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Historiquement, la prise en compte des défauts et des fissures dans le dimensionne-ment des structure a fait suite aux ruptures fragiles des "liberty ships" en 1941. 2700 "liberty ships" ont été construits à partir de l’été 1941. Ces cargos de 440 pieds et 10000 tonnes servant à affréter troupes et matériels vers l’Europe ont été construit en des temps records pour faire face à l’urgence : le "SS Patrick Henry" a été construit en 4 jours et 15 h ! Pour réduire les temps de production des navires, le constructeur a décidé de remplacer les traditionnels rivets par des joints soudés ; à la suite de cette décision, 362 exemplaires de ces cargos ont subis des avaries similaire à la FIG.1.5.

L’opération de soudage modifie la microstructure de l’acier et sa tenue mécanique et induit des contraintes internes. Dans le cas des "liberty ships", il semblerait que deux effets se soient combinés. Une augmentation de la température de transition fragile-ductile due à la fragilisation du matériau par le soudage et l’apparition de contraintes résiduelles qui n’étaient pas prises en compte dans le dimensionnement de la structure seraient à l’origine de la rupture de ces navires par fissuration instable.

FIGURE1.5: Rupture brutale de deux “liberty ships“

Par la suite, ce sont les accidents successifs des avions "comet", en 1952, 1953 et 1954 qui ont été à l’origine du développement de critères de fissuration stables, tels que la loi de Paris [Paris et al., 1961] pour la fatigue, pour calculer la durée de vie de pièces contenant déjà des fissures. En effet, il a été montré que un an après leur mise en service les fuselages de ces avions présentaient de nombreuses fissures de fatigue qui s’étaient propagées du fait des cycles de pressurisation et dépressurisation de la cellule à partir des hublots. Ceux ci avaient une forme rectangulaire et ont été ensuite remplacés par des hublot ovoïdes pour minimiser les concentrations de contraintes à partir desquels s’étaient initiées des fissures de fatigue.

2.1.1 Mécanisme de propagation des fissures

Le chargement de fatigue provoque donc une propagation stable, cycle à cycle des fis-sures. Lorsqu’on observe le faciès de rupture d’une pièce rompue par fatigue (FIG.1.6(a)), certains matériaux laissent apparaître très visiblement des stries de fatigue. Elles sont dues à la plasticité en pointe de fissure, et plus particulièrement à l’émoussement plastique en pointe de fissure [Pelloux, 1969].

FIGURE1.6: (a) Faciès de rupture d’un acier inoxydable 316L (F. Fremy) (b) Formation

des stries de fatigue par émoussement plastique. [Pelloux, 1969]

La FIG.1.6(b) illustre le phénomène : la fissure, sollicitée en mode I, s’ouvre (a-d), et s’émousse au fur et à mesure que le niveau de contrainte augmente (c). Lors de la décharge (e-f), la fissure se referme. La région autour de l’extrémité de la fissure subit une déformation plastique en retour (g). La fissure s’est finalement propagée d’une longueur approximativement égale au rayon d’émoussement. Le pas entre deux stries correspond à l’avancée de fissure par cycle.

Le fait que l’avancée de la fissure soit directement proportionnelle à la plasticité en pointe de fissure est un point important dans le développement des modèles de fissuration qui vont suivre. Comme nous le verrons, que ça soit pour le mode I ou le mode mixte, les lois de fissuration sont liées à l’émoussement plastique de la fissure.

2.1.2 La loi de Paris

[Paris, 1964] a proposé une loi empirique reliant la vitesse de fissuration stable par cycle de fatigue da

dN à l’amplitude du facteur d’intensité des contraintes δK. Représentée dans un diagramme logarithmique, cette loi laisse apparaître trois domaines distinct :

– Pour ∆KS< K < KCI , la vitesse de fissuration est proportionnelle à l’amplitude du facteur d’intensité des contraintes à la puissance m.

– Pour Kmax > KCI la fissuration devient instable. Avant d’atteindre ce point, les vi-tesses de fissuration sont supérieures à celles prévues par la loi de Paris.

– Pour ∆K < ∆KS l’amplitude du facteur d’intensité des contraintes est inférieure au seuil de non propagation. Juste avant ce seuil, les vitesses de fissuration deviennent inférieures à celles prévues par la loi de Paris, la propagation de fissure devient très lente, voire indédectable.

