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Figure 24 : Calendriers de travail des exploitations de type 1 et 4 dans la région de Maka

Source : Sall, 2007

Au regard des coûts directs et indirects analysés précédemment, les exploitations ayant de fortes capacités contributives (entre 250 000 et 350 000 FCFA/actif et par an : types 1 et 2), et comptant plus d’émigrés, scolarisent systématiquement les garçons et les filles à l’école primaire. Certains des enfants sont mis au collège, et dans une moindre mesure au lycée, mais seulement au cas où la famille dispose de soutiens extérieurs. Quelques rares enfants issus de ces familles sont accompagnés jusqu’aux études supérieures. Ces carrés ont, néanmoins un grand déficit en main d’œuvre, parfois comblé par le jeu des rapports de production avec les autres catégories, grâce à des échanges de matériel contre de la main d’œuvre au moment des pics de travail. Dans les exploitations à forts revenus, l’école est perçue comme un moyen d’obtenir des revenus supérieurs à ceux de l’agriculture et in fine comme une voie pour quitter la terre.

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Systèmes de production, revenus et pratiques de scolarisation des agriculteurs

Les parents souhaitent pour leurs enfants d’autres destinées que celles de futurs producteurs ; parfois, la scolarisation des enfants a également pour finalité de mieux les préparer à l’émigration61. Comme le dit

un producteur de cette catégorie “Je les emmène à l’école pour qu’ils ne soient pas agriculteurs comme

moi demain” (producteur type 5), ou encore “Ceux qui ne vont pas à l’école n’ont que leur force physique à vendre”. L’école est perçue comme un moyen d’obtenir des revenus supérieurs à ceux que génère

l’agriculture, dès lors qu’un certain niveau d’étude est atteint.

Certains ménages, disposant également de fortes capacités contributives (systèmes de production type 1), mettent tous leurs enfants à l’école coranique, et n’inscrivent qu’un très faible nombre d’enfants à “l’école française”. La plupart ne voient pas l’intérêt à le faire : “Dans les études on rencontre beaucoup

de problèmes ; tu dépenses beaucoup d’argent et tu ne t’y retrouves pas. Certains ont étudié jusqu’à avoir le diplôme, mais ils se sont retrouvés au chômage, et sont retournés aux champs. Pour le Coran, le savoir reste, çà va te servir pour ta vie sur Terre, et après avec Dieu62”. Ces exploitants disposent d’une grande

quantité de terre par actif ; on peut faire l’hypothèse que pour eux, les perspectives de maintien du revenu agricole, et surtout de l’élevage, sont encore bonnes pour la génération suivante “S’ils ne réussissent pas

dans d’autres domaines, ils peuvent revenir à l’agriculture, j’ai suffisamment de terres”. Un autre

élément que l’on ne peut ignorer est le fait que nombre de ces parents eux-mêmes ne sont pas instruits, et que les premières écoles ont été construites dans leurs villages il y a peu de temps, à l’occasion du projet STN “Vraiment, je connais pas l’intérêt, parce que je fais pas l’école”. Cependant, la tendance est quand même à l’augmentation du nombre de scolarisés. Un objectif poursuivi est d’avoir au sein de la famille quelqu’un qui sache lire et écrire le français, et de renforcer ainsi un rapport de force souvent évoqué avec “l’État”, ce terme englobant en réalité toutes les catégories d’intervenants dans le développement rural ou local. Le savoir est ainsi assimilé au pouvoir : “Le français inculque à l’enfant

des connaissances lui permettant de tromper les gens et de vivre à l’aise à partir de l’argent soutiré. Mais c’est lui qui régit tout dans la société, il vaut mieux l’apprendre, c’est pourquoi je mets les enfants à l’école” (un producteur de Bamba Thialène). Le nombre d’enfants mis à l’école est calculé de façon à

optimiser l’investissement consenti, le retour sur investissement étant considéré à l’échelle de l’ensemble du carré “Durant ces dernières années j’ai opté pour deux parce que il faut que une ou deux personnes

puissent lire et écrire, s’ils ne réussissent pas sur l’un, ils réussiront sur l’autre”.

