CHAPITRE 1 L'APPAREIL DIGESTIF : DUALITE DE FONCTIONS
II. D.2 Une flore particulière chez le lapin
Bien que la partie antérieure du tractus digestif héberge des micro-organismes, leur composition a fait l'objet de peu d'études. Ceci tient probablement au fait que leur rôle dans la digestion des aliments est faible comparativement aux microorganismes du cæcum. En effet, ce dernier constitue une poche, en cul-de-sac, où un milieu relativement stable permet à la flore intestinale de se développer : une teneur en matière sèche de 21 à 23%, et un pH oscillant entre 5,5 et 6 selon l'heure de la journée (Gidenne et Lebas, 1984). Cette flore comprend des microorganismes adaptés à se multiplier dans certaines niches écologiques (flore autochtone) ainsi que de nombreux microorganismes en transit qui constituent la flore transitoire ou allochtone (Berg, 1996). Celle-ci peut éventuellement comporter des agents infectieux, c'est-à- dire capables de franchir la barrière de l'immunité naturelle de la muqueuse, et/ou de se multiplier dans les tissus vivants et de devenir pathogènes pour l'hôte.
Jusqu'à récemment, l'identification de la microflore de différents écosystèmes reposait sur la culture in vitro des microorganismes. Or, la fraction cultivable n'est probablement pas représentative de la microflore digestive. En effet, des conditions de culture de certains microorganismes encore méconnues, la sélectivité des milieux de culture, le stress provoqué par la culture, la nécessité de conditions anaérobies strictes et les difficultés pour stimuler les interactions entre les microorganismes et les cellules de l'hôte sont autant d'obstacles à l'identification complète de la microflore digestive (Zoetendal et al., 2004). Le développement récent de techniques de biologie moléculaire a permis de passer outre cette étape de mise en culture, et d'identifier de nouveaux genres. Ainsi, nous pouvons supposer que de nombreux microorganismes de la flore intestinale devraient être identifiés dans les années à venir.
Les études concernant la flore du lapin sont peu nombreuses et pour la plupart anciennes. La flore autochtone qu'il héberge serait particulièrement originale. Une étude récente, utilisant des techniques d'hybridation moléculaire, évoque une microflore presque exclusivement composée de bactéries (80 à 90% de l'ARNr 16S) (Bennegadi et al., 2003). Cette flore bactérienne est constituée principalement de microorganismes anaérobies stricts, et de quelques microorganismes aéro-anaérobies facultatifs (Tableau 4).
Tableau 4 Flore cæcale identifiée chez le lapin BACTERIES
BACTERIES ANAEROBIES 108-1011
caccae Sirotek et al. 2004, Sirotek et al. 2001 pseudo insolita Bacques et al. 1983
ruminicola Boulahrouf et al. 1991, Pacini et al. 1986 ovatus Sirotek et al. 2001
thetaiotamicron Sirotek et al. 2001, Pacini et al. 1986 stercoris Sirotek et al. 2001
vulgatus
Yanabe et al. 1999, Wang et al. 1996, Pacini et al. 1986, Forsythe et Parker 1985
capillosus Sirotek et al. 2001, Pacini et al. 1986 uniformis Pacini et al. 1986
distasonis Pacini et al. 1986 multiacidus Pacini et al. 1986 fragilis Yanabe et al. 1999 Bacteroides
105-1010
[Bennegadi et al. 2003, Lanning et al. 2000a, Zomborszky- Kovács et al. 2000, Yanabe et al.
