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Flavius Magnus Aurelius Cassiodorus

CASSIODORE Scylacium, Calabre, v. 490 — Vivarium v. 580, homme politique et érudit latin. Préfet du prétoire sous Théodoric. — Son encyclopédie, Institutions des lettres divines et séculières, servit de règle à l’enseignement au Moyen Âge.201

L’écriture des Lettres à Cassiodore (en italique dans le texte) incite le professeur Garneau à se remémorer certains passages de sa thèse de doctorat, dont le troisième chapitre est consacré au personnage méconnu de Cassiodore, et à se référer à l’historien médiéviste français Pierre Courcelle, qui se consacra à l’étude du monastère de Cassiodore et de sa bibliothèque :

Il pensait à la génération d’aristocrates romains nés vers 480 après le Christ. [...] Placés dans de nouvelles conditions historiques, ils ont à résoudre les problèmes que leurs devanciers ont ignorés. [Souligné dans le texte] Courcelles [s/c]. L’être humain naît jusqu’à nouvel ordre avec un cerveau aussi vierge que le moine du VIe siècle. Comment expliquer que la connaissance avance si la pédagogie tourne en rond? Beauté de la ligne droite, mystères des méandres. Fleuve de l’impermanence, montagne de l’accumulation. Il se comprenait. (GC: 130)

Le problème majeur de la génération de Cassiodore est d’assurer la transmission de l'héritage gréco-romain à un Occident tombé aux mains des « barbares » et ce grand humaniste « fut le premier à organiser dans le cloître la copie des manuscrits : il rendit ainsi à la science sacrée et profane un immense service. Ses ouvrages embrassent tous les genres d’érudition.202 » Comme l’action du professeur de littérature au collège, « l’expérience de Vivarium n ’a pas connu de postérité immédiate203 », mais elle est tout de même fondamentale dans la sauvegarde de la culture occidentale. À l’image de Cassiodore, le professeur de lettres est confronté, au début du XXIe siècle, à de nouvelles conditions historiques, imposées par la révolution numérique, qui l’obligent à redéfinir son action pédagogique dans un monde technologique où le rapport au savoir, à la langue et à la culture subit de profondes transformations. La portée de ce changement radical de perspective peut être considérée à sa juste mesure lorsqu’il est situé dans l’histoire de l’humanité : il est, après le passage de l’oral à l’écrit, qui marque la transition entre la préhistoire et l’histoire, puis l’avènement de l’imprimé à la Renaissance, la troisième phase de la révolution

201 Le Petit Larousse illustré 2011, p. 1213.

202 C. DANIEL. Des Études classiques dans la société chrétienne, Julien, Lanier et Cie Éditeurs, Paris, 1853, p. 79. 203 H. MARTIN et B. MERDRIGNAC. Culture et société dans l ’Occident médiéval, Coll. « Synthèse et histoire », Paris, Éditions Ophrys, 1999, p. 43.

médiatique historique. Selon Claire, la femme de Gameau et spécialiste du langage dans le roman,

il fallait en déduire que les langues sont actuellement le siège de transformations semblables à celles qui se produisent dans l’Europe des temps barbares. Le rapport de force entre la langue parlée et la langue écrite serait en train de basculer. Par Internet, la langue écrite se modifierait à la vitesse de l’éclair, un vaste sabir s’élaborerait, une nouvelle langue, un prodigieux métissage linguistique virtuel. Du pain sur la planche pour les linguistes. (GC:230)

Du pain sur la planche des professeurs de lettres aussi, dont « la valeur du travail caché » (GC:265) qu’ils accomplissent en classe est mise en lumière dans le roman : la compétence grammaticale, reconnue comme, un savoir élémentaire par l’Organisation des Nations unies, s’acquiert par la formation en lettres et par l’étude du texte littéraire. (GC: 180) Puisque « l’importance accrue prise par l’étude de la grammaire durant l’Antiquité tardive constitue le fondement de la formation scolaire médiévale qui assume l’héritage des “arts libéraux”204 », La Gloire de Cassiodore utilise cet argument « cassiodorien » afin d ’insister sur l’utilité d’une solide formation linguistique et littéraire dans la transmission du savoir au troisième millénaire, bien qu’elle soit sans cesse mise en cause dans « l’actuelle crise de l’apprentissage ». (GC:31)

En effet, les difficultés linguistiques sont souvent à l’origine de l’échec scolaire, comme c’est le cas, dans le récit, de la « bonne et douce étudiante en techniques de garderie » (GC:90) ou du « gars d’électro » (GC: 127), dont l’avenir professionnel est menacé par leur incapacité de réussir des cours de formation générale. En outre, selon des statistiques avancées par Gameau, « les programmes les plus tendus vers le savoir mènent dans cinquante pour cent des cas à l’abandon et au rejet. » (GC:233) Ces constats incitent Bérengère Chenail, la porte-parole étatique dans le roman, à affirmer que les jeunes « ont besoin d’une formation claire, pointue, adaptée, pas d’une formation générale, obscure, mal adaptée » et qu’ils « veulent un emploi. Des finances publiques saines, un passé vierge, un avenir limpide. Laissons l’éducation aux peuples qui aiment s’éduquer. Rééduquons les profs. » (GC:265-266) La messagère de l’État représente ainsi « le sophiste [qui] a toujours voulu rendre l’éducation utile et payante. Et une fois la pierre angulaire du sophisme posée dans la cervelle unique du public, le reste suit. » (GC:265) Par la

publication des Lettres à Cassiodore, le professeur Gameau relance le débat sur les fins de l’éducation, dans un monde où les études dites « classiques » sont délaissées au profit d ’études « techniques », le savoir tendant à se marchandiser comme à l’époque de Cassiodore, pendant laquelle « la fusion entre les puissants romains et “barbares” s’accélère. Pour les jeunes aristocrates qui entendent faire carrière dans cette société en mutation, les études classiques présentent alors moins d’intérêt qu’une solide préparation militaire à l’exception de ceux qui se destinent à la carrière ecclésiastique. » Par la création d’un « monastère-école » à Vivarium, Cassiodore a voulu contrer le rapide déclin de la culture et, du point de vue de Gameau, les professeurs de littérature au collégial devraient s’inspirer de l’action discrète mais déterminante de cet homme dans l’histoire de la civilisation occidentale pour donner un sens à leur tâche ingrate car, pense-t-il, « le petit peu que l’on transmet du petit peu qu’on nous a transmis, ce presque rien n ’est pas rien [...] Ce petit peu n’augmente peut-être pas d’une génération à l’autre, mais il est possible de tenter de le conserver. L’humanité niche aussi dans ce petit peu. » (GC:277) Si la référence au personnage historique de Cassiodore redore le blason du professeur de littérature, l’analogie entre le site du monastère de Vivarium et le site du collège dans la ville positionne cet ordre d’enseignement typiquement québécois et ses agents dans le « champ littéraire ». (GC:290)

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