FIGURE1.7: Illustration de la loi de Paris

2.1.3 Le seuil de non-propagation

FIGURE1.8: Propagation des fissures par fatigue. [Besson et al., 2001]

Le seuil de non-propagation des fissures est observé expérimentalement en pré-fissurant des éprouvettes, par exemple sous chargement de fatigue à amplitude constante. Au cours de la pré-fissuration, l’amplitude du facteur d’intensité des contraintes augmente avec la longueur de la fissure. Ensuite, l’amplitude du chargement est asservie sur la longueur de la fissure afin d’imposer une décroissante lente de l’amplitude du facteur d’intensité des contraintes jusqu’à ce que la fissure s’arrête.

Les essais permettant de mesurer le seuil de non-propagation ont très vite montré une dépendance aux effets d’histoire du chargement et en particulier au sillage plas-tique laissé par les cycles utilisés pour pré-fissurer l’éprouvette et aux effets d’environ-nement. Ainsi, si on ajuste le chargement de manière à imposer une décroissance lente de ∆K autour d’une valeur moyenne de K gardée constante, ou bien pour un rapport de charge R = Kmin/Kmax, les seuils de non-propagation des fissures trouvés ne seront pas les mêmes. De même si le taux de décroissance de ∆K avec la longueur de la fissure n’est pas suffisamment petit, la fissure s’arrête du fait des contraintes résiduelles laissées par les cycles antérieurs. On montre alors que la vitesse de décroissance de ∆K doit être choisie en relation avec la dimension de la zone plastique de la fissure [Suresh, 1998], [Miller, 1997].

On constate également que les fissures courtes sont susceptibles de se propager plus rapidement que les fissures longues [Gao et al., 2007]. Au fur et à mesure de leur pro-pagation leur vitesse diminue (bien que ∆K augmente) parce que divers effets de ferme-ture des fissures peuvent rendre une partie du cycle de fatigue inefficace [Elber, 1971], [Elber, 1970] et aussi parce que la zone plastique dans la région en pointe de fissure se confine progressivement, rendant le développement de la plasticité dans la région en pointe de fissure plus difficile au fur et à mesure qu’on tend vers des conditions de dé-formations planes [Fleck et Newman, 1988]. Dans certains cas, les fissures courtes s’ar-rêtent, dans d’autres cas, elles finissent par rejoindre le régime dit "de Paris".

2.1.4 L’effet de surcharge

Pour les mêmes raisons, et contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’application d’une surcharge à une structure fissurée sollicitée en fatigue, retarde la propagation de la fissure. En effet, lorsque la fissure se propage de manière stable par fatigue, la zone plasti-fiée autour de l’extrémité de la fissure reste généralement confinée à l’intérieur du massif élastique linéaire de la pièce. Lors de l’application d’une surcharge, la zone plastique en-tourant l’extrémité de la fissure s’accroît. Lors de la décharge, le milieu extérieur tend à revenir à déformation nulle, ce qui induit des contraintes résiduelles de compression dans la zone plastique. Par la suite, ces contraintes de compression tendent à maintenir la fis-sure fermée sur une portion du cycle de fatigue. Ce phénomène de fermeture des fisfis-sures est à l’origine de forts effets de retard sur la vitesse de propagation.

La FIG.1.9 illustre ce phénomène. Un essai de fissuration par fatigue en mode I a été réalisé sur sur une éprouvette CCT en acier S355NL. Un essai de référence à amplitude constante avec un rapport de charge R = 0.1 est superposé à un essai, au même rapport de charge, mais pour lequel une surcharge de 1.5 fois le chargement nominal a été appliquée tous les 10000 cycles de fatigue. Reporté dans un diagramme de Paris, l’effet est très marqué, la vitesse de fissuration avec les surcharges a été abaissée d’un rapport 10 en comparaison de l’essai de référence.

10 15 20 25 30 10−6 10−5 10−4 ∆K (MPa.m0.5) da/dN (mm/cycle) R=0.1 R=0.1 1/10000

FIGURE 1.9: Courbe de Paris pour l’acier S355NL : (croix) pour un rapport de charge

R= 0.1 et pour un chargement à amplitude constante, (triangles) même rapport de charge mais avec une surcharge d’un facteur 1.5 sur le chargement nominal appliquée tous les