âmes.
IV
Ilest,
en
général, hasardeux de prétendredater exactementun
textedu moyen
âged'après des descriptions decoiffuresou
de vêtements.Quand
est-ce qu'unemode commence
?Quand
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est-ce qu'elle finit?
Nous manquons
le plus souvent de don-nées précises sur ces questions délicates.Le Miroir aux dames
9 malheureusement, ne renferme aucune allusion histo-rique, aucune dédicace, qui permettent de le dater exacte-ment. Force est donc, à défaut d'autres renseignements, d'examiner à quelleépoque
pouvaient bien fleurir le couvre-chef, le chaperon et la robe qui excitaient l'indignation de notre auteur.M. Knust
a cru pouvoirdater leMiroir aux dames
de i43o : il rattache la composition de cepoème
à lafameuse croisade contre les hennins
que
le prêcheurThomas
Couette entreprit en 1428. Monstrelet a raconté, dans
une
page souvent citée, quel fut l'extraordinaire maiséphémère
succès de l'éloquent frère prêcheur qui, pendantun
temps,«régna» dans tout le nord de la France :
«
En
cest an mil quatre cent vingt-huit, es pays deFlandres, Tournaisis, Artois, Cambresis, Ternois, Amienois, Ponthieu et es marches environnantes,régna unprescheurde Tordre des Carmés, natifdeBretagne,nommé
frèreThomas
Couette, auquel,partoutes lesbonnes villesetautres lieuxoù ilvouloit faire ses prédications, lesnobles, bourgeois et autres notables personnages luy faisoientfaire, aux plusbeauxlieux d'assemblée, un grand eschafFault bien plancheié, tendu et orné des plus riches draps de tapisseriequ'on pouvoit trouver. Sur lequel eschaffault estoit préparé un autel ou il disoit sa messe, accompagné de plusieurs de ses disci-ples, dont la plus grande partie le suivoient de pied partout ouilalloit, etluy chevauchoitunpetitmulet. Etla, surcest eschaf-fault, aprèsqu'il avoit dit sa messe, faisoit ses prédications, moult longues,en blasmant les vicesetpéchiezde
ung
chascun;et spécia-lementblasmoitetdiffamoittrès fortles femmesde noble lignée et autresdequelqueestâtqu'ellesfussent,portantsurleurs testeshaults atours, etautreshabillemens deparage, ainsi qu'ontaccoustumé de porter les nobles femmes auxmarches etpaysdessus dits.Desquel-lesnobles femmes nulleaveciceulxatours ne s'osoit trouver en sa présence; car quand il en voyoit une, ilesmouvoit après elle les petits enfans, et les faisoit crier: «
Au
hennin! au hennin ! » Et—
I7—
tous, quand les dessusdites femmess'esloignoient, iceulxenfansen continuant leurcricouroientaprès ets'esforçoientdetirera bas les ditshennins. Pourlesquelscris etvoyes de fait s'esmurent en plu-sieurslieuxde grandsrumeursentreles ditscriantau hennin etles serviteurs d'icelles dames etdamoiselles. Neantmoins, le dit frère
Thomas
continua tantetfit continuerles cris et blasphèmes dessus dits, queles femmesportant haults atours n'alloientplusases prédi-cations, sinon ensimpleestâtet coiffes, ainsiquelesportentfemmes delabeuretde pauvrecondition. Etmesme
ilarrivaquelaplus part estantretournéesen leurspropreslieux,ayantvergognedes injurieu-sesparolesqu'ellesavoientouïes, jetèrentbasleursatourseten prin-rentautres, telsque lesportoientles femmes debéguinage; et leur durace petit estâtaucunespace de temps.Mais al'exemple du lima-çon, lequel, quandon passe prèsdelui,retiresescornespardedans, etquandiln'ouïtplusrienlesreboute dehors, ainsi firenticelles ; et asseztostaprèsqueleditprescheur se fut desparti du pays, elles oublièrent sa doctrine etreprinrentpetità petitleur vieil estât, telouplus grand
mesme
qu'elles n'avoient accoustumé de porter au-trefois1».De Gand
etdeBruges,où
elle florissait, lamode
deshennins conquit Parisen 1429.Là
aussi,un
émule deThomas
Couette, frèreRichard, tonna danssessermons
contrecettecoiffure ex-travagante, tellementque
« les gens deParis furent tout a fait tournez en dévotion».En
quelques heuresplus de cent feux furent allumés dans les rues: « Leshommes
ardoient tables et tabliers, dés, quartes,billes, billars, nurelisettoutes choses aquoy on
.se pouoit courcer amaugréer
a jeu convoiteux.»Quant aux femmes,
elles « ardoient devant tous les attours de leurs testes,comme
bourreaux, truffaux, pièces de cuirou
de balaine qu'ilz mettoient en leurschapperonspour
estre plus roidesou
rebras devant; les damoiselleslaissèrent leurs1 Quicherat, Histoireducostume,p. a65; Monstrelet,Chronique, édit.