1999, Penney et al. 1986, Morisse et al. 1985]
ochraceus Sirotek et al. 2001 intestinalis Bennegadi et al. 2003 Fibrobacter
succinogenes Bennegadi et al. 2003 russii Crociani et al. 1984 GRAM -
NON SPORULE
Bacilles
Fusobacterium
prausnitzii Wang et al. 1996 Bifidobacterium
[Pacini et al. 1986]
Eubacterium cellulosolvens Boulahrouf et al. 1991 [Yanabe et al. 1999]
Lactobacillus
Bacilles
[Yanabe et al. 1999]
productus Wang et al. 1996, Crociani et al. 1984 Peptostreptococcus
micros Crociani et al. 1984 flavefaciens Bennegadi et al. 2003 Ruminococcus
albus Bennegadi et al. 2003 NON
SPORULE
Coques
Peptococcus magnus Crociani et al. 1984 sporogenes Bacques et al. 1983 clostridiiforme Wang et al. 1996, Forsythe et Parker 1985 coccoides Crociani et al. 1984 innocuum Crociani et al. 1984 G R A M + SPORULE Bacilles Clostridium 101-109
[Lanning et al. 2000a, Yanabe et al. 1999, Tortuero et al.
1994, Penney et al. 1986, Morisse et al. 1985, Gouet et
BACTERIES AERO-ANAEROBIES 101-106
cloacae Canganella et al. 1992 Enterobacter
aerogenes Canganella et al. 1992 Escherichia coli 102-105 Padilha et al. 1995, Morisse et al. 1985, Bacques et al. 1983 NON
SPORULE Bacilles
[Penney et al. 1986]
cereus Bacques et al. 1983 Bacillus
106-107 licheniformis Bacques et al. 1983
G R A M - SPORULE Bacilles
[Yanabe et al. 1999, Penney et al. 1986, Forsythe et Parker 1985]
Bacilles
Corynebacterium 104-105
[Yanabe et al. 1999, Gouet et Fonty 1979]
intermedius Canganella et al. 1992 Staphylococcus
epidermitis Canganella et al. 1992 lentus Canganella et al. 1992 [Yanabe et al. 1999, Tortuero et al.
1994, Forsythe et Parker 1985, Bacques et al. 1983]
Streptococcus
101-105 faecalis Bacques et al. 1983
[Zomborszky-Kovács et al. 2000, Yanabe et al. 1999, Tortuero et al. 1994, Penney et al. 1986, Gouet et
Fonty 1979]
faecalis Canganella et al. 1992 avium Canganella et al. 1992 faecium Canganella et al. 1992 Enterococcus
durans Canganella et al. 1992 G R A M + NON SPORULE Coques Micrococcus [Gouet et Fonty 1979] LEVURES 106
Cyniclomyces guttulatus Forsythe et Parker 1985
ARCHAE
[Bennegadi et al. 2003]
Les chiffres indiquent le nombre de microorganismes des différents groupes par g de contenu cæcal.
La flore anaérobie stricte est dominée par les Bacteroidaceae, des bacilles gram négatifs asporulés, dont notamment le genre Bacteroides. De nombreuses espèces ont été isolées. Des bactéries des genres Fibrobacter, Fusobacterium et Clostridium sont également décrites. Les genres Eubacterium, Ruminococcus, Peptostreptococcus, Peptococcus et Bifidobacterium ont parfois été identifiés. Contrairement à la flore constitutive du tractus digestif de la plupart des mammifères, le genre Lactobacillus n'est pratiquement jamais retrouvé dans le cæcum du
lapin. Concernant les organismes aéro-anaérobies facultatifs, les entérobactéries des genres
Escherichia et Enterobacter et les genres Streptococcus, Corynebacterium, Staphylococcus et Enterococcus ont été isolés. Cependant, les résultats très divergents entre les études
concernant leur dénombrement témoignent de la difficulté d'identification de la flore : variabilités individuelles importantes, variabilité des milieux de culture, appartenance probable de certains genres et/ou espèces à la flore transitoire.
Les 10 à 20% de flore n'appartenant pas au règne des bactéries seraient des eucaryotes (protozoaires et/ou levures), ou encore des organismes appartenant au règne des archaea (Bennegadi et al., 2003). Cependant, ces résultats n'ont pas été confirmés.