Les exploitations disposant de revenus intermédiaires, situés entre les seuils de survie et de sociabilité, sont soit installées depuis les années 70 avec très peu d’équipements et peu de terres, soit d’anciennes exploitations confrontées à la crise de la filière d’arachide. Leurs revenus ne leur permettent pas de scolariser tous leurs enfants au primaire. Ne disposant pas de tous les équipements, elles ont peu de souplesse dans la planification des activités et l’organisation du travail, ce qui les oblige à faire des choix. Elles opèrent un tri parmi les enfants, et inscrivent en priorité les cadets, et parmi eux, ceux qui sont jugés les plus aptes : “Seuls

les plus éveillés sont envoyés à l’école : les plus jeunes et les aînés restent pour nous aider” (Un producteur

de Méréto). La probabilité est grande pour les aînés, mobilisés quasi systématiquement pour le travail sur l’exploitation, qu’ils aient dépassé l’âge limite au moment où une opportunité d’inscription à “l’école française” se présente. Ils sont donc plus nombreux à l’école coranique, qui a un “spectre” d’admission plus large. Les entretiens menés auprès de ces ménages font ressortir des appréciations très positives de l’école, facteur de promotion sociale et économique. L’agriculture est considérée un métier de plus en plus dur, qui ne rapporte pas suffisamment, qui est sujet à divers aléas, et qu’il faut tenter d’abandonner. L’école s’inscrit dans des dynamiques de réorientation professionnelle, qui doivent permettre de générer non seulement des revenus corrects, mais aussi constituer une “assurance- vie” pour les parents : “L’agriculture, c’est une

activité qui n’est pas sûre. Parfois il y a peu de pluies, et çà ne marche pas. Si quelqu’un apprend, il peut trouver un travail, et envoyer de l’argent quand çà ne marche pas”.

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61) “Mes frères qui sont à l’étranger connaissent tous l’importance de l’école et ils triment très dur pour ramener quelque chose ici. C’est pourquoi ils encouragent les jeunes à étudier pour trouver de bons emplois ici ou même s’ils émigrent qu’ils puissent trouver des boulots non manuels”

62) ou encore “Nous, l’apprentissage scolaire ne nous arrange pas, parce que pour tous nos premiers enfants envoyés à l’école, l’école n’a rien rendu”.

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Systèmes de production, revenus et pratiques de scolarisation des agriculteurs

Les exploitations dont les revenus sont inférieurs au seuil de survie sont donc dans l’impossibilité de scolariser leurs enfants uniquement sur la base des résultats de leurs activités agricoles. Et aussi paradoxal que cela puisse paraître, certaines mettent quand même leurs enfants à l’école. Les coûts pour ces exploitations sont pourtant d’autant plus élevés qu’elles connaissent de graves problèmes de trésorerie pour payer les frais d’écolage. Le retard lié à la traite de l’arachide, les oblige d’écouler leurs récoltes dans les circuits parallèles des “bana bana”, avec un manque à gagner très important (75 FCFA au lieu de 150 FCFA/kg d’arachide). Grâce à des appuis de membres de la famille élargie, certains carrés arrivent à scolariser une partie de leurs enfants. Malheureusement cette scolarisation n’est pas régulière ; parfois elle se résume à un passage à l’école pendant un ou deux ans. Pour ces agriculteurs, l’école est perçue non pas tant comme un investissement aux retombées définies, mais, pour utiliser leurs mots, comme “(…) une

tentative, s’ils ne réussissent pas, ils reviendront à l’agriculture” (petit producteur à Bamba Thialène).

Le recours à l’apprentissage chez des artisans est bien sollicité par cette catégorie : il permet aux enfants d’acquérir rapidement un emploi, notamment en saison sèche, de plus en plus indispensable à la reproduction de leurs systèmes de production (Types 5 et 6). Globalement, la stratégie adoptée par ces producteurs, eux-mêmes souvent pluri-actifs, est d’offrir à leurs enfants des opportunités de revenus complémentaires à ceux de l’agriculture.

La question de la formation professionnelle des producteurs reste largement posée. Mis à part quelques actions ponctuelles de l’ANCAR63, de l’ASPRODEB64, et de la SODEFITEX, en déclin avec la dispari-

tion du coton, aucune formation en direction des agriculteurs n’est dispensée. Cependant, les préoccupations des producteurs sont nombreuses :

• baisse de la fertilité ;

• faibles disponibilités en terre et en ressources fourragères ;

• difficultés d’approvisionnement en semences d’arachide et en engrais ; • désorganisation de la filière et de commercialisation de l’arachide ; • irrégularité des pluies.

Or, une analyse fine de ces préoccupations - en fonction des différentes situations socio-professionnelles des agriculteurs-, et des mutations agraires en cours, en impliquant les producteurs et les acteurs locaux de développement, pourraient aboutir à une véritable construction sociale de leur demande de formation et de l’offre en services d’accompagnement.

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63) Agence Nationale du Conseil Agricole et Rural