 par le Conseil d’Etat pour être intérimaire sur les questions d’apprentissage. Les commissaires prud’hommes, responsables de la surveillance des apprentissages, dépendent du Département de justice et police. Enfin, le

1 Article 3 alinéa 3 de la loi sur l’Office de l’enfance du 2 juillet 1937.

2 Confirmé par l’arrêté du 13 décembre 1948 sur la répartition des départements entre les membres du CE : « [l]e service des apprentissages reste sous la direction du chef du Département du travail, de l’hygiène et de l’assistance publique » (art. 70 et 73 C).

3 Arrêté du Conseil d’Etat du 26 mai 1933 qui répartit les articles de la LFPr de 1930 selon les départements.

45 Département de l’intérieur et de l’agriculture forme les apprentis horticulteurs. Jusqu’en 1956, le Service d’orientation professionnelle, pour sa part, est rattaché au Service social des écoles.

Outre la perte d’efficacité qu’il entraîne, alors que les moyens et les effectifs mis à disposition sont déjà faibles, le mauvais fonctionnement du système d’apprentissage genevois entrave la collaboration entre les milieux concernés. Pour le secrétaire général de la Fédération des syndicats patronaux, le dispersement des compétences empêche le contact des organisations professionnelles avec les autorités, puisqu’elles ne parviennent pas à identifier leurs interlocuteurs1. En conséquence, la connaissance des aptitudes et de la formation nécessaires à la pratique d’un métier est mauvaise. De plus, les besoins de main-d’œuvre qualifiée sont rarement identifiés. Un manque de collaboration avec les écoles se fait également ressentir.

Les entreprises et les écoles structurent la formation sans se consulter, ce qui pose évidemment des problèmes au niveau du contenu des programmes, de la rentrée des cours ou encore des exigences aux examens. « En bref, dans ce domaine c’est l’anarchie [...] »,2 ironise la Tribune de Genève en 1949. Il existe donc un manque de coordination entre le Service des apprentissages, l’enseignement et le monde professionnel, lui-même composé de groupes aux intérêts différents. Nous verrons comment ces acteurs parviennent, au prix de longs efforts, à s’organiser pour offrir aux jeunes une formation professionnelle cohérente.

Le Département du commerce et de l’industrie sert de liaison entre le Service des apprentissages et les entreprises, à travers la surveillance des apprentissages. Il est secondé dans cette tâche par la Commission centrale des prud’hommes et les commissions d’apprentissage3. En effet, chaque groupe prud’homme, onze en tout, nomme une commission d’apprentissage, constituée de huit juges (quatre ouvriers ou employés et quatre patrons). Ces commissaires rendent visite aux entreprises pour s’assurer du respect de la loi, mais ils fonctionnent également comme des référents pour les apprentis4. Ils signent le livret d’apprentissage, sorte de carnet de bord de l’apprenti, destiné aux observations du patron et du commissaire. Pour pallier à un déficit évident du nombre de surveillants, des commissaires adjoints sont fréquemment nommés. Pour l’année 1949, il y a finalement 130 commissaires pour un total de 2000 apprentis5.

1 BARDE, R., L’ordre professionnel, 22 juillet 1949, AEG.DEP.1986va9.84.4.

2 LASSERRE, V., [journaliste] Tribune de Genève, 12 juillet 1949.

3 Loi organique sur les Conseils de prud’homme du 12 mai 1897 et règlement du 4 décembre 1923.

4 Article 34 de la loi cantonale de 1927 en matière d’apprentissage.

5 « Estimations d’A. Pugin dans ses notes personnelles », circa 1949, AEG.DEP.1986va9.84.3.

46 Illustration 1: Livret d’apprentissage (1945)

Source : « Livret d’apprentissage », Weber, G., [apprenti cartonnier de 1942 à 1945], juin 1945, Archives privées.

Nous constaterons par la suite que la surveillance, élément clé du système d’apprentissage, apparaît comme un point essentiel à améliorer. Un important décalage existe entre la surveillance des apprentis que nous venons de décrire, et celle exercée en pratique. Le mode de désignation des commissaires, leurs compétences et les modalités du contrôle qu’ils effectuent doivent être mieux définis. En effet, la moitié des juges prud’hommes délégués aux apprentissages est salariée et doit donc prendre des heures de congé pour remplir ce mandat.