Douët-D'Arcq, t.IV, p. 3o2.
2
—
i8cornes et leurs queues et grant foison de leurs
pompes.
* » Il pourrait paraître,au
premier abord, assez tentant de placer la compositiondu Miroir aux dames, comme
Ta faitM.
Knust, en i43o. Les frères prêcheurs condamnaient lamode
diabolique des hennins :un
poète,—
Alain Chartier, selonM.
Knust,— enflammé
parleur forte éloquence, serait entré en lice, et, dansune
sorte desermon
en vers, aurait combattupour
lamême
cause.En y
regardant deplus près,on
voitque
toutcelanetient pas debout.La
descriptionque
le poètedu Miroir
fait de la coiffuredesdames
de sontemps
ne correspond que très im-parfaitement àceque nous
savonsdu
hennin. D'après Qui-cherat, le hennin se composait«d'unbourreleten pain fendu, dressé sur le front et soutenu parune
calotte élevée; d'au-tresatours, ajustés en sens inverse, accomplissaient leur des-cente sur lanuque
; d'autres encore montaient ense séparant de droite etde gauche, etfiguraient à s'yméprendre
la tiaredu grand
prêtre des Juifsdans
l'antiquité.2»La
coiffure contrelaquellepart en guerre l'auteurdu Miroir
n'est pas lehennin, mais
un
dérivédu
hennin: cesontles hauts bonnets, sorte de coiffes très élevées, avec, tout autour, des « toiles fichées sur haulx pieulx», c'est-à-dire, en français d'aujour-d'hui, des piècesde linonempesé maintenu
par des fils d'ar-chal, si grandes et siéparpillées, dit lepoète,qu'onles pren-draitpour
les voiles d'un vaisseau.* Journal d'un bourgeois de Paris,publ. par Alexandre Tuetey.Paris, 1881,p. 235.
*Histoiredu costume enFrance. Paris, 1876, p.284.
Hélas ! vousn'estes pas contentes D'estredoulcementatournees, Se vous ne portezunestentes
Dontvoztestessoient voillees!
—
i9—
Et, pour estremieulxdesguisees, Sur haulxpieulxvousfichezles toilles, Sigransetsiesparpillees,
Qu'ilsemble quecesoient voilles!
Le
poète semble faire allusionaux
hennins,1 avec leur bourrelet en pain fendu dressé surle front, lorsqu'il écritces vers:Aujourd'hui, remarque-t-il, les
femmes
sont «cornues de huit cornes » : par ces huitcornes, il entend sans doute les toiles qui, de tous les côtés, entouraient les hauts bonnets, maintenues parune
armature de baleinesou
defils delaiton.Les hauts bonnets, avec les «huit cornes » dont parle le poète, eurentleur grande
vogue
versle milieudu XV
esiècle.2Cette date convient parfaitement au
Miroir aux dames.
Le
poètecondamne non
seulement les couvre-chefs desdames
de la noblesse, mais aussi les chaperonsque
les bour-geoisesfixaient surleurs têtesau moyen
dehauts bourrelets eti Voy.lanoteduvers 178.
* Viollet-le-Duc, Dictionnairedumobilier, t. III, p. 236, parlantdela
modedes hauts bonnets, écritceci: «
On
exagéraencore,vers i45o,sinon la hauteurdes cornes,au moinscelledesvoiles. Ceux-ci, empesés,brodés, prirent des dimensionsetenvergures fabuleuses.»J'ay veu, pieça,qu'on neportoit
Que
deuxcornes dessus les testes,Etencoreson vous enblasmoit Et vous enappeloitonbestes.
