II.3 Le champ des fibr´es vectoriels
II.3.7 Fibr´es stables et repr´esentations unitaires
Dans cette section, on se r´ef`ere aux notes de cours de [Fal]. X est `a nouveau une courbe (lisse, irr´eductible, projective) sur C et on suppose que son genre g est ≥ 1. On a deux approches diff´erentes pour comprendre les fibr´es vectoriels sur X. La premi`ere est
par les fibr´es stables. Pour un fibr´e vectorielF de rang n(F) et de degr´e d(F) on d´efinit la pente µ(F) = d(F )n(F ).
D´efinition II.3.16. Le fibr´e vectoriel F est dit stable (resp. semi-stable) si pour tout sous-fibr´e propre W de F on a µ(W) < µ(F) (resp. µ(W) ≤ µ(F)).
Les fibr´es en droite sont bien entendu stables et pour g = 1 il n’y a que des fibr´es stables. Dans cette section (sauf mention contraire) on suppose donc g ≥ 2.
De mani`ere g´en´eral, un fibr´e vectoriel F est ‘approxim´e’ par une somme directe de fibr´es semi-stables par la filtration de Harder–Narasimhan
0⊂ F1 ⊂ F2 ⊂ · · · ⊂ Fs
d´efinie comme suit. F1 est un sous-fibr´e de F de pente maximale µ et on suppose que
parmi la collection des sous-fibr´es de pente µ, le fibr´e vectoriel F1 est de rang maximal.
Le fibr´e F1 est alors semi-stable et le quotient F
F1 est encore un fibr´e vectoriel . On
d´efinit F2F1 comme le sous-fibr´e de FF1 de pente maximale et, comme avant, tel que
parmi la collection des fibr´es satisfaisant la mˆeme condition, il soit de rang maximal. La somme directe des fibr´es semi-stables W := ⊕ Fi+1Fi est appel´ee approximation de
F. Le fibr´e W ne d´epend pas des choix faits ci-dessus. L’ensemble des fibr´es vectoriels F ayant une approximation donn´ee W peut ˆetre vu comme un espace de modules. Par exemple, les fibr´es F ayant A ⊕ B pour approximation sont les (classes d’isomorphisme des) extensions
0→ A → F → B → 0
et cet ensemble est param´etr´e par l’espace vectoriel de dimension finie H1(X, Hom(B, A))
(Cf [CE]).
Pour l’ensemble des fibr´es semi-stables de rang n et de degr´e d fix´es, il existe un espace de modules que l’on noteraM(n, d). Cet espace de modules est construit par les sch´emas de Hilbert et avec l’aide de la th´eorie des invariants g´eom´etriques de Mumford. L’ouvert de Zariski M(n, d)s de M(n, d) correspondant au fibr´es vectoriels stables est
en fait un espace de modules fin.
La deuxi`eme approche pour comprendre les fibr´es vectoriels provient des repr´esentations unitaires du groupe fondamental π1(X) de X. On note Un le groupe des matrices
complexes unitaires de taille n × n. Soit PUn le quotient de Un par son sous-groupe
{λidUn| |λ| = 1} et on d´efinit le groupe sp´ecial unitaire par
SUn :={M ∈ Un| det M = 1}.
Les groupes Un, PUn et SUn sont vus ici comme des groupes analytiques r´eels. On
consid`ere maintenant les repr´esentations unitaires de rang n d’un groupe finiment en- gendr´e π (un cas particulier sera π = π1(X)). On veut d´efinir le champ de ces repr´esentations
Une repr´esentation unitaire, de rang n, de π est un homomorphisme h : π → Un.
Supposons que π soit engendr´e par {g1, . . . , gr} et notons R l’ensemble des relations
entre ses g´en´erateurs. Un homomorphisme π → Uh n est d´etermin´e par un r-uplets
(h(g1), . . . , h(gr)) ∈ Urn qui satisfait les relations R. Ceci d´efinit un sous-ensemble de
l’espace r´eel analytique (ou alg´ebrique) Ur
n donn´e par les ´equations polynˆomiales en
les h(g1), . . . , h(gr). Soit Y (π, n) := Hom(π, Un). Alors par ce qui pr´ec`ede, Y (π, n) a
une structure de vari´et´e analytique r´eelle. Cette structure ne d´epend pas du choix des g´en´erateurs. En effet, pour deux ensembles S1et S2de g´en´erateurs, on voit facilement que
la structure analytique r´eelle pour S1et S2est la mˆeme que celle d´efinie pour S3 := S1∪S2.