Les commissaires ont entre 20 à 50 apprentis à surveiller et reçoivent 2,50 francs d’indemnité par visite, accompagnée d’un rapport1. Si elle est effectuée correctement, cette mission comporte donc un sacrifice financier. Hormis leur nombre insuffisant, de nombreux commissaires ne proviennent pas de la même branche que les apprentis dont ils ont la charge.

Pourtant, ils doivent posséder des connaissances pointues tant au niveau technique, que pédagogique. Les syndicats sont d’avis que : « [l]a loi sur les Conseils de prud’hommes est désuète. Elle ne satisfait plus les multiples professions dont la pratique exige une technique

1 « Conférence de Louis Bauer [président de l’Union des syndicats du canton de Genève] du 4 novembre 1949 », Rapport de l’Université ouvrière de Genève (UOG), novembre 1949, p. 5, AEG.DEP.1986va9.84.6.

47 très poussée »1. D’ailleurs, les groupes de professions dont sont issus les commissaires associent parfois des métiers de façon surprenante. Le groupe VII des « petits commerçants », par exemple, représente les bouchers, mais également les coiffeurs2. Le groupe X réunit les employés de banque et les employés de cirque.3 Une meilleure surveillance des apprentissages passe également par une évaluation plus efficace de la qualité de la formation. En effet, il faut souvent attendre quatre ans, soit l’examen de fin d’apprentissage, pour savoir si la formation était suffisante. A cette étape, il est évidemment trop tard pour rectifier la situation. Les associations professionnelles abondent dans ce sens et déplorent un manque de qualifications des apprentis. Selon un commissaire de surveillance, un faible niveau général force les examinateurs à se montrer cléments et les jeunes se retrouvent ainsi insuffisamment qualifiés à l’issue de leur apprentissage.4 Pour le secrétaire général de la Société suisse des commerçants section genevoise, cet aspect cause une pression à la baisse sur les salaires5. Il donne l’exemple des jeunes diplômés de la charcuterie et de la boucherie qui ne reçoivent un salaire complet qu’après trois années de pratique, car ils ne sont soi-disant pas suffisamment efficaces6.

Au niveau législatif et institutionnel, la gestion de l’apprentissage semble donc confuse. De même, le système de surveillance, garant de la qualité de la formation, est insuffisant et les commissaires sont débordés.7 Pourtant, les outils de la prise en charge de la formation professionnelle sont déjà disponibles. Si l’apprentissage n’est pas encore l’objet d’efforts de coordination au lendemain de la guerre, les enjeux qu’il représente ne tarderont pas à rendre une réforme indispensable.

Parcours scolaires des apprentis

Cette confusion est également visible dans le système scolaire, car si toutes les filières donnent « par défaut » accès à l’apprentissage, le parcours à suivre pour y accéder dans de bonnes conditions n’est pas toujours évident. Avant la généralisation du Cycle d’orientation, en 1969, les parcours scolaires menant à l’apprentissage sont variés et parfois incohérents.

Afin de comprendre le cursus suivis par les apprentis, nous allons nous pencher brièvement sur le système scolaire genevois, dont la structuration est analysée dans les travaux de

1 « L’école et l’apprentissage », in : Liberté syndicale, n°22, 15 juillet 1949.

2 Tribune de Genève, 12 juillet 1949, AEG.DEP.1986va9.84.4.

3 « Rapport de la sous-commission», circa hiver 1950-51, p. 17, AEG.DEP.1986va9.84.5.

4 « Rapport du commissaire de surveillance des apprentissages à Genève, 1945-1948 », in : Le Relieur et Cartonnier, n°22, 1949, AEG.DEP.1986va9.84.4.5.

5 « Pour une réforme du Service des apprentissages », in : Tribune de Genève, 31 juillet 1949.