Et maintenant, qui estesprestes D'estrede huitcornes cornues,
Que
peut on direque vousestes,Senon piresquebestes
mues
?qu'elles garnissaient de cinq
ou
six cornettes. Il reproche très vivementà ces bourgeoises de s'affubler de chaperonsd'hommes,
au méprisdu Deutéronome.
Il est certainque
l'auteur
du
Miroir, qui ne badinait pas sur les prérogativesdu
sexe masculin, auraitcondamné
Jeanne d'Arc et sesvête-ments
«dissolus», «prohibés par la loi divine».Tout
celanous ramène
au milieudu XV«
siècle, oùleschaperonsd'hom-mes
comprenaientune
coiffe entourée d'un bourrelet avec patte et cornette.Pas plus
que
les couvre-chefs et les chaperons, les robes desdames
de sontemps
n'ont trouvé grâceaux yeux du
poète
du
Miroir.La
robe qu'ilcondamne,
avec des «colletz » jusqu'à la ceinture, trèsouverte surlapoitrine, bordée dans lebas d'une « rebrachure de
penne»
ou d'unebande
de pelle-terie, avec unetrèslongue queue, correspond exactement àlarobe à la
mode
vers i45o.1 Cette robedu temps
deCharles VII resta telle quelle, àpeu
près, sous Louis XI. Ily
eutune
seule différence: elle ne fut pas seulement très ouverte surla poitrine, mais aussi dans le dos.Or
notre moraliste ne parle que de «l'ouverture par devant ». Si la robe avait été«ouverte parderrière », il n'aurait pas
manqué
de s'en indi-gner.2N'aurait-il pas fulminédemême
contre le «gorgias», sorte de gaze transparente, qui permettait de voir,comme
dit le poète
du Débat
de la demoiselle et de labourgeoise, 3Disons
donc
que l'examen de la coiffure et de la robedu Miroir aux dames nous
permet de dater cepoème
de i45o* Voy. Viollet-le-Duc, Ouv. cit.t. III,p. 258-259; Quicherat, p. 257.
*
Comme
le fitlecordelierPierredes Gros,cité parQuicherat(p. 310):«Pardétestable vanité, lesfemmesfontfaireleursrobessibassesàla poi-trine etsiouvertessurlesespaules, qu'onvoitbienavantdansleurdos...»
«Montaiglon, Recueildes poésies françoises, t. V,p. 25.
Letetinqui donne grant joye?
21
—
environ. C'est l'époque
où Agnès
Sorel, dont le roi CharlesVIIétait «durement
assoté », «portoitqueuesun
tiers plus longues qu'oncques princesse de le royaume, plushaut atour qu'à demi, robes plus cousteuses, et de tout ce qui a ribaudise et dissolutionpouvoittraireen fait d'habillement, de cela fut-elle produiseresse et inventeresse. Descouvroitles épaules et le sein jusques
aux
tettins, donnoit à toutebaudeur
loi et cours, fustahomme,fust
afemme
; n'estudioit qu'en vanité jour et nuitpour
desvoyer gens, et pour faire etdonner exemple aux
preudesfemmes
de perdition d'hon-neur,de vergogne et debonnes mœurs.
1 3>En
i45o, Alain Chartier étaitmort
depuis longtemps.V
Le Miroir aux dames
se trouve placé, dans le manuscrit del'Escurial 0-I-i4, entre le Bréviaire des nobles et le Qua-drilogue invectif d'Alain Chartier.Dans
le manuscrit de la Bibliothèque nationale, fr. 924, leMiroir
fait suite auDébat
desdeux
fortunésd'Amours. Dans
lemanuscritde l'Arsenal, n° 3523, queM. Knust
n'a pas connu, leMiroir
est précédé dela Dessertedu
desloyal etsuivi de YHospitald'Amours
;mais ce manuscrit,
comme
lesdeux
autres, renferme plusieurs ouvrages d'Alain. Chartier.De
laplace qu'occupe leMiroir aux dames
dans lema-nuscrit de l'Escurial,
M. Knust
a conclu que cepoème
était d'Alain Chartier lui-même: ilen parlecomme
d'une «œuvre
1Chronique de Georges Chasteltain, édit. Kervyn de Lettenhove,
t. IV, p. 366.
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inconnue» decepoète.