Il suffit donc de se placer dans le cas o`u la deuxi`eme collection de g´en´erateurs contient la premi`ere, soit S1 = (g1, . . . , gs) et S2 = (g1, . . . , gs, h1. . . , ht). Les nouvelles relations
contiennent les anciennes ainsi que des relations qui expriment chaque hi comme un mot
en les g1, . . . , gr. De ceci se d´eduit le r´esultat.
A partir de maintenant, on suppose que π := π1(X) et on note Y (g, n) := Y (π1(X), n).
Ce dernier peut ˆetre identifi´e au sous-espace analytique r´eel de U2g
n qui consiste en les
2g-uplets (a1, . . . , ag, b1, . . . , bg) satisfaisant [a1, b1]· · · [ag, bg] = 1. Un r´esultat d’alg`ebre
lin´eaire (voir II.3.20) montre que l’application Un× Un → SUn,
donn´ee par (a, b)7→ [a, b] = aba−1b−1 est surjective. De plus, la dimension r´eelle de U nest
n2 et celle de SU
nest n2−1 donc pour un ´el´ement g´en´erique de SUn, la fibre de l’applica-
tion est de dimension r´eelle 2n2− (n2− 1) = n2+ 1. On consid`ere maintenant l’´equation
[a1, b1] . . . [ag, bg] = 1. On prend pour a2, b2, . . . , ag, bg des ´el´ements g´en´eriques de Un. Cet
espace est de dimension (2g−2)n2. Il suffit maintenant de consid´erer l’´equation [a
1, b1] = c
o`u c est l’´el´ement g´en´erique c := ([a2, b2] . . . [ag, bg])−1. La solution de cette ´equation est
un espace de dimension n2+ 1 d’apr`es l’argument pr´ec´edent donc la dimension totale est
(2g− 2)n2+ n2+ 1 = (2g− 1)n2+ 1.
Ici on veut consid´erer les repr´esentations unitaires `a conjugaison pr`es donc on ´etudie PUn. Le quotient na¨ıf PUn
Y (g, n) (pour n > 1) n’a pas de bonnes propri´et´es et nous devons consid´erer le champ [ PUn
Y (g, n)] qui est de dimension r´eelle (2g − 2)n2 (pour
n > 1 et g > 1). Les repr´esentations unitaires de rang n du groupe fondamental peuvent ˆetre vues comme un champ. Comme dans le th´eor`eme II.5.1 (`a venir), on peut montrer que ce champ est ´equivalent `a
Un {∗} × [PUn{∗}][ PUn Y (g, n)].
Comme nous le verrons plus tard dans la section II.5, toute repr´esentation h : π1(X) → GLn(C) induit un fibr´e vectoriel de rang n et de degr´e 0 sur X. En parti-
culier tout homomorphisme h : π1(X)→ Und´etermine un fibr´e vectoriel de rang n et de
Th´eor`eme II.3.17 (Narasimhan–Seshadri). Les cat´egories suivantes sont ´equivalentes :
1. Les repr´esentations unitaires du groupe fondamental π1(X).
2. Les sommes directes de fibr´es vectoriels stables de degr´e 0 sur X.
Remarque II.3.18. Une autre formulation (´equivalente) du th´eor`eme est la suivante : Les cat´egories des repr´esentations irr´eductibles unitaires et des fibr´es vectoriels stables de degr´e 0 sont ´equivalentes
On regarde le cas n = 1. Le th´eor`eme donne alors un isomorphisme analytique r´eel Hom(π1(X),{c ∈ C| |c| = 1}) → PicX0.
Le premier groupe est isomorphe `a {c ∈ C| |c| = 1}2g. De plus, PicX0 ∼= Cg
Λ o`u Λ est un r´eseau. L’isomorphisme entre {c ∈ C| |c| = 1}2g et PicX0 respecte clairement les
structures analytiques r´eelles. Cependant le premier groupe ne capture pas la structure analytique complexe de PicX0.
Il est int´eressant de comparer ce r´esultat avec celui qui sera montr´e dans la preuve du corollaire II.4.5 et les remarques qui suivent. Ce dernier dit que le morphisme de groupe analytique Hom(π1(X), C∗) → Pic0X est surjectif et que son noyau est H0(X, ΩX).
On en d´eduit que chaque ´el´ement de Hom(π1(X), C∗) s’´ecrit de mani`ere unique comme
le produit h1h2, o`u h1 est homomorphisme induit par un ´el´ement de H0(X, ΩX) et
h2 ∈ Hom(π1(X),{c ∈ C, |c| = 1}).