6 Idem.

7 « Rapport de la sous-commission», circa hiver 1950-51, AEG.DEP.1986va9.84.5.

48 l’historien de l’éducation Christian Alain Muller. Il nous indique que toute la période qui nous intéresse est marquée par une « structure ternaire », dont chacune des filières vise un public différent, socialement déterminé1. Inspirons-nous des trois filières qu’il distingue pour décrire le système éducatif genevois2. Après l’Ecole primaire, plusieurs possibilités s’offrent aux écoliers pour poursuivre leur scolarité obligatoire jusqu’à leurs quinze ans révolus. Le Collège (garçons) et l’Ecole supérieure de jeunes filles (ESJF) constituent les voies d’accès aux études supérieures et sont en réalité réservés à l’élite, de par l’enseignement du latin. Les écoles de l’enseignement secondaire inférieur comme le Collège moderne (garçons) et l’Ecole ménagère et professionnelle (filles) s’adressent plutôt à la classe moyenne et privilégient une formation « pratique », orientée vers l’industrie et le commerce. Les garçons, par exemple, y suivent des cours de travaux manuels,

de dessin, de comptabilité, en plus des enseignements classiques3. Ces écoles donnent accès aux Ecoles professionnelles et dans quelques cas aux classes du Collège (hormis la section classique). Finalement, les classes de fin de scolarité de l’Ecole du Grütli (garçons)4 et les classes primaires rurales de fin de scolarité (qui disparaissent en 1958), permettent aux écoliers qui n’ont pas les notes ou les moyens financiers pour poursuivre des études secondaires de terminer leur scolarité obligatoire. Ces écoles populaires s’adressent à ceux qui veulent entrer dans la vie professionnelle dès leur quinze ans, avec ou sans apprentissage.

1 MULLER, Histoire de la structure, pp. 147-148.

2 Idem, pp. 147-148.

3 MARCACCI, M. et CHARDON, E., Tu finiras au Grütli ! Une école de fin de scolarité. Genève 1929-1969, Genève, Passé-Présent - La CRIÉE, 2004, p. 29.

4 Ecole du Grütli : 1929-1969.

Illustration 2: Acte de libération scolaire (1942)

Source : « Livret de scolarité obligatoire de la République et canton de Genève », Weber, G., juillet 1942, Archives privées.

49 Le Collège et l’ESJF restant des filières élitistes, les apprentis proviennent de la division complémentaire de l’Ecole primaire ou, pour la majorité, d’une filière de niveau secondaire.

En effet, à partir du milieu des années 1930, la fin « normale » de la scolarité obligatoire s’effectue dans l’enseignement secondaire (inférieur)1.

Figure 5: Filières d’étude menant à l’apprentissage à Genève (1945-1959)

Arrêtons-nous un instant pour développer cet aspect. Aborder l’évolution du système scolaire genevois peut, de prime abord, sembler constituer une parenthèse dans un mémoire portant sur la formation professionnelle. Pourtant, comprendre les changements qui bouleversent l’Ecole à cette période nous paraît indispensable pour saisir ceux qui s’opèrent en parallèle dans la formation professionnelle. La période qui nous intéresse est marquée par un système scolaire en pleine mutation. Pour diverses raisons, autant socio-économiques, politiques, que démographiques, le système d’enseignement genevois évolue vers une massification de l’enseignement secondaire et un allongement de la scolarité à plein temps, alors que les structures en place ne permettent pas cette évolution2. Dès 1933, cette situation débouche sur un déséquilibre profond et « [c]’est tout le système scolaire genevois qui se révèl[e] de plus en

1 MAGNIN, C. et MULLER, C. A. (dir.) « La valeur socioprofessionnelle de la maturité gymnasiale à Genève à l'ère de la

"démocratisation" des études » in : Formation humaniste, enseignement secondaire et société XVIe-XXIe siècle, Genève, Slatkine, p. 3, (numéro de page du document de travail).

2 MULLER, Histoire de la structure, p. 146.

Sources : MARCACCI et CHARDON, Tu finiras au Grütli.

Et « Livret de scolarité obligatoire de la République et canton de Genève », DIP.