Rappelons que le groupe Un est le groupe des automorphismes de Cn qui pr´eserve le
produit scalaire standard. On consid`ere un sous-espace propre A de Cn. Alors le sous-
ensemble Y (g, n, A) de Y (g, n) constitu´ee des repr´esentations laissant A (et A⊥) invariant
est ferm´e et isomorphe `a Y (g, a)× Y (g, n − a), o`u a = dim A. Le sous-ensemble Y (g, n, a) avec 0 < a ≤ n/2 constitu´e des repr´esentations laissant un sous-espace de dimension a invariant est une orbite de Y (g, n, A) sous l’action du groupe Un. On en d´eduit que
Y (g, n, a) est ferm´e et de dimension r´eelle strictement inf´erieure `a la dimension r´eelle de Y (g, n). Notons Y (g, n)∗ le sous-ensemble de Y (g, n) qui correspond aux repr´esentations
unitaires irr´eductibles de rang n. Alors Y (g, n)∗ est un sous-ensemble ouvert de Y (g, n)
puisque son compl´ementaire est une r´eunion finie de sous-ensembles ferm´es de la forme Y (g, n, A). Il est donc de dimension r´eelle (2g−1)n2+1. L’action de PU
nsur Y (g, n)∗n’a
pas de points fixes puisque les seuls automorphismes d’une repr´esentation irr´eductible sont les multiples de l’identit´e. Le groupe PUn est compact, ses orbites sur Y (g, n)∗ sont
donc ferm´ees et isomorphes `a PUn. On en d´eduit que le quotient PUn
Y (g, n)∗
est une vari´et´e analytique. Par le th´eor`eme de Narasimhan-Seshadri et le fait que M(n, 0)s est
un espace de module fin (en fait ‘grossier’ suffit) on obtient un isomorphisme d’espaces analytiques r´eels
PUn
Y (g, n)∗ ∼
Ceci a pour cons´equence que la dimension (complexe) de la vari´et´e alg´ebrique M(n, 0)s
est 12((2g − 1)n2 − 1 − (n2 − 1)) = (g − 1)n2 + 1. Chaque fibr´e vectoriel (stable)
irr´eductible admet C∗ pour groupe d’automorphismes et donc G
m agit sur M(r, 0)s.
Si on voit [ Gm
M(r, 0)s
] comme un sous-champ ouvert de Bun0r,X, on trouve alors dim Bun0r,X = (g− 1)n2.
Remarque II.3.19. On peut introduire la cat´egorie des syst`emes locaux de C-espaces vectoriels de dimension n munis d’un produit scalaire. Cette cat´egorie est alors ´equivalente `
a celle des repr´esentations de rang n du groupe fondamental.
On donne maintenant une preuve rapide du r´esultat d’alg`ebre lin´eaire que nous avons utilis´e pr´ec´edemment.
Lemme II.3.20. Soit n≥ 2, alors tout ´el´ement de SUn(C) s’´ecrit comme le commuta-
teur de deux ´el´ements de Un(C)
(Cf [Fres2]).
D´emonstration. On munit Cn du produit hermitien canonique. Alors si A ∈ U n(C),
l’automorphisme donn´e par M 7→ AM est un automorphisme unitaire. Il existe donc P ∈ GLn(C) telle que P AP−1 = D o`u D est une matrice diagonale. De plus, tous les
´el´ements diagonaux de D sont des nombres complexes de module 1. On suppose de plus que A ∈ SUn(C). Soit D := diag(a1, . . . , an). Par hypoth`ese, on a |ai| = 1, ∀i = 1 . . . n
et a1a2. . . an= 1.
On choisit des ´el´ements bi ∈ C∗ tels que b2 = a2b1, b3 = a3b2, . . . , bn = anbn−1 et
b1b2. . . bn = 1. On a alors |bi| = 1, ∀i = 1 . . . n et bn = anan−1. . . a2b1 = a1b1. Soit
B := diag(b1, . . . , bn) et consid´erons la permutation circulaire σ := (1, 2, . . . , n). On
note Q(σ) la matrice de permutation associ´ee `a cette derni`ere. Alors Q(σ) ∈ Un(C) et
Q(σ)B−1Q(σ)−1 = diag(b−1
n , b−11 , . . . , b−1n−1). Observons maintenant que
Bdiag(b−1n , b−11 , . . . , b−1n−1) = diag(b1b−1n , b2b−11 , . . . , bnb−1n−1) = A
ce qui implique A = BQ(σ)B−1Q(σ)−1 et montre que A est un commutateur.
Ce r´esultat est ´egalement vrai pour GLn(C) et SLn(C), c’est-`a-dire que tout ´el´ement
de SLn(C) est un commutateur de GLn(C) (Cf [Fres1]). On peut mˆeme montrer que ce
r´esultat est encore vrai pour les groupes de Lie r´eductifs (Cf [DT]). On rappelle qu’un groupe r´eductif est un groupe n’admettant pas de sous-groupe ferm´e, normal, connexe et unipotent.