Apprentissage

50 plus en décalage avec le comportement et les attentes des écoliers et de leur famille. Les différentes filières rempliss[ent] de plus en plus mal les objectifs pour lesquels elles [ont] été instituées »1. Avec la loi sur l’instruction publique de 1940, la voie secondaire devient un passage obligatoire pour tous les écoliers qui ne sont pas en échec : « [l]a division complémentaire est destinée aux élèves qui, pour des raisons majeures, achèvent leur scolarité sans pouvoir entreprendre d’études secondaires ou professionnelles » (art. 29). Peu à peu, le Grütli, qui constituait pourtant une bonne préparation à l’apprentissage, devient une école réservée aux « cancres », cela pour éviter toute concurrence aux Ecoles secondaires, dont une bonne part du public est composée en fait de futurs apprentis2. La « démocratisation des études », « […] soit l’école comme moyen de recomposer les élites selon un principe méritocratique scolaire »,3 constitue le mot d’ordre de cette période. Dès 1945, les enfants des classes populaires se dirigent vers l’enseignement secondaire inférieur puisque « […] les familles appartenant aux milieux modestes adoptent progressivement des stratégies scolaires directes ou indirectes visant à ce que leurs enfants accèdent à la meilleure filière possible de l’enseignement secondaire inférieur »4. Ainsi, en 1950, la majorité des apprentis provient du Collège moderne ou de l’Ecole professionnelle et ménagère (EPM), où ils « patientent » deux ans avant de pouvoir accéder à l’apprentissage. Cette pratique est rapidement intégrée par les associations professionnelles, si bien qu’en 1949, la Fédération des ouvriers du bois et du bâtiment (FOBB) estime que les apprentis de quinze ans sont trop jeunes et qu’il vaudrait mieux les garder plus longtemps à l’école, « [l]a scolarité devrait être prolongée par des classes de travaux manuels, comme cela se fait pour la préparation aux professions intellectuelles »5. Cette demande rejoint celle de l’instauration de cours de préapprentissage que réclament certaines professions. Ainsi, une partie du temps qui était dévolu au travail en entreprise est désormais passé sur les bancs de l’école secondaire. La politique du « tous au collège »6 permet une certaine « démocratisation des études », toutefois, les jeunes qui ne souhaitent pas poursuivre leur scolarité et veulent commencer un apprentissage se voient obligés d’entamer des études secondaires. En 1962, la mise en place du Cycle d’orientation pour les douze-quinze ans et sa généralisation progressive constitue une réforme essentielle en matière d’orientation scolaire et, dès le milieu des années 1960, les futurs apprentis sortent du Cycle.

1 MARCACCI et CHARDON, Tu finiras au Grütli, p. 57.

2 MULLER, Histoire de la structure, p. 194.

3 Idem, p. 249.

4 Ibidem, p. 161.

5 « Rapport de la sous-commission », circa hiver 1950-51, p. 25, AEG.DEP.1986va9.84.5.

6 MARCACCI et CHARDON, Tu finiras au Grütli, p. 56.

51 Dans ce contexte, la formation professionnelle en entreprise se présente donc plus comme une sortie du système scolaire que comme un objectif en soi. Les études secondaires sont érigées en voie royale, promesse de mobilité sociale, et l’apprentissage se présente comme une alternative pour ceux qui échouent ou renoncent à suivre cette filière. Il en découle que les aptitudes manuelles sont faiblement valorisées, car peu reconnues par le système scolaire genevois. En outre, « […] l’obligation faite aux « bons » élèves d’entrer dans l’enseignement

51 Dans ce contexte, la formation professionnelle en entreprise se présente donc plus comme une sortie du système scolaire que comme un objectif en soi. Les études secondaires sont érigées en voie royale, promesse de mobilité sociale, et l’apprentissage se présente comme une alternative pour ceux qui échouent ou renoncent à suivre cette filière. Il en découle que les aptitudes manuelles sont faiblement valorisées, car peu reconnues par le système scolaire genevois. En outre, « […] l’obligation faite aux « bons » élèves d’entrer dans l’